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« Prick Up Your Ears » de Stephen Frears : Amour, gloire et bas-côté

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Édité en DVD et Blu-ray par Elephant Films, Prick Up Your Ears n’est pas seulement un retour sur les débuts de carrière de Stephen Frears — c’est son 6e film, tourné en 1987 juste après le succès de My Beautiful Laundrette — mais une réelle révélation du dramaturge anglais Joe Orton. Trente après la sortie du film, il est grand temps de le (re)découvrir !

Écrit par Hanif Kureishi, My Beautiful Laundrette racontait les amours inter-ethniques d’un Pakistanais et d’un Anglais. Avec Prick Up Your Ears, il est encore question d’homosexualité masculine avec la destinée tragique de Joe Orton (Gary Oldman), scandaleux et fascinant auteur de théâtre — même les Beatles, est-il dit dans le film, voulaient travailler avec lui — et de son amant Kenneth Halliwell (Alfred Molina).

 

 

Oldman et Molina sont les deux atouts majeurs du film. Complètement à l’aise en jeune prolo anglais, le premier avait déjà joué au théâtre une pièce d’Orton (Entertaining Mr Sloane) et s’était fait repérer dans le Sid and Nancy d’Alex Cox, dans lequel il incarnait Sid Vicious. Quant à Molina, future vedette de Spiderman (l’Octopus, c’est lui) et de Frida (où il est le puissant Diego Rivera face à la frêle Salma Hayek/Frida Kahlo), il est tout bonnement exemplaire ici. La tête recouverte de différentes perruques, aussi ridicules les unes que les autres, puis le crâne chauve, le personnage joué par Molina ne cesse de cacher sa personnalité et ses frustrations, d’autant plus fortes qu’Orton joue cruellement avec et manipule son ami. En cela, la séquence où Orton doit rejoindre Paul McCartney pour discuter d’un projet de film en dit long sur le fossé qui se creuse peu à peu entre les deux amants.

 

 

L’histoire suit la trajectoire tragique de ces deux artistes, faite d’amour, de succès, de désirs, de jalousie et d’incompréhension, avec un Joe Orton de plus en plus nihiliste et compliqué à suivre, rejetant un système dont il est content de faire partie, et un Ken Halliwell de plus en plus renfermé et malheureux. L’un connaît l’amour et la gloire tandis que l’autre reste sur le bas-côté.

 

 

Stephen Frears choisit de démarrer son film par un drame et par un écrivain (Wallace Shawn) qui va dérouler petit à petit, par témoignages interposés, le fil du récit. Au fur et à mesure, il parvient à saisir les changements dans les personnalités des deux protagonistes, le tout sous le regard de l’impresario et amie d’Orton (Vanessa Redgrave). Il montre aussi sans détour, ce qui était alors assez gonflé pour un film mainstream, les dragues homosexuelles dans les toilettes ou en vacances au Maroc, lieu mythique pour l’intelligentsia anglo-saxonne.

Quant au titre, s’il peut se traduire par « dresser l’oreille », il comporte une nette connotation sexuelle et une allusion précise à une autre partie de l’individu capable de se dresser.

Jean-Charles Lemeunier

Prick Up Your Ears
Année : 1987
Origine : Grande-Bretagne
Réal. : Stephen Frears
Scén. : Alan Bennett d’après John Lahr
Photo : Oliver Stapleton
Musique : Stanley Myers
Montage : Mick Audsley
Durée : 111 minutes
Avec Gary Oldman, Alfred Molina, Vanessa Redgrave, Frances Barber, Julie Walters, Wallace Shawn…

Sorti en édition combo (DVD + Blu-ray) et DVD collector chez Elephant Films.



« Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été » de Lina Wertmüller : Film d’amour et d’oligarchie

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Dans les années soixante-dix, les cinéastes italiens nous ont habitués à un cinéma puissant, politique et militant. Avec Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été  (Ah ! Ces titres à rallonge de l’époque !), sorti ces jours en DVD/Blu-ray chez Carlotta Films, Lina Wertmüller place cette même politique au sein du couple via la rencontre entre un prolo communiste (Giancarlo Giannini) et une riche bourgeoise (Mariangela Melato).

Tout commence sur un voilier, sur la magnifique côte de Sardaigne. Quelques riches se prélassent, prennent le soleil, se baignent, boivent et mangent tandis que quelques pauvres bougres — dont Giancarlo Giannini — passent leur temps à naviguer, servir et nettoyer, en se faisant parfois engueuler. Parmi les oisifs, une jeune femme (Mariangela Melato) ne cesse de s’affronter avec un de ses amis, communiste (Eros Pagni), lui prouvant nettement que son cœur ne va pas du tout dans le sens du combat prolétarien.

Le bateau fait naufrage sur une île déserte et la bourgeoise Melato se retrouve seule avec le prolo Giannini, lui aussi communiste, bien évidemment. Leur rapport de force — de force et de coups, des coups qui font même mal au spectateur tant ils sont insupportables — passera forcément par le sexe et la suprématie de l’homme sur la femme. Car sur cette île, l’ouvrier est vainqueur de la bourgeoise. Lina Wertmüller force le trait comme savaient si bien le faire tous les maîtres de la comédie italienne qui mélangeaient grotesque, social et message politique. Les baffes deviennent même, à notre grande honte, risibles et mettent d’autant plus mal à l’aise que c’est une femme qui dirige le film et qui, a fortiori, leur donne encore plus de sens.

