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« Johnny Got His Gun » de Dalton Trumbo : Plus jamais la guerre !

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Quitte à voir des films sur les conflits mondiaux, j’avoue ma préférence pour ceux qui sont antimilitaristes. Dans ce cas-là, autant chanter avec Brassens que moi, mon colon, celle que j’préfère, c’est la guerre de 14-18 car jamais une boucherie n’a suscité autant de sujets qui s’élevaient contre elle. Du J’accuse (1919) d’Abel Gance aux Croix de bois (1932) de Raymond Bernard, des Sentiers de la gloire (1957) de Stanley Kubrick à Pour l’exemple (1964) de Joseph Losey et aux Hommes contre (1970) de Francesco Rosi, nombreux sont en effet les grands films sur ce casse-pipe mondial. À ceux-là, il convient d’ajouter l’unique réalisation du scénariste Dalton Trumbo, Johnny Got His Gun (Johnny s’en va-t-en guerre). Et justement, le film ressort en salles ce 11 septembre 2024 grâce à Malavida.

Tout commence en 1939, quand Trumbo publie le roman Johnny Got His Gun. À cette époque, le scénariste n’est pas encore reconnu — il a fait ses premiers pas dans l’écriture de scénarios à peine deux ans avant —, ce qui n’empêche pas son bouquin d’obtenir le prix du livre le plus original des National Book Awards.

Trumbo fait ensuite une brillante carrière de scénariste jusqu’à la campagne anticommuniste déclenchée par le sénateur Joseph McCarthy à la fin des années quarante. Refusant de témoigner devant l’HUAC (House of Un-American Activities Committee, soit la Commission des activités anti-américaines), il devient en 1947 l’un des Dix d’Hollywood et est condamné, l’année suivante, à un an de prison et mille dollars d’amende. Une peine qui l’expédie pendant onze mois, en 1950, dans la prison fédérale d’Ashland (Kentucky).

Puis, inscrit sur la liste noire, il s’exile au Mexique d’où il expédiera, sous différents pseudos, plusieurs histoires vers les studios hollywoodiens. C’est ainsi qu’il remporte l’Oscar du meilleur scénario en 1956 sous le nom de Robert Rich pour Les Clameurs se sont tues. Ce n’est qu’en 1960 qu’Otto Preminger (Exodus) et Kirk Douglas (Spartacus) créditent enfin dans leurs génériques Dalton Trumbo de son véritable nom.

Au Mexique, durant son exil, Dalton n’a pas chômé. Il rêve d’adapter son Johnny Got His Gun au cinéma et en parle à Luis Buñuel. Lequel, sur le site Imdb, est cité comme collaborateur non-crédité du scénario de Johnny.

C’est finalement en 1971 que Trumbo parvient à sortir son film. Une époque pour laquelle la guerre est loin de n’être qu’un vague écho pour les Américains. Si, effectivement, la Première Guerre mondiale s’est achevée il y a plus de cinquante ans, un autre conflit très meurtrier déchire la bannière étoilée : celui du Viet Nam. Et ce qui arrive au malheureux Johnny peut toujours survenir à l’époque de la sortie du film.

Johnny Got His Gun se construit autour de plusieurs éléments autobiographiques. Comme son héros, Trumbo est né dans le Colorado et, comme lui, il a travaillé de nuit dans une boulangerie. Tout ce qui a trait à l’enfance et l’adolescence de Johnny, telles ces parties de pêche avec son père (joué dans le film par Jason Robards), ne sort visiblement pas de son imagination.

Le scénariste-réalisateur joue d’ailleurs sur cette différence entre une Amérique tranquille, peuplée de gens simples aux plaisirs simples, même s’ils ne possédaient pas d’argent, et un pays plus moderne, filmé en noir et blanc, où le cynisme a gagné la partie. Ainsi, le soldat mutilé demande-t-il à être exhibé comme un monstre de foire. « Les gens, explique-t-il, n’ont vu comme freaks que ceux nés comme ça, créés par Dieu. Là, c’est un monstre créé par l’homme, vous, votre voisine, ça a demandé une longue préparation et coûté de l’argent. »

Mis à part son sujet extrême, ce qui frappe dans le film est l’omniprésence de la religion chrétienne — et l’on sait le rôle qu’elle continue de jouer dans la société américaine. Jusqu’à Jésus-Christ lui-même qui apparaît sous les traits de Donald Sutherland, une sorte de J.-C. hippy de la même veine que le Jesus Christ Superstar, l’opéra rock qui faisait alors fureur sur les scènes américaines et que Norman Jewison portera à l’écran en 1973.

Certes, en ce début d’années 70, le Christ est un sympathique beatnick et Trumbo ne se risque pas à égratigner son image. Mais il glisse ici et là — jusque dans l’une des dernières lignes de dialogue — des mises à distance de la religion et même des preuves de son incroyance. Car que dire de ce vieil évêque, peut-être même le pape, joué par Peter Brocco et tiré d’un des nombreux rêves de Johnny, qui bénit « une guerre juste et sainte » ?

