Quantcast
Channel: revue versus – Le blog de la revue de cinéma Versus
Viewing all articles
Browse latest Browse all 521

« Le Déporté » de Robert Siodmak : Un film noir néo-réaliste

$
0
0

Si l’on connaît bien l’arrivée des émigrants dans le port de New York, vue très souvent au cinéma, les films se sont nettement moins intéressés au voyage retour. Dans Deported (1950, Le Déporté), édité par Elephant Films en DVD-Blu-ray, Robert Siodmak s’attache au personnage de Vic Smith (Jeff Chandler), un gangster américain né Vittorio Mario Sparducci et expulsé dans son pays natal, l’Italie. Quand on sait que Siodmak lui-même, cinéaste allemand ayant dû fuir le nazisme, s’est installé d’abord en France puis aux États-Unis, avant de revenir en Europe avec ce film, on est en droit de penser qu’il pouvait avoir des atomes crochus avec son personnage. D’autant plus qu’après un nouveau film américain l’année suivante (Quand la foule gronde), Siodmak revint s’installer en Europe. Il tourna Le Corsaire rouge (1952) en Italie et en Angleterre et enchaîna ensuite plusieurs productions en France et en Allemagne.

Malgré tout, Le Déporté est un film de commande — dans le supplément, Jean-Pierre Dionnet explique que le scénariste et producteur Robert Buckner avait de l’argent bloqué en Italie et que c’est pour cette raison qu’il adapta là un récit de Lionel Shapiro, pas mal inspiré de la vie d’un véritable gangster, Lucky Luciano. Dans l’excellente biographie de Siodmak, Hervé Dumont écrit même que le cinéaste n’avait jamais vu son film monté.

Marina Berti et Jeff Chandler

Plus que le scénario lui-même, la rédemption d’un mauvais garçon tombé amoureux, c’est l’Italie elle-même et son peuple qui sont au centre de ce Déporté. L’Italie, sa misère, ses enfants et ses jolies femmes, incarnées ici par la Suédoise Märta Torén et par Marina Berti, qui focalise toute l’attention à chacune de ses apparitions.

Märta Torén et Jeff Chandler

Dès les premiers plans dans le port de Naples, Siodmak braque sa caméra sur les gamins prêts à se jeter dans le port pour récupérer les pièces que les passagers leur jettent. Jusqu’au billet que balance Jeff Chandler. La misère est toujours filmée ici avec dignité, loin de tout folklore et de tout mépris. Quant au peuple italien, souvent interprété par les habitués de Hollywood (Silvio Minciotti, Mimi Aguglia, Tito Vuolo…), il amène plusieurs séquences de comédie. On pense au bureaucrate tatillon du port ou à l’irrésistible employé de la Poste qui commente le télégramme.

Pourtant, le sujet est un véritable drame qui s’appuie sur le personnage de Vittorio, sur son amertume, sur le secret qu’il cache car il ne peut dire à aucun des membres de sa famille qui l’accueillent si chaleureusement qu’il est un gangster. Et encore moins à la femme dont il est en train de tomber amoureux.

Claude Dauphin et Jeff Chandler

Siodmak et son scénariste introduisent également un flic italien, curieusement joué par l’acteur français Claude Dauphin, dont la principale méthode policière est de suivre son instinct. Et donc ce que lui guide son nez. Il naso, insiste-t-il.

Si, ainsi que l’affirme Hervé Dumont, Robert Siodmak ne s’est pas enthousiasmé pour ce sujet, Le Déporté montre toutefois combien ce vieux routier du film noir connaît son métier, aidé en cela par le grand chef opérateur William H. Daniels. Il n’est qu’à voir le finale qui se déroule dans un entrepôt, avec un combat et une poursuite passant par les étroits couloirs formés par les caisses empilées. Avec son sens de la mise en scène indéniable, Siodmak rend la séquence mémorable.

Filmé beaucoup en extérieurs, Le Déporté se déroule à Naples, à Sienne et dans le petit village toscan, sans doute imaginaire, de Marbella. « On a dit de ce film qu’il était néo-réaliste », s’amuse Jean-Pierre Dionnet, qui rappelle que les détracteurs de ce qualificatif proposaient de demander son avis à Vittorio De Sica, l’un des maîtres du néo-réalisme. Le quel avait l’habitude de dire que le premier film représentatif de ce courant avait été tourné en Allemagne et que c’était Les Hommes le dimanche (1930). Un film portant les signatures de Robert Siodmak, Edgar G. Ulmer, Fred Zinnemann et Billy Wilder. Une façon élégante de boucler la boucle.

Jean-Charles Lemeunier

Le Déporté
Année : 1950
Origine : États-Unis
Titre original : The Deported
Réal. : Robert Siodmak
Scén. : Robert Buckner d’après Lionel Shapiro
Photo : William H. Daniels
Musique : Walter Scharf
Montage : Ralph Dawson
Prod. : Universal
Durée : 89 min
Avec Märta Torén, Jeff Chandler, Claude Dauphin, Marina Berti, Richard Rober, Silvio Minciotti, Carlo Rizzo, Mimi Aguglia…

Édité en DVD/Blu-ray par Elephant Films le 25 mars 2025.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 521

Trending Articles