Sur l’île, l’oligarchie change de camp et la réalisatrice de Mimi métallo blessé dans son honneur (1972) et de Film d’amour et d’anarchie (1973) met de l’eau dans le vinaigre de la critique sociale et remplace la lutte des classes par un corps-à-corps amoureux. Dans de magnifiques paysages, la réalisatrice saisit tout ce que l’humanité renferme en elle de minable et de bon. Mais notre Lina, appelez-la comme vous voudrez, est pessimiste ou réaliste mais n’est en tout cas dupe d’aucun piège, pas même celui de l’amour. Et nous surprend avec la fin du film.

Jean-Charles Lemeunier

Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été
Titre original : Travolti da un insolito destino nell’azzurro mare d’agosto
Origine : Italie
Année : 1974
Réal. et scén. : Lina Wertmüller
Photo : Ennio Guarnieri
Musique : Piero Piccioni
Montage : Franco Fraticelli
Durée : 125 minutes
Avec Giancarlo Giannini, Mariangela Melato, Riccardo Salvino, Aldo Puglisi, Eros Pagni…

Film sorti pour la première fois en DVD et Blu-ray par Carlotta Films le 11 octobre 2017.


« Patrice Leconte, Le dictionnaire de ma vie » : Confidences (trop) intimes

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Se décrire en 26 mots, autant qu’il y a de lettres dans l’alphabet, voilà un exercice peu aisé auquel s’est livré le cinéaste Patrice Leconte, à la demande du journaliste François Vey pour les éditions Kero. Le résultat est un petit livre qui se lit très facilement et dans lequel on apprend pas mal de choses.

Tout a donc commencé par une rencontre à la Maison de la Radio et par un conseil de film, celui de Denis Villeneuve si justement intitulé Premier contact. Excellent choix au demeurant, soumis par François Vey à Patrice Leconte ! Le journaliste a ensuite proposé au cinéaste l’idée du bouquin avec, comme première difficulté, ce devoir d’emplir l’alphabet et de trouver des sujets commençant par chacune des lettres. Si certaines mériteraient plusieurs chapitres différents – Leconte a choisi A comme acteurs, B comme Bronzés, C comme courts-métrages, mais il aurait tout aussi bien pu parler d’Alimentation, de Bande dessinée, de Comédies –, d’autres comme le W, le X ou le Y ont dû être plus malaisées à illustrer. Quoi qu’il en soit, le contrat a été parfaitement rempli. D’autres artistes se sont déjà risqués avant lui au jeu (Claude Lelouch, Michel Leeb, Louis Chedid, Michael Lonsdale) et Patrice Leconte, mais ce n’est pas une surprise pour qui le connaît un peu, s’en tire très bien.

 

 

L’intérêt du procédé est sans doute de nous faire découvrir un auteur dans le désordre. L’enfance (lettre E) arrive bien après qu’il ait parlé des Bronzés, son premier succès, ou des grands acteurs avec qui il a travaillé toute sa carrière. Il ne mentionne la bande dessinée, son premier métier chez Pilote avant d’aborder le cinéma, qu’avec la lettre D comme dessinateur. Il parvient malgré tout à se dévoiler un peu, à travers ses goûts littéraires ou musicaux (lettres L et M), ses obsessions (lettre O), ses postures (lettre Q avec un questionnaire de Proust), parle de sa jeunesse et de son problème de poids qu’il a réussi à surmonter (lettre J), de sa famille (lettre N comme naissances), etc. Il aborde également les différentes étapes de sa créativité : le dessin, le cinéma avec des courts et des longs-métrages, la publicité, le théâtre, l’écriture de romans, le plaisir de cadrer ses plans,etc.

 

 

Toutes ces confidences qui, au contraire d’un des titres de sa filmographie, ne sont pas trop intimes, juste ce qu’il faut, pourraient être réunies sous un même mot : pudeur. Car Patrice Leconte se livre sans se livrer, sans affect et avec toujours beaucoup d’humour. Il se raconte parce qu’il le faut, parce que c’est le but du livre, mais sans s’étaler, sans y mettre d’orgueil, sans parodier Boswell et son fameux « Mon sujet favori, moi-même ». C’est justement cette réserve, cette retenue, cette décence qui fait tout l’intérêt de ce dictionnaire et de la carrière de Patrice Leconte. Et, bien sûr, sa jeunesse d’esprit. Ne dit-il pas : « Être vieux, c’est être jeune plus longtemps que les autres » ?

Jean-Charles Lemeunier

Patrice Leconte, Le dictionnaire de ma vie, édition Kero, 17 euros.

 


Deux films d’André Hunebelle : Comme une madeleine proustienne

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Une plongée dans le passé, c’est bien le mot ! Non pas le passé historique du temps de Louis XIII, époque à laquelle se déroulent les deux films d’André Hunebelle que Pathé sort en DVD et Blu-ray, mais celui de notre enfance. Celle des porteurs de culottes courtes des années soixante-dix, qui se régalaient de ces aventures de cape et d’épée diffusées inlassablement à la télé. Et à la suite desquelles on se mettait à ferrailler tout seul face à de méchants gardes du cardinal imaginaires. Revoir aujourd’hui Les trois mousquetaires (1953) et Le Capitan (1960) procure toujours le même plaisir. Pareil que pour le petit Marcel et ses madeleines, son « édifice immense du souvenir », et ces saveurs qui soudain réinvestissent votre mémoire.

