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Channel: revue versus – Le blog de la revue de cinéma Versus
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Le désordre et la nuit : Mélancolie en sous-sol

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« Redécouvrir Grangier, c’est aussi et surtout adopter un de ses films, à chacun le sien, comme un secret personnel, une possession imaginaire, celui qu’on aimerait avoir fait soi-même… Le mien, c’est Le désordre et la nuit, un Gabin vénéneux, une histoire simple mais qui va jusqu’au bout d’elle-même, un film qui fait semblant de respecter les règles en les transgressant toutes, une leçon de modestie qui vaut tous les courages, une constante noblesse et rigueur naturelles… Le désordre et la nuit est un vrai film NOIR, un des plus secrets donc peut-être un des plus beaux… »

Dans Passé la Loire, c’est l’aventure, le livre d’entretiens avec Gilles Grangier que François Guérif publia chez Terrain Vague/Losfeld, le cinéaste Alain Corneau évoquait son intérêt pour Gilles Grangier et sa préférence pour Le désordre et la nuit, un film de 1958 que Pathé ressort dans une édition restaurée en DVD, Blu-ray, V.O.D. et téléchargement.

Le desordre et la nuit Hanin Manuel

La vision de ce petit bijou confirme le bon goût de Corneau. Nous sommes dans un de ces films policiers français des années cinquante dont on retrouve ici plusieurs ingrédients typiques : la boîte de nuit, le jazz omniprésent, les marlous et les flics, les femmes de mauvaise vie et les bourgeoises qui cachent leur jeu, etc. Jusqu’aux acteurs qui sont ceux que l’on a pris l’habitude de voir dans des rôles quelque peu stéréotypés : Gabin en inspecteur bougonnant, Roger Hanin en mauvais garçon, Danielle Darrieux toute de dignité, Paul Frankeur en souffre-douleur de Gabin, Robert Berri en type louche et peu avare de renseignements pour la police, Robert Manuel en « escroc avec accent »…

Nous sommes donc en terrain connu. Qu’est-ce qui fait alors que la magie opère autant ? Que l’ambiance générale du film distille cette mélancolie si différente des Maigret dirigés alors par le même Grangier ou par Delannoy avec le même Gabin ? Quand il incarne le commissaire de Simenon dans Maigret voit rouge (1963, Gilles Grangier), Gabin joue le professionnel usé par le quotidien mais qui sait que c’est son métier, qu’il mènera son enquête jusqu’au bout et que celle-ci une fois bouclée, il repartira sur un autre meurtre, d’autres points d’interrogation. Ce n’est pas le cas ici. En inspecteur qui subit la pression de son chef (François Chaumette), Gabin n’est pas le flic pur et dur qui ne vit que pour son métier mais un homme qui porte déjà la cinquantaine, même s’il la porte bien, et qui tombe amoureux d’une jeune femme fragile (Nadja Tiller) présentant tous les défauts honnis par les flics.

le desordre et la nuit Gabin Tiller Darrieux
Au fur et à mesure de l’enquête, notre policier se fragilise lui aussi et sent son cœur craquer pour une droguée. L’amour est finalement au centre du film, celui que Gabin porte à la belle Nadja, celui que le mari rangé (Louis Ducreux) voue à sa femme (Danielle Darrieux), d’autre encore dont on ne précisera rien sous peine de dévoiler des ressorts du film, ce qui serait dommage.

Fortement porté par le jazz qui s’immisce dans de nombreuses scènes, le scénario de Jacques Robert et Gilles Grangier dialogué par Audiard suscite des sentiments peu fréquents dans le cinéma policier français de l’époque. Une humeur, une atmosphère qui marquent Le désordre et la nuit, lui donnent son originalité et son indémodable intérêt. Et que l’on peut ressentir dès le titre, beau et étrange.

le desordre et la nuit Gabin Tiller

Jean-Charles Lemeunier

Le désordre et la nuit
Pays : France
Année : 1958
Réalisateur : Gilles Grangier
Scénario : Jacques Robert, Michel Audiard, Gilles Grangier, d’après le roman de Jacques Robert
Dialogues : Michel Audiard
Images : Louis Page
Musique : Jean Yatove
Montage : Jacqueline Sadoul, Éric Pluet
Assistants réalisateurs : Jacques Deray, Henri Dugas
Avec Jean Gabin, Nadja Tiller, Danielle Darrieux, Roger Hanin, Paul Frankeur, Hazel Scott, Robert Manuel, Robert Berri, François Chaumette, Louis Ducreux, Jacques Marin, Raoul Saint-Yves, Lucien Raimbourg, Gabriel Gobin, Jean-Pierre Cassel…
Version restaurée éditée en DVD, Blu-ray, VOD et téléchargement le 1er juillet 2015.



“Le Retour de Fabiola”de Jairo Boisier : Cul de sac

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Après une carrière dans le porno, Fabiola, la trentaine, revient dans sa famille. Elle retrouve son père, veuf et éteint, et sa sœur ainée. Elle tente un nouveau départ, une vie “normale”, mais les obstacles et les incompréhensions s’accumulent…
Quand une ancienne actrice porno a un doux visage, des cheveux à la garçonne et une voix discrète, le propos du film s’en ressent forcément, et avec élégance. Pas de voyeurisme, de sous-entendus, mais une volonté d’élargir le destin de l’héroïne à une fable universelle sur les difficultés de se réinventer, et de s’affranchir du terroir familial.
Le retour de Fabiola (titre original : La retraitée) arbore un ascétisme, une réserve, qui dénote avec le passé de l’héroïne… La caméra enregistre plus qu’elle ne traque les remous que vit Fabiola pour creuser son sillon. Ni tape à l’oeil ni rince l’œil pour deux sous, le cinéma de Jairo Boisier touche juste.
C’est le combat du pot de terre (Fabiola, si fragile finalement) contre le pot de fer (les on-dit, les messes basses) du village. Après tout dans “La mauvaise réputation”, Brassens ne parlait-il pas des “braves gens” en sous-entendant qu’ils n’étaient pas si braves que ça ?
Après avoir pris un boulot dans une déchèterie, Fabiola tente de resserrer les boulons avec sa famille : son père donc, mais aussi sa sœur aînée, les voisins et plus largement avec le monde “normal”.

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Fabiola, qui veut échapper au monde de l’image, va, ironiquement, y éduquer son père, en achetant un ordinateur, qu’elle place au centre de la maison familiale.
Mais si aujourd’hui dans les médias, l’expression “double peine” fait flores, dans le cas de Fabiola, il s’agit plutôt d’un sentier douloureux, d’un chemin de croix discret. Le “X” qui qualifiait son cinéma devient le “X” symbole de “sans issue”.
Or, comme pour tout commerce, le porno n’existe que parce qu’il y a du public. Et dans un sens, les voyeurs sont autant “coupables” que les acteurs. En revenant dans sa campagne, Fabiola découvre que rien ne lui sera facile. Son ardoise l’attend. Comme cette voisine qui lui vend l’ordi mais ne concède aucun rabais. Petites mesquineries entre voisins…
Fabiola paie pour ce qu’elle n’est plus, et le paie cher. Quand son nouvel employeur (Moises, un prénom symbolique ?) finira par lui demander des faveurs sexuelles, Fabiola, dans un des plus beaux plans du film, se retire dans sa chambre, et s’allonge. Son corps, ballotté, vendu dans son ancienne vie, est maintenant au repos.
Hypocrite, le patron virera Fabiola, pour ne pas que son fils (employé lui aussi à la déchetterie) “se branle devant les films de sa collègue”.

leretourdefabiola_03Par la parcimonie de sa caméra, Jairo Boisier ouvre paradoxalement le champ des possibles. Nous observons sans en perdre une miette le désir de rédemption de tout renégat qui s’amende. En nous immergeant dans l’intérieur d’une ville et d’une famille, nous prenons du champ. La caméra semble dire, parfois : “Et vous comment réagiriez-vous face à Fabiola ?”. Des plans très subtils (notamment quand Fabiola est assise au pied de sa soeur) montre les ravages de la morale bien mieux que n’importe quelle tirade.
Le retour de Fabiola est aussi une fable. Car Fabiola, le vilain petit canard, finira par amener les autres à la parole, à se libérer Le père, veuf et abattu par la vie, admet qu’il a réussi dans son travail mais pas avec ses filles… Georgina, la grande sœur, s’ouvre peu à peu… Et « Tarantula », le jeune homme attiré par Fabiola, admettra finalement d’être éconduit. Et grandira.
Fabiola l’admet elle-même à la fin : “Je ne sais pas si çest moi ou les autres…”. Dans une culture catholique, la femme adultère (à qui il faut pardonner, selon la bible) n’a pas encore l’actrice porno comme comparse.
Fabiola peut alors laisser les larmes l’envahir. Et nous la comprenons car jamais Jairo Boisier ne nous a demandé de le faire sur commande.

Pierre Gaffié
pierre@different.fr

LE RETOUR DE FABIOLA
Réalisation : Jairo Boisier
Scénario : Jairo Boisier
Interprètes : Paola Lattus, Catalina Saavedra, José Soza, Hernando Lattus…
Photo : Raul Heuty
Production : Gregorio Gonzalez, Céline Imart, Jorge Lopez Vidales
Origine : Chili
Durée : 1h42
Sortie française : 24 juin 2015


Thriller – Crime à froid de Bo A. Vibenius : Un film cruel

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Enfin ! Dans le cadre de sa collection consacrée à l’actrice suédoise Christina Lindberg, Bach Films sort Thriller – en grym film, production mythique qui a inspiré Tarantino et son Kill Bill. Le sous-titre suédois, Un film cruel, est devenu en français Crime à froid et les deux collent parfaitement à Thriller. Violée alors qu’elle n’était encore qu’une enfant, Madeleine (Christina Lindberg) en est restée muette et travaille à présent à la ferme de ses parents. Jolie jeune fille, elle décide de partir faire un tour en ville et, ayant raté son bus, accepte de monter dans la voiture d’un inconnu (Heinz Hopf). Évidemment, rien ne va plus aller pour la pauvre Madeleine.

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Son héroïne n’émettant aucun son, le cinéaste Bo Arne Vibenius – qui, curieusement, apparaît au générique sous son vrai nom et sous le pseudo d’Alex Fridolinski – décide de priver à son tour le spectateur d’un sens. D’où un générique et un début totalement muets, dans lesquels on perçoit quelques craquements, quelques vagues bruits mais rien de flagrant.  Et, par la suite, ni la musique ni les dialogues ne vont envahir l’espace filmé. On ne dira que l’essentiel. Et l’essentiel est dur.

Tout au long du film, Vibenius ne prendra plus aucun détour. Le viol de la gamine arrive rapidement, puis deux-trois séquences de la vie à la ferme de l’enfant devenue grande, puis le départ pour la ville et la prise en stop. Comme s’il avait décidé de se débarrasser de tout le superflu et d’en arriver plus vite au sordide : la séquestration, la drogue et la prostitution forcées. Les scènes s’enchaînent et, trait de génie de Vibenius, sont de plus en plus glauques. En utilisant des gros plans pornographiques de pénétrations, immédiatement suivis du visage douloureusement impassible de Christina Lindberg pendant d’interminables coïts imposés, Vibenius suscite en nous un sentiment de rejet total. Ce que feront à leur tour Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi avec Baise-moi, en 2000. Tous ces viols successifs n’ont rien d’excitants, pas plus avec des hommes qu’avec Despina Tomazani, seule femme que l’on voit en cliente de Madeleine.

C’est d’ailleurs là un des nouveaux pièges que nous tend Vibenius. Les scènes saphiques sont le passage obligé des productions érotiques, faites pour exciter tout autant la clientèle mâle que femelle. Ici, lorsque Despina arrive, on se dit que la pauvre Madeleine va enfin connaître un moment de répit sinon de douceur. Que nenni ! Les coups pleuvent et l’humiliation demeure.

Le film appartenant au genre « rape and revenge », on sait qu’une vengeance viendra qui sera terrible. Tout ceci, direz-vous, a déjà été illustré dans d’autres films mais jamais avec ce ton détaché ni cette froideur dont font preuve autant l’actrice que son metteur en scène. Madeleine disposant d’une journée de liberté par semaine, les entraînements vont succéder aux viols répétés et les viols aux entraînements. Ajoutons à toute cette violence – et c’est ce qui fit que le film est rapidement devenu culte – une séquence d’énucléation à refroidir plus d’une âme sensible, pratiquée, dit la légende, sur un véritable cadavre. Buñuel et son Chien andalou ne sont pas très loin. Ni Peckinpah d’ailleurs, avec ces corps explosés au ralenti.

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On comprend pourquoi Tarantino, friand de cinéma d’exploitation, a pu être fasciné par le jeu intériorisé de Christina Lindberg. Au point d’affubler Darryl Hannah dans Kill Bill du même bandeau qui cache l’œil blessé de Madeleine. Vêtue d’un long manteau, son bandeau omniprésent et sa carabine à la main, Christina est devenue une image culte. À juste raison.

Jean-Charles Lemeunier

Thriller – Crime à froid
Année : 1973
Origine : Suède
Titre original : Thriller – en grym film
Réalisateur : Alex Fridolinski (Bo Arne Vibenius)
Scénario : Bo Arne Vibenius
Images : Andreas Bellis
Musique : Ralph Lundsten
Montage : Brian Wikström
Avec Christina Lindberg, Heinz Hopf, Despina Tomazani, Per-Axel Arosenius, Solveig Andersson…
Sorti en DVD par Bach Films le 11 mai 2015


« La Bataille de la montagne du tigre » de Tsui Hark : Le maître du haut château

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Depuis le début de sa carrière, il y a maintenant près de quarante ans, Tsui Hark s’est régulièrement confronté avec l’histoire de son pays et les mythes fondateurs qui ont nourri le folklore chinois, avec à chaque fois l’ambition d’en redéfinir les codes et la portée pour aboutir à un universalisme désarmant où la puissance de la fiction est sans cesse réaffirmée.
The Buterfly Murders, Green Snake, Zu, The Lovers, The Blade, L’Auberge du dragon, Seven Swords, Peking Opera Blues, la série des Il était une fois en Chine… autant d’œuvres profondément ancrées dans la culture populaire et les traditions chinoises qui enchantent par leur flamboyance, leur générosité et leur génie cinétique, surtout qui parviennent à captiver l’attention d’un public pas uniquement local. Ce n’est pas seulement pour sa capacité à livrer des films à grand spectacle que Tsui Hark a été surnommé le Spielberg chinois même si son impact à l’international est moindre.
Le réalisateur hongkongais a même poussé le curseur un peu plus loin depuis qu’il bénéficie d’un financement du gouvernement chinois. Non seulement
Detective Dee le mystère de la flamme fantôme, La Légende des sabres volants et Detective Dee la légende du dragon des mers sont des aventures martiales particulièrement jouissives en termes d’inventivité de la mise en scène mais ces oeuvres constituent également de formidables pieds de nez aux créanciers de l’Empire du milieu. Tsui Hark faisant surgir au sein de projets policés un point de vue subversif égratignant les tenants du pouvoir. Cette maestria à allier une formalisation éminemment spectaculaire à un propos sinon politisé du moins grinçant et peu consensuel, le génial barbichu en fait une nouvelle éclatante démonstration avec La Bataille de la montagne du tigre, dynamitant plus que jamais de l’intérieur ce qu’il serait facile d’assimiler à de la compromission artistique et idéologique. Autrement dit, Tsui Hark fait œuvre de contrebande dans une œuvre de propagande !

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La Bataille de la montagne du tigre est une adaptation d’un célèbre ouvrage de Bo Qu,
Tracks in the Snowy Forest, qui romançait avec verve des faits réels : au lendemain de la seconde guerre mondiale et de l’invasion japonaise, la Chine est en proie à la guerre civile et l’armée populaire de libération (APL) a fort à faire avec les clans de bandits profitant du chaos ambiant pour détruire les villages de civils et s’arroger des régions entières. Ici, on suivra les efforts de la compagnie 203 ,menée par un courageux Capitaine , pour préserver un village et renverser le gang du seigneur des aigles (The Hawk) qui a pris possession de la citadelle du tigre, forteresse à flanc de montagne et sertie de la multitude d’armes laissées par les japonais
Ce récit adapté une première fois à l’écran par des interprètes de l’opéra de Pékin connut un succès retentissant et berça nombre de générations dont Tsui Hark lui-même. Et si le cinéaste surprend en faisant débuter son histoire, censée se dérouler en 1946, par un prologue contemporain, ce n’est pas une affèterie mais constitue une avant-propos pertinent sur sa démarche. Un jeune sino-américain s’apprête à rejoindre la silicon valley, signe de sa réussite professionnelle, lorsque au cours de la soirée d’adieu organisée par ses amis il tombe à la télévision sur un extrait de ce fameux classique, ravivant une certaine nostalgie le conduisant à reporter son voyage pour faire un détour en retournant au pays (une situation renvoyant au propre parcours de Tsui lorsqu’il était un étudiant en cinéma aux Etats-Unis). De son écran réduit d’i-phone sur lequel il revisionne le film, l’image s’élargit pour remplir le cadre et transposer l’action dans les forêts enneigées chinoises où le bataillon 203 est en plein marasme.
Une jolie entrée en matière qui détermine d’emblée le lien avec l’Histoire et une histoire capable de définir un individu.
On reviendra sur ce jeune homme moderne à d’autres reprises dans le déroulement du métrage par petites touches, le définissant comme catalyseur des principes de deux époques dissemblable.

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La Bataille de la montagne du tigre
est une remarquable fresque épique renvoyant à Quand les aigles attaquent de Brain G. Hutton et aux Sept Samouraïs d’Akira Kurosawa qui détourne les codes du film de propagande pour œuvrer à la construction d’un récit humaniste où le salut, comme souvent chez Tsui Hark, dépendra de l’action d’un marginal redéfinissant les règles (de contrôle, de combat, du récit) en vigueur.
Mettant la pédale douce, pour ne pas dire un frein, à ses expérimentations et son travail sur la vitesse, le réalisateur compose une première heure narrativement dense mais assez avare en péripéties. Non pas que l’on s’y ennuie mais les multiples ramifications liées aux enjeux de pouvoir et de possession d’une carte établissant les positions des troupes communistes semblent complexifier outrageusement une histoire dont la profusion de personnages perturbe l’implication. Néanmoins, cette longue exposition est nécessaire afin de développer justement les différents caractère qui chambouleront régulièrement les positions acquises, reconfigurant les alliances au gré de trahisons ou d’incertitudes sur la confiance devant être accordée. Ainsi, les manigances vont bon train au sein du gang du seigneur des aigles et la compagnie 203 est grandement perturbée par l’arrivée du duo Yang Ziron e Bai Ru, un éclaireur et une infirmière envoyés par le Q.G.
Tsui Hark parvient à parfaitement gérer sur le long terme la multitude de personnages, faisant émerger un certain attachement pour eux. Une perception plus fine de chacun qui permettra de maintenir l’attention lorsqu’ils sont éparpillés au gré de l’action. C’est superbement illustré par la séquence de défense du village où chaque personnalité développée de la compagnie tient une position stratégique différente, donnant ainsi une certaine unité à des confrontations variées. Ce liant topographique qui rappelle la construction similaire opérée par Kurosawa dans
Les Sept Samouraïs est préparée et instillée d’emblée lors d’une des premières séquences voyant la troupe de l’APL se préparer à mener un assaut contre des bandits pour récupérer armes et victuailles. Les positions prises par les différents soldats du capitaine définissant leurs particularités et leurs spécialités (snipers, appui, percée…).

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Alors que le récit semble s’articuler autour de l’antagonisme entre le capitaine 203 et le seigneur des aigles, un homme, Yang, va grandement en perturber le déroulement. Cet inconnu débarqué de nulle part va peu à peu devenir le centre d’attention. EN effet, il est chargé de s’infiltrer parmi l’ennemi reclus dans la forteresse pour en faciliter l’attaque surprise de la compagnie. Rival du capitaine puisque c’est lui qui initie cette audacieuse opération, il devra en outre manœuvrer auprès du despote pour se faire accepter et surtout convaincre de sa sincérité.
C’est à partir de son entrée dans le jeu et de sa mainmise progressive sur l’action que le film adoptera un rythme plus serialesque voire même théâtral Il faut voir Yang s’adonner à son jeu de rôle face à ses ennemis dans un espace que les cadrages de Tsui Hark transforment en véritable scène. La lutte avec le seigneur des aigles, avant de trouver une issue physique, se jouera sur la maîtrise spatiale et le contrôle des évènements. Surtout, son arrivée simplifiera considérablement l’intrigue puisque outre la neutralisation du cruel Hawk, il s’agira de délivrer Qinglian, la mère de l’enfant recueilli par la compagnie 203.

