Qu’est-ce qui fait qu’en 1969, deux cinéastes très différents s’intéressent simultanément au récit sulfureux de Leopold von Sacher-Masoch (1836-1895), La Vénus en fourrure ? Le premier est Jess Franco, qui tournera Venus in Furs, connu également sous le titre de Paroxismus. Le DVD est sorti chez Artus Films en 2012. Le second, Massimo Dallamano, va réaliser Venere in pelliccia (La Vénus en fourrure), sans doute plus proche du bouquin initial, même s’il se situe de nos jours et non au XIXe siècle. Et c’est encore Artus qui nous fait bénéficier de la vision de ce film, grâce à un DVD et un Blu-ray.
Le mot masochisme a été créé d’après le nom de l’écrivain autrichien et le film de Dallamano en est une parfaite illustration. En villégiature au bord d’un lac, Séverin, un écrivain (Régis Vallée), remarque l’arrivée d’une nouvelle venue dans l’hôtel. Elle se nomme Wanda (Laura Antonelli) et les deux vont vite tomber amoureux. Et l’on va découvrir que Séverin aime souffrir en aimant, en se faisant fouetter ou en regardant son aimée dans les bras d’autres hommes.

À l’époque de la sortie de La Vénus en fourrure, l’Italie a un système de « révision des films et des travaux de théâtre » qui régit la censure. Des cinéastes comme Pier Paolo Pasolini, Marco Ferreri, Liliana Cavani, Silvano Agosti commencent à bousculer les règles.
Ainsi, traitant de ce que la morale chrétienne nomme « perversions », Massimo Dallamano va embarquer ses spectateurs d’abord dans une histoire de voyeurisme — puisque la patronne de l’hôtel où loge Séverin lui a recommandé de soulever un tableau de sa chambre, afin d’avoir une vue directe sur la salle de bains de sa voisine Wanda — avant d’aborder les pulsions masochistes de son héros. Le cinéaste se permet également des dialogues agressifs que les moralistes auront du mal à entendre : « Le mariage, affirme Wanda, est le fossoyeur de l’amour ! »
Ici, de femme-objet — où qu’elle soit, tous les hommes la regardent et affichent leur désir —, Wanda va devenir maîtresse du jeu mais malgré elle. Elle va faire souffrir son amant, puisque c’est ce qu’il demande, mais va souffrir elle-même de ses exigences sans en éprouver le moindre plaisir. Et l’on est en droit de se demander si Séverin, certainement maso, n’est pas tout autant miso lui qui désire, à la toute fin et curieusement, se venger de celle qui l’a fait souffrir.

Pour Sébastien Gayraud et Emmanuel Le Gagne qui, dans le supplément, commentent le film, cette Vénus en fourrure est « un giallo empêché avec voyeurisme et trauma ». Séverin, en effet, est victime d’un traumatisme digne de la fameuse scène primitive chère à Freud. Enfant, il a vu la bonne de la maison et le chauffeur faire l’amour. Ce qui ne l’empêchera pas de penser — il le déclare au cours du film — que « c’est de l’imagination que provient le plaisir ».
Les deux critiques insistent également sur une dimension présente dans le livre de Sacher-Masoch et totalement absente du film : son érudition en matière d’histoire de l’art. Sans doute quelqu’un comme Tinto Brass aurait-il mieux convenu, lui qui a su par exemple magnifié les peintures de Giulio Romano qui ornent le Palazzo Te, à Mantoue, dans Monamour.
Jean-Charles Lemeunier
La Vénus en fourrure
Année : 1969
Titre original : Venere in pelliccia
Origine : Italie
Réal. : Massimo Dallamano
Scén. : Inge Hilger, Fabio Massimo d’après Leopold von Sacher-Masoch
Photo : Sergio D’Offizzi
Musique : Gianfranco Reverberi
Montage : Hans Zeiler
Durée : 87 min
Avec Laura Antonelli, Régis Vallée, Loren Ewing, Renate Kasché, Werner Pochath…
Sortie en DVD-/Blu-ray par Artus Films le 4 mars 2025.