Ne me faites pas dire que Hunebelle aurait pu se mettre, pour le grand écran, en quête du temps perdu. Hunebelle n’est pas un auteur, il ne s’est d’ailleurs jamais revendiqué comme tel, mais un très bon artisan dont le cinéma populaire a ravi des générations. Il n’y a qu’à voir ses Fantômas avec de Funès et Jean Marais qui font encore de belles soirées télévisées les soirs d’été. Hunebelle ne triche pas avec les spectateurs. Ses héros, qu’ils soient le d’Artagnan incarné par Georges Marchal ou le François de Capestang, alias Le Capitan, à qui Jean Marais donne son panache, ne présentent aucune ambiguïté. Ils sont du bon côté. À partir des années cinquante, avec des films tels que Les trois mousquetaires, Le Bossu, Le Capitan et Le miracle des loups — tous avec Jean Marais, sauf Les trois Mousquetaires —, Hunebelle devient le maître du film de cape et d’épée. Lesquels tiennent en quelques mots : un preux héros au service de son roi, combattant des méchants avec force chevauchées et duels à l’épée.

 

 

L’autre avantage de ces films est qu’ils s’adressent à tous les publics, adultes et enfants. Dans les deux, Bourvil (avec une scène de soûlerie répétée à sept ans d’intervalle) est là pour apporter la note comique et l’on peut ajouter que dans Les trois mousquetaires, grâce aux dialogues de Michel Audiard, le double sens rend le sujet, pourtant ultra connu, encore plus plaisant. Ainsi, quand il est question de la fidélité de d’Artagnan (sous-entendu au roi), la jolie Constance (Danielle Godet), chérie du brave mousquetaire, sait très bien à quoi s’attendre. N’a-t-il pas fait du gringue, un gringue très poussé même, à la charmante Ketty (Françoise Prévost) et à sa maîtresse, la fameuse Milady de Winter (Yvonne Sanson) ? Autre exemple de dialogue typiquement audiardien, avec Planchet, le valet de d’Artagnan joué par Bourvil, se plaignant au point de vouloir fonder « un syndicat de gens de maison ».

Racontée par Claude Dauphin, l’histoire des Trois mousquetaires s’attache surtout à l’héroïsme de son héros et aux valeurs comiques de son valet. Les autres mousquetaires, pourtant interprétés par Gino Cervi (Porthos), Jean Martinelli (Athos) et un tout jeune Jacques François (Aramis), sont un peu délaissés au profit de quelques autres personnages tirant eux aussi sur la corde comique : Jean-Marc Tennberg, incarnant un teigneux Rochefort, et le suave Jean Parédès en comte de Wardes, aussi couard que précieux. Ajoutons enfin que les curieux qui ont l’œil pourront distinguer, parmi les gardes du cardinal, les débutants Jean Poiret et Louis Velle.

 

 

 

Écrit par Jean Halain, le fils d’Hunebelle, et Pierre Foucaud, Le Capitan s’adresse davantage au jeune public. La scène la plus mémorable, celle qui s’est gravée dans les mémoires et qu’on retrouve avec grand plaisir aujourd’hui, est l’escalade par Jean Marais de la muraille d’un château à l’aide d’un couteau. La madeleine, je vous dis ! Dans le document d’époque proposé en bonus, l’acteur explique qu’il n’a pas été doublé, ce qui rend la séquence encore plus cinégénique.

Les deux sujets sont finalement proches. Dans l’adaptation d’Alexandre Dumas, d’Artagnan et ses potes mousquetaires se rangent auprès du roi Louis XIII contre son conseiller le perfide cardinal de Richelieu. Dans celle de Michel Zévaco, le Capitan se range aux côtés du jeune Louis XIII, encore adolescent, contre son perfide conseiller Concini. Ajoutons d’ailleurs que les deux acteurs qui incarnent les deux éminences grises (Renaud Mary dans le premier et Arnoldo Foà dans le second) jouent dans le même registre, celui de la traîtrise. Je dois avouer malgré tout ma préférence pour l’acteur italien qui endossa le rôle du méchant dans pas mal de péplums mais apparut aussi dans Le procès d’Orson Welles.

 

 

Il y a forcément dans Les trois mousquetaires et Le Capitan du Douglas Fairbanks et du Gene Kelly — deux des interprètes de d’Artagnan. Combats et poursuites tumultueuses, désinvolture, panache et humour : Georges Marchal et Jean Marais n’ont rien à jalouser de leurs fameux prédécesseurs.

Jean-Charles Lemeunier



Les trois mousquetaires et Le Capitan d’André Hunebelle, sortis en DVD et Blu-ray par Pathé le 22 novembre 2017.


« Déluge » de Felix E. Feist : L’endroit où être

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Vendu par Lobster Films, qui vient de l’éditer en DVD, comme « l’un des premiers films catastrophe de l’histoire du cinéma en version restaurée », Deluge (1933, Déluge) pourrait être résumé par une phrase. The place to be disent les Américains à propos de ces endroits où il convient d’être pour éviter les ennuis ou pour réussir dans la vie. The place to be, voilà une expression que l’on pourra utiliser de nombreuses fois à propos de cet étonnant et excitant film de Felix E. Feist et d’une de ses interprètes, Peggy Shannon.

 

 

Œuvre que l’on croyait perdue jusqu’à ce que le génial Forrest J. Ackerman en déniche une copie au fin fond d’une cinémathèque italienne, au début des années 80, Déluge démarre sur les chapeaux de roue par une catastrophe météorologique prévue par les scientifiques. Comme si l’on était dans Le jour d’après… mais avant. C’est là que j’en reviens à cette expression, l’endroit où être. Au début de ce film produit par la RKO, il vaut en effet mieux être où l’on est que dans le reste du monde, puisqu’on nous annonce des destructions au fur et à mesure. Plutôt à New York qu’en Californie submergée. Dans une maison que dans un gratte-ciel détruit par les séismes. Dans un tunnel que dans une cabane prise d’assaut par des individus aux mauvaises intentions et ainsi de suite. C’est là, au bon endroit, que nous faisons la connaissance de Claire, une très jolie nageuse, puisqu’incarnée par la très jolie Peggy Shannon, qui renonce à un record de natation parce qu’on vient la prévenir, alors qu’elle est en pleine préparation de son futur exploit, qu’il faut renoncer à cause de la catastrophe imminente.