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Infusant ces enjeux, se développe un questionnement lié à une identité, à définir, à imposer. Tandis que le Capitaine est seulement défini par le nombre représentant sa compagnie, 203, Yang s’avère être connu sous un autre nom. Quand l’un n’a pas de nom, l’autre en a trop. Et de l’autre côté, Yang tente de persuader qu’il est digne du rang qu’on lui a attribué : dans l’antre de l’ennemi, il est désormais dénommé par le vocable « frère 9 ». Le plus grand danger pour lui n’est donc pas forcément d’être découvert mais de succomber à un lieu où l’identité est niée
Ce basculement d’un espace où il faut conforter sa personnalité à un autre où la survie tient à sa dissimulation est superbement illustré par la séquence où Yang doit faire face dans la forêt enneigé à un tigre. Une séquence remarquable fonctionnant aussi bien d’un point de vue cinégénique (prises de vue réelles et CGI parfaitement mis en scène, découpés, la tension à son comble) que comme signification métaphorique. Dans cet espace dépouillé, Yang se confronte à un dangereux félin, symbole de ce qui l’attend dans la forteresse qu’il rejoindra bientôt. Cette scène constitue ainsi, à ce moment précis, un formidable et essentiel point d’achoppement. Et dont la réalisation prépare aux morceaux de bravoure qui suivront, comme la défense du village et l’attaque de la cité interdite (au programme : descente à skis, traversée en tyrolienne entre deux parois, bataille rangée, duel final).

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Aventures superbement menées, La Bataillle de la montagne du tigre va prendre une tournure particulière en fin de métrage. On y retrouve le jeune étudiant revenu au pays se rendre chez sa grand-mère qui a dressé la table pour un repas pour le moins incongru car il y a nettement plus de deux couverts. On en dévoilera pas plus mais cette séquence permet de souligner la nécessité pour la jeune génération de ne pas se couper de l’Histoire. Et ultime surprise, Tsui Hark enchaîne sur une dernière séquence incroyablement opératique, jouissive, jouant d’une nouvelle manière encore plus serialesque le sauvetage de Qinglian. Une dernière scène que Tsui ne pouvait se résoudre à laisser sur la table de montage et qu’il parvient donc à rattacher in extremis. Mais il ne le fait pas de façon artificielle, uniquement pour le plaisir (parce que rien que cette séquence mérite à elle seule de voir le film !) mais elle s’incorpore tout naturellement puisque émanant directement du jeune sino-américain alors attablé.
Et in fine, elle donne une signification supplémentaire au film dont le propos, finalement, intime de ne pas sanctifier les récits fondateurs du passé que l’on nous livre mais plutôt de se les réapproprier afin d’en retirer des enseignements en adéquation avec ce qui nous anime au plus profond et fonde notre humanité. Un rattachement indispensable à l’Histoire, et plus généralement à une histoire plus personnelle, qui ne doit en aucun cas brider ce que l’on est.
C’est là toute la saveur d’un divertissement échevelé, nouvelle preuve de la vitalité incroyable de Tsui Hark, plus inspiré que jamais.

Nicolas Zugasti

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Zhì qu weihu shan
Réalisation : Tsui Hark
Scénario : Tsui Hark, Jianxin Yuang, Yang Li, Chi-An Lin, Zhe Dong, Bing Wu d’après le roman de Bo Qu
Interprètes : Hanyu Zhang, Tony Leung Ka-Fai, Kenny Lin, Nan Yu, Liya Tong…
Photo : Sung Fai Choi
Montage : Boyang Yu
Bande originale : Wai Lap Wu
Origine : Chine
Durée : 2h21
Sortie française : 17 juin 2015

 


L’oiseau de paradis de King Vidor : Jusqu’au bout du tabou

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L'oiseau_de_paradis.jaquette« Un salmigondis de traditions polynésiennes et de romance tropicale » : c’est ainsi que le cinéaste King Vidor parle de L’oiseau de paradis, film qu’il a réalisé en 1932, dans ses mémoires A Tree is a Tree, traduit en français sous le titre La grande parade et publié chez J.C. Lattès, puis Ramsay Poche Cinéma. Un peu plus loin, il ajoute : « Des films comme Street Scene ou L’oiseau de paradis montraient d’ailleurs mon désir de partir trouver ailleurs une nouvelle énergie. »

Certes, Vidor raconte – ce qui est repris par Patrick Brion dans le bonus du DVD que sort Bach Films – que le scénario n’était pas complètement abouti au moment où le tournage a commencé. Qu’importe ! Résumons brièvement l’histoire : une goélette de jeunes Américains aborde une petite île polynésienne. L’un des jeunes gens, Johnny (Joel McCrea), tombe amoureux d’une vahiné, Luana (Dolores del Rio). Leur passion réciproque va à l’encontre des lois de la tribu qui va les pourchasser. « L »Est est l’Est et l’Ouest est l’Ouest », remarque de son côté le capitaine du bateau américain, une façon de dire que les deux, l’Est et l’Ouest, ne pourront jamais se rencontrer. Et que les deux, Luana et Johnny, vivent un amour condamné d’avance ! Ce que le cinéma de l’époque n’a pas cessé de claironner. Dans The Cheat (1915, Forfaiture), que l’on retrouve dans le coffret Cecil B. DeMille également sorti chez Bach Films, une Américaine flirte avec un riche Birman. Lorsque ce dernier veut passer à l’acte, il pratiquera le chantage et sans doute le viol – bien que DeMille ne le montre pas – pour parvenir à ses fins. Le message est clair : Occidentales, méfiez-vous ! Le Jaune est perfide. Amour équivoque encore entre un Asiatique et une Américaine dans The Bitter Tea of General Yen (1933, La grande muraille) de Frank Capra. Le général chinois du titre (Nils Asther) capture une Américaine (Barbara Stanwyck) dont il est tombé amoureux. Cette dernière le rejette puis lui avoue son affection. Trop tard : la liaison est impossible et le général préfère avaler son thé amer… et donc s’empoisonner. W.S. Van Dyke et Robert J. Flaherty avaient eu moins peur en 1928, alors qu’ils filmaient pour White Shadows in the South Seas (Ombres blanches) les amours d’une Polynésienne et d’un Américain. Et, trois ans après L’oiseau de paradis, Frank Lloyd s’attaquera à l’histoire des Révoltés du Bounty qui, réfugiés aux îles Pitcairn où ils fuient la justice britannique, couleront des jours heureux avec les filles du cru.

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En 1932, Hollywood a du mal à appréhender l’amour – et surtout les relations sexuelles – entre des individus de cultures différentes. King Vidor préfère filmer le sentiment naturel qui attire ses deux jeunes amants et, au déjà cité « L »Est est l’Est et l’Ouest est l’Ouest » qui va dans le sens des « bonnes mœurs hollywoodiennes », il ajoute malgré tout la réflexion moqueuse de l’un des passagers du bateau qui, regardant le capitaine, le questionne : « Et tu vas sans doute rajouter quelque chose à propos du Nord et du Sud ? »

Tout au long du film, Vidor agit pareillement. Il semble donner raison à la morale jusqu’à ce qu’une petite phrase glissée l’air de rien ou les regards emplis d’amour et de bonne conscience qu’échangent les deux amoureux viennent remédier à tout cela. L’amour, clame-t-il à tout-va, est le plus fort. Lui-même adepte de la Christian Science, Vidor met en opposition la superstition indigène et la religion occidentale, la vie naturelle et la civilisation. Il propose la vision de l’homme blanc et, là encore, une phrase ou une séquence viennent contredire ce que ses personnages sont en train d’affirmer. Ainsi, lorsque tout semble perdu et que le volcan gronde, ce volcan-dieu à qui la tribu n’a pas encore sacrifié de jeune fille, les deux amoureux s’en remettent à leurs dieux et les prient avec dévotion. Les Blancs du bateau appellent superstition la peur du volcan et le désir de sacrifice pour y remédier. La prière à Jésus, ils nomment ça de la religion. Pourtant, les deux notions sont posées sur les plateaux d’une balance et rien ne prouve que l’un ou l’autre ait raison.

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On trouvera forcément beaucoup de naïveté dans la description de ces amours illicites – illicites pour les Polynésiens parce que la fille brise un tabou, illicites pour les Blancs qui affirment que la jeune Luana ne pourra jamais s’adapter à la vie américaine. Une naïveté enrobant un véritable scénario adulte noyé d’érotisme et de sensualité. Les allusions à la sexualité sont nombreuses – n’oublions pas que nous sommes à la période baptisée Pré-Code par les historiens, avant que ne se mette en place le code de censure Hays. Ainsi, lorsque la goélette arrive en vue des côtes, accueillie par les pirogues, un des passagers se demande où ils sont. Sans doute dans les îles Vierges, répond Johnny. Alors l’autre, reluquant les jolies occupantes des va’a, lance un : « Dieu m’en garde ! » Quand on pense qu’avec le Code, ce genre de dialogue ne sera plus accepté et qu’il faudra attendre 1953 et The Moon is Blue (La lune est bleue) d’Otto Preminger pour qu’un personnage ose à nouveau prononcer le mot « virgin » à l’écran ! En ce qui concerne l’échange de L’oiseau de paradis, misons que Johnny, qui a prouvé qu’il était bon navigateur, est aussi un blagueur. Car, après vérification, il s’avère que les îles Vierges font partie des Antilles alors que l’action est censée se dérouler en Océanie. Mais passons !

Et les scènes s’enchaînent, finalement moins osées pour l’époque qu’elles ne le deviendront trois ans plus tard. Au cours d’une longue séquence sous-marine et nocturne, la caméra suit Luana évoluant gracieusement sous l’eau, complètement nue. On retrouve ces mêmes exploits nautiques dans Tarzan and His Mate (1934, Tarzan et sa compagne), dans lequel Maureen O’Sullivan, la Jane de Johnny Weissmuller, se baigne pareillement nue et pareillement filmée de près, sauf qu’elle est doublée par la nageuse Josephine McKim. Inutile de préciser que sous la double pression du Code Hays et de la Catholic Legion of Decency, Tarzan fut amputé de sa compagne à poil, qu’il n’a retrouvée que très récemment, lorsque l’on mit la main sur des copies non censurées. Mais revenons à la magnifique Dolores del Rio qui prête à Luana non seulement sa beauté mais un jeu naturel jamais daté. L’actrice mexicaine est également très sensuelle dans la scène où, blessé, McCrea est alité et réclame à boire. Dolores mord une orange et en verse le jus directement de sa bouche à celle de son amoureux. La scène est très forte, très belle.

L'oiseau de paradis dolores del rio joel mccrea

La séquence de la danse de Dolores del Rio est également restée dans la légende. Chorégraphiée par Busby Berkeley – bien qu’il ne soit pas crédité -, elle est, elle aussi, très sensuelle. Dolores est vêtue d’un pagne et d’un seul collier de fleurs – certes, bien accroché à ses seins mais malgré tout d’un grand effet. Nous ne sommes plus dans le Tabu de Murnau et Flaherty, sorti pourtant l’année précédente, où les Tahitiennes dansaient seins nus. Ni dans Legong (1935) du marquis de La Falaise, dans lequel les Balinaises se baladent torse nu pendant tout le film ou presque. Mais ces deux films appartiennent au genre que l’on désigne par travelogue, entre récits de voyages et documentaires. Ici, dans L’oiseau de paradis, il ne faut pas rêver ! Nous sommes dans une vraie production hollywoodienne. L’érotisme est, quoi qu’il en soit, bien présent et le sera encore un tout petit peu – mais vraiment un tout petit peu – dans Mutiny on Bounty (1935), lorsque deux Tahitiennes, filmées de dos, vont se baigner nues, laissant apparaître quelques rondeurs sous les bras. Puis plus rien ! Ainsi, dans le remake de L’oiseau de paradis tourné en 1951 par Delmer Daves, Debra Paget reste très habillée si on la compare à Dolores del Rio. Les filles des mers du sud vont être condamnées par Hollywood, pendant des décennies, à porter des soutien-gorges, puis à nouveau des fleurs dans la version 1962 du Bounty avec Marlon Brando, jusqu’à celle de Roger Donaldson, en 1984, où elles retrouveront tout leur naturel.

Signalons enfin que le générique de la version Vidor de L’oiseau de paradis comporte trois opérateurs, dont Clyde De Vinna, qui avait obtenu un Oscar pour la photo de White Shadows in the South Seas, une production MGM tournée en Polynésie. Ajoutons, pour finir, que c’est une vraie chance de pouvoir enfin apprécier un film devenu rare dans nos contrées et qu’on ne saluera jamais assez le travail des chercheurs qui rendent possibles ces découvertes.

Jean-Charles Lemeunier

L’oiseau de paradis
Titre original : Bird of Paradise
Année : 1932
Origine : États-Unis
Réalisation : King Vidor
Scénario : Wells Root, Wanda Tuchok et Leonard Praskins d’après la pièce de Richard Walton Tully
Images : Lucien Andriot, Edward Cronjager, Clyde De Vinna
Musique : Max Steiner
Montage : Archie Marshek
Chorégraphie : Busby Berkeley
Production : David O. Selznick (RKO)
Avec Dolores del Rio, Joel McCrea, John Halliday, Richard « Skeets » Gallagher, Bert Roach, Creighton Chaney, Wade Boteler, Napoleon Pukui, Agostino Borgato, Sofia Ortega…

DVD édité par Bach Films depuis le 11 mai 2015


Suez, L’aigle des frontières et Le bord de la rivière : Trois doigts de Dwan

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ALLAN DWAN
Combien ? Oui, combien de films, courts et longs confondus, le cinéaste américain Allan Dwan affiche-t-il à son compteur, lui dont la carrière s’étale sur un demi-siècle (1911-1961) ? Les données sont variables, ainsi que l’expliquent Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans 50 ans de cinéma américain (1991, Nathan) : « Une légende veut que Dwan ait travaillé à 1600 films. Lui-même en revendiquait 600. La première filmographie « complète » publiée par Présence du Cinéma en 1966 (…) n’en répertoriait que 420, dont 219 entre 1911 et 1913. »
Le site Imdb, quant à lui, évalue à 406 le nombre de réalisations de Dwan.

Quoi qu’il en soit, on se doute bien que les quelques films du patriarche disponibles ici et là ne sont que les îlots émergés d’un vaste archipel que les eaux ont malheureusement recouvert depuis trop longtemps. Autant dire qu’on ne peut que se précipiter dès qu’un nouveau titre est annoncé et, ça tombe bien, voici que Sidonis Calysta, qui avait déjà édité par le passé quelques chefs-d’œuvre de Dwan (Quatre étranges cavaliers – qui, en pleine paranoïa anticommuniste et délire maccarthyste, présente un méchant du nom de… McCarty, sans le H -, Le mariage est pour demain, Le bagarreur du Tennessee, La reine de la prairie, Tornade) en sort trois nouveaux : Suez (1938), Frontier Marshal (1939, L’aigle des frontières) et The River’s Edge (1957, Le bord de la rivière).

Saluée par la critique française des années cinquante, la filmographie de Dwan ne cesse de susciter des commentaires, même si elle n’est connue que parcellairement. En 1955, dans leur  numéro spécial intitulé Situation du cinéma américain, les Cahiers du Cinéma baptisent Dwan « la conscience de Hollywood ». Le critique qui écrit la notule – elles sont collectivement signées par Bitsch, Chabrol, Doniol-Valcroze, Rivette et Truffaut – sait que le pionnier travaille alors avec des producteurs fauchés, Herbert Yates et Benedict Bogeaus en tête. « Il triomphe de ces servitudes, ajoute-t-il, avec la dignité et la sérénité d’un grand seigneur. » En décembre 1963-janvier 1964, les Cahiers éditent le tome 2 de Situation du cinéma américain. Cette fois, la notule attribuée à Allan Dwan porte une signature, celle de Jacques Goimard. Il définit ainsi le cinéaste : « Hier la conscience, aujourd’hui le remords de Hollywood (…) Dwan est autre qu’un inventif artisan : un corrupteur de conventions mais un puriste en pureté. Comme il a passé l’âge des concessions, bien avant qu’il n’en faille, c’est, mieux que la liberté, l’affranchissement qu’il propose. Pour l’homme, s’affranchir des sociétés fausses, des artifices, des haines, des contraintes, au profit des états naturels de l’âme. »

Suez affiche

Fausse, la société du Second Empire qui abrite Ferdinand de Lesseps l’est totalement dans Suez. D’ailleurs, le héros sera plus à son aise lorsqu’il se sera rendu à Alexandrie, à la cour du gouverneur de l’Égypte, Mohammed Ali (Maurice Moscovitch), où son père est ambassadeur, puis à celle de Saïd Pacha (J. Edward Bromberg).

Biopic à l’hollywoodienne, Suez raconte la ténacité de Ferdinand de Lesseps à construire le canal qui reliera la Méditerranée à la mer Rouge. On n’ose imaginer ce qu’un autre studio aurait pu faire d’un tel sujet. La MGM l’aurait fatalement rendu mièvre et sucré. Dans les décors de la Twentieth Century Fox, qui produit Suez, Dwan nous surprend une fois de plus. Certes, il aligne les célébrités : Lesseps lui-même (Tyrone Power), Napoléon III (Leon Ames), l’impératrice Eugénie de Montijo (Loretta Young), le premier ministre anglais Benjamin Disraeli (Miles Mander) et, passant en coups de vent, des figures de l’importance de Victor Hugo (Victor Varconi) ou de Franz Liszt (Brandon Hurst) qui ne font que dire leur nom et repartir – avec, pour Hugo, un amusant gros plan de la première feuille de son manuscrit, Les Misérables. Certes, Dwan et ses scénaristes – Julien Josephson, déjà auteur en 1929 d’un film sur Disraeli, et Philip Dunne, qui fondera plus tard le Comité pour le 1er Amendement, en lutte contre la chasse aux sorcières de McCarthy – inventent des péripéties amoureuses entre Ferdinand et la future impératrice qui n’ont pas lieu d’être. Avec un tel cahier des charges, qui va des difficultés amoureuses de Lesseps à ses problèmes pour mener à bien son projet de canal (politiques avec Napoléon III, financiers et contre les éléments), Allan Dwan brosse un joli film qui n’est pas du tout dans l’air du temps. Ici, la réussite se teinte toujours d’échec (ce qui était rarement montré à l’époque) et laisse à Lesseps un goût amer. Dwan sait mener sa barque à travers la romance et les rapports entre Ty Power, la majestueuse Loretta Young et le « garçon manqué » joué par l’actrice française Annabella. Laquelle épousera son beau partenaire à la fin du tournage.

Est-ce un apport de Dunne ? Le film se met du côté des Républicains, qui d’abord se méfient de Louis-Napoléon quand il n’est que président. Lequel les flouera quand il voudra devenir empereur. Décidément, Napoléon III n’a pas vraiment la cote auprès de Hollywood qui lui donnera encore le mauvais rôle l’année suivante dans le Juarez de William Dieterle. La démocratie américaine ne saurait tolérer les vieux empires européens et prend position en faveur des opprimés. Cette facette politique du film est une défaite de plus pour Ferdinand, qui en accumulera quelques autres, et, là encore, le futur constructeur s’en sort mais pas vraiment avec les honneurs. Quand on vous dit que Suez a un ton très différent du classicisme hollywoodien ! Ce désenchantement qui baigne le film semble davantage être l’apport de Dwan que celui de ses auteurs. Coursodon et Tavernier, encore eux, rappellent les propos de Philip Dunne à propos des scénaristes et des metteurs en scène : le scénariste est l’architecte et le cinéaste l’entrepreneur qui dirige l’équipe qui va bâtir le film. Pourtant, à la toute fin, quand Lesseps, vieilli, regarde son canal et son succès, c’est son regard qui dément la success story que le scénariste veut nous raconter. Et ce regard de l’acteur, c’est bien Allan Dwan qui l’a réglé et mis en scène. Sans qu’il soit forcément désiré par le scénariste.

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Et puisque le Tour de France a envahi nos écrans, osons employer la métaphore cycliste pour parler du travail du cinéaste. En pleine côte, Dwan n’hésite pas à changer de braquet et à surprendre son public. Prenons un exemple : la jolie Annabella se baigne (nue) dans une oasis lorsque Tyrone Power passe par là. La jeune femme a laissé ses affaires dans une cabine sur roues, tirée par un âne. Lequel s’est un peu trop éloigné de la mare pour que la nageuse aille s’habiller sans être vue. Elle demande alors à Power de rapprocher la cabine pour qu’elle puisse y grimper. Après un petit marivaudage amusant, Power se retourne et Annabella, que l’on a vue le torse sortant nu de l’eau, ses bras cachant ses seins, peut remonter dans sa petite roulotte – la caméra s’attarde alors sur ses pieds. Une fois vêtue, avec l’âne qui fait des siennes, elle se retrouve à l’eau suivie bientôt par Power. Lorsqu’elle se redresse, son chemisier est trempé et ses seins sont visibles par transparence. Et tout se passe naturellement. En une séquence, Dwan est allègrement passé de la comédie à l’érotisme sans que le Code Hays – le code de censure pourtant très vigilant – n’y trouve à redire.

S’il s’en sort aussi bien avec les costumes, parfois très légers, du Second Empire qu’avec les décors égyptiens, Dwan sait manier l’épopée et filme deux passages encore époustouflants de nos jours. Dans le premier, des rebelles armés par les Turcs – qui s’opposent à la construction du canal de Suez – font s’écrouler une montagne sur les ouvriers. Dans le second, un cyclone ravage le chantier. N’oublions pas que nous sommes à une époque où les studios ont mis à la mode les premiers films catastrophes : la MGM avec San Francisco en 1936, la Fox avec In Old Chicago (L’incendie de Chicago) en 1938.

