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« Pixote » d’Hector Babenco : Les enfants terribles

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En 1978, un documentaire de Ciro Duran, Los gaminos (Les Gamins de Bogota), avait ouvert les yeux du monde occidental sur une effroyable réalité sud-américaine, celle d’enfants livrés à eux-mêmes et vivant sur les trottoirs de larcins divers. En 1981, le Brésilien Hector Babenco livre un nouveau constat terrifiant avec Pixote, a lei do mais fraco (Pixote, la loi du plus faible), que Carlotta Films ressort en Blu-ray.

Fernando Ramos Da Silva

Dans une fiction très proche de l’existence réelle de ses jeunes interprètes, sa caméra suit Pixote (Fernando Ramos Da Silva), un gamin d’une dizaine d’années, du centre de redressement où il est interné aux rues de São Paulo et de Rio où il traîne après son évasion. Et ne nous épargne rien : viols, tabassages, brutalité des instances, corruption avec la police…

À l’intérieur du centre, les jeux de ces enfants mûris malgré eux vont du foot à la simulation d’interrogatoire par la police, histoire de se préparer. Sans fioriture, dans un style proche du documentaire, Babenco illustre l’une des phrases entendues dans le film : « Ce pays n’avance pas parce qu’il y a trop d’imbéciles ! » Cet adjectif s’adressant à tous ces adultes compromis.

La loi brésilienne faisant qu’un mineur ne peut pas être emprisonné, sinon dans ces centres de redressement, les gamins de la rue peuvent tout se permettre, souvent utilisés par les voyous pour commettre à leur place leurs mauvais coups. C’est ainsi qu’avec la bande de copains avec qui il s’enfuit, Pixote se retrouve lié à un trafic de drogue et au proxénétisme.

Sueli (Marilia Pêra), la prostituée qu’un maquereau refile au groupe d’adolescents — moyennant paiement — vient d’avorter, un acte auquel elle a procédé elle-même au moyen d’une aiguille. « Je hais les gosses », clame-t-elle comme pour expliquer son geste — alors qu’il est certain qu’elle ne pourrait élever un enfant, elle qui va se retrouver avec trois d’entre eux.

La force du film d’Hector Babenco, outre ses formidables interprètes, est de rester au plus proche de la réalité et de faire passer tout un tas d’émotions et de réflexions. La cruauté du récit a souvent conduit les critiques à un rapprochement avec le néoréalisme ou avec Los olvidados de Buñuel.

Pixote, ce gamin devenu quasiment malgré lui chef de bande, ne rêve sans le savoir qu’à une mère qui lui prouverait qu’elle aime. D’où l’une des séquences les plus fortes — et elles sont nombreuses — qui arrive en fin de film et qu’on ne peut dévoiler. Séquence qui prouve combien ces personnes sont tout à la fois des adultes, dans la violence qu’ils utilisent pour parvenir à subsister, et toujours des enfants.

L’amour dont ils sont tant privés, ils le recherchent tous à leur manière et le confondent souvent avec la sexualité. Une sexualité qui se partage la plupart du temps entre garçons, ce qui n’empêche ni l’homophobie ni la transphobie.

Près de quarante-cinq ans après, Pixote n’a rien perdu de sa force et ce témoignage sur la vie des gamins de rues est, malheureusement, toujours d’actualité.

En introduction du film, Martin Scorsese évoque l’interprétation extraordinaire de Fernando Ramos Da Silva, cet enfant qui joue si naturellement Pixote et qui venait lui-même de la rue. Parce qu’il était illettré, Fernando ne put poursuivre sa carrière d’acteur et fut tué par la police en 1987, à l’âge de 19 ans. La thèse officielle fut toujours réfutée par sa femme, qui évoqua une « exécution policière » et, en 1996, un film fut tiré de son histoire, Quem matou Pixote ?, réalisé par José Joffily.

Jean-Charles Lemeunier

Pixote, la loi du plus faible
Année : 1981
Titre original : Pixote, a lei do mais fraco
Origine : Brésil
Réal. : Hector Babenco
Scén. : Hector Babenco, Jorge Duran d’après José Louzeiro
Photo : Rodolfo Sanchez
Musique : John Neschling
Montage : Luiz Elias
Durée : 127 min
Avec Fernando Ramos Da Silva, Jorge Julião, Marilia Pêra, Gilberto Moura…

Sortie en Blu-ray par Carlotta Films le 17 septembre 2024.


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