 

 

Plus tard, elle et un autre homme (Sidney Blackmer, que l’on retrouvera en 1968 dans Rosemary’s Baby) seront toujours au bon endroit pour échapper au pire. L’autre intérêt de Déluge, outre la réussite des trucages (la destruction de New York vaut le coup d’œil) et l’originalité, pour l’époque, d’un tel scénario, est que le film est réalisé en 1933, soit un an avant la mise en place du code de censure. L’avantage de ces films Pré-Code, c’est qu’ils offrent des situations qu’on ne retrouvera plus guère par la suite dans le cinéma hollywoodien. Ainsi en est-il de ce plan qui voit un couple se coucher côte à côte ou de ces représentations frontales du désir sexuel (représenté par le talentueux et inquiétant Fred Kohler, mais pas seulement) et de l’infidélité avec même, en sous-entendu, l’idée d’un possible ménage à trois.

 

 

Curieusement, après ce film fort qui en dit long sur la nature humaine et son besoin égoïste de profiter des autres ou de suivre un chef, Felix Feist n’a pas particulièrement brillé dans le firmament californien. Malgré une carrière qui s’étend de 1930 à 1955, c’est tout juste si l’on retient de lui, après Déluge, quelques films noirs et le Donovan’s Brain inspiré de Curt Siodmak. En France, on connaît surtout son western avec Kirk Douglas, The Big Trees (1952, La vallée des géants). Sans doute parce que, tombé dans le domaine public, le film a été édité à moindre frais en DVD.

 

 

La plus grande découverte du film reste donc Peggy Shannon. L’actrice a débuté comme danseuse au sein des Ziegfeld Follies et la légende veut que la Paramount l’ait embauchée deux jours seulement après son arrivée à Hollywood, en 1931, en remplacement de Clara Bow, alors vedette incontournable du studio, victime d’une dépression nerveuse. The place to be ! Le travail intensif (16 heures par jour, si l’on en croit wikipedia) eut raison de la santé de la jeune Peggy, comme elle l’avait eu des nerfs de Clara Bow. Peggy devint alcoolique ce qui, progressivement, l’éloigna des feux de la rampe. En 1941, son second mari, le cameraman Albert Roberts, la retrouva affalée sur la table de son domicile, un verre vide à la main, morte d’une crise cardiaque à l’âge de 34 ans. Trois semaines plus tard, Roberts s’assit sur la même chaise et se fit sauter la cervelle à la 22 long-rifle. A cet endroit elle est morte, écrivit-il, et, par révérence, c’est à ce même endroit qu’il choisit de mourir. The place to be, je vous dis.

Jean-Charles Lemeunier

Déluge

Titre original : Deluge

Année : 1933

Origine : Etats-Unis

Réal. : Felix E. Feist

Scén. : Warren B. Duff, John F. Goodrich, d’après S. Fowler Wright

Photo : Norbert Brodine

Musique : Val Burton

Montage : Martin G. Cohn, Rose E. Loewinger

Prod. : RKO

Avec Peggy Shannon, Sidney Blackmer, Lois Wilson, Matt Moore, Fred Kohler…

Déluge est sorti en DVD chez Lobster Films le 8 décembre 2017.

 

« Baby Driver » d’Edgar Wright : En roues libres

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Le cinquième film d’Edgar Wright est un véritable shoot cinématographique euphorisant. Et pas uniquement parce que c’est un concentré de coolitude et un superbe exercice de style fun et espiègle qui vous fait taper des pieds au rythme des chansons comme le manchot Mumble du diptyque Happy Feet. Baby Driver est beaucoup plus complexe dans ses intentions tout en réussissant l’exploit d’être d’une limpidité confondante en termes de sensations et dans ses enjeux émotionnels. Le réalisateur britannique livre un métrage où l’imbrication des mouvements d’appareils, l’enchaînement des plans, les actions des personnages, le rythme des morceaux pop écoutés, est une merveille de précision au service de la narration. Le cinéma est un art visuel par excellence et Baby Driver ne cesse de le claironner à chaque photogramme en célébrant la puissance des images et leur langage pour exprimer le plus intelligiblement possible une diversité de sentiments. Et face à une avalanche de films franchisés insipides et interchangeables, c’est rassurant de constater qu’il reste encore de tels conteurs.

Cette histoire de getaway driver rythmant sa conduite et sa vie au son des chansons qu’il écoute en permanence, Edgar Wright la mûrie depuis longtemps. A ce propos, on pourra ainsi utilement se reporter à l’article d’Aurélien Noyer pour Capture Mag sur la production dense de ce projet éminemment personnel porté par le cinéaste depuis plus de vingt deux ans et l’interview très intéressante du réalisateur par Arnaud Bordas, toujours sur le même site.
Un film qui ne cesse d’impressionner tant les mouvements, les paroles des persos, les bruitages (crissements de pneus, coups de feu, porte ou coffre qu’on ouvre ou referme….) sont synchronisés aux chansons écoutées par Baby. Tout le film est ainsi chorégraphié mais sans que jamais l’on perçoive le travail sur le tempo, tout se fait naturellement, tout coule de source. On va donc s’attacher à examiner plus précisément la manière dont certains motifs et choix de mise en scène dépeignent une caractéristique d’un personnage ou simplement provoquent une émotion chez le spectateur.