Dans l’un des bonus, François Guérif raconte que Dwan avait fait recouvrir de sable le plateau de la Fox et, qu’une fois le film mis en boîte, il rigolait en plaignant son successeur qui devrait perdre beaucoup de temps et d’argent à vider le set. Le film suivant de Dwan fut Frontier Marshal et il le tourna… sur le même plateau que Suez. Il dut donc vider le sable. Et perdre du temps. Et de l’argent : 3000 dollars.

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Frontier Marshal (1939) est la troisième illustration parlante du combat du marshal Wyatt Earp à OK Corral, après Law and Order (1932) d’Edward Cahn et Frontier Marshal (1934) de Lewis Seiler. Mais, dans le premier, le scénario de John Huston qui adaptait un roman de W.R. Burnett, avait débaptisé les personnages – pour cause de problèmes de droits avec la veuve de Wyatt Earp, lequel était mort peu de temps auparavant, en 1929. Et il en allait de même dans la version suivante, basée elle sur le récit de Stuart Lake. C’est cette même biographie fictionnelle d’Earp écrite par Lake qui servit de base au Frontier Marshal de Dwan. Dans cette version, les personnages portent enfin leurs véritables noms, sauf que Doc Holliday est devenu ici Doc Halliday. Allez savoir pourquoi !

À la fin de sa vie, cela fut illustré par Blake Edwards dans Sunset (1988, Meurtre à Hollywood), Wyatt Earp vint conseiller les réalisateurs de westerns dans le Hollywood des années vingt. La légende veut même que Wyatt Earp apparaisse dans un western de 1916, The Half-Breed (Le métis), réalisé par… Allan Dwan. Earp s’est en tout cas rendu sur le plateau, ainsi que le raconte le cinéaste dans ses mémoires.

L'aigle des frontieres scott

Une fois de plus, c’est dans les marges que Dwan se retrouve le plus à l’aise. Doc et Wyatt ne sont pas encore entrés dans la légende du cinéma : il faudra attendre pour cela la version 1946 d’OK Corral, majestueusement filmée par John Ford (My Darling Clementine/La poursuite infernale) pour que le mythe prenne enfin toute son épaisseur et une dimension qui lui collera comme une seconde peau. Frontier Marshal est la version édulcorée des deux aventuriers de Tombstone. Dwan met d’ailleurs, au début de son récit, beaucoup d’humour. Ainsi quand, accoudés au comptoir d’un bar, Doc et Wyatt mesurent la longueur de leurs canons respectifs. Et oui ! Que les demoiselles excusent ici la trivialité du propos, mais un tel concours de bites ne se retrouve guère que dans l’ultérieur Red River (1948, La rivière rouge). Occasion pour les exégètes de Hawks de se gausser de la prétendue homosexualité de ses cowboys (joués par Montgomery Clift et John Ireland) qui comparent leurs armes pour savoir lequel a la plus longue. Qu’on se le dise : l’idée ne vient pas de Hawks ni de ses scénaristes Borden Chase et Charles Schnee. Elle a tout bonnement été reprise du Frontier Marshal d’Allan Dwan.

L’humour est bien au cœur du récit tel que l’ouvre Dwan. Il décrit Tombstone comme une ville-champignon née de la découverte de mines d’argent aux environs. En quelques séquences plutôt marrantes, le cinéaste montre comment ces cités évoluaient rapidement. Ainsi en est-il d’un panneau annonçant : « Trois doigts de whisky pour un dollar. » Suivi d’un gros plan de trois doigts boudinés occupant toute la surface du verre et le whisky coulant à flot. L’action se termine sur une main qui corrige l’annonce publicitaire, efface le chiffre 3 et la transforme en « Deux doigts de whisky pour 1 dollar. »

L'aigle des frontieres

Mais, là encore, Dwan n’est pas où on l’attend. La comédie se transforme en drame dès que les premiers coups de feu éclatent. Et ce n’est pas l’arrivée d’Eddie Foy, un comédien de théâtre très populaire à l’époque et dont le rôle est tenu par son propre fils, Eddie Foy Jr, qui atténuera la dureté que prend le récit. Le personnage a beau appartenir à la comédie, celle-ci est immédiatement balayée par des scènes de plus en plus cruelles.

Le bord de la riviere jaquette

Cruel, Le bord de la rivière l’est tout autant. Après avoir filmé le quotidien pauvre en surprises d’un jeune couple (Debra Paget et Anthony Quinn), Dwan leur balance dans les pattes l’ancien amant de madame (Ray Milland) et voilà notre trio parti d’abord sur les routes puis dans la nature pour amener l’escroc Milland loin de la justice américaine. Entre les deux, le brave gars Quinn et le méchant séducteur Milland, le cœur de la Debra fait plus que balancer.

1959 Debra Paget Tombeau indien (Lang)

Debra, justement, parlons-en. On a connu la jeune actrice dans pas mal de rôles qualifiés d’exotiques, princesse orientale ou beauté des mers du sud en sarong, son apogée étant le personnage de la danseuse indienne que lui confia Fritz Lang dans Le tigre du Bengale et Le tombeau indien, en 1959. On a donc du mal à reconnaître Debra Paget dans Le bord de la rivière. Elle y arbore une coiffure rousse et courte, elle qu’on a plutôt remarquée avec des cheveux longs et bruns. Et, curieusement, Debra ne semble pas vraiment à sa place dans ce personnage sexy et un rien vulgaire. Le premier plan où on la découvre la montre toutes jambes dehors, dans un short très court. Le film est produit par la Fox et on se demande si le studio ne voulait pas alors propulser sa jeune vedette en rivale directe de Kim Novak, qui avait élu domicile à la Columbia. Quoi qu’il en soit, on aurait bien vu Kim, avec sa sexualité débordante et malgré tout une ingénuité désarmante, à la place de Debra. Face à l’actrice, Dwan a placé deux poids lourds. Ray Milland est parfait dans son rôle de salaud, qu’il a peaufiné chez Hitchcock – Le crime était presque parfait date de trois ans avant -, tandis qu’Anthony Quinn est tout aussi crédible en brave type qu’il peut l’être en méchant, comme il l’a été l’année précédente dans The Wild Party de Harry Horner.

Le bord de la riviere

Malgré beaucoup de qualités, Le bord de la rivière laisse néanmoins assez dubitatif. Il suffit de le comparer à Run for the Sun (1956, La course au soleil) de Roy Boulting, que Sidonis a édité il y a peu en DVD. La virée dans la nature y est beaucoup plus crédible que dans Le bord de la rivière. L’avantage de Dwan, qui mène cette aventure comme un véritable film noir, est de la ponctuer d’une violence assez inattendue, avec son lot de cadavres ensanglantés, et de la conclure, comme à son habitude, par un véritable questionnement sur l’humain. On a souvent traité le cinéaste de « rousseauiste » – sous-entendu c’est la société, et donc l’argent, qui pourrit l’homme – et la fin de The River’s Edge va totalement dans ce sens. Avec, et c’est la force d’Allan Dwan, une ironie terrible.

Jean-Charles Lemeunier

Suez
Titre original : Suez
Année : 1938
Origine : États-Unis
Réalisateur : Allan Dwan
Scénario : Philip Dunne, Julien Josephson d’après Sam Duncan
Photographie : J. Peverell Marley
Musique : Louis Silvers
Montage : Barbara McLean
Avec Tyrone Power, Loretta Young, Annabella, Joseph Schildkraut, J. Edward Bromberg, Henry Stephenson, Sidney Blackmer, Maurice Moscovitch, Nigel Bruce, Sig Ruman, Miles Mander, George Zucco, Leon Ames, Victor Varconi…
DVD édité par Sidonis Calysta depuis le 5 mai 2015

L’aigle des frontières
Titre original : Frontier Marshal
Année : 1939
Origine : États-Unis
Réalisateur : Allan Dwan
Scénario : Sam Hellman d’après Stuart N. Lake
Photographie : Charles Clarke
Musique : Samuel Kaylin
Montage : Fred Allen
Avec Randolph Scott, Nancy Kelly, Cesar Romero, Binnie Barnes, John Carradine, Edward Norris, Eddie Foy Jr, Ward Bond, Lon Chaney Jr…
DVD édité par Sidonis Calysta depuis le 27 mai 2015

Le bord de la rivière
Titre original : The River’s Edge
Année : 1957
Origine : États-Unis
Réalisateur : Allan Dwan
Scénario : Harold Jacob Smith, James Leicester
Photographie : Harold Lipstein
Musique : Louis Forbes
Montage : James Leicester
Avec Ray Milland, Anthony Quinn, Debra Paget, Harry Carey Jr…
DVD édité par Sidonis Calysta depuis le 5 mai 2015


« Rolling Thunder » et « Pacte avec un tueur » de John Flynn : Ça roule du tonnerre

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Annoncé chez Wild Side depuis un bon moment, le
Rolling Thunder de John Flynn est donc enfin disponible dans une formule équivalente à la précédente sortie chez le même éditeur d’une autre masterpièce du réalisateur, Echec à l’Organisation. Film de vengeance, Rolling Thunder montre deux soldats de retour au pays après avoir passé quasiment toute la guerre du Vietnam comme prisonniers du Vietminh. William Devane et Tommy Lee Jones incarnent sans un pet d’humour deux quasi zombies encore fortement inadaptés à la vie civile. L’un d’eux, reçu en grandes pompes dans la petite ville où il vit, perçoit de la communauté un coffret de pièces genre Louis d’or censé compenser quelque peu sa lointaine détention. Cette largesse attire un groupe de gouapes qui va bientôt envahir sa villa, agresser femme et gosse et lui broyer une main pour lui faire cracher la planque à pièces précieuses. Dès lors, quoi faire ? Rien d’autre qu’une descente au Mexique avec son pote pour plomber les salopards.

On le constate, le scénario n’est pas compliqué. La réputation du film se fait donc plutôt sur son traitement. Celui-ci est glacial, ne cherchant pas à forcer l’empathie envers le protagoniste principal et son ex-camarade de geôle. Ces types sont comme des coquilles vides, presque des robots, trouvant dans la possibilité d’un raid meurtrier un défouloir à leurs frustrations d’hommes : héros de guerre, eux ? Alors que prisonniers anonymes durant le conflit le plus médiatisé de l’ère moderne ? Hommes accomplis socialement, eux ? Alors que l’un est un solitaire endurci et l’autre un père et un mari semblant se foutre complètement de cette double position ou pour le moins ne plus s’estimer comme tel après une si longue absence ? On peut même considérer que leur expédition dans un Mexique sur lequel plane l’ombre de Peckinpah relève du suicide assisté. Nous sommes donc bien dans un film noir sacrément couillu réglé aussi mécaniquement qu’Echec à l’Organisation, autre polar au « héros » entêté, taiseux et sacrément résistant à la douleur.

ROLLING THUNDER
Réalisateur : John Flynn
Scénario : Paul Shrader & Heywood Gould
Interprètes : William Devane, Tommy Lee Jones, Linda Haynes …
Photo : Jordan Cronenweth
Montage : Franck P. Keller
Bande originale : Barry De Vorzon
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h35
Editeur : Wild Side
Sortie vidéo : 08 juillet 2015

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Plus abordable, Pacte avec un tueur reste une brillante variation sur la figure du duo antinomique très en vogue durant les années 80 depuis son renouvellement via 48 Heures. Après le duo Blanc/Noir et avant l’Américain/Russe, le film de Flynn, scénarisé par Larry Cohen, se rapprocherait plutôt de Hitcher dans la fascination réciproque des deux éléments mis en vedette (sans la connotation sexuelle du carton de Robert Harmon). Ici est présenté le duel à rallonge de deux professionnels revenus de tout, opérant chacun d’un côté de la barrière, chacun voyant en l’autre autant un adversaire qu’un frère combattant dans l’autre camp. L’expérience de la violence, du combat et de la confrontation aux plus dures réalités de la vie font de ces hommes les membres d’une même communauté, celle des hors normes, des hommes-mystère. Des hommes en quelque sorte au-delà des lois. Même si, présentement, l’un d’eux est policier. Et qu’il a d’abord un compte personnel à régler avec l’autre.

Le mastoc Brian Dennehy est Meechum, le flic écrivain de best-seller. Le fluet mais rapide James Woods est Cleve, le tueur à gages, indirectement à l’origine de la volonté du policier de se diriger vers l’écriture : quinze ans avant de se rencontrer à visage découvert, les deux hommes s’étaient déjà croisés. Cleve et sa bande avaient alors braqué une pièce du sous-sol du palais de justice de Los Angeles, causant un massacre. Meechum y était flic et avant d’être laissé pour mort, avait blessé l’un des braqueurs, Cleve, ce qu’il découvrira au cours de leur enquête commune. Au départ, Cleve aborde Meechum en se présentant comme le sujet de son prochain livre, « Les Mémoires d’un homme de main d’un industriel mafieux » (interprété par Paul Scarface Shenar). Intrigué mais méfiant, Meechum refuse d’abord. Il finit par accepter et découvre qui est vraiment Cleve : un braqueur, un tueur à gages, mais d’une certaine manière, un homme d’honneur. Et ce n’est pas lui la cause du massacre quinze ans auparavant. Roublard, Cleve emmène où il veut un Meechum retranché derrière son statut d’écrivain.
Duo improbable à la Laurel et Hardy (le gros/le maigre, le grand/le petit) partageant, tel un vieux couple, un passé commun avec engueulades à la clé, le détonnant binôme fonce vers son destin, là où s’achèvera la vengeance douteuse du flingueur et où se finalisera l’assemblage du matériau pour le prochain livre du policier. Élégant et réaliste, hormis le concept de départ, Pacte avec un tueur, relevé d’un humour vachard et de séquences de flingages sanglantes, est un régal pour toutes personnes en mal de cinéma de genre à l’ancienne.

Seul bémol, la sortie de Pacte avec un tueur chez Wild Side le cantonnera cependant dans son créneau de petit film moins couru qu’un plus culte Rolling Thunder puisque ce dernier est dorénavant disponible pour 30 euros dans une combinaison Blue-ray-DVD-Livre et que le premier vaut 25 euros en Blu-ray seul (ou 20 euros en DVD) en étant avare de suppléments.

Laurent Hellebé

BEST SELLER
Réalisateur : John Flynn
Scénario : Larry Cohen
Interprètes : James Woods, Brian Dennehy, Victoria Tennant, Allison Balson, Paul Shenar…
Photo : Fred Murphy
Montage : David Rosenbloom
Bande originale : Jay Ferguson
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h35
Editeur : Wild Side
Sortie vidéo : 08 juillet 2015

 

 


Paradis perdu d’Abel Gance : Pater doloroso

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Paradis perdu

Joliment restauré par Pathé, qui sort ce film en DVD et Blu-ray, Paradis perdu est un beau mélo parfaitement assumé par son auteur, Abel Gance, qui en dynamite certains codes. D’abord en le transformant en un film personnel, bien que Gance ait toujours, par la suite, désavoué Paradis perdu et la plupart des autres films tournés pendant les années trente, sévèrement jugés par lui comme « alimentaires ». « Des films de gagne-pain, disait-il – on retrouve cette citation dans l’article que Roger Icart a consacré au cinéaste dans la revue 1895 -, que j’ai dû réaliser non pour vivre mais pour ne pas mourir ! »

Quoi qu’il en soit, Paradis perdu n’est pas si alimentaire que ça, mon cher Watson ! Presque malgré lui, comme si cela dépendait d’une seconde nature, l’auteur de Mater dolorosa signe un film plus personnel qu’il n’y paraît. Oui, Paradis perdu reste un film gancien, ce que Georges Mourier, dans l’excellent entretien divisé en deux parties et contenu en bonus du DVD, nomme « un chef-d’œuvre par inadvertance ». Ce spécialiste de Gance explique que le scénario du film fut écrit par Joseph Than, qui le produisit également. Le texte fut ensuite adapté et dialogué par Steve Passeur, qui avait déjà travaillé avec Gance sur trois films et en dialoguera encore deux après Paradis perdu. Than, raconte Mourier, venait de vivre la même douloureuse histoire que son personnage, un drame qui réveillait chez Gance des échos tout aussi cruels. Quand il met en chantier son projet La roue en 1919, Gance vit avec Ida Danis qui a été contaminée par l’épidémie de grippe espagnole. La jeune femme ne survivra pas à la maladie qui, chez elle, se transforme en tuberculose et elle meurt en 1922, alors que Gance vient d’achever le tournage de La roue. Il épousera la sœur d’Ida, Marguerite Danis, qui, sous le nom de Marguerite Gance, tiendra le rôle de Charlotte Corday dans le Napoléon (1927) de son mari et apparaîtra encore dans La chute de la maison Usher (1928) de Jean Epstein.

Paradisperdu Gravey Presle

Si Gance est donc directement concerné par le récit de Than qui conte la perte d’un être cher, il met également de lui-même dans deux autres aspects du scénario. Brillamment interprété par Fernand Gravey, face à une Micheline Presle tout aussi talentueuse dans un double rôle, son héros se pense peintre et découvrira qu’il est meilleur en créateur de robes. Gance lui-même s’est longtemps cru poète et dramaturge avant de se lancer dans le cinéma qui nourrira totalement sa créativité.

Le deuxième aspect typiquement gancien apparaît au moment où le cinéaste traite de la guerre. Celle-ci débarque en plein bonheur, alors qu’on ne l’attend pas, dans une séquence très forte. Gance est un pacifiste, il l’a déjà démontré dans ses deux versions de J’accuse, tournées en 1919 et 1938. Réalisé en 1939, Paradis perdu sort en décembre 1940, alors que Paris et le nord de la France sont déjà occupés par les troupes allemandes. Le film obtiendra beaucoup de succès et ne sera visiblement pas censuré par les Allemands alors qu’il montre une autre guerre, celle de 14-18, gagnée par la France. Gance se paie le toupet de filmer à la fois les hommes au front et, ce qui est beaucoup plus rare, les femmes à l’arrière. La seule mort qu’il nous offre n’est pas due à une balle mais se déroule loin des lignes ennemies, à cause de privations.

Paradis perdu affiche couleur

Paradis perdu alterne les scènes tristes avec d’autres beaucoup plus gaies, entre autres celles jouées par Alerme. Lorsque ce dernier, qui est le couturier qui emploie Micheline Presle, débarque chez Fernand Gravey, c’est pour trouver son employée occupée à poser pour son ami peintre. Micheline Presle est debout, tenant une corde qui semble accrochée au plafond. Tout en discutant, Alerme pousse Presle, se saisit de la corde et se met à poser pour le peintre. Le grand charme des films de cette époque tient beaucoup au casting : ici, on reconnaît encore avec beaucoup de plaisir Elvire Popesco, Robert Le Vigan, Robert Pizani et Jane Marken. Quant à la chanson qui donne son titre au film, elle revient rythmer les différents épisodes d’une belle manière.

Si une sorte de gaieté et d’inconscience inonde la première moitié du film, la seconde est gouvernée par l’idée de sacrifice. Que Gance retrace avec panache les destinées fabuleuses de Napoléon ou de Beethoven, le parcours d’un farouche opposant à la guerre ou celui d’un humaniste qui réclame la survie de l’humanité (La fin du monde, 1931), l’exaltation est toujours au rendez-vous. On retrouve chez ses héros la même fièvre qui leur brûle le corps et rend fou leur regard. Rien de tout cela dans Paradis perdu. Gravey, admirable et tout autant crédible en jeune homme qu’en vieillard, joue sobrement la passion, la fièvre créatrice et la douleur.

Paradis perdu Presle Gravey

Ajoutons que ce film qui, rappelons-le, obtint un énorme succès auprès du public, prompt à pleurer ses morts du précédent conflit et les privations de l’actuel, marqua à tout jamais le jeune spectateur qu’était François Truffaut, dont c’est semble-t-il le premier souvenir de cinéma. Truffaut avait 8 ans en 1940 et jamais il n’oublia Paradis perdu.

Jean-Charles Lemeunier

Paradis perdu
Origine : France
Année : 1940
Réalisateur : Abel Gance
Scénario : Joseph Than
Dialogues : Steve Passeur
Images : Christian Matras
Musique : Hans May
Montage : Léonide Azar
Décors : Henri Mahé
Avec Fernand Gravey, Micheline Presle, Elvire Popesco, Robert Le Vigan, Alerme, Monique Rolland, Robert Pizani, Jane Marken, Gérard Landry, Gaby Andreu, Edmond Beauchamp, Marcel Delaître, Jean Marconi, Jean Brochard, Marcel Pérès…

Édité en version restaurée en DVD, Blu-ray, VOD et téléchargement par Pathé le 1er juillet 2015.