Et de cette phrase : « Si j’entends encore dire que Dieu est Amour, je finirai par le haïr ! » ? Et lorsqu’il est dit que « chaque homme doit affronter sa mort seul », on peut penser que Trumbo s’est définitivement éloigné de la religion.

Dans son délire, Johnny fait deux sortes de rêves : des scènes qui appartiennent à son passé, où l’on voit ses rapports avec ses parents, sa fiancée, son beau-père, etc. D’autres qui semblent sortir — mais cela reste à vérifier — de l’imagination surréaliste de Luis Buñuel : des squelettes sous-marins, des parades de nains dans le désert et, bien évidemment, ce pape brinquebalant sur son mini-balcon vaticanesque.

Si la charge contre l’Église n’est pas toujours très appuyée, en revanche celle contre les militaires n’y va pas avec le dos de la cuillère. Ceux-ci sont d’effroyables crétins, à commencer par ce général en béquilles joué par Eduard Franz, dont la composition fait penser à celles d’Adolphe Menjou et George Macready dans Les Sentiers de la gloire, deux exécrables vieilles badernes. Accompagnées par des roulements de tambours, les images d’archives du générique le montrent : les guerres sont essentiellement dues aux dirigeants politiques et aux gradés et Clémenceau avait bien raison de dire qu’elles étaient trop graves pour être justement confiées à des militaires.

Il faut bien se rendre compte que cette guerre de tranchées — mais sans doute que c’est pareil dans toutes les guerres, comme l’a magistralement prouvé Coppola avec Apocalypse Now — a fait monter dans la hiérarchie des gradés obtus aux ordres aussi farfelus que meurtriers. Dans Johnny, nous suivons celui, stupide, d’un colonel qui ordonne à des volontaires désignés d’aller enterrer un cadavre allemand coincé dans les barbelés et qui empeste, alors que « ça canarde, même la nuit », ainsi que le lui indique celui qui commande la tranchée. Rien n’y fait et des soldats seront tués et blessés pour cela. Après tout, qu’est-ce que cela peut bien faire, toutes ces pertes humaines ? Les gouvernements n’en ont cure et le film ne pourra se conclure que sur cette phrase sans doute proférée mille fois après chaque conflit armé : « Il est doux et glorieux de mourir pour sa patrie. »

Il est jusqu’aux scientifiques qui ne soient pas épargnés dans ce jeu de massacre. « La guerre est utile, claironnent-ils dans un cauchemar. Grâce à de nouvelles techniques, on peut renvoyer au front un soldat en trois semaines. »

Sans déflorer le sujet du film, Johnny Got His Gun est l’histoire d’un soldat américain qui part sur le front français par devoir et qui va être, très gravement et très symboliquement, blessé. L’antimilitarisme galopant du scénariste-réalisateur ne peut sans doute trouver qu’un seul écho dans la multitude des films sur la guerre : lorsque le héros de The Big Red One (1980, Au-delà de la gloire) de Sam Fuller tue son dernier soldat allemand alors que l’armistice — il l’apprendra juste après — vient d’être signé. On ne peut rien écrire de mieux sur l’inutilité des guerres, si ce n’est également Johnny Got His Gun.

« Plus jamais la guerre ! » criaient les pacifistes au lendemain du premier conflit mondial. On sait ce qui s’en suivit. En 1965, le pape Paul VI reprit ce slogan à la tribune des Nations Unies pour dénoncer la guerre menée par les Américains au Vietnam. Un discours qui, finalement, semble en phase avec le film de Dalton Trumbo et son Christ sutherlandien. D’autant qu’en toute fin, Trumbo oppose un prêtre à un militaire et donne raison au premier.

Projeté au festival de Cannes 1971, où il obtient le Grand prix spécial du jury (avec Taking Off de Forman) et celui de la FIPRESCI (critique internationale), le film est félicité à l’époque par Jean Renoir et Luis Buñuel. Il a fait également partie, en mai 2024, de la sélection officielle de Cannes Classics. Et reste à découvrir de toute urgence !

Jean-Charles Lemeunier

Johnny s’en va-t-en guerre
Année : 1971
Origine : États-Unis
Titre original : Johnny Got His Gun
Réal. : Dalton Trumbo
Scén. : Dalton Trumbo, Luis Buñuel d’après le roman de Dalton Trumbo
Photo : Jules Brenner
Musique : Jerry Fielding
Montage : Millie Moore
Durée : 111 min
Avec Timothy Bottoms, Kathy Fields, Marsha Hunt, Jason Robards, Donald Sutherland, Diane Varsi, Eduard Franz, Donald Barry, Peter Brocco…

Sortie en salles par Malavida Films le 11 septembre 2024.


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