Wright s’est inspiré du Driver de Walter Hill mais par son humeur taciturne et son accoutrement Baby renvoie à une figure bien connue de la culture pop, le rebelle Han Solo.

Baby est un conducteur émérite, il a un don, presque un super pouvoir, que la musique pulsant à ses oreilles semble activer à l’envi. Les deux premières séquences dont il maîtrise totalement le tempo illustrent le contrôle absolu qu’il exerce sur son job et sa vie. Pour Baby, tout roule à la perfection et Wright le symbolise visuellement par deux lignes jaunes parallèles parfaitement rectilignes qui s’élancent vers l’horizon à la fin du premier casse et qui ouvrent la séquence suivante de danse dans la rue.

Son existence prendra un tournant inattendu dès qu’il croisera Déborah. Le reste du récit mettra ainsi largement à l’épreuve la détermination du jeune homme à s’affranchir du monde de gangsters violents dans lequel il baigne. Après bien des circonvolutions et déviations, il parviendra à prendre la tangente avec sa belle. A ce moment-là, s’opère un retour à un horizon infini, contrastant avec l’enfermement urbain qui menaçait d’engloutir Baby au bord de se noyer dans une situation inextricable, et donc retour également des droites jaune qui y foncent tout droit. Mais pour une courte durée puisque leur route sera obstruée par un barrage de police. Les deux droites s’arrêtent au niveau de l’alignement des forces de l’ordre, signe que c’est la fin de la route pour le couple et le temps pour Baby d’assumer enfin les conséquences d’années passées dans le gang de Doc.

Car Baby Driver, c’est avant tout l’histoire d’un gars qui refuse d’assumer les actes violents auxquels il participe et qui cherche à garder le contrôle d’où les chansons qu’il choisit pour remodeler la réalité de ce monde de gangsters.
Contrairement aux Gardiens de la galaxie, ce n’est pas un gimmick fun sans but narratif. Ici, le réalisateur utilise les chansons pour caler le rythme des images et les mouvements des personnages, les paroles des chansons traduisant même l’humeur de la scène ou l’état d’esprit d’un perso, formalisant une dimension sensible à la course endiablée de Baby vers le cœur de sa belle et sa promesse d’un ailleurs musical et indéfini.

Détails
Une multitude de signes avant coureurs des problèmes qui vont perturber son objectif sont parsemés tout au long de son parcours et ce dès la première séquence de braquage. En se dépliant, les bandanas utilisés par Griff (Jon Bernthal), Darling (Eiza Gonzalez) et Buddy (Jon Hamm) pour masquer leurs visages plaquent sur leur visage une tête de mort. Un sombre présage.


Tandis que Baby attend plus loin dans la voiture en écoutant le Bellbottoms de The John Spencer Blues Explosion. Alors que la musique s’emballe, l’action dans la banque aussi puisque ses trois complices malmènent employés, clients et agents de sécurité, l’alarme retentit et Baby perçoit comme dernière image glaçante Buddy, avec cette face squelettique figurée, pousser sans ménagement quelqu’un dans une pièce et en refermer violemment la porte. Une image figurant la menace mortelle que ce dernier va incarner dans la dernière partie du film.


Par contre, si les masques déformés de Bats et ses acolytes les tournent en ridicule et font paraître ces derniers comme des pieds nickelés bons à rien, ils s’avèrent éminemment dangereux et incontrôlables.


Le principe d’avertissements glissés dans l’image, sous formes de paroles prémonitoires ou de motifs est instauré à partir de la deuxième scène voyant Baby aller chercher des cafés pour le groupe de braqueurs.
Des mots ou phrases du Harlem Schuffle de Bob & Earl qui rythme les déplacements de Baby sont placées sur des murs (graffitis) ou poteaux (affiches ou écritures peintes) et illustrent parfaitement sa maîtrise totale de l’espace.



De plus, c’est au cours de cette scène qu’il va croiser la route de Debora qui n’apparaît ici que comme une silhouette intrigante car elle aussi se déplace nonchalamment avec un casque audio vissé sur les oreilles. Le mouvement de caméra et le décor la désigneront d’emblée comme un évident intérêt amoureux.
Alors qu’il commande les cafés, la caméra panote vers la droite, faisant découvrir en arrière-plan une peinture murale ornée d’un cœur noir. Une fois que Debora apparaît dans le champ, la caméra repart vers la gauche en suivant son mouvement, elle passe alors devant la fresque où cette fois-ci le cœur s’est coloré d’un rouge vif, comme si il s’était allumé en même temps que celui de Baby.



Surtout, ce plan-séquence hyper fluide où transparaît la joie de vivre de Baby est le parangon de la synchronisation parfaite de l’espace réel arpenté par le jeune homme et de la tonalité qu’il lui donne au gré des chansons qu’il écoute. Dès lors, Baby sera par la suite incapable de retrouver l’insouciance de cette séquence séminale, l’harmonie des braquages suivants et de sa vie quotidienne sera inévitablement perturbée.
Alors que plutôt dans le métrage, lors de la première échappée effrénée, Wright formalisait un mouvement libéré de toutes contraintes jusque dans le reflet des lunettes de Baby où l’on apercevait les lignes de la route, après le braquage violent conduit par Bats, un autre reflet montre Baby emprisonné entre des segments horizontaux et un mur, limitant drastiquement son horizon..



Wright enchaîne même plus tard avec un plan aérien où le béton des bâtiments prend le pas sur les voies de circulation, figurant un peu plus son cloisonnement.