« Le Convoi de la peur » de William Friedkin : Les nerfs à vif

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Pendant qu’un certain cinéma de structure relativement classique renouvelle thrillers, suspenses et films d’espionnage en se politisant (ou en faisant semblant) ; pendant que films d’exploitation, néo-séries B, « petits » polars et comédies continuent leurs vies en étant tournés soit par de sympathiques artisans soit par des tâcherons ; pendant que se renouvelle en profondeur le polar dans toute l’ampleur de ce terme générique ; pendant que les grandes compagnies de productions ou/et de distributions semblent jouer leur va-tout dans la sortie de films catastrophes (parfois hic) surchargés de vedettes, de stars aux rabais et de
has-been évocateurs du bon vieux temps d’avant ; pendant qu’explosent en apothéoses jouissives de nouvelles générations de films érotiques et pornographiques ; pendant qu’éclosent slashers et autres horreurs pelliculaires diverses et variées… se joue sur deux tableaux l’hallali du Nouvel Hollywood.
Regardez quelques-uns des grands
hits des années Vietnam. Regardez les grands flops de cette décennie et du début de la suivante. Remarquez un point d’intersection, l’an 1977 avec Le Convoi de la peur et La Guerre des étoiles. Remarquez dans la galaxie 7e art cette poignée d’étoiles naissantes, de supernovas, de gouffres d’antimatières aux noms évocateurs. Tenez, L’Exorciste et Les Dents de la mer. Ceux-là sauvent la mise à des Majors, à des moguls. Ils font bander, sont excitants, sont formidables, sont vraiment bons, rapportent un max de fric. D’autres, par-contre, même si parfois bien reçus par la critique, même si rentables à moyens ou long terme (remember Apocalypse Now), réactivent une peur séminale de l’Industrie : le four, le bide, l’échec, l’incontrôlable tournage de démons en liberté. C’est La Porte du Paradis, c’est Popeye, c’est Coup de cœur. Tous, de l’Alpha à l’Omega, tous conçus par les géniteurs du Nouvel Hollywood. On appelle cela creuser sa tombe.
Ici, dans l’Hexagone, dans la
french patrie du cinoche, dans le pays des Droits de l’homme qui sentent le sapin, de ces œuvres on en a glosé, parlé, débattu. On les a le plus souvent justement défendus, on les a loués, on les a reconnus. Parfois, plus rarement, dit du mal d’une aigreur tordue.

Il faudra donc une trentaine d’années, une génération, pour que paraissent sur le territoire national et dans des formats domestiques plus que dignes des copies flamboyantes escortées de bonus méritants quelques-uns des films-monstres touchés-coulés sur l’océan du grand rêve pelliculaire. On eut droit à Coup de cœur et La Porte du Paradis fin 2013. On a droit au Convoi de la peur, pardon, Sorcerer, en cette année 2015, l’occasion de prouver une nouvelle fois, nonobstant les couts et les couleuvres, que certains papys ont encore la niaque.

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Regardez la carrière 2.0 du sieur Friedkin. à soixante-cinq ans, en l’an 2000, il nous balance un
Enfer du devoir d’une écrasante maîtrise technique aussi polémique et ambigu que certains de ces titres de gloire : il faut tout de même avoir un sens de la provocation encore solide pour sortir à l’orée d’une période de films plutôt anti-Bush et anti intervention en Irak un film de guerre se déroulant dans un chaud pays lointain en montrant par quelques plans quasi-subliminaux dont le réalisateur a le secret des civils musulmans armés, dont un enfant, sulfatant des Marines retranchés dans un fort de circonstance. Trois ans plus tard, Will le renard madré propose avec Traqué un exercice de style épuré qui balance hors du ring les 9/10e (au moins) des faiseurs de films d’action hollywoodien du moment. Entre-temps, il participe à la ressortie d’un Exorciste retravaillé. De nouveau trois ans plus tard, alors que depuis quelques années déjà il met en scène des opéras que nous ne verrons jamais nous autres pauvres péquins, Friedkin emballe Bug, une petite production adaptée d’une pièce de théâtre qui se révèle l’un des films les plus étouffant jamais fait sur le thème de la paranoïa. Bill le baroudeur a alors soixante-et-onze ans. Prend-t-il sa retraite à la clôture de cette première décennie du nouveau siècle ? Que nenni. En 2011, il participe au renouveau du polar, revisitant le redneck-movie avec un Killer Joe pas piqué des hannetons. Un film monstrueux, plein d’humour, glauque à souhait, déviant, malpoli. Satisfait mais fatigué de ces dernières entreprises collectives quand bien même les tournages n’ont pas connus de tensions électriques à balancer les potards dans le rouge, Willy Boy s’attelle à des Mémoires, Friedkin Connection. Elles sortent en 2013 aux States, fin 2014 en France. Est-ce bien tout ? Pas tout à fait : Sorcecer, alias Le Convoi de la peur in french, film maudit, sacrifié, malchanceux, ressort à l’été 2015 (pour les quatre-vingt ans du réalisateur) en conservant son titre original, dans une copie au métrage à peine retouché mais néanmoins restaurée, restauration resplendissante rappelant qu’il s’agit là d’une œuvre boudée et pourtant maîtresse.

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L’histoire, on la connait, les anecdotes d’un tournage tendu aussi. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il s’agit là d’une histoire d’hommes. D’hommes vidés, au bout du rouleau, exilés dans un cloaque exotique, survivants misérables pas si éloignés de bagnards libérés mais relégués sur un territoire aussi beau qu’hostile. Quand ils se portent volontaires pour l’explosive mission de transport, c’est, d’abord, dans l’espoir d’une porte de sortie vers un monde plus riche, plus blanc, plus en rapport avec leur background. Mais il s’agit tout autant, hommes que nous sommes, de relever un défi, d’être en mouvement, de savoir si… Tout pour ne pas pourrir sur pieds, zombies blafards et peureux. Film noir, film d’aventures, film de durs-à-cuire, Sorcerer est peut-être surtout un cauchemar éveillé, une vision morbide de la finitude, une réalité hallucinée renvoyant presque idéalement à l’idée de réalité floue voulue par Georges Arnaud, qui commençait son roman Le salaire de la peur par une sorte d’avertissement s’achevant par quelques mots d’une fascinante étrangeté. A peu de choses près, il écrivait : « Le Guatemala n’existe pas. Je le sais, j’y ai vécu. »

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Blu-ray et DVD en pressage français suivrons dans quelques mois, les plus
hardcore des fans de ce chef-d’œuvre s’étant procurés le Blu-ray US depuis déjà un bon bout de temps. Toujours est-il qu’il y aura là de quoi passer de guillerettes fêtes de faims damnées.

Laurent Hellebé

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SORCERER
Réalisateur : William Friedkin
Scénario : Wallon Green d’après le roman “The Wages of Fear” de Georges Arnaud
Interprètes : Roy Scheider, Bruno Cremer, Joe Spinell, Francisco Rabal, Amidou …
Photo : Dick Bush & John Stephens
Montage : Robert Lambert & Bud Smith
Bande originale : Tangerine Dream
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h01
Sortie française : 15 novembre 1978


« Jupiter Ascending » de Lana et Andy Wachowski : Sky racer

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Après les expérimentations visuelles et narratives de Speed Racer et Cloud Atlas, les Wachowski sont revenus à une forme de récit plus linéaire avec le space opera Jupiter, le destin de l’univers. Un film que l’on pourrait présenter comme une version épurée de Matrix, puisqu’il y est aussi question d’une élue luttant pour le salut de l’humanité destinée à être moissonnée par une caste d’extra-terrestres aristocrates (à rapporter aux humains élevés en batterie par les Machines ayant pris le pouvoir). Soit une approche plus frontale pour une histoire où le destin de la jeune Jupiter suit le sillon du monomythe de Campbell comme avant elle le jeune Skywalker, et donc plus à même de rencontrer le succès que les géniales circonvolutions de leurs films précédents. D’autant que Jupiter Ascending bénéficie d’un univers graphique foisonnant, de designs démentiels, faisant ressembler certains intérieurs de vaisseaux à des basiliques, et d’une photo à couper le souffle. Las, le film a été lâché par le studio, la sortie repoussée n’ayant bénéficié d’aucune promo digne de ce nom et surtout, la fratrie s’aventurait sans doute trop dans l’inconnu puisque leur film ne se base sur aucune marque franchise pré-existante ou de bidons de lessives en spandex. Un monde original mis en scène sans intention de réactiver une nostalgie confortable, c’était sans doute trop (à noter que si Fury Road se déroule dans l’univers de la franchise Mad Max, George Miller utilise références et codes pour formaliser un récit étonnant aux images saisissantes, de sorte que l’on a beau se trouver en terrain connu, il n’est jamais balisé).

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Pulp science-fiction
Pourtant Jupiter Ascending use de références, notamment à la mythologie ufologiqe (petits hommes gris, crop circles…) et aux comic-books (les poses très super-héroïques prises dans l’action par Caine). Des jalons ludiques parfaitement digérés pour instaurer une certaine crédibilité, donner de l’épaisseur à un univers foisonnant sans verser dans les dialogues abondants. Un goût pour la culture populaire et l’Art en général qui ne s’est jamais tari et sur lequel les Wacho ont toujours construit leurs œuvres. Un ancrage pulp prononcé qui sied plutôt bien aux péripéties serialesques du film. Leur enchaînement est parfois assez problématique à cause d’ellipses brutales mais pas de quoi bouder son plaisir.

Certes, le film joue la carte de la simplicité, voire de la naïveté. Peut être est-ce un élément qui a joué en sa défaveur.
Jeune aide-ménagère récurant les toilettes des nantis, Jupiter Jones possède une empreinte génétique qui la destine à devenir l’héritière au trône du monde de la famille extra-terrestre Abrasax. Un véritable conte de fée à la sauce space-opera. Et c’est ainsi que les Wacho ont pensé et formalisé leur film. Rêveuse, attirée par les étoiles, apatride (elle est est née dans un cargo voguant sur des eaux territoriales indéfinies), Jupiter est une cendrillon moderne qui va pénétrer dans le monde dangereux du renégat Caine venu la sauver. Pas de route de briques jaunes mais comme Dorothy explorant le monde étrange de Oz, envers de son Kansas natal, Jupiter ira découvrir ce qui se trouve au-delà de l’arc-en-ciel. Ou plutôt passera littéralement à travers le miroir.
Alors que Caine lui explique le topo de la situation après l’avoir secouru d’une morte certaine, il lui propose de l’emmener dans son vaisseau stationné au-dessus du building où ils se trouvent. Et afin d’emprunter le faisceau ascendant devant les y transporter, un de ses gadgets permet de traverser la vitre comme on tremperait son bras dans un liquide.

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Ce passage de l’autre côté marque clairement une frontière entre deux mondes, l’arrivée dans celui de Caine voyant la destruction de son vaisseau et le début d’une course-poursuite ahurissante et magnifique entre le ciel et la terre de Chicago. Le moment choisi pour filmer ce morceau de bravoure renversant de beauté et d’excitation, les quelques instants suivants le lever du soleil donnant aux cieux des teintes irréelles, renforce ce parti-pris risqué.

Through the looking glass
Mais si le récit est beaucoup moins sophistiqué que ceux auxquels les Wacho nous ont habitués, il fait partie intégrante de leur réflexion cinégénique puisque l’on retrouve nombre d’éléments et de thématiques signatures. Une musique familière, cependant, le duo de cinéastes évite tout radotage en composant de nouveaux accords. Certes plus simples que pour la symphonie Cloud Atlas mais tout de même enivrants. De nouvelles variations sur les principes de servitude, de domination des simulacres, d’exploitation des corps et la manière de s’en libérer. Jupiter se trouve plongée dans un monde d’illusions, un véritable wonderland (et c’est vrai que Jupiter se pose beaucoup de questions sur le fonctionnement de cet univers de Dieux extra-terrestres) que ce Néo au féminin devra déchiffrer.

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Le parcours de Neo s’est autonomisé à partir de Reloaded lorsqu’après son entrevue avec l’Architecte il rejeta sa finalité intrinsèque, le rôle pour lequel il avait été conçu (programmé), être l’Elu qui sauverait Sion en retournant à la Source, préférant obéir à son cœur et sauver Trinity en détresse. Celui de Jupiter s’infléchit d’une manière similaire. Face à Titus, elle fait un choix logique, acceptant de l’épouser pour sauver la Terre. Une logique qui découle du mensonge de simulacres érigés et acceptés comme la réalité : Kalique et son bain de jouvence dont la véritable nature est cachée (de la biomasse humaine régénératrice de gênes), la foule au mariage royal dont Jupiter est la vedette est composée de sims. C’est après que Caine soit venu la chercher une seconde fois en traversant littéralement l’illusion (son vaisseau détruit le mur du vaisseau-cathédrale où a lieu la cérémonie) qu’elle se réveille enfin. Et lorsqu’en retournant chez elle découvre que sa famille a été enlevée, elle accepte de suivre les émissaires de Balem afin d’abdiquer. Comme le souligne l’officier de l’Egide, cette action est risquée et son coût élevé. Mais Jupiter y consent pourtant, suivant ses sentiments pour sa famille. Mais elle est encore soumise à une certaine logique. Celle de ce type de fiction qui veut que le héros accepte de prendre tous les risques et de tout perdre afin de secourir les êtres chers menacés. La véritable libération de Jupiter interviendra lorsqu’elle refusera de céder la Terre à Balem, signant son arrêt de mort et celui de sa famille mais préservant la planète bleue (si Balem la moissonne malgré tout sans en avoir le titre de possession, il tomberait sous le coup de la Loi intergalactique). En se détournant de ce que le récit attendait d’elle, Jupiter trouve son indépendance. D’autant plus que cette fois-ci cette prise de conscience n’est pas le résultat de l’intervention extérieure et salvatrice de son ange gardien. Et par ce choix, elle démontre qu’elle est digne de posséder la Terre, outrepassant le seul droit lié à son rang. Caine, entretemps, a aussi été transformé, il n’obéit plus à sa nature de loup solitaire mais répond à son amour pour Jupiter en s’élançant vers Orus (tel Orphée bravant les enfers) pour la retrouver.

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Deux caractères principaux à l’évolution concomitante qui s’appuie sur leur capacité à ouvrir leurs perspectives. Illustrant ainsi la tagline présente sur l’affiche du film : « expand your universe ». Une invitation qui s’applique au film dans son ensemble tant Jupiter Ascending est une nouvelle étape dans le décloisonnement de l’univers des Wacho amorcé avec Speed Racer et poursuivi avec Cloud Atlas.
Ce dernier multipliait les séquences en extérieur et à diverses époques mais son récit était soumis à un cycle et dont l’enjeu était d’en neutraliser la répétition.
Et de ce point de vue là, on peut considérer Jupiter Ascending lui-même sinon comme une récurrence, du moins un prolongement de Cloud Atlas. Le film s’ouvre sur un plan d’étoiles alors que Cloud Atlas se concluait avec Tom Hanks regardant vers ces mêmes étoiles. Le père de Jupiter est interprété par James D’Arcy (quatre rôles dans Cloud Atlas). Sur le même principe d’expansion, dans Jupiter Ascending, la chasseuse Razo jouée par Doona Bae a remis Jupiter à Kalique en échange d’un stock de capsules de cette biomasse humaine permettant la régénération des gênes alors que dans Cloud Atlas Doona Bae interprète le clone Sonmi 451, qui avant sa libération, consomme dans la cafétéria où elle est employée un « lait » nourrissant qui s’avère produit à partir de ses congénères sacrifiées (moissonnées). Soit de nouvelles itérations des personnages de Cloud Atlas qui permettent de lancer le propre développement de ceux de Jupiter Ascending.

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Et si Cloud Atlas posait le principe du liage dans le temps, alors Jupiter Ascending peut être considéré comme son pendant en terme de spacialisation. Il n’y a qu’à voir la facilité avec laquelle les vaisseaux traversent la galaxie par des portails dimensionnels ou le générique de fin faisant de l’alignement de planètes des brins d’A.D.N.
Les gênes de Jupiter Ascending et Cloud Atlas sont d’autant plus complémentaires que Jupiter Jones et Sonmi 451 voient leurs parcours respectifs les mener de la révélation de la réalité du monde dans lequel elles évoluent à leur élévation. Un cheminement que l’on retrouve depuis Bound et que les Wacho sont parvenus à intensifier de film en film grâce à un élément primordial, l’amour (d’un être, de l’Art), qui permet à Jupiter d’être littéralement en lévitation. Et d’enfin stopper ses chutes incessantes chaque fois qu’elle atteignait un nouveau sommet.

Nicolas Zugasti

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JUPITER ASCENDING
Réalisateur : Lana et Andy Wachowski
Scénario : Lana et Andy Wachowski
Interprètes : Mila Kunis, Channing Tatum, Sean Bean, Terry Gilliam, James D’Arcy, Eddie Redmayne…
Photo : John Toll
Montage : Alexander Berner
Musique : Michael Giacchino
Pays : Etats-Unis
Durée : 2h07
Sortie française : 04 février 2015
Sortie Blu-ray et DVD édité par Warner Home Video : 24 juin 2015


Nom de Zeus ! : Marty, Prix Lumière 2015

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Après la cinémathèque de Paris, Martin Scorsese vient d’être honoré à Lyon, où il a reçu ce 16 octobre le prix Lumière 2015, après Clint Eastwood, Milos Forman, Gérard Depardieu, Ken Loach, Quentin Tarantino et Pedro Almodovar. Tout au long de la semaine, l’ensemble des cinémas de l’agglomération lyonnaise a accueilli l’une ou l’autre des nombreuses sélections du festival organisé par Thierry Frémaux et l’Institut Lumière, d’une rétrospective Duvivier à des hommages à Jean Yanne et Larissa Chepitko, des films de la Gaumont au grand cinéma mexicain des années cinquante et des trésors d’archives aux années Toho d’Akira Kurosawa. Plus, bien entendu, une rétrospective Scorsese et une carte blanche.

Dédié à Chantal Akerman, qui devait présenter Je, tu,il, elle, et à l’historien Raymond Chirat, tous deux disparus ces dernières semaines, le festival a connu son point d’orgue lors de la remise du prix Lumière, devant un parterre d’invités prestigieux. Il y eut quelques chansons, Camelia Jordana avec New York, New York et Jane Birkin reprenant As Time Goes By. De la musique avec le piano de Jean-Michel Bernard. Une vidéo de 25 secondes de Bob De Niro qui, en tournage dans la Grosse Pomme — il interprètera Bernard Madoff dans un téléfilm réalisé par Barry Levinson —, souhaitait un bon prix à son copain Marty. Un court-métrage d’Abbas Kiarostami, coprésident de la Cinéfondation à Cannes avec Scorsese, qui s’était déplacé à Lyon pour la circonstance. Et l’intervention de François Cluzet, partenaire de Scorsese dans une séquence d’Autour de minuit de Tavernier, ravi d’avoir eu « un partenaire aussi balèze ».

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Thierry Frémaux et François Cluzet (Photo J.-C.L.)

Il est temps de faire monter sur la scène les invités du cinéaste, au nombre desquels les acteurs Max von Sydow, Geraldine Chaplin, François Cluzet et Emily Mortimer, les cinéastes Abbas Kiarostami, Elias Suleiman, Matteo Garrone, Tony Gatlif, Jean-Pierre Jeunet et Souleymane Cissé, le décorateur Dante Ferretti, Olivia Harrison — la femme du Beatle George, à qui Scorsese a consacré un documentaire —, la productrice Margaret Bodde, le directeur de la cinémathèque de Bologne Gianluca Farinelli… L’habituel maître de cérémonie du prix Lumière, Bertrand Tavernier, ne pouvant être présent pour cause d’opération, il avait envoyé un texte lu par Thierry Frémaux et François Cluzet, rappelant que Scorsese était nommé « le Kurosawa de la 42e rue » « Comme ta passion est contagieuse, notait justement Tavernier. Dès la création de ce festival, j’ai pensé que le prix Lumière était pour toi ! »

En guise de conclusion, Tavernier cite saint Augustin : « Celui qui se perd dans sa passion perd moins que celui qui perd sa passion. »

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Martin Scorsese et Salma Hayek (Photo J.-C.L.)

C’est curieusement Salma Hayek qui remet, sans rien dire, le prix Lumière à Martin Scorsese. Habituellement, ce sont des proches du cinéaste — Marisa Paredes et Rossy De Palma pour Almodovar, Uma Thurman et Harvey Keitel pour Tarantino —, ou tout au moins des gens ayant travaillé avec lui qui se déplacent : Cécile de France pour Eastwood, Éric Cantona pour Loach, Fanny Ardant pour Depardieu. La salle — et ce serait vraiment stupide de prétendre le contraire — était très excitée par la présence de la ravissante Salma mais tout le monde se disait qu’elle aurait pu être là mais aussi, puisque De Niro était en tournage, pourquoi pas Di Caprio ou Joe Pesci ou Matthew McConaughey ou à nouveau Keitel ?

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Geraldine Chaplin, Jean-Pierre Jeunet, Gérard Collomb, le maire de Lyon, Jean-Jack Queyranne, président de la Région Rhône-Alpes, Abbas Kiarostami, Martin Scorsese et sa femme (Photo J.-C.L.)

