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« Door 1 & 2 » de Banmei Takahashi : Rites de passages

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C’est entendu, une porte est un lieu de passage, qui conduit de l’espace public au privé, de ce que l’on peut montrer à l’intime. Dans Door, film japonais de 1988 de Banmei Takahashi que Carlotta sort en Blu-ray dans une belle version restaurée, accompagné de sa fausse suite, Door 2, la porte va ainsi prendre de multiples significations. Et va surtout marquer la limite entre la quiétude intérieure et le danger qui guette à l’extérieur.

Tout devient symbolique, dans l’univers moderne et impersonnel de Door. Ces grands couloirs vides, cet immense escalier qu’une mère (Keiko Takahashi, la femme du cinéaste) et son fils (Takuto Yonezu) ne cessent de monter et de descendre et dont on se demande vers quel enfer — ou paradis — il mène.

Car la mère est harcelée par un démarcheur éconduit (Daijirô Tsutsumi) et la porte matérialise la fermeture de l’accès à l’appartement. Sauf que, comme dans tout slasher ou giallo, deux genres dont s’inspire ce film japonais — le gore y est bien présent —, une fois le danger à l’intérieur de l’appartement, la porte se mue en quelque chose d’autre, un passage que l’on voudrait voir s’ouvrir et qui reste clos.

Que symbolise exactement, pour Banmei Takahashi, ce quartier moderne déshumanisé ? Le Japon a-t-il perdu son âme ? Le matérialisme, dont l’appartement de l’héroïne apporte tant de preuves, a-t-il vaincu la spiritualité dont le pays, à travers ses arts et son cinéma, a toujours fait preuve ? N’oublions pas que l’agresseur est ici un homme qui cherche à vendre les produits qu’il représente, sorte d’intrusion dans l’appartement d’un capitalisme à l’américaine. Mais l’appartement, le quartier même, ont déjà perdu les caractères intrinsèques du mode de vie japonais. Et la façon de filmer elle-même renvoie aux sources américaines — ou européennes avec le giallo — du film de genre, tout en restant sacrément originale, telle cette séquence tournée depuis le plafond.

Takahashi introduit une autre dimension en faisant de son héroïne une femme sexuellement frustrée, comme si le mode de vie contemporain et le bien-être matériel ne pouvaient suffire.

Sorti trois ans plus tard, Door 2, sous-titré Tôkyô Diary, n’a rien à voir avec le premier film. Pourtant, là encore, il est question de portes qui concernent l’héroïne — ici une call-girl interprétée par Chikako Aoyama. « Passée la porte, remarque cette dernière, les hommes sont différents ! »

On va donc suivre la jeune femme à travers ses rencontres sexuelles avec des hommes. Il y aura le violent, le vieil impuissant, le fétichiste, le sadique… On retrouve même ici le jouet sexuel dont parle Manara dans sa bande dessinée Le Déclic (1984) et qui permet à un homme, en l’actionnant, de faire jouir à distance sa partenaire. Jean-Louis Richard avait filmé ce même sujet en 1985. Autant dire que Door 2 n’a pas le même impact que le premier opus, même si le film comporte de très belles images (telle la baignoire rouge).

Là encore, une jeune femme doit subir des rites de passages qui sont, dans les deux films, matérialisés par une porte. Et, dans les deux cas, elle aura à affronter la violence masculine (encore que, dans Door 2, l’héroïne affronte également une femme en la personne d’une mère maquerelle).

Il faut bien se rendre compte qu’en matière de cinéma érotique, le pinku eiga ainsi que le nomment les Japonais, Nagisa Oshima a dynamité le genre avec L’Empire des sens, en 1976. Tourné au Japon malgré les interdictions de montrer des sexes à l’écran, ce dont Oshima ne se privait pas en abordant les rivages de la pornographie, le film autant par sa forme que son fond a marqué une étape cruciale (et, bonne nouvelle, Carlotta ressort ce chef-d’œuvre, accompagné de L’Empire de la passion d’Oshima et de La Véritable Histoire d’Abe Sada de Noboru Tanaka en coffret ultra-collector le 18 juin prochain). Ce qui, forcément, atténue les thématiques contenues dans Door 2.

Jean-Charles Lemeunier

« Door 1 & 2 » de Banmei Takahashi, sorti par Carlotta Films le 7 mai 2024.


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