De nombreux autres petits détails parsemés par le cinéaste donne une profondeur sensitive exceptionnelle au parcours de son héros.
On notera ainsi la paire de gants offerte par Doc qui donne l’impression dans certains plans que Baby a littéralement du sang sur les mains. C’est flagrant lorsqu’il doit se débarrasser du véhicule contenant le cadavre de J.D


Ou bien encore en fin de métrage cette image troublante lors de la scène où Baby en prison lit la lettre de Debora, les taulards en arrière-plan entourant Baby ont l’acronyme D.O.C sur leurs tenues et forment comme une séparation entre lui et le reste de l’établissement. Comme si Doc veillait toujours sur lui.


Bien évidemment, le plan à la charge émotionnelle la plus puissante est celui montrant Baby apposer sa main contre le haut-parleur de la voiture conduite par Debora. Dans le coltard après son combat contre Buddy, il distingue difficilement ce qu’il entend, les sons lui parvenant sont étouffés, la voix de sa mère chantant Easy sur la cassette qu’il a récupéré dans le repaire de Doc est déformée. Tout s’éclaircit littéralement lorsqu’il utilise le même geste employé par Joseph pour « entendre » la musique via les vibrations sonores d’une baffle.



D’un seul geste, passé, présent, avenir se confondent, se synchronisent. Baby atteint enfin la plénitude recherchée. Malheureusement, ce sera pour un court instant car l’horizon infini de leur route se bouche quelques instants plus tard par un barrage de police venant mettre fin avant qu’elle ne commence vraiment à la cavale des deux amoureux.

Trois couleurs
Cette quête vers une existence apaisée dont Debora est le catalyseur est donc formalisée au travers des oscillations musicales impliquant Baby mais Wright l’illustre de manière sensitive grâce à l’emploi remarquable de trois couleurs primaires, le jaune, le rouge et le bleu.
Des teintes qui représentent ce que traversera émotionnellement Baby et les sentiments qu’il devra dépasser pour atteindre le cœur de sa petite amie.
Le jaune est lié à la nostalgie de son enfance où la voix cristalline de sa mère l’apaisait en toutes circonstances.


Le rouge a trait à la passion qui anime Baby pour la conduite (la Subaru du premier braquage est rouge) et évidemment pour Debora mais symbolise aussi la voie de la violence qu’il devra emprunter (Buddy le dernier antagoniste faisant face à Baby sera éclairé par un halo rouge incandescent).


Quant à la couleur bleue, elle représente ce qui est hostile à sa quête, tout ce qui le menace. Et en premier lieu, son enfermement. L’échappée de Baby sera contrariée tant au niveau spatial que musical et cela se traduira notamment de manière picturale.
A mesure que l’intrigue progresse, tout concourt à neutraliser Baby. Ainsi on observe les plans aériens montrant des voies rapides s’emberlificotant telles un labyrinthes mais dont la sortie est indécelable au premier coup d’oeil ou encore ce point de vue en hauteur sur la ville d’Atlanta où les bâtiments sont éclairés en bleu et les artères (de vie) menant à une hypothétique sortie sont légèrement colorées en orange.



De la même manière, le malaise ressenti par Baby quant à ses difficultés à se faire définitivement la malle est accentué par la belle et dangereuse Darling qui, tout mangeant une sucette bleue fredonne le Nowhere To Run de Martha Reeves & The Vandellas.


Une couleur qui représente aussi la froideur qu’il devra adopter pour affronter le dernier antagoniste encore en lice.


Détours du regard
Baby refuse de faire face à la réalité de sa situation de complice, même passif, de ce gang de mafieux en portant constamment lunettes de soleil sur les yeux et écouteurs sur les oreilles. Il ne se considère pas comme un membre à part entière, maintenant l’illusion qu’il n’a rien à voir avec les mafieux qu’il fréquente. De fait, il s’isole du reste du groupe aussi bien figurativement que physiquement. Toujours en retrait par rapport aux autres occupant les places autour de la table au plus près de Doc ou lors de la conception du plan d’attaque, il se trouve en bout de table, perdu dans les notes qui l’accompagnent continuellement. Mais pour atteindre son rêve, il devra se résoudre lui-même à des actes violents, accepter d’en passer par les ténèbres pour mieux aboutir à la lumière.


Si Baby devra affronter les conséquences de ses actes, se salir les mains, Wright valorise tout de même sa démarche car malgré tout il adopte une attitude prompte à le mener sur une voie bénéfique. Il obture donc ses yeux et ses oreilles ajouté au
fait qu’il ne parle quasiment jamais le distingue alors comme une incarnation de ce symbole asiatique représentant trois singes se couvrant chacun avec les mains une partie du visage. On les désigne comme les singes de la sagesse, une allégorie imagée dont la pensée qu’elle véhicule est évoquée dans les entretiens de Confucius : « Ce qui est contraire au rituel, ne le regarde pas, ne l’écoute pas ; ce qui est contraire au rituel, n’en parle pas et, à plus forte raison, n’y commets pas tes actions »


Certes Baby peine à assumer cette collaboration forcée par les événements, cependant, sa posture ne reflète pas seulement sa volonté de travestir une réalité dérangeante mais également la nécessité de s’en préserver pour ne pas basculer.
Tout comme Bats qui peut être considéré comme une version pervertie de Baby. Ce psychopathe auto-proclamé (il lui dit lors de leur première rencontre que c’est lui qui occupe la place du maboul dans l’équipe) n’agit certes pas comme le pilote, néanmoins, comme lui, il a tendance à transfigurer la réalité. Ainsi, peu avant qu’il se mette en action, il fixe l’objectif à dévaliser en répétant un mantra rassurant où il est question de reprendre ce qu’on leur a pris, ce qui leur revient de droit.