Quoiqu’il en soit, la vedette de la soirée était émue : « Je ne sais pas si je vais survivre à cela », soupirait Marty avant de commenter sa passion pour le cinéma : « J’étais un enfant asthmatique et mes parents, ne sachant pas quoi faire de moi, me traînaient au cinéma. J’ai vu Duel au soleil, La Belle et la Bête, La strada, Paisa. Tous ces films auxquels j’ai été exposé petit et le cinéma en général me renvoient à cette étincelle, ce point de proximité extrême avec ma famille. Je n’ai fait peut-être que rechercher cela. Le cinéma était aussi une ouverture au monde pour l’enfant que j’étais, une fenêtre qui s’ouvrait sur le Japon avec les films de Mizoguchi, sur la France avec Les enfants du paradis, sur l’Inde avec Le salon de musique. Puis, il y a eu le miracle de pouvoir faire des films, ce qui était inenvisageable pour moi à New York en 1959. Après est venue la colère et la frustration de voir disparaître ce matériau magnifique, que j’ai cherché à sauvegarder et restaurer. »

C’est bien autour de cet amour du cinéma que se cristallise le festival Lumière. Une semaine de projections de films, du muet aux dernières années, prouve que tout doit se retrouver au même niveau et qu’on ne négligera pas un film sous prétexte qu’il ne parle pas, qu’il est en noir et blanc ou qu’il a été tourné à l’époque où nos grands-parents tétaient nos aïeuls. Quel plaisir de revoir tel grand classique, de découvrir un film méconnu, de voir enfin des films jamais ressortis en salle et encore moins diffusés à la télé, tel le Maine-Océan de Jacques Rozier, de comparer un western de 1932 d’Edward L. Cahn (Law and Order) avec son contemporain signé Raoul Walsh (Wild Girl).

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Wild Girl (1932) de Raoul Walsh avec Morgan Wallace, Joan Bennett et Eugene Pallette

Parlons-en, justement, de ces deux-là ! On s’attendait à voir sortir le Raoul grand vainqueur du citizen Cahn et il faut se rendre à l’évidence, Law and Order est nettement supérieur à Wild Girl. Allez, dans ce dernier, c’est vrai que la toute jeune Joan Bennett est bien mignonne et délurée, à des encablures de la brune distinguée des films de Lang, Ophuls ou Renoir de la décennie suivante. Et il y a quand même dans Wild Girl cette séquence où la jolie se baigne à poil. Comme souvent — encore que, à cette époque Pré-Code de censure… —, on ne voit rien, sauf lorsque la belle se rhabille de dos, laissant échapper en levant le bras un globe que ne perd pas de vue le méchant Morgan Wallace. L’histoire est sans surprise, plutôt décevante. Une scène est à sauver toutefois, qui renvoie à ce que montrera Wellman dix ans plus tard dans The Ox-Bow Incident (L’étrange incident) : un lynchage. Curieusement, chez Walsh, tous les acteurs surjouent, à l’exception du couple vedette Joan Bennett-Charles Farrell. Que dire d’Eugene Pallette en conducteur de diligence, dont la gouaille un peu forcée rappelle ce que fera Andy Devine dans le même rôle chez Ford (Stagecoach, La chevauchée fantastique, 1939) ? Peu de choses, à part que Devine est mieux que Pallette !

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Andy Devine que, justement, on retrouve chez Cahn, est étonnant dans Law and Order. Plus jeune et plus mince, Andy est un jeune homme un peu balourd qui est jugé pour meurtre et condamné à la pendaison. L’acteur rend formidablement bien tout ce qui peut traverser l’esprit de son personnage et l’interprétation est d’ailleurs l’une des grandes qualités de Law and Order, premier film à se baser sur le fameux règlement de comptes d’OK Corral, alors que Wyatt Earp vient tout juste de mourir (en 1929, le film datant, rappelons-le, de 1932). Qualité des acteurs, donc, que ce soit Walter Huston dans le rôle de Wyatt, Harry Carey dans celui de Doc Holliday — dans le film, les noms ont été changés pour ne pas payer de droits à la veuve Earp — ou Walter Brennan dans le rôle très secondaire du garçon d’étage de l’hôtel où séjournent Earp et ses deux coéquipiers. Il faut le voir nettoyer les crachoirs et tirer le nez quand il s’aperçoit qu’un cowboy vient de tirer un jet de salive dans un des ustensiles nettoyés.

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Tiré d’un roman du grand W.R. Burnett (Saint Johnson, qui vient d’être réédité chez Actes Sud dans la collection western dirigée par Bertrand Tavernier), le scénario de John Huston et Tom Reed est âpre, sans doute proche de la réalité. Il ouvre surtout les yeux sur ce que pouvaient être les premiers westerns parlants : ici, les héros sont sales car ils ont parcouru des miles dans la campagne et, lorsqu’ils accèdent à une bassine d’eau, ils se lavent frugalement ; les rues de la ville sont boueuses ; les hommes passent leur temps à boire, jouer et se tuer ; les femmes sont soit de petite vertu, soit honorables et tout ce petit monde vit côte à côte sans trop de problèmes. Avec un peu de couleurs, on aurait pu se croire dans un western spaghetti.

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Alain Chabat à la Nuit de la peur (Photo J.-C.L.)

Impossible, bien entendu, de s’étendre sur l’ensemble de la riche programmation de ce Lumière 2015. Un petit mot toutefois de la Nuit de la peur, qui vit plus de 4000 personnes assister aux projections de The Thing, La nuit des morts-vivants, Insidious et Evil Dead. Le tout présenté par un Alain Chabat échevelé. Quel plaisir et quelle rigolade de sentir 4000 personnes vibrer en même temps, sursauter en même temps, hurler en même temps — surtout les filles. C’est Insidious, le petit chef-d’œuvre de James Wan, qui a battu tous les records. Entre 2 et 4 heures du matin, toute la salle avait les yeux grands ouverts et les nerfs à vif. Les ricanements des plus malins cachaient à peine leur angoisse et la moindre stridulation de violons de la B.O. faisait sursauter 4000 cœurs. Du grand art !

Jean-Charles Lemeunier


« L.A Takedown » de Michael Mann : Comme un arbre dans la ville

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En 1989, la série Miami Vice roule vers sa fin. Entre la production des épisodes de l’éphémère Crime Story (1) et la pré-production de The Last of the Mohicans, Michael Mann emballe en trois petites semaines L.A Takedown (également titré Made in L.A), sorte de continuation pour le petit écran de son magnifique Thief (le plan fugace d’une télévision le diffusant fait symboliquement assumer cette filiation) et prototype du futur Heat. Dans l’un des bonus du DVD zone 2 (2), le réalisateur explique qu’il évite de trop mettre en parallèle le téléfilm et le duel au sommet De Niro/Pacino, que ce serait comparer « un café lyophilisé et un grand arabica ». Pour le pauvre spectateur que nous sommes, piégé par notre cinéphilie, impossible de ne pas le faire, étant entendu qu’il serait quelque peu spécieux de mettre dos à dos disons, la qualité de l’image et une poignée de clichés de l’époque, duel perdu d’avance : L.A Takedown, c’est du plein cadre, une image un peu « cra-cra », un peu « floue », une définition que n’aide pas l’édition DVD (malgré tout en VO sous-titrée, ouf). Et ne parlons pas, bien qu’en déclin, de la mode capillaire coupe « canard » (mais pas un seul catogan à l’horizon, merci) et d’un type de physique à la Ken Wahl, contrebalancé par les présences de seconds couteaux tels que Xander Berkeley, Michael Rooker, Daniel Baldwin… Il y a plus important.

Les deux œuvres sont nées d’un même scénario, écrit depuis plusieurs années, que Mann tenait à mettre en forme non seulement en raison de son intérêt pour l’architecture (au sens large) de Los Angeles mais parce que les deux personnages principaux, les hommes du gang de braqueurs, Waingro et Vincent Hanna ont tous existé, que la confrontation entre les meneurs eu bien lieu (à Chicago), s’achevant effectivement par la mort brutale du véritable Neil McCauley. Une histoire marquante qui lui fut rapportée notamment par plusieurs policiers ou ex-policiers, dont son ami Denis Farina.

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Même si le scénario original est ici largement amputé puisque il existe une différence d’une bonne heure entre ses deux versions, L.A Takedown est tout de même redoutablement efficace. Il est sans surprise au-dessus du tout-venant télévisuel, d’une élégance symbolisée par les costards que portent à peu près tous les protagonistes. Et l’essentiel de ce qui fait l’importance de Heat est ici présent, qu’il s’agisse de l’intrigue, de la psychologie des personnages, de l’agencement des scènes, de lignes dialoguées, des attitudes physiques, des scènes d’action (ne manque guère à ce titre que l’embuscade dans le parking du drive-in). La sensation de copier-coller, ou plutôt de remake, ou plutôt de -adaptation, est, on s’en doutait, frappante. Ainsi s’imposent les similitudes entre nombres décors, le goût du cinéaste pour les structures architecturales, l’épure des intérieurs, la sensualité dans l’intime (via les images des couples dans leur lit et celui du flic et de sa compagne sous la douche), les plans en « apesanteur », en particulier cette vision quasi surréaliste d’un palmier en feu en arrière-plan des dernières secondes entre le bandit tragique et sa belle Eady en train d’encaisser la vérité sur un homme hors du commun qui n’est, et bé non, pas un vendeur de piscines.

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Il existe, c’est aussi logique que la masse de similitudes, des différences plus ou moins notables entre les deux fictions. Au-delà de l’ambiance musicale (3), de l’absence d’enfant dans le couple Vincent/Justine, de la quasi inexistence de la copine de Chris, et sans toutes les signaler, remarquons que la relation entre Vincent Hanna et sa compagne est, malgré une crise marquée et la mise en danger du couple, bien plus développée et plus saine que dans la version cinéma : ici la femme est décrite comme une businesswoman, aimante, nettement plus positive même si c’est elle qui fait remarquer avec justesse qu’elle est en train de perdre son « combat » contre l’accaparant métier de son homme, qui par ailleurs ne lui cache rien des horreurs de son travail, franchise participant à la cimentation du couple finalement sauvé du naufrage. Et notons que Madame reste fidèle à Monsieur. Autre dissemblance d’importance : après la révélation médiatique de sa véritable activité, le braqueur en chef finit seul, en sociopathe maudit qu’il est de toute façon. (4) Dans le plan cité plus haut du « palmier en feu », son amie, son amour, celle qui en quelque sorte faisait « renaître » le hors-la-loi, lui tourne le dos et ne le suit pas dans une éventuelle cavale pour atteindre un paradis du bout du monde. La mort du solitaire, du thief, est donc encore plus inéluctable et, bien que sanglante, carrément plus pathétique que dans la réalité et que dans Heat.

Laurent Hellebé

  1. L’épisode pilote, non pas réalisé par Mann mais par Abel Ferrara, fut disponible en France en VHS sous le titre Les Incorruptibles de Chicago

  2. Le premier bonus consiste en des extraits d’une conférence-débat de 2009 (dite « Leçon de cinéma ») durant laquelle Mann décrypte Heat à la Cinémathèque de Paris. Le second est un plus court et plus ancien entretien avec le réalisateur, portant sur la comparaison entre les deux longs-métrages

  3. Hors la musique originale certes « vaporeuse », le leitmotiv principal de L.A Takedown est l’un des points de raccords entre celui-ci et la série Miami Vice : il s’agit du L.A Woman des Doors reprit par Billy Idol

  4. Notons qu’il est joué avec la rigidité imposé par le rôle par Alex McArthur, qui fut le tueur en série du Rampage de William Friedkin


La rencontre entre Hannah et son antagoniste

L.A TAKEDOWN
Réalisation : Michael Mann
Scénario : Michael Mann
Interprètes : Scott Planck, Xander Berkeley, Alec McArtur, Michael Rooker …
Montage : Dov Hoening
Photo : Ronald Victor Garcia
Musique : Tim Truman
Origine: Etats-Unis
Durée : 1h37


« Sicario » de Denis Villeneuve : Lions et agneaux

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Sicario se présente comme un thriller d’action sur fond de guerre au narco-trafic mais essaye de se faire passer pour plus malin qu’il ne l’est en privilégiant le discours aux codes du genre. Et ce ne sont pas les deux ou trois séquences un peu tendues qui masqueront la vacuité du propos. Une quête de sens au détriment de tout enjeu dramatique.

Lorsqu’il émerge dans le paysage cinématographique en 2011 avec Incendies, une troublante quête identitaire tragique construite en miroir, le québécois Denis Villeneuve apparaît comme un réalisateur à suivre de près. Incendies est son quatrième long et impressionne tellement les américains que Villeneuve est rapidement pris dans les filets hollywoodien. Mais les films qui en suivront, outre qu’ils confirment un certain talent formaliste, mettront surtout à jour une propension à la pose déjà plus ou moins marquée. C’est surtout flagrant avec Enemy où la langueur et la lourdeur des symboles rappellent le Spider de Cronenberg de triste mémoire. Prisoners était plutôt bien troussé mais souffrait de variations de rythme et de bifurcations du récit peu fluides et où, au-delà du sentiment de tourments inéluctables, prédominait la sensation que le questionnement du délitement moral aurait gagné à être plus subtil.
La voie singulière empruntée par Villeneuve avec ses premières œuvres (Un 32 Août sur terre, Polytehcnique, Maelström) s’accommode mal de l’efficacité d’un système de production plus imposant. Non pas qu’il soit devenu un yes man interchangeable mais ses velléités artistiques parviennent difficilement à se fondre harmonieusement dans les rets du genre visité. De sorte que l’on demeure à la surface aussi bien de la thématique développée que de l’implication dans le récit des péripéties des personnages. Autrement dit, Villeneuve place son audience à bonne distance, ce qui est pratique pour contempler un bel ouvrage (encore que la mécanique narrative soit parfois grippée) mais rédhibitoire pour ressentir quelque émotion.
Et Sicario est une parfaite illustration de ces limites.

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Intriguant et séduisant au premier abord (une plongée au coeur de la lutte contre les cartels mexicains de Juarez), il tombe rapidement à plat lorsqu’il s’agit de s’intéresser au parcours initiatique de son héroïne, l’agent du F.B.I Kate Macer (Emily Blunt). La superbe affiche et la bande-annonce fonctionnent comme un trompe-l’œil. On s’attend à visionner un thriller d’action sur la guerre aux narcotrafiquants mais ce n’est qu’une patine visuelle décorant une étude de caractère. Et encore, sur ce dernier point, on ne peut pas dire non plus que ce soit un parangon de profondeur.
Pour autant, le film n’est pas déplaisant notamment grâce au talent du directeur photo Roger Deakins et aux interprétations de Josh Brolin et surtout Benicio del Toro, diablement charismatique. Seulement, il point une forme de déception devant tant de superficialité, d’autant plus que la mise en place est plutôt efficace. Si malheureusement le problème des cartels et leurs répercussions locales demeurent en toile de foond, Villeneuve parvient à faire épouser le point de vue de l’idéaliste Kate, entraînée par un chef de section mystérieux (Brolin) et un consultant taciturne (del Toro) dans une plongée au cœur de la violence. Comme elle, on souffre d’un déficit d’informations quant aux réelles intentions et motivations du groupe opérant clandestinement à Juarez. Ainsi, elle subit les évènements jusqu’à la remarquable séquence d’exfiltration du numéro 2 du cartel sur l’autoroute à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. La désorientation est totale.

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Seulement, le réalisateur va à partir de ce moment-là oublier de développer son personnage qui n’évoluera que très peu, incapable d’être véritablement active en provoquant son intégration au groupe. Elle est à la fois placée en marge par le directeur des opérations et le réalisateur. Pour être carrément poussée hors du cadre à l’issue de la séquence dans le tunnel traversant la frontière. Laissée à l’arrière, elle ne comprend et ne voit toujours pas ce qui se déroule par-delà elle. Une position sur laquelle s’appesantit un peu trop Villeneuve. Son intention est claire de monter d’un cran dans la perte de repères en usant des images nocturnes et infra-rouges pour illustrer la progression de l’équipée mais cette diffraction est uniquement visuelle et sous-tend les actions et réflexions de Kate sans que l’aspect idéologique et ses répercussions morales ne viennent faire vaciller plus intensément et franchement son éthique.

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Au fond, Sicario n’est qu’un succédané dévitalisé du Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow dont l’esthétique et la mise en scène sublimaient le parcours de Maya (Jessica Chastain) dans sa traque de Ben Laden et permettait de rebattre largement les cartes et brouiller les frontières physiques, morales et éthiques. Avec Sicario, Villeneuve reprend une structure similaire mais pense que des plans insistants et statiques seront signifiants. Toute la différence avec une cinéaste attentive à la composition de ses cadres et leur enchaînement et pour qui le sens est d’abord un contrepoint du récit.

Sicario souligne l’intérêt de Denis Villeneuve pour la formalisation de belles images un peu creuses et la richesse narrative de façade. Dans ces conditions, il est logique qu’il ait été adoubé par sir Ridley Scott en tant que metteur en scène de Blade Runner 2. Vrais reconnaissent vrais.

Nicolas Zugasti

SICARIO
Réalisation : Denis Villeneuve
Scénario : Taylor Sheridan
Interprètes : Emily Blunt, Josh Brolin, Benicio Del Toro, Victor Garber, Jon Bernthal…
Montage : Joe Walker
Photo : Roger Deakins
Musique : Johann Johannsson
Origine: Etats-Unis
Durée : 2h01
Sortie française : 07 octobre 2015


« Driver » et « Les Rues de feu » de Walter Hill : Drive on fire

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C’est dit, l’automne 2015 aura été une saison agréable : non seulement en cette fin octobre, n’étant certes pas frileux, je n’ai toujours pas allumé le chauffage, mais deux longs-métrages de Walter Hill apparaissent sur les présentoirs. Si Les Rues de feu avait déjà connu en nos contrées une édition honorable (mais sans suppléments), Driver lui faisait partie d’une longue liste de films inédits en DVD zone 2. Il était temps de réparer ce triste oubli, d’autant que la VHS de votre serviteur réclamait une retraite bien méritée.

Quelque peu héritier de Sam Peckinpah, pour qui il écrit Guet-apens et auquel il rendra hommage dans le final d’Extrême préjudice après avoir tutoyé le maître lors d’une remarquable séquence du Gang des frères James, Walter Hill commença un peu par hasard sa carrière dans le cinéma en écrivant ou coécrivant une poignée de scénarios (dont Le Piège, de John Huston, et La Toile d’araignée, de Stuart Rosenberg), passant également une courte période comme assistant-réalisateur (sur deux films avec Steve McQueen, L’Affaire Thomas Crown et Bullitt). En 1975, à 33 ans, il réalise son premier long, l’agréable (et inédit en DVD Zone 2) Le Bagarreur, avec Charles Bronson et James Coburn. Après Driver, Hill sera également producteur (en particulier sur Alien et ses suites), tournera un fantastique film de gang, Les Guerriers de la nuit puis s’avèrera l’un des grands animateurs du polar et du film d’action des années 80-90 via notamment 48 heures, Sans retour, Double-détente, Extrême préjudice, Les Pilleurs (autre inédit en DVD Z2) et Dernier recours.

S’inscrivant dans une tradition d’un cinéma de genre ultra efficient façon Robert Aldrich, Raoul Walsh ou Richard Fleisher, Hill sera le concepteur de productions solides, rarement absentes de sens, toujours capable de lier le fond et la forme dans d’occasionnels messages tantôt humanistes, tantôt blasés, abordant des thèmes comme la vieillesse, la solitude, la mort, la guerre, les actes manqués, l’amitié, la droiture. Peu ou prou de la génération des John Flynn, John Frankenheimer, Larry Cohen ou Peter Hyams, Walter Hill, membre discret du Nouvel Hollywood, fera des westerns, des polars, des films d’aventure et d’action, également animé d’un intérêt pour le fantastique et la science-fiction, manquant certes parfois son coup.

Hill a, surtout en début de carrière, cherché d’autres voies à l’intérieur de schémas aussi roboratifs que récurrents dans la production usuelle. Driver, par exemple, est à la base une sorte de film de casse avec la plupart de ses clichés, à commencer par l’utilisation de la voiture. Il va pourtant à l’encontre de la plupart des productions de ce type en donnant la primauté à l’atmosphère, en se faisant relativement lent. Sa froideur et son épure ont des airs lointains de créations japonaises où les samouraïs ne dévient jamais de leur ligne de conduite. Dans cette optique, Hill sera rejoint par Michael Mann avec Le Solitaire en 1980 : comme dans Guet-apens, un pro, ici un cambrioleur, là un braqueur, est contraint de s’acoquiner avec une drôle d’engeance. Ce sont des œuvres précieuses et matures, alors même que réalisées par des cinéastes débutants.

