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« Bonjour tristesse » d’Otto Preminger : Des bleus à l’âme

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S’il fallait décrire en quelques mots Bonjour tristesse (1958), film un peu oublié d’Otto Preminger que Carlotta a eu la bonne idée d’éditer en DVD et Blu-ray, une série d’adjectifs contraires viendraient alors à l’esprit : couleurs et noir et blanc, présent et passé, profond et superficiel, européen et américain, grave et léger et, pour essayer de mettre d’accord tous ces qualificatifs, emballant.

Rien a priori ne peut rapprocher Otto Preminger de Françoise Sagan. Le premier est un cinéaste américain d’origine viennoise irréductible, colérique, profondément engagé, prêt à toujours remettre en cause le pays où il s’est réfugié, secouant la censure avec des sujets interdits (la drogue avec L’homme au bras d’or), des mots interdits (« vierge », prononcé pour la première fois dans The Moon Is Blue, en 1953), des provocations (dans Autopsie d’un meurtre, où le sexe est d’ailleurs très présent, il donne un rôle de juge à l’avocat Joseph Welch, conseiller auprès de l’armée des États-Unis et adversaire déclaré du sénateur Joseph McCarthy). Françoise Sagan, à l’époque où paraît Bonjour tristesse en 1954, n’a que 19 ans. Elle est, selon le mot de Mauriac, « un charmant petit monstre » et son personnage, Cécile, l’est tout autant.

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L’idée géniale de Preminger est d’avoir confié ce rôle à Jean Seberg, qu’il a découverte l’année précédente et dont il a fait sa Sainte Jeanne. On sait, et les interviews présentées en bonus de Preminger et Seberg le confirment — quel plaisir de voir ces images de Frédéric Rossif —, que leurs relations ont été très conflictuelles. À l’époque du tournage, Jean Seberg a le même âge qu’avait Françoise Sagan en 1954. Elle donne à cette pauvre jeune fille riche et gâtée, à qui l’ont peut coller les adjectifs contradictoires du début (profonde et superficielle, grave et légère), un allant extraordinaire. Preminger, qui a toujours maîtrisé ses sujets, confère aux rapports père-fille une ambiguïté incroyable, à la limite de l’inceste. David Niven et Jean Seberg, le père et la fille dans le film, sont devenus très proches depuis que Niven élève seul sa fille (la mère est morte). Il collectionne les maîtresses et ne s’en cache pas, préférant son enfant à toutes ces jolies poupées qu’il courtise (y compris Mylène Demongeot). Jusqu’au jour où il séduit Deborah Kerr et lui propose le mariage…

Le parti pris du cinéaste est de filmer le présent en noir et blanc et le passé en couleurs. Un passé aux couleurs très vives, qui se déroule sur la Côte d’Azur, et qui se rapproche des tonalités chatoyantes de Plein soleil (1960), photographié par Henri Decaë, ou du Mépris (1963), dont les images sont signées Raoul Coutard. Dans Bonjour Tristesse, c’est Georges Périnal qui prend en charge la photographie, une valeur sûre puisque, après avoir éclairé de nombreux films de Cocteau, L’Herbier, Duvivier, Grémillon, Alexandre Korda ou Josef von Sternberg, c’est lui qui, toujours pour les somptueuses productions Korda, photographie Alerte aux Indes, Les quatre plumes blanches et, surtout, le magnifique Voleur de Bagdad (1940) que cosigne Michael Powell. Trois ans plus tard, pour le même Powell, il soigne les plans de Colonel Blimp, avec Deborah Kerr. Pour Bonjour tristesse, le DVD et le Blu-ray de Carlotta bénéficient d’une restauration 4k qui rend justice à la beauté des images.

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A travers un récit en flashbacks, Preminger suit donc d’une manière entomologique ce petit monde de riches qui passe son temps à se baigner, à flirter, à gagner ou perdre de l’argent au casino et à jouer aux cartes. Le titre est né de quelques vers d’un poème d’Éluard : « Bonjour tristesse, amour des corps aimables, puissance de l’amour dont l’amabilité surgit, comme un monstre sans corps, tête désappointée, tristesse beau visage. » Dans cet univers totalement superficiel, où il n’est jamais — ou à peine — question de travail, la jeune Cécile va s’initier à un sentiment nouveau. Sagan ouvre d’ailleurs son roman par cette découverte : « Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. » Et dans cette univers de paresse, Deborah Kerr va surgir qui, elle, renvoie Cécile à ses devoirs (elle doit passer le bac à la session de rattrapage de septembre) et chacun à ses responsabilités.

Preminger a confié l’écriture du scénario à Arthur Laurents, déjà auteur de La corde pour Hitchcock et de La fosse aux serpents pour Litvak, deux films de 1948. Rompu à l’exercice, Laurents apporte une tension digne d’un polar, ne dévoilant pas entièrement tous les secrets enfouis. C’était déjà le cas de l’homosexualité dans La corde — si celle des deux meurtriers est clairement annoncée, celle supposée de James Stewart ne l’est jamais — et du passé trouble d’Olivia De Havilland dans La fosse, dont le spectateur ne prenait connaissance qu’à la fin. Dans Bonjour tristesse, un véritable secret baigne les relations étroites entre Niven et Seberg. Au spectateur d’en tirer ses propres conclusions.

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On l’a déjà noté, le choix de Jean Seberg dans le rôle de Cécile a été très judicieux. Elle a la fragilité et l’insouciance de sa jeunesse et, malgré tout, s’avère être une froide calculatrice, ce charmant petit monstre dont parlait Mauriac à propos de Sagan. Comme si l’on assistait à la naissance de ces bleus à l’âme, titre d’un autre ouvrage de Françoise Sagan. Les partenaires de Jean Seberg s’accordent parfaitement à son talent : David Niven remplit à merveille sa tâche de séducteur désabusé pour qui l’amour semble sans grande conséquence, sans doute meurtri par le décès de sa femme. Deborah Kerr est, à son habitude, rigide et froide, une belle femme bien éduquée et qui saura souffrir en silence. Mylène Demongeot, et c’est aussi une habitude, est charmante et frivole.

Il y a enfin, dans Bonjour tristesse, cette fameuse dernière séquence, qu’un critique américain a qualifiée de « l’une des plus tristes du cinéma », à laquelle renvoie l’affiche du film créée par Saul Bass, avec ce visage dessiné de Jean Seberg sur lequel glisse une larme. En bonus, une interview de Jan-Christopher Horak — auteur d’un livre sur Bass — rend un hommage mérité à cet artiste, créateur de génériques remarquables pour Hitchcock, Preminger ou Billy Wilder.

Jean-Charles Lemeunier

Édité par Carlotta en DVD et Blu-ray le 23 novembre 2016.

Bonjour tristesse
Titre original : Bonjour Tristesse
Origine : États-Unis
Année : 1958
Réalisateur : Otto Preminger
Scénario : Arthur Laurents d’après Françoise Sagan
Photo : Georges Périnal
Musique : Georges Auric
Montage : Helga Cranston
Distribution : Columbia
Avec Deborah Kerr, David Niven, Jean Seberg, Mylène Demongeot, Geoffrey Horne, Juliette Gréco, Walter Chiari, Martita Hunt, Elga Andersen…



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