Un parallèle très intéressant qui donne alors une dimension supplémentaire à la relation très inconfortable entre les deux. Bats pouvant apparaître comme une matérialisation des plus bas instincts de Baby.
Cependant, c’est cette confrontation avec ce personnage en particulier qui lui ouvre les yeux et déchire le voile qui masquait ou du moins altérait la réalité. Hésitant entre conduire le gang une fois de plus hors de portée des flics ou s’en défaire complètement, Bats lui assène un violent coup de crosse de son arme sur le visage, brisant ses lunettes de soleil auxquelles ne reste plus qu’un seul verre.


Une action qui lui fait recouvrer la vue et qui sera décisive dans son choix de ne plus accepter d’être sans réactions. Tout le reste du métrage, il n’aura plus de lunettes sur le nez. Et son i-pod finira par être confisqué par Buddy peu avant le climax dans le parking souterrain.
Buddy que Wright construit vraiment comme le parfait antagoniste de Baby, sa part d’ombre (le masque de mort au début, la lumière rouge qui illustre sa fureur). Lui et Darling représentent les doubles maléfiques de Baby et Debora. (tout comme Joseph et Doc sont les deux figures paternelles de Baby à la fois opposés et complémentaires) L’affrontement homérique qui les opposera au son du Brighton Rock de Queen verra ce terrible ennemi lui asséner le plus de dommages puisqu’il le laissera à l’agonie, les tympans encore plus meurtris.


Symbiose
Mais la relation qui rythme l’intégralité du métrage est évidemment celle qui unit Baby et Débora. Ils sont littéralement au diapason l’un de l’autre.
Au lavomatic, ils tapent du pied au même rythme que la chanson Debora de T Rex
.


Au restaurant, lors d’une scène classique parfaitement revisitée par Wright, tout passera par des gestes et des regards et notamment leur façon de faire vibrer leurs verres avec la même délicatesse et le même son. Une séquence muette illustrant qu’entre-eux il n’y a pas besoin de mots pour communier et s’entendre.


Edgar Wright accentue même leur connexion en les liant à travers deux espaces différents par la grâce de sa composition de plans.



Outre ce travail visuel, Wright peaufine l’envirronement sonore pour traduire la complémentarité qui infuse leur attirance. Le tintement des acoupènes dont souffre perpétuellement Baby depuis l’accident de voiture qui a coûté la vie à ses parents se fait clairement entendre, même si c’est de manière discrète, dès lors qu’il n’a plus ses écouteurs sur les oreilles bien sûr mais surtout lorsqu’il est dans une situation stressante et que ceux à même de l’apaiser ne sont pas à proximité. C’est flagrant au moment où Baby raccompagne Debora chez elle. Il n’écoute pas sa musique, d’ailleurs aucune chanson ne se fait entendre même à la radio, mais la présence de sa dulcinée, sa voix cristalline neutralise ce sifflement qui recommence à l’instant précis où debora ferme la porte en sortnat du véhicule de Baby, le laissant seul avec la chape de plomb induite par ce que Doc lui a dit peu avant. Cet arrêt momentané du son désagréable des acouphènes est également présent lorsque Baby est en présence de Joseph, son tuteur, véritable père adoptif dont il s’occupe avec amour.


Debora symbolise la porte de sortie qui mènera Baby vers une refondation de son passé et de son présent. Dans les souvenirs de Baby surgissant sous formes de
flashbacks fugitifs et au son étouffé, sa mère apparaît baignée dans une lumière dorée.


Ce n’est pas un hasard si la cassette audio de l’enregistrement de sa mère en train de chanter a une jaquette dorée et trône précisément au centre des inombrables autres arrangements sonores de sa confection.


Une idéalisation d’un paradis perdu dont Debora est la clé du retour. Wright tisse une correspondance en lui faisant porter une robe jaune pour le dîner avec Baby.


Tout fini par s’imbriquer magnifiquement au cours de cette scène géniale où il « entend » enfin la voix de sa mère dans la voiture conduite par sa fiancée. Mais leur échappée sera de courte durée puisqu’ils sont arrêtés peu après dans leur élan par la police. Néanmoins, Debora continue à incarner le rêve de liberté de Baby désormais incarcéré pour cinq années. Après avoir reçu une enveloppe contenant une lettre et des cartes postales de sa dulcinée, il s’imagine à sa sortie allant à sa rencontre. Alors qu’il ferme les yeux devant la glace pour visualiser ce moment, on remarque que la carte postale qui l’aide à se concentrer représente en miniature le décor du Diner où elle travaillait.



Tandis qu’elle adoptait une posture la plaçant au centre de cette peinture, la carte postale est forcément vide de sa présence. Il faut alors à Baby user de son imagination pour compléter le tableau et la faire apparaître.


Wright brouille les cartes en faisant passer l’image du noir et blanc à la couleur, figurant la jonction entre le songe et la réalité, comme si les années d’attente étaient passées. A moins que ce choix n’ait été fait que pour mettre en valeur l’arc en ciel venant saluer leurs retrouvailles fictives et renvoyant à ce que disait la guichetière reprenant des paroles de Dolly Parton « si tu veux l’arc-en-ciel, tu dois supporter la pluie ».


Au fond, peu importe que ce final ne soit pas un happy end clairement établi car il met une dernière fois en exergue le programme du film et son double niveau de lecture et de ressenti permanent.