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Tourné en 1977, sorti en France l’été suivant, Driver est un film de casse et de poursuite tentant de réactualiser des figures du film noir, s’inscrivant dans un cinéma de genre à vocation populaire tout en conceptualisant jusqu’à l’abstraction certaines figures du polar : destin inéluctable, élément féminin à l’apparence de femme fatale, ambiance nocturne et interlope. Le scénario de Hill se base sur un canevas classique : un professionnel de la conduite (Ryan O’Neal), spécialisé dans les « coups », est coursé par un flic teigneux (Bruce Dern). L’intrigue est enrichie par les relations houleuses du chauffeur avec divers malfrats et un personnage féminin (Isabelle Adjani) qui pourrait être accessoire mais apporte bel et bien sa pierre à l’édifice : cette joueuse invétérée est recrutée pour servir de paravent aux investigations policières, pour couper l’herbe sous les pieds des inspecteurs chargés de l’enquête. Divers twists consolident ainsi le squelette primaire. De l’un naît l’intrigue centrale : après un braquage minable et foiré, un bandit retourné est chargé de recruter le « héros » pour un gros coup. Le but est de le faire tomber. Pas si simple, évidemment.

Un tel sujet engendre il va de soi des poursuites automobiles. Comme souvent chez Hill, l’attention est plus à la photo qu’à un filmage relativement standard : Hill recherche généralement l’angle le plus efficace, pas le plus spectaculaire ou novateur. L’intérêt de ces séquences est plutôt dans un montage serré et dans leur sécheresse. Ni dialogue, ni musique. Les seuls sons récurrents sont ceux des crissements de pneus et des rugissements de moteurs. Il est permis de penser à une version nocturne – le film se passe essentiellement de nuit – et new-yorkaise de Bullitt, en volontairement moins fluide et moins classe.

Pour le cinéaste, ce qui prime est la mécanique d’une partie d’échec à l’échelle d’une ville où les protagonistes sont autant les joueurs que les pions. Hill veut, sur un mode hyperréaliste, épurer la forme et dépouiller ses archétypes humains de tout superflu dans un trip comportementaliste austère et froid. À ce titre, les personnages n’ont pas de patronymes. Ils sont désignés par leur fonction, parfois par un surnom : Le Chauffeur (également désigné comme Le Cow-boy), Le Détective, La Joueuse, les seconds rôles étant L’Intermédiaire, Lunettes, Mâchoire, Les Inspecteurs, etc. (1) Ils récitent leurs rares dialogues sur un ton monocorde, souvent dans des décors minimalistes plongés dans une semi-pénombre granuleuse. Seul le personnage de Bruce Dern, plus sanguin, a toujours l’air d’être prêt à couler une bielle d’un instant à l’autre, mais c’est normal, c’est Bruce Dern.

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C’est avec Le Chauffeur que le concept est poussé loin : il ne parle presque pas. Quand il le fait les mots claquent comme un fouet. Il vit dans des chambres d’hôtel de seconde zone, n’a pas d’autres affaires personnelles qu’un transistor sur lequel il n’écoute que de la musique country, on ne sait rien de son passé. C’est un ascète voué à une fonction nourricière, une enveloppe qui pourrait être vide s’il n’était obsédé par la notion de challenge, voire de combat. Son but est de repousser ses limites, d’affûter son « art », manière de vivre qui impose d’être libre d’entraves. Il n’est pas sans évoquer le Costello du Samouraï de Jean-Pierre Melville en 1967 (lui-même inspiré du Raven de Tueur à gages de Frank Tuttle en 1942) ainsi que du personnage titre d’un autre film français, celui de Philippe Labro en 1976, L’Alpagueur, dont les nom et prénom ne sont jamais prononcés.

Après le premier braquage, Le Chauffeur largue la voiture dans une casse et signale aux deux hommes l’ayant engagé qu’il ne retravaillera plus avec eux puisque en retard (de presque rien) et qu’il « aime la précision ». À la limite, comme le devine La Joueuse, il se fout même de l’argent. Ce qu’il veut, c’est la confrontation avec Le Détective, considéré comme un adversaire à sa mesure. Le principe béhavioriste mit en application, avec son absence apparente de psychologie, avec ces personnages qui ne semblent réagir qu’à des stimuli directement liés à leur fonction dans l’avancée de l’intrigue, donne à Driver une atmosphère qui prête le flanc à une lecture de surface occasionnant un rejet éventuel. C’est pourtant un long-métrage intrigant, plus cérébral que spectaculaire, où l’on traite également de la vacuité. La dernière séquence est à ce titre exemplaire. Driver manie avec une dextérité certaine réflexion, sens de l’épure et cinéma de genre codifié. Hill n’ira pourtant pas plus loin dans ce sens. Dans la plupart de ses travaux suivants, si les personnages reflètent sa fibre comportementaliste en étant réactifs et agissants, cela sera plutôt dû à une situation d’urgence intense et une question de survie immédiate. En bonus, deux courtes scènes d’entrées inédites effectivement pas indispensables et un petit reportage d’époque lors du tournage d’une cascade, avec le producteur Lawrence Gordon faisant le panégyrique du film et de Hill, que l’on voit également et qui répond à quelques questions d’un air à la fois professionnel et presque goguenard. C’est assez peu, mais bien sympathique.

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Enfin, vous le savez, amis cinéphiles, Driver s’avère être l’une des principales influences du cinéaste Nicolas Winding Refn pour son Drive de 2011 : « un protagoniste principal sans patronyme, peu disert, au passé inconnu, pour qui conduire semble littéralement vital, qui participe comme chauffeur à des braquages dont il exige un minutage serré sous peine de ne pas être potes. Dans les deux films, le Chauffeur est un maniaque, un rônin mutique non matérialiste : sa vie est ritualisée, ascétique, vouée à une pratique qui vaut bien un art martial, il ne possède apparemment rien, dort dans des hôtels ou des appartements ne recelant aucun élément personnel qui ne tiennent dans une poche de vêtement. En 1978, on sait seulement du Chauffeur (campé par Ryan O’Neal) qu’il écoute de la musique country et que chaque mission est autant le moyen de repousser ses limites que de défier l’autorité. En 2011, on subodore que le Chauffeur (incarné en mode underplay par Ryan Gosling) apprécie le football américain… » (2)

THE DRIVER
Réalisation : Walter Hill
Scénario : Walter Hill
Interprètes : Ryan O’Neal, Bruce Dern, Isabelle Adjani, Ronee Blackley…
Montage : Tina Hirsh & Robert K. Lambert
Photo : Philip H. Lathrop
Musique : Michael Small
Origine: Etats-Unis
Durée : 1h31
Sortie française : 23 août 1978
DVD et Blu-ray : 20 octobre 2015
Distributeur : Arcadès

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Les Rues de feu
se déroule lui dans une ville fictive mais plausible entre Chicago, New York et une cité industrielle. S’y trouvent un métro aérien, des bars, des diner, tout un décorum à la fois années 50 (juke-box, musiciens à bananes, motards) et postmoderne : le héros, jeune vétéran d’une guerre jamais nommée, débarque en métro, cache-poussière sur le dos et se fond parfaitement dans un décor de rues crades ceinturées d’entrepôts et de ferrailles luisantes et rouillées. Un concert va être donné par une superstar de retour chez elle (Diane Lane). Dans la foule, une horde de mauvais garçons. Recouverts de cuir, ils provoquent une baston et repartent à moto, la belle dans les bras du chef ricanant (Willem Dafoe). Pas contente, la patronne d’un coffee shop (Deborah Van Valkenburg, vue dans Les Guerriers de la nuit) appelle son frère à la rescousse. Le héros (Michael Paré) est un soldat de fortune. Il vient contre monnaie sonnante et trébuchante, débarque dans le bar de la frangine, casse la tête à des roquets, fait copain-copain avec une aventurière aux coups de poings facile (Amy Madigan, que l’on reverra dans Alamo Bay avec son mari Ed Harris, vient de tourner dans Under Fire après avoir débuté quatre ans plus tôt dans Chicanos). La vedette de la chanson est l’ex du mercenaire. Aidé par le manager grande gueule de la chanteuse (Rick Moranis), le commando part en campagne, fait tout péter et revient dowtown poursuivi par les bikers. La population, au coude à coude avec la police, fait face. Parmi les défenseurs, Bill Paxton, un habitué des productions James Cameron.

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Bref, « l’écran crépite, les images tourbillonnent, le son éclate ! Vous avez écouté du rock and roll, vous l’avez dansé, vous l’avez éructé, mais jamais, avant Les Rues de feu, vous ne l’avez VU. Avec la musique de Ry Cooder, Hill le concrétise, il fait d’un film le rock lui-même, avec tous ses mythes, ses clichés destructeurs et naïfs et les rêves révoltés de ceux qui s’en repaissent. Un monde de la nuit, entre le noir des ténèbres, noir du cuir et du mystère, et le rouge de la lumière, rouge du sang et de la violence. » (3)

Tour à tour polar, fable, aventure, rétrofiction, musical, Les Rues de feu est l’un des produits les plus énergique et ludique des années 80. Le budget est à l’écran, les comédiens sont beaux et belles, charismatiques à souhaits, sympathiques ou inquiétants, la mise en scène ultra stylisée. Hill utilise les acteurs adéquats : dans le rôle du grand méchant loup, Dafoe, comédien de théâtre apparu dans Loveless et La Porte du paradis, se fait remarquer. En 1985, il sera l’ange noir de Police fédérale Los Angeles. Michael Paré a le physique de l’emploi. Il enquillera sur Philadelphia Experiment et un tas de films d’action pas transcendants, cachetonnant de-ci de-là jusqu’à aujourd’hui. La photogénique Diane Lane sort d’Outsiders et va faire Cotton Club. Côté technique, Hill s’entoure de connaissances : les producteurs Lawrence Gordon et Joel Silver, les décorateurs John Vallone et Richard Goddard, le scénariste Larry Gross, le monteur Freeman Davies, le directeur photo d’origine yougoslave Andrew Laszlo. Cet aspect doit rassurer Walter Hill qui passe là d’un projet voulu modeste à un budget conséquent, plus difficile à gérer. Casting, décors, cascades, tout prend de l’ampleur. Il doit aussi de manière nettement plus évidente qu’auparavant affiner son goût de l’action millimétrée, chorégraphiée même hors des scènes musicales. Dans Les Rues de feu, on ne danse pas comme dans West Side Story mais les actions suivent des processus qui portent au choc et au mouvement.

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Reste que, malgré ou à cause du look à la fois rétrofuturiste et atemporel de cette bande dessinée sur pellicule, c’est paradoxalement l’un des travaux du metteur en scène qui a le plus vieilli. Ses aspects ouvertement kitsch et naïf, sans parler de certains morceaux musicaux, ont pris un sérieux coup de vieux, tandis que l’agencement des plans et la tonicité du montage n’ont plus depuis longtemps l’aspect de la nouveauté. Ce divertissement haut-de-gamme intéressera donc probablement plus les schnocks comme votre dévoué et les cinéphages de tous âges (ils existent encore, je le sais, j’en ai rencontré) quand Driver devrait être maté par tous les amateurs de polar.

Laurent Hellebé

affiche les rues de feu

(1) Si le fait que les protagonistes soient sans patronyme convient idéalement au sujet et à son traitement, il est amusant de savoir que cela n’était pas la première idée de travail : « Vous savez, c’était une sorte de blague en fait, je pense d’ailleurs que c’était une erreur d’avoir opté pour ça […] Les scénaristes, moi y compris bien sûr, évitent très souvent le « vrai » travail : ils passent des jours à chercher les noms des personnages, à regarder dans les bottins, et à fouiner un peu partout pour trouver ce qui pourrait convenir. Bref, j’étais avec des amis un soir, et j’ai dit : « Toute cette recherche pour les noms des personnages, c’est idiot. Quand on écoute les gens à la sortie d’un film, ils en parlent avec les noms des acteurs, pas des personnages. On peut donc faire un long-métrage où les héros n’ont pas de nom et personne ne le remarquera » […] Mais là où j’ai commis une très grosse erreur, c’est à la fin du film, durant le générique. En effet, on s’aperçoit alors que les fonctions propres aux personnages sont mentionnées… Cela a vendu la mèche ! Je pense qu’autrement, personne ne l’aurait remarqué. Mais bon, cela donne une certaine authenticité au film, et cette idée colle parfaitement à son style. Et dire que tout est parti d’une blague entre amis ! » Extrait de l’entretien accordé à Fausto Fasulo, paru dans le numéro 181 (décembre 2005) de Mad Movies, p74-75

(2) Extrait d’une chronique de votre serviteur parue sur ce blog et concernant Drive

(3) Hélène Merrick in Starfix n°21, décembre 1984, p13. Les propos du réalisateur reproduits dans une fiche d’un numéro de L’Écran fantastique de l’époque éclaire un peu plus sur ses intentions : « […] je préfère les films qui rappellent aux gens des choses qu’ils ont oubliés à ceux qui leur font découvrir des « nouveautés »…[dans mon adolescence], j’étais fasciné par les voitures personnalisées, les couples s’enlaçant sous la pluie, les enseignes multicolores au néon, les trains filant dans la nuit, les poursuites effrénées à toute vitesse, les batailles rangées, les stars du Rock’n’roll, les motos, les blousons de cuir, les blagues échangées à des moments cruciaux et les « questions d’honneur ». Pour moi, Streets of Fire est un conte Rock : le « Chef de la Bande » enlève la « Reine du Rythme » ; alors on fit appel au « Chevalier Solitaire » »


STREETS OF FIRE
Réalisation : Walter Hill
Scénario : Walter Hill & Larry Gross
Interprètes : Michael Paré, Diane Lane, Rick Moranis, Amy Madigan, Willem Dafoe …
Montage : James Coblentz, Freeman A. Davies, Michael Ripps
Photo : Andrew Laszlo
Musique : Ry Cooder
Origine: Etats-Unis
Durée : 1h34
Sortie française : 14 novembre 1984
DVD et Blu-ray : 02 septembre 2015
Distributeur : Warner Home Vidéo


« 007 Spectre » : un digest quasi indigeste

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Son nom a beau être Bond, James Bond, il n’en est pas moins un ringard. C’est du moins ce qu’affirme le bien nommé C — comme connard, mais il préfère qu’on l’appelle par son prénom, Max — dans 007 Spectre, la toute nouvelle aventure de l’immortel héros de Ian Fleming. Déjà riche en nouvelles têtes, Ralph Fiennes remplaçant Judi Dench dans le rôle de M et le geek Ben Wishaw nous faisant de plus en plus regretter le bon vieux Q de notre enfance qu’était Desmond Llewelyn, voilà donc que les services secrets britanniques s’octroient un nouveau chef, incarné par Andrew Scott. Un nouveau chef qui, surfant sur le jeunisme ambiant, classe définitivement les 00 — et donc notre Jimmy Bond, septième dans cette catégorie — au même rang que les dinosaures qui sont la clef de voute du musée d’histoire naturelle londonien, vous savez, à droite sur Cromwell Road, face au lycée français Charles-de-Gaulle. Bond un reptile du crétacé ? C’est en tout cas ce qu’affirme C, qui préfèrerait le remplacer par un drone.

Nous voilà donc avec 007 Spectre au cœur d’une nouvelle querelle des modernes et des anciens. Et comme Sam Mendes, le réalisateur, se place du côté de Bond, il décide de pratiquer le cahier des charges à la manière de ces épisodes de séries familiales qui, la fin de l’année venant, proposent un pot-pourri de tout ce qui s’est passé auparavant. N’avez-vous jamais vu, dans Friends ou Malcolm ou Une nounou d’enfer ou How I Met Your Mother, ces épisodes digest qui lient plusieurs séquences déjà vues par un fil très ténu ? Style : te souviens-tu quand… ?

Ainsi, dans 007, James entend reparler de ses anciens ennemis, ceux qu’il a dégommés par le passé. Ainsi doit-il subir, mais en raccourci, les passages obligés : la bad girl (Monica Bellucci, cinq minutes montre en main), la base cachée (on s’en débarrasse vraiment très rapidement), le méchant costaud façon Jaws/Richard Kiel ou Robert Shaw dans Bons baisers de Russie — il meurt d’ailleurs de la même manière —,  la good girl (Léa Seydoux) et l’amourette très culcul la praline, etc.

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Bon, tout démarre à fond les manettes avec une séquence digne des films précédents : la fête des morts de Mexico vaut la course en Afrique de Casino Royale, la poursuite italienne de Quantum of Solace et celle stambouliote de Skyfall. Tout est formidablement orchestré jusqu’à l’arrivée de l’hélico qui, avouons-le, pousse le bouchon un peu loin. Que retenir de ce qui est annoncé comme l’ultime participation de Daniel Craig à la série ? Que Bond a perdu l’intériorité et la noirceur qui faisaient tout le panache de Skyfall — alors que les scénaristes sont les mêmes dans les deux films. Que le très méchant incarné par Christoph Waltz qui, dans une scène, semble quasiment être le frère jumeau de Bond (ce que nous rabâchent les dialogues), est nettement en dessous du personnage diabolisé par Javier Bardem dans l’opus précédent. Que la scène de torture est réussie quoiqu’elle devienne, elle aussi, une figure imposée de la saga. Que la séquence où Bond atterrit dans l’antre romain du Spectre, quoiqu’improbable, vaut le coup d’œil sans doute grâce à l’attitude de Waltz. Et que celle qui suit, folle chasse à l’homme dans les rues de Rome, si pleines de décombres ainsi que le chantait Dylan, est agréable à suivre.

Et puisqu’on apprécie les successives aventures de l’espion britannique, que reste-t-il de nos amours à la fin de 007 Spectre ? Un sentiment de frustration, d’autant que le climax final qui rappelle fortement Casino Royale est assez bâclé comme l’a été, je l’ai déjà mentionné, la destruction de la base de Waltz — et ce n’est pas spoiler que de l’écrire, cela arrive à chaque fois. Quant à la fin, qui signifie clairement le départ de Craig de la série, elle est trop sommaire pour convaincre.

Lea

Alors ringard, Bond ? Sam Mendes affirme que C n’est pas parvenu à la prouver mais tendrait à dire le contraire. Comme si ces méchants cinématographiques sortis de nulle part ne faisaient plus le poids dans notre monde, ce monde où un Spectre sanguinaire s’est autoproclamé d’une manière autrement plus féroce. Comme si Bond sortait du siècle passé, impuissant face à de nouveaux héros de la trempe du (à mon goût) surclassé Jason Bourne. Comme si la saga avait besoin d’un souffle nouveau. Ce qui ne saurait tarder.

Jean-Charles Lemeunier

007 Spectre

Titre original : Spectre

Pays : Royaume uni – États-Unis

Réalisation : Sam Mendes

Scénario : John Logan, Neal Purvis, Robert Wade, Jez Butterworth

D’après Ian Fleming

Photo : Hoyte Van Hoytema

Musique : Thomas Newman

Montage : Lee Smith

Production : Barbara Broccoli, Michael G. Wilson, Daniel Craig…

Avec Daniel Craig, Christoph Waltz, Léa Seydoux, Ralph Fiennes, Monica Bellucci, Andrew Scott, Ben Wishaw, Naomie Harris, Roy Kinnear, Jesper Christensen…

 

Sortie : 11 novembre 2015



« La main gauche du Seigneur » d’Edward Dmytryk : Ombres chinoises

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Main gauche affiche

Le cinéma hollywoodien a fabriqué des images dont il est difficile de se détourner. Ainsi, évoquer le nom de Humphrey Bogart renvoie à des films en noir et blanc produits par la Warner, dans lesquels Bogey porte le chapeau mou et l’imper, la clope au bec, le flingue à la ceinture, la langue pas dans sa poche. Quelle surprise alors de découvrir le même acteur dans La main gauche du Seigneur, que Rimini Éditions propose en DVD et Blu-ray. Produit par la Fox, le film est en couleurs et Bogart, s’il manie toujours le colt et a le verbe haut, a délaissé le costume de ville au profit d’une soutane. Plus fort encore, le cinéaste Edward Dmytryk, qui signe le film, place Bogart sur un cheval et lui fait même entonner la chansonnette auprès de Gene Tierney. Du jamais vu ! Notre ami a bien tourné quelques westerns dans les années trente et tiré une mule dans Le trésor de la Sierra Madre, ce n’est pas l’image qu’on a de lui. Quant au chant, il est vrai que, quatre ans avant La main gauche du Seigneur, Bogart a braillé une chanson de marin dans The African Queen, la voix plutôt avinée et face à une Katharine Hepburn horrifiée. Mais rien à voir avec sa performance vocale chez Dmytryk.

À l’identique de celle d’Elia Kazan, la carrière d’Edward Dmytryk est scindée en deux. Les critiques discernent un avant et un après et cette séparation porte une date précise : le 25 avril 1951. Membre du parti communiste, Dmytryk est emprisonné avec les fameux Dix d’Hollywood jusqu’à ce 25 avril 1951 où il accepte de dénoncer devant la Commission des activités anti-américaines, la terrifiante HUAC, plusieurs de ses anciens camarades. Autant dire que, tel Kazan, Dmytryk va, après cette action peu reluisante, filmer des héros tourmentés, convaincus d’incapacité ou de lâcheté  — The Caine Mutiny (1954, Ouragan sur le Caine) —, se battant entre frères — Broken Lance (1954, La lance brisée) —, parfois à propos d’une question politique : ainsi est-il question de la guerre de Sécession et d’incompréhensions sur l’abolitionnisme dans Raintree County (1967, L’arbre de vie).

Quoiqu’il en soit, il est évident que le meilleur de la filmographie de Dmytryk se situe avant 1951, alors qu’il signe pour la RKO plusieurs petits films nerveux et plutôt bien foutus, de Murder My Sweet (1944, Adieu ma belle) à Cornered (1945, Pris au piège), tous deux interprétés par celui que les bandes annonces du film désignent comme « le nouveau Dick Powell » qui, loin des comédies musicales grâce auxquelles il s’est fait connaître, délaisse la charmante Ruby Keeler, son habituelle partenaire, pour la tenue de privé ou de militaire teigneux.

Cornered se situe à la fin de la Seconde guerre mondiale et l’aviateur interprété par Powell recherche le collabo français responsable de la mort de son épouse. De même, dans Hitler’s Children (1943, Les enfants d’Hitler) et dans Behind the Rising Sun (1943, Face au soleil levant), Dmytryk dénonce les fascismes allemand et japonais. Et dans Crossfire (1947, Feux croisés), qui le met véritablement sur le devant de la scène, le cinéaste part en guerre contre l’antisémitisme au sein de l’armée américaine. Il est classé à gauche et l’on ne s’étonnera pas que les chasseurs de sorcières se soient intéressés à lui. Pourtant, dans l’un des bonus de La main gauche du Seigneur, Patrick Brion signale que les problèmes rencontrés par Dmytryk peuvent également provenir de son propre camp. Le scénariste John Howard Lawson, que Brion désigne comme « le gourou » des communistes hollywoodiens, reproche curieusement à Dmytryk son manque de militantisme dans Cornered. Ce qui peut expliquer le changement d’attitude quelques années plus tard.

Que se passe-t-il après 1951 ? Dmytryk se lance dans les grands sujets, tournés pour des studios tout aussi grands. Le manque d’argent et la liberté octroyés par la RKO s’inversent : Dmytryk dispose certainement de meilleurs moyens à la Columbia, la Fox ou la Paramount, au sein desquelles il poursuit sa carrière. En revanche, ses scénarios s’engluent dans un classicisme qui cherche par tous les moyens à ne pas faire de vagues. Tourné également pour la Fox, Warlock (1959, L’homme aux colts d’or) reste sans doute le film le plus applaudi de la seconde carrière de Dmytryk, à cause de son ambiguïté.

Main gauche Bogart Tierney

Humphrey Bogart et Gene Tierney

Revenons donc à cette Main gauche, qu’interprètent pourtant Bogart — déjà de l’aventure du Caine et connu pour s’être opposé aux maccarthystes — et Gene Tierney, fidèle interprète de cinéastes résolument libéraux : Joseph Mankiewicz, Otto Preminger, Jules Dassin, Michael Gordon… Curieusement — ou sans doute à cause de tous ces épisodes douloureux pour notre homme —, Dmytryk s’est coupé de la politique. Ainsi place-t-il son récit dans la Chine de 1947, alors que les communistes de Mao se battent contre les armées de Tchang Kaï-Chek. Rien de tout cela n’apparaît dans le récit. Dmytryk fait de l’acteur Lee J. Cobb — qui lui aussi a craqué devant l’HUAC — un seigneur de la guerre chinois, comme on pouvait en trouver dans les récits hollywoodiens d’avant-guerre. Cette confrontation entre guerriers malintentionnés et mission catholique, dont on retrouve peu ou prou les mêmes éléments dans l’ultime film de John Ford, Seven Women (1965, Frontière chinoise), prend de l’intérêt parce que, justement, elle est filmée par Edward Dmytryk.

main-gauche-du-seigneur-Porter Cobb

Jean Porter — dans le civil, Mme Dmytryk — et Lee J. Cobb

Ce dernier ne cherche pas à s’appesantir sur une histoire d’amour naissante entre la jeune infirmière (Gene Tierney) et le curé (Humphrey Bogart). Ni sur la confrontation entre la foi et son absence, en période de guerre. Dans le scénario d’Alfred Hayes — qui, avant Dmytryk, a travaillé avec Roberto Rossellini, Nicholas Ray, Fritz Lang et Fred Zinnemann —, le cinéaste retient essentiellement le mensonge et le problème de positionnement d’un individu vis-à-vis des deux camps qui s’opposent. On comprend forcément son intérêt pour son héros qui, avant de débarquer dans la mission, a côtoyé ses ennemis. Et qui passe pour un traître quand il n’en est pas un. Bogart est l’interprète idéal pour ce genre de personnage : la sympathie que l’on éprouve pour lui n’efface pas les questions que l’on se pose à son sujet.

Intéressant mais bancal, La main gauche du Seigneur a du mal à trouver sa voie. Dmytryk aimerait sans doute pousser plus loin ses questionnements : l’homme doit-il choisir son camp selon ses convictions ou son intérêt ? Mais il garde en tête que son film s’adresse au grand public et ne doit pas le heurter. Alors, sous les dehors d’une histoire qui peut paraître conventionnelle, il tisse une toile subtile sous laquelle il capture et cache des problèmes beaucoup plus personnels. Comme autant d’ombres chinoises que l’on percevrait à travers un paravent !

Jean-Charles Lemeunier

La main gauche du Seigneur

Année : 1955

Pays : USA

Titre original : The Left Hand of God

Réal. : Edward Dmytryk

Scénario : Alfred Hayes, d’après le roman de William Edmund Barrett

Photo : Franz Planer

Musique : Victor Young

Montage : Dorothy Spencer

Prod. : 20th Century Fox

Avec Humphrey Bogart, Gene Tierney, Lee J. Cobb, Agnes Moorehaed, E.G. Marshall, Jean Porter, Carl Benton Reid, Victor Sen Yung, Philip Ahn, Benson Fong…

Édité en DVD et Bu-ray par Rimini Éditions depuis le 10 novembre 2015


« Le massacre des morts vivants » de Jorge Grau (Artus Films) : Zombis écolos

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Un clip pour la Cop 21 ? Si les costumes à pattes d’éph’, la musique et la façon de filmer n’annonçaient clairement les années soixante-dix, date à laquelle il a été tourné, l’ouverture du Massacre des morts-vivants, le film de Jorge Grau qu’Artus Films vient de sortir en DVD, pourrait illustrer l’annonce de cette prochaine grande manifestation parisienne. On y voit une circulation encombrée de gaz d’échappement, des gens le regard vide qui attendent leur transport en commun, d’autres bloqués dans les embouteillages, des cheminées d’usines qui fument… Cette société moderne, telle qu’elle apparaît en 1974, est toujours la même, quarante années plus tard. Seul moment de liberté de ce démarrage : une fille entièrement nue semble vouloir s’échapper de ce monde pollué et court à travers les voitures.

Les morts-vivants semblant être la composante principale de cette civilisation, pas étonnant que le héros, jeune barbu aux allures de hippie mais malgré tout propriétaire d’une boutique d’antiquités — donc un nanti, qu’on appellerait bobo aujourd’hui —, les retrouve dans la campagne anglaise en fuyant la pollution de Manchester.

Jorge Grau, qui a visiblement vu et apprécié Night of the Living Dead (La nuit des morts-vivants), sorti six ans plus tôt aux États-Unis et seulement quatre en Espagne, reprend, pour la première vision des zombis, une séquence similaire à celle que l’on trouve chez Romero et la situe, lui aussi, dans un cimetière. Tout au long du récit, on va d’ailleurs retrouver ces parallèles établis entre les deux œuvres. À la différence que, contrairement à de nombreuses séries Z hispano-germano-italiennes de la même époque, Le massacre des morts-vivants ne se contente pas de pomper allègrement une source prête à se tarir. Passé par le documentaire, le cinéma social et expérimental, Grau, qui a donc réalisé auparavant des films que l’on pourrait qualifier « d’auteur » — Acteón est ainsi inspiré d’Ovide —, prend le parti de se servir d’un même terreau pour l’enrichir à sa façon et mener un autre combat. Ici, les services de l’environnement sont beaucoup plus visés que l’armée chez Romero, même si apparaît un flic retors interprété par Arthur Kennedy, vite repéré comme l’incarnation du fascisme en uniforme. Et du fonctionnaire obtus qui ne comprend rien à ce qui se passe.

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Le film fonctionne parce que si le suspense est bien mené et le gore présent, comme dans ces séquences d’assaut des morts-vivants dans une crypte sous le cimetière ou dans la clinique, il est épaulé par une thèse écologiste qui, après toutes les histoires d’OGM et de vaches folles, résonne aujourd’hui d’une façon particulièrement juste.

Côté interprétation, à l’exception du déjà cité Arthur Kennedy, transfuge du grand cinéma hollywoodien (Les affameurs et L’homme de la plaine d’Anthony Mann, L’ange des maudits de Fritz Lang, Les indomptables de Nicholas Ray, Le bandit d’Edgar George Ulmer, etc.), les amateurs de bis reconnaîtront l’acteur anglo-italien Ray Lovelock, déjà vu dans l’excellent Avere vent’anni (1979) de Fernando Di Leo et dans le tout aussi cruel La settima donna (1978, La dernière maison sur la plage) de Franco Prosperi, sorti chez Artus Films il y a quelques mois. À ses côtés, l’Espagnole Cristina Galbó, une habituée des films d’horreur.

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Malgré son titre français un peu passe-partout — en anglais et espagnol, ça sonne nettement mieux —, Le massacre des morts-vivants est une heureuse surprise. On s’attendait à un petit remake italo-fauché-hispano-british d’un grand classique et on se retrouve avec un film étrange, plutôt bien foutu, au discours revendicatif prononcé.

Jean-Charles Lemeunier

Le massacre des morts-vivants

Origine : Espagne, Italie, Angleterre

Date : 1974

Titre original : No profanar el sueño de los muertos – The Living Dead at the Manchester Morgue – Let Sleeping Corpses Lie

Réalisateur : Jorge Grau

Scénario : Juan Cobos, Sandro Continenza, Marcello Coscia, Miguel Rubio

Images : Francisco Sempere

Musique : Giuliano Sorghini

Montage : Domingo Garcia, Vincenzo Tomassi

Avec Ray Lovelock, Cristina Galbo, Arthur Kennedy, Aldo Massasso, Fernando Hilbeck, José Lifante…


Deux films Pathé restaurés, avec Alain Delon : Manchette à la une

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3 hommes jaquette

Dans les années quatre-vingt, la rencontre paraissait improbable et, pourtant, elle s’est produite trois fois. Nous avions d’un côté Jean-Patrick Manchette, chantre du néo-polar gauchiste, et de l’autre Alain Delon, déjà repéré pour ses idées de droite malgré quelques bonnes fréquentations de l’autre bord (Luchino Visconti, Joseph Losey). Pathé vient de restaurer deux des trois films Manchette/Delon, 3 hommes à abattre (1980) et Pour la peau d’un flic (1981) — le troisième étant Le choc (1982) de Robin Davis —, deux belles occasions de se replonger dans les univers pourtant distincts de l’un et l’autre.

Filmés par Claude Chabrol (Nada) ou Yves Boisset (Folle à tuer), les romans de Manchette baignent dans la violence, laquelle provient tout autant de malfrats ou de terroristes que des forces de police et de l’État. Avec 3 hommes à abattre, Delon, le cinéaste Jacques Deray et le scénariste Christopher Frank adaptent Le petit bleu de la côte ouest, une série noire dans laquelle Manchette met face à face un cadre commercial et des tueurs payés par une multinationale proche du gouvernement, à la tête de laquelle, dans le métrage, Pierre Dux peut faire physiquement penser à Marcel Dassault.

3 hommes flingue

Bien rythmé, le film transforme Delon en joueur professionnel plongé malgré lui dans une affaire qui le dépasse et l’on suit avec un intérêt croissant son enquête. Dans ce parcours semé de morts violentes, le joueur va s’en tirer plutôt bien et devoir bluffer plusieurs fois avant d’abattre ses cartes. L’intelligence du scénario est de toujours laisser un doute sur le personnage incarné par la star. N’est-il vraiment que celui qu’il prétend être, lui qui se tire des embûches pourtant préparées par des pros du meurtre politique ? Les rebondissements, les moments de calme et les accélérations violentes font tout le charme de ce film que l’on est content de retrouver dans une version impeccable.

Chemin faisant, on prendra tout autant de plaisir à reconnaître des visages connus et appréciés, de Delon et Dux déjà cités à la jolie et peu avare de ses charmes Dalila Di Lazzaro, en passant par Michel Auclair, André Falcon, Christian Barbier, Jean-Pierre Darras, Simone Renant, Bernard Lecoq, François Perrot, Féodor Atkine et quelques autres.

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C’est donc à Christopher Frank, auteur désabusé de La nuit américaine, devenue devant la caméra de Zulawski le très désespéré L’important, c’est d’aimer, que Delon a demandé de transposer le bouquin de Manchette. Frank a déjà scénarisé Les passagers pour Mireille Darc, Attention les enfants regardent pour Delon et L’homme pressé pour le couple, l’acteur/producteur peut donc lui faire confiance. Est-ce lui, ou Delon, ou Deray qui apporte les modifications au roman ? Qui change le métier du héros ? Et surtout la fin, beaucoup moins héroïquement tragique chez Manchette mais sans doute plus dérangeante ? Ce qui marche à l’écriture ne fonctionne pas pour autant à l’écran, d’autant plus que le héros est incarné par Alain Delon. Forte, la conclusion décidée par le scénariste, le cinéaste et l’acteur l’est forcément. Elle surprend le spectateur et lui laisse un curieux sentiment qu’il n’est pas prêt d’oublier.

Pour la peau d'un flic jaquette

Adapté du Que d’os de Manchette par le même Christopher Frank, Pour la peau d’un flic est mis en scène par Delon lui-même. D’où cette originalité flagrante par ses partis-pris qui peuvent aussi se transformer en maladresses. Ainsi en est-il de la chanson principale du film, le très beau Bensonhurst Blues d’Oscar Benton. Cette voix à la Tom Waits qui nous emballe forcément accompagne les pérégrinations du héros tout au long du récit. Parfois un peu trop mais on pardonnera volontiers au jeune cinéaste qui nous permet de réécouter le titre.

pour-la-peau-d-un-flic Auclair

Le bât blesse un peu plus dans le choix d’Anne Parillaud pour accompagner Delon. Comme il l’a déjà fait l’année précédente avec Dalila Di Lazzaro, la star s’est choisi une inconnue pour l’accompagner. La belle Italienne avait été essentiellement remarquée pour sa prestation dans Chair pour Frankenstein (1974) de Paul Morrissey et Anne Parillaud n’avait rien tourné de transcendant : à peine pouvait-on la créditer d’apparitions dans L’hôtel de la plage de Michel Lang, Écoute voir d’Hugo Santiago et dans deux films érotiques de Just Jaeckin et Hubert Frank. Le problème n’est pas tant qu’Anne Parillaud joue un peu faux, elle est jolie et suffisamment déshabillée pour que les spectateurs n’y trouvent rien à redire. En revanche, la cinéphilie de son personnage paraît quelque peu artificielle. À travers elle, Delon cite Hawks (The Big Sky – La captive aux yeux clairs) et Cukor (Heller in Pink Tights – La diablesse en collant rose, que Michel Auclair juge à juste titre « léger »), tandis qu’il en rajoute dans la parodie avec la speakerine télévisée jouée par Claire Nadeau. Mais ces références paraissent plaquées et la colère d’Anne Parillaud, qui ne jure que par les v.o. — ce en quoi on ne saurait lui donner tort — paraît excessive. À noter aussi une allusion plus sérieuse à Lang — Fritz, pas Michel — et M le maudit avec le sifflement de l’air de Grieg repris par Jacques Rispal.

Pour la peau d un flic Parillaud

Car, et c’est bien là la curiosité de Pour la peau d’un flic, Delon oscille entre la violence parfois à la limite du soutenable et le second degré qui donne de la distance aux images. Ainsi multiplie-t-il les clins d’œil : du passage de Mireille Darc que Delon, manquant l’écraser, traite de « Grande sauterelle » alors qu’elle lui répond « Connard ! » à l’allusion à Belmondo — Delon, blessé, fait une grimace quand Anne Parillaud le panse, elle lui rétorque alors que Belmondo fait moins de chichi dans ses films. Dans les séquences finales, qui se déroulent dans une clinique quelque peu spéciale, le cinéaste-acteur-producteur va jusqu’à rappeler l’ambiance de Traitement de choc, le film de Jessua qu’il a interprété en 1973.

Cet humour est plutôt étonnant pour un film de Delon des années quatre-vingt — et Olivier Rajchman, auteur d’un livre sur les parcours parallèles de Delon et Belmondo, a raison de remarquer dans un bonus que le premier utilise ici la décontraction du second. Pour autant, ces ajouts ne peuvent faire oublier quelques séquences spectaculaires, parmi lesquelles les cascades de Rémy Julienne sur l’autoroute sont à placer au premier plan. Ni la violence de certaines autres. Ainsi, la dénonciation des collabos de la dernière guerre et de leurs tortures doit sans doute être mise au crédit de Manchette et Delon a l’intelligence de pousser l’ambiguïté jusqu’à faire utiliser cette même torture par le camp des bons.

Pour conclure, signalons que, dans la clinique, on a du mal à reconnaître Brigitte Lahaie en infirmière, sans doute parce qu’elle reste habillée.

Jean-Charles Lemeunier

Pour-la-peau-dun-flic

3 hommes à abattre
Année : 1980
Origine : France
Réalisation : Jacques Deray
Scénario : Alain Delon, Jacques Deray, Christopher Frank
D’après « Le petit bleu de la côte ouest » de Jean-Patrick Manchette
Photo : Jean Tournier
Musique : Claude Bolling
Montage : Isabelle Garcia de Herreros
Avec Alain Delon, Dalila Di Lazzaro, Christian Barbier, Simone Renant, Michel Auclair, Pierre Dux, François Perrot, André Falcon, Jean-Pierre Darras, Bernard Lecoq, Féodor Atkine, Pascale Roberts, Lyne Chardonnet, Yves Tanguy, Peter Bonke

Pour la peau d’un flic
Année : 1981
Origine : France
Réalisation : Alain Delon
Scénario : Alain Delon, Christopher Frank
D’après « Que d’os » de Jean-Patrick Manchette
Photo : Jean Tournier
Musique :Oscar Benton, Sidney Bechet, Neil Diamond
Montage : Michel Lewin
Avec Alain Delon, Anne Parillaud, Michel Auclair, Daniel Ceccaldi, Jean-Pierre Darras, Xavier Depraz, Annick Alane, Jacques Rispal, Gérard Hérold, Pascale Roberts, Étienne Chicot, Brigitte Lahaie, Dominique Zardi, Henri Attal, Mireille Darc, Claire Nadeau

Deux DVD et Blu-ray en versions restaurées à paraître le 16 décembre 2016


Trois films de Shohei Imamura : Désirs inassouvis

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La Nouvelle Vague française a-t-elle créé un mouvement de marée dont les lames sont parvenues jusqu’au Japon, au Brésil et même en Italie ? La Nuveru Vagu à Tokyo et le Cinema Novo à Rio ont été qualifiés de Nouvelles Vagues grâce aux films d’Oshima, Imamura, Shinoda, Masumura ou Suzuki chez les premiers, de Glauber Rocha, Joaquim Pedro de Andrade, Ruy Guerra ou Nelson Pereira dos Santos chez les seconds. Et, en Italie, il ne fait aucun doute que les œuvres d’Antonioni, Pasolini ou Bertolucci n’avaient rien à voir avec les films de leurs aînés.

La grande différence est qu’au Japon, au Brésil et en Italie, ces futurs grands cinéastes signèrent immédiatement des films politiques et ouvertement critiques, beaucoup plus que les premiers Truffaut ou Rohmer, davantage que les pamphlets anti-bourgeois de Chabrol et tout autant que les brûlots de Godard. Pour bien se rendre compte de l’importance d’un cinéaste tel que Shohei Imamura, double Palme d’or bien plus tard pour La ballade de Narayama (1983) et L’anguille (1997), il suffit de se précipiter sur les trois chefs-d’œuvre produits par la Nikkatsu et édités en DVD/Blu-ray chez Elephant Films ; Cochons et cuirassés (1961), La femme insecte (1963) et Le pornographe (Introduction à l’anthropologie) (1966).

Tous trois présentent cette même violence que l’on retrouve dans les films contemporains de Nagisa Oshima ou de Seijun Suzuki. Imamura montre l’image d’un pays vaincu, occupé par les militaires américains, dans lequel le système D prévaut sur toutes les notions d’honneur et de fierté véhiculées par la culture japonaise et auxquelles les films de Kurosawa ou les écrits de Mishima nous ont habitués. Tout n’est ici que pauvreté, violence dans les rapports, sexualité débridée et séquences chocs. Et Imamura n’y va pas avec le dos de la baguette ! Quand il décrit la misère de l’après-guerre, comme dans Chien enragé (1949), Kurosawa l’oppose à un personnage auquel le spectateur peut s’identifier, ici un flic incarné par Toshiro Mifune. Dans Cochons et cuirassés, La femme insecte ou Le pornographe, Imamura ne place aucun de ses acteurs dans le camp de la morale. Tous sont contaminés par la société en perdition dans laquelle ils ont le malheur de vivre, tous essaient de s’en sortir.

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Prenons La femme insecte : après avoir filmé en introduction l’image d’un insecte qui, malgré les difficultés du chemin, les aspérités et les côtes, poursuit bon an mal an son parcours, le cinéaste va suivre divers épisodes de la vie d’une femme, Tomé (Sachiko Hidari), depuis l’enfance jusqu’à la maturité, par sauts d’une dizaine d’années. Imamura pose sur elle et sur ses congénères le regard d’un entomologiste. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne ressente aucune empathie pour ses personnages, bien au contraire. Mais il ne les juge pas, pas plus leurs incestes que les détours qu’ils emploient pour survivre. Et il en va de même dans Cochons et cuirassés : l’homme est un animal qui, comme tous les autres animaux, cherche par tous les moyens à survivre.

On ne s’étonnera pas si, dans les traductions françaises que l’on donne des titres d’Imamura tout au long de sa carrière, le mot « désir » apparaît plusieurs fois : Désirs volés (1958), Désir inassouvi (1958), Désir meurtrier (1964), Profonds désirs des dieux (1968). Ses personnages ne font que désirer, et violemment désirer : un plaisir sexuel, une vie meilleure, quelque chose à se mettre sous la dent. Et pourtant ils subissent l’échec de leur pays, la misère, l’occupation étrangère, le machisme ambiant, la pression des parents et de la société ou le poids des traditions. Ce dernier était le sujet de La ballade de Narayama mais est aussi présent, parfois subtilement, dans ces trois formidables films des années soixante. Ainsi le pouvoir peut-il être représenté, à défaut des parents, par celui d’un chef de gang.

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Pour illustrer ces sujets forts, il fallait un vrai cinéaste et Imamura en est un. Il sait construire ses plans, il sait où poser sa caméra. L’ouverture de Cochons et cuirassés est en cela magistrale. Le plan d’une base américaine au Japon, accompagné de l’hymne américain revisité, est suivi par celui d’un bar d’où sort du jazz. Un long travelling arrière nous montre alors une rue de cette ville nipponne, bordée de bars louches et dans laquelle ne circulent que des Marines US. Très typés, chemises ouvertes sur t-shirts ou blousons sur torses nus, clopes au bec, des Japonais tentent d’alpaguer les militaires. « Tu peux ramener une femme au pays pour une cartouche de Lucky ! » La caméra, qui surprend le larcin d’une casquette de marin par un Japonais, suit les deux hommes qui se coursent dans une ruelle et aboutit dans un bordel où une descente de police va créer l’éparpillement. Sans s’y attarder, Imamura saisit des couples enlacés, des femmes nues de dos qui se sauvent, d’autres en sous-vêtements… En l’espace de quelques minutes et en quatre ou cinq plans, il a planté son décor et ses personnages. Il y aura une base américaine et des marins, des yakuzas et des prostituées qui tentent de survivre.

Ainsi, tout au long de Cochons et cuirassés, Imamura montre sa virtuosité. Il joue de la profondeur de champ, mêle sordide et comédie, ainsi lorsque les yakuzas qui dégustent un cochon rôti découvrent que ce dernier a dévoré le cadavre qu’ils voulaient faire disparaître. Il place souvent sa caméra en hauteur, comme si ses personnages étaient regardés du ciel, ce qui accentue la vision éthologique. Si la femme va être assimilée à un insecte dans son film suivant, ici les hommes sont ravalés au rang de cochons. Car l’ironie n’est jamais loin chez Imamura, une ironie souvent politique… mais pas que. Lorsqu’un chef yakuza tente de mettre fin à ses jours, c’est sous un panneau publicitaire qu’il le fait. Sur lequel on peut lire, quand le japonais n’a aucun secret pour vous, sinon le sous-titre est bien utile : « Assurance-vie Nissan : Prenez la vie avec le sourire ».

Les petits coups de cutter donnés dans le ventre mou de la société japonaise sont également légion. Pendant qu’une mère et ses deux filles se disputent — l’aînée se prostitue déjà et la maman exhorte la cadette à en faire de même pour boucler les fins de mois difficiles —, le petit frère lit à voix haute un texte sur les qualités du Japon, « état moderne et indépendant ». Lequel texte, qui regrette malgré tout l’archaïsme et la pauvreté qui subsistent au Japon, s’achève sur l’image de cochons ficelés dans une carriole. « C’est quand même chouette, l’Amérique ! » entend-on dans la bouche de vieilles dames qui regardent une parade aérienne. Cette vieillesse qui, à l’instar de la société japonaise, est partagée entre la quête d’une modernité à l’américaine et le poids des traditions.

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La femme insecte est un pas de plus en avant en direction de l’immontrable. Imamura prend des risques et ose filmer des séquences qui créent le malaise tout en étant très belles esthétiquement et très sensuelles par la même occasion. On a déjà vu que, dans ce film, le cinéaste suit les épisodes de la vie de Tomé. Celle-ci, après son premier accouchement, est aux champs avec son père. Ses seins, trop lourds du lait que son bébé ne peut boire, la font souffrir et elle demande à son père d’agir. Celui-ci se met à la téter sans qu’il ne soit question d’inceste pour les deux personnages comme lorsque plus tard dans le film, ce même vieux père est nu dans un baquet d’eau pour que sa petite-fille puisse le frotter. On sent dans les relations entre le père et la fille comme dans celles entre le grand-père et la petite-fille une intimité qui dérange les spectateurs occidentaux que nous sommes. Plus tard encore, alors que Tomé est devenue une prostituée, Imamura se refusera de juger. Et prendra même un malin plaisir à rapprocher la prostitution de la religion, puisque c’est dans une secte chrétienne que Tomé fait la connaissance de la mère maquerelle qui l’emploiera. Car sa femme galante est à cent lieues de l’O’Haru de Mizoguchi. La fonction reste la même mais la manière de la filmer est très différente.

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C’est encore un animal qui est au centre du Pornographe : une carpe, censée être la réincarnation d’un défunt mari. Le film est adapté du livre d’Akiyuki Nosaka, un romancier japonais disparu ce 9 décembre 2015 à l’âge de 85 ans et auteur par ailleurs du Tombeau des lucioles, une nouvelle qui inspira le magnifique dessin animé d’Isao Takahata.

Le héros, M. Ogata (Shôichi Ozawa), comme tous ceux qui peuplent les films d’Imamura, tente de gagner sa vie. Le meilleur moyen qu’il ait trouvé est de réaliser des films pornographiques. C’est une évidence, Imamura ne juge pas et ce cinéaste-là, celui qui court la campagne à la recherche d’un endroit isolé afin de tourner un plan érotique, est un cinéaste tout court. Avec son équipe technique. Qui parle de plan, de lumière et de son. Un vrai cinéaste, quoi ! Et comme, en cinéma, il est toujours question de cadre, alors Imamura va faire du cadre le vrai sujet du film. Au sens comme au figuré. Le cadre est celui des bois qui quadrillent les nombreuses fenêtres au travers desquelles il filme ses personnages. Les lignes du quai sur lequel ils vivent. Le contour de l’aquarium qui filtre souvent les prises de vue d’Imamura. Le cadre est tout autant celui de la société, duquel la plupart des personnages veulent à tout prix échapper.

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Personne ici ne ressemble à ce qu’il est. M. Ogata a davantage l’air d’un petit employé de sous-préfecture que d’un pornographe. Mais à quoi doit donc ressembler un pornographe, êtes-vous en droit de demander ? De même, à quoi doit ressembler un gangster ? Celui qui vient racketter Ogata est en costard-cravate et à tout du businessman. Souvenons-nous que, dans Cochons et cuirassés, les yakuzas voulaient devenir « des hommes d’affaires respectables » et céder 10% de leurs gains aux œuvres de charité.

Le cadre de la société, tout le monde veut y échapper, disions-nous. Par le sexe, c’est une évidence. Il sera question, une fois de plus, de l’inceste. De partouzes aussi. Et de folie, façon de sortir du cadre et d’y rester malgré tout enfermé. Quelles belles scènes que celles de la folie de la femme du pornographe ! Et ce travelling arrière qui la laisse seule, en bord de mer, accrochée à une grille qui ne ferme que son esprit ?

C’est sans doute ce qu’il faut mettre au premier plan du Pornographe : la qualité de sa mise en scène. Plus encore que le récit, un peu lent, c’est aux séquences d’une extrême beauté que l’on s’intéresse. La fin du film est tout simplement hypnotique avec cette chanson lancinante et ce dernier plan d’une barque qui dérive sur l’eau, face à un énorme paquebot.

Le pornographe

Jean-Charles Lemeunier

Cochons et cuirassés
Année : 1961
Origine : Japon
Titre original : Buta to gunkan
Réalisateur : Shohei Imamura
Scénario : Hisashi Yamauchi
Photo : Shinsaku Himeda
Musique : Toshiro Mayuzumi
Montage : Mutsuo Tanji
Production : Nikkatsu
Durée : 108 minutes
Avec Hiroyuki Nagato, Jitsuko Yoshimura, Tetsuro Tamba, Masao Mishima…

La femme insecte
Année : 1963
Origine : Japon
Titre original : Nippon konchuki
Réalisateur : Shohei Imamura
Scénario : Shohei Imamura, Keiji Hasebe
Photo : Shinsaku Himeda
Musique : Toshiro Mayuzumi
Montage : Mutsuo Tanji
Production : Nikkatsu
Durée : 123 minutes
Avec Sachiko Hidari, Emiko Aizawa, Masumi Harukawa, Emiko Higashi…

Le pornographe (Introduction à l’anthropologie)
Année : 1966
Origine : Japon
Titre original : Erogotoshi-tachi yori : Jinruigaku nyümon
Réalisateur : Shohei Imamura
Scénario : Shohei Imamura, Koji Numata d’après Akiyuki Nosaka
Photo : Shinsaku Himeda
Musique : Toshiro Kusunoki, Toshiro Mayuzumi
Montage : Mutsuo Tanji
Production : Nikkatsu
Durée : 128 minutes
Avec Shoichi Ozawa, Sumiko Sakamoto, Ganjiro Nakamura…

Trois films édités en combo (DVD + Blu-ray) et double DVD Collector par Elephant Films depuis le 2 novembre 2015


Pierre Véry en trois DVD, versions restaurées : Véry Well

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disparus

Et si tout Pierre Véry était dans le concierge de l’internat de Saint-Agil, fabuleux Armand Bernard « extraordinairement angoissé » qui s’inquiète de la disparition d’un élève et d’un morceau de salade ? Dans ce témoignage de l’intérêt qu’un adulte des années trente peut accorder à un enfant ? 

Romancier du siècle dernier souvent adapté à l’écran, parfois par lui-même mais aussi par Jacques Prévert, Charles Spaak et Jacques Becker, poète de l’enfance malheureusement passé à la trappe aujourd’hui, Pierre Véry revient sur le devant de la scène grâce à trois films, trois merveilleux films à nouveau disponibles dans de très belles copies : Les disparus de Saint-Agil, L’assassinat du père Noël et Goupi Mains Rouges.

À trop vouloir foncer sur des lignes droites, on en oublie parfois de regarder dans le rétroviseur ou de s’apercevoir qu’il existe des chemins de traverse. Ces trois grands films français restaurés par Pathé en DVD et Blu-ray appartiennent à l’une et l’autre des habitudes qui n’ont plus cours : ils font partie du passé — et d’un glorieux passé cinématographique. Et ne figurent pas tous, à tort, dans les manuels d’histoire du septième art.

Dans l’univers de Pierre Véry, on retrouve souvent des pensionnats où des enfants, qui sont la pierre angulaire des films tirés de son œuvre, vivent leurs propres drames à l’insu des adultes. Qui a déjà vu Les disparus de Saint-Agil ne peut oublier ses Chiche-Capons, cette société secrète enfantine qui, cachée dans un monde adulte trop dur pour eux, leur permet de rêver d’Amérique. Les enfants sont souvent au cœur de nombreux films adaptés de Véry ou scénarisés par lui : Saint-Agil (1938, Christian-Jaque) et sa « suite », Les anciens de Saint-Loup (1950, Georges Lampin), L’enfer des anges (encore Christian-Jaque, tourné en 1939 et sorti en 1941), L’assassinat du père Noël (1941, toujours Christian-Jaque)… Quant aux adultes, leurs qualités et défauts s’entremêlent étroitement. Ainsi, dans Goupi Mains Rouges (1943), la galerie de personnages est tout bonnement étonnante. On se croirait dans Ces gens-là de Brel. Et pourtant, malgré toutes ces tares et tous ces vices qui remontent peu à peu à la surface, tous ces paysans-là sont terriblement attachants, habités extraordinairement, pour reprendre l’adverbe cher au concierge de Saint-Agil, par des acteurs formidables.

 

goupi

 

D’abord, d’abord y’a l’aîné mais alors le grand aîné, le centenaire, celui qui sait encore son nom et, surtout, où est caché le magot familial que toute sa nombreuse descendance recherche avidement. Dans cette famille Goupi, tous les membres sont nommés par leur surnom : L’Empereur, le plus vieux (Maurice Schutz) qui a connu Napoléon, La Loi (Guy Favières) qui a été gendarme, Mes Sous le radin (Arthur Devère), Cancan la bavarde (Marcelle Hainia), Tisane qui a dû verser du venin dans ses préparations (Germaine Kerjean), Muguet la toute fraîche (Blanchette Brunoy), Tonkin le colonial frappé de fièvre exotique (Robert Le Vigan), Dicton le sentencieux (René Génin), Monsieur le fils revenu (Georges Rollin) et Mains Rouges (Fernand Ledoux), le plus intéressant, inquiétant, intelligent, digne de donner son sobriquet au roman et au film.

On pourrait faire de même avec Les disparus ou L’assassinat du père Noël : chez Véry, les personnages sont sans doute tout aussi intéressants que la trame qui les fait s’agiter. Le récit peut être un prétexte à la description de ces fortes personnalités, mais il est pourtant bien présent, un réel fil conducteur qui met en valeur les aspérités, les caractères, les forces et les vélléités.

Résumons en quelques mots les trois scénarios : dans Les disparus de Saint-Agil, un enfant disparaît d’un pensionnat et ses amis décident de partir à sa recherche. Dans L’assassinat du père Noël, un meurtre et un anneau volé vont mettre en émoi un petit village savoyard. Dans Goupi Mains Rouges, le retour à la ferme du fils, parti depuis longtemps à Paris, ponctué là encore d’un meurtre, est l’occasion d’un portrait sans fard, en pleine Révolution nationale pétainiste, d’une catégorie sociale peu représentée dans le cinéma : les paysans.

Les disparus de Saint-Agil met donc face à face deux mondes, celui des enfants empli d’espérances, de frayeurs et d’innocence, et celui des adultes, aux rêves de grandeur déçus. Là, c’est plutôt la détestation, les moqueries, les jalousies qui règnent. Et les mesquineries entre « bons Français » et « étrangers », reflet souligné avec justesse par Prévert de l’état d’esprit de la France d’avant-guerre. Et voir Michel Simon, prof de dessin ivre, s’en prendre à Erich von Stroheim, le prof d’anglais, est un régal. Les enfants sont également présents dans L’assassinat du père Noël. Ils représentent encore l’innocence qui trouve un écho dans le personnage adulte de Renée Faure, la fille de l’horloger Harry Baur qui se déguise tous les ans en père Noël. Outre la richesse de l’interprétation, le film propose des séquences inoubliables, celle du bal où tout virevolte autour de Renée Faure, les paysages enneigés qui recouvrent tout de blanc mais ne parviennent à cacher la noirceur, la course finale…

Il est d’ailleurs amusant, plus de soixante-dix ans après, d’essayer de lire entre les lignes. Dans ce film tourné à la Continental, la fameuse firme allemande sous la bannière de laquelle furent tournés plusieurs chefs-d’œuvre de l’occupation, Renée Faure est promise à l’instituteur Robert Le Vigan mais tombe sous le charme de l’aristocratique Raymond Rouleau. C’est ce qui se passe pendant le tournage. Mariée, Renée Faure est séduite par son metteur en scène qui l’épousera quelques années plus tard.

 

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L’inscription dans la salle de classe de L’assassinat du père Noël, en dessous de l’horloge, pourrait caractériser toute l’œuvre de Pierre Véry : « Le temps perdu ne se rattrape jamais ». Mais est-ce perdre son temps que rêver ? Car les héros de l’écrivain sont souvent des rêveurs, de l’Amérique de Saint-Agil aux Chinois du Père Noël. Une fois devenu grand, l’enfant s’aperçoit que tout cela n’était que faribole mais, à l’instar de Raymond Rouleau dans L’assassinat du père Noël, il peut courir le monde à la recherche de ses rêves.

Deux cinéastes signent ces trois adaptations de Véry. Souvent qualifié d’honnête artisan, Christian-Jaque met dans Saint-Agil et L’assassinat du père Noël toutes les qualités de son côté et s’octroie plusieurs véritables morceaux de bravoure. L’apport de Jacques Becker est tout autre. Longtemps assistant de Renoir, il n’a à cette époque réalisé que deux moyens-métrages et un premier long l’année précédente, Dernier atout. Goupi est son premier grand film à faire date. L’ambiance créée par ce fourmillement de personnages dont on ne sait pas trop, au début, qui ils sont vraiment et quels liens de parenté ils partagent prouve la maîtrise du jeune cinéaste (il a alors 37 ans). Maîtrise qui se prolonge dans la direction d’acteurs. Avoir un tel casting et ne pas se contenter de filmer des numéros d’acteurs, donner du sens à leurs habitudes, à leurs tics — et des interprètes tels que Le Vigan, Ledoux ou Devère, qui connaissent parfaitement leur métier, n’en sont pas dépourvus — et les récupérer au profit de l’intrigue, voilà bien des qualités qui méritent d’être relevées.

 

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Robert Le Vigan et Fernand Ledoux dans « Goupi Mains Rouges »

 

Un dernier mot sur Robert Le Vigan, présent dans les trois films. Inquiétant dans Les disparus, amoureux transi dans L’assassinat et Goupi, Le Vigan a toujours su profiter de cette folie qui l’habitait, qui perçait dans son regard, pour donner à ses personnages une dimension impressionnante. La face noire de cet excellent acteur s’incarne dans les discours antisémites qu’il aboyait sur Radio Paris. Interprète de tous les grands cinéastes de son époque, de gauche comme de droite, résistants ou collabos, La Vigue  ainsi que le surnomme son grand ami Céline dans les trois romans qui content leur fuite chaotique à travers l’Allemagne bombardée, s’échappe donc à Sigmaringen. Il sera emprisonné avant de s’exiler en Argentine. Sans jamais vouloir rentrer au pays, malgré les exhortations du milieu cinématographique, y compris celles de François Truffaut.

Le temps a passé, bien sûr. Le cinéma a évolué et il est certain que les films contemporains n’ont plus rien à voir avec cette période d’avant-guerre et d’occupation. Pourtant, il subsiste ça et là des perles qui ont marqué non seulement leur époque mais celles qui ont suivi, qui ont suscité parions-le des vocations et qui demeurent aujourd’hui tout autant des témoignages d’une époque révolue que d’excellents exemples du savoir-faire de nos aînés.

Jean-Charles Lemeunier

Les disparus de Saint-Agil

Année : 1938

Réalisateur : Christian-Jaque

Scénario : Jean-Henri Blanchon d’après Pierre Véry

Dialogues : Jacques Prévert (non crédité)

Photo : Marcel Lucien

Musique : Henri Verdun

Montage : Claude Nicole, William Barache

Production : Dimeco Productions

Durée : 100 minutes

Avec Serge Grave, Marcel Mouloudji, Jean Claudio, Erich von Stroheim, Michel Simon, Robert Le Vigan, Aimé Clariond, Armand Bernard, René Génin et, parmi les élèves, Charles Aznavour, Serge Reggiani, Robert Rollis

L’assassinat du père Noël

Année : 1941

Réalisateur : Christian-Jaque

Scénario : Pierre Véry, Charles Spaak d’après Pierre Véry

Photo : Armand Thirard

Musique : Henri Verdun

Montage : René Le Hénaff

Production : Continental Films

Durée : 105 minutes

Avec Harry Baur, Raymond Rouleau, Renée Faure, Marie-Hélène Dasté, Robert Le Vigan, Fernand Ledoux, Jean Brochard, Jean Parédès, Héléna Manson, Arthur Devère, Marcel Pérès, Georges Chamarat, Bernard Blier

Goupi Mains Rouges

Année : 1943

Réalisateur : Jacques Becker

Scénario : Pierre Véry, Jacques Becker d’après Pierre Véry

Photo : Jean Bourgoin, Pierre Montazel

Musique : Jean Alfaro

Montage : Marguerite Renoir

Production : Minerva

Durée : 104 minutes

Avec Fernand Ledoux, Robert Le Vigan, Georges Rollin, Blanchette Brunoy, Arthur Devère, Germaine Kerjean, Maurice Schutz, Guy Favières, Marcelle Hainia, René Génin, Albert Rémy, Line Noro, Marcel Pérès, Louis Seigner

Trois films en versions restaurées DVD et Blu-ray édités par Pathé le 16 décembre 2015

 


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