Nicolas Zugasti

 

BABY DRIVER
Réalisateur : Edgar Wright
Scénario : Edgar Wright
Production : Tim Bevan, Eric Fellner, Nira Park, Rachel Prior…
Photo : Bill Pope
Montage : Paul Machliss & Jonathan Amos
Bande originale : Steven Price
Origine : Grande-Bretagne
Durée : 1h52
Sortie française : 19 juillet 2017

« Le Serpent aux mille coupures » d’Eric Valette : Feux crois

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Le genre polaresque, avec toutes ses catégories plus ou moins sérieuses, réalistes ou originales, a toujours été l’un des piliers de la production hexagonale. Il y eu bien des creux en termes de popularité, de qualité et de quantité, mais toujours avons-nous trouvé annuellement quelques poires pour la soif. Reparti de plus belle au mitan des années 2000, popolar, depuis, ne débande plus. De là à s’esbaudir devant chaque produit, c’est affaire de goût.
Devenu majoritairement urbain (mais ne l’a-t-il pas toujours été comme hiver?), le genre ne s’aventure plus qu’avec parcimonie en dehors des grandes villes, parfois juste le temps de quelques saynètes, parfois pour des séquences entières, parfois pour une moitié de métrage. Il fut cependant une époque où le polar champêtre, campagnard, rural, provincial, ruait dans les brancards. Tenez, pas plus tard qu’hier, votre serviteur passait un coup de chiffon sur ses rangs de DVD et de VHS, quand soudain, paf !, toute une étagère de titres ricochent sur le plancher des vaches. Que du bonheur et que du polar années 60-70 : Fleur d’oseille, La Veuve Couderc, Fantasia chez les ploucs, La Saignée, La Horse, Quelques messieurs trop tranquilles, La Course du lièvre à travers les champs, L’Affaire Dominici, Les Granges brûlées, Les Suspects, Par le sang des autres, Folle à tuer, Plus ça va moins ça va, Un si joli village Du coup, je me remémore que ledit polar campagnard est une catégorie elle-même subdivisée : drame criminel, comédie loufoque, reconstitution d’un fait-divers ou invention de l’un d’eux, peinture de provinces et description de la France profonde… Tout ou presque est possible.
Hors podium des capitales du polar (Paris, Marseille, Lyon), s’étend donc des intrigues provinciales. Elles peuvent se situer dans ou alentours de villes comme Bordeaux, Châteauroux… Cette sous-catégorie aux canevas se déroulant souvent dans des milieux plus ou moins bourgeois, voire aisés, partage le gâteau avec des événements criminels situés plus humblement dans des villages où/et des étendues boisées ou de cultures.

Fantasia chez les ploucs

Si peu de toutes ces productions prônent l’action, le résiné coule cependant sévère dans Fleur d’oseille, La Horse et quelques autres. Plus tard, le chaînon manquant que fut Le Choix des armes sera non seulement une rencontre intergénérationnelle d’acteurs mais aussi entre le voyou urbain et le retraité de la truanderie respirant un air moins vicié. La décennie nouvelle verra passer le très correct La Maison assassinée, de Georges Lautner, avare en action, l’alors très original Hors-la-Loi de Robin Davis, plus mouvementé, le musclé Cross, plus musclé et teigneux, et le foutraque Canicule signé Yves Boisset. Une poignée d’autres polars provinciaux, plus bourgeois dans leur représentation des citoyens, penchent nettement vers le drame et les intrigues que sur le spectaculaire, ainsi de J’ai épousé une ombre, Flagrant désir, En toute innocence… Le polar rural, après, c’est bernique ou peu s’en faut, jusqu’au formidable Total Western de Éric Rochant en 2000 puis, mué en slasher en 2003, avec le Haute tension d’Alexandre Aja. Mais il y a belle-lurette que les embrouilles dans les prés sont essentiellement sur le petit écran, via de nombreuses séries dont est friand le téléspectateur encore de nos jours.

Tout comme le récent Laissez bronzer les cadavres !, Le Serpent aux mille coupures est donc un polar champêtre. Héritier d’une longue tradition, le dernier long-métrage d’Éric Valette est aussi une adaptation, celle d’un roman de DOA, qui n’est pas sans évoquer le fantôme de Jean-Patrick Manchette. Justement coauteur du roman Laissez bronzer les cadavres !.

Le dernier né du réalisateur de La Proie prend en partie le contre-pied de celui-ci : autant le film avec Dupontel pouvait s’inscrire dans la vague du polar-action alors en vogue sur le territoire national, autant Le Serpent… joue la carte d’une certaine retenue, tout en assumant les codes du polar. Des figures imposées et des stéréotypes que le réalisateur, cinéphile patenté, aime, respecte, mais joue avec. L’histoire, complexifiée par la multitude des intervenants, n’est cependant pas si dure à suivre, défaut que nombres critiques pros comme amateurs lui ont prêtés : Un néo-barbouze en galère se réfugie blessé dans une ferme du sud-ouest, les propriétaires étant en bute à des relous du cru. Prenant in fine le parti du couple et de leur adorable fillette, notre antihéros (pas le mec le plus sympa du monde), va surtout devoir régler leur compte à une poignée de trafiquants colombiens et madrilènes ayant bien mal choisi un lieu proche de la ferme pour causer globalisation des affaires criminelles. L’internationalisation systémique des affaires est justement le thème sous-jacent mais affleurant du film. Elle est symbolisée par cette grappe de gouapes et de salopards allant à l’encontre de leur discrétion souhaitée en se frittant avec, entre autres, une poignée d’indigènes xénophobes et racistes (l’un d’eux est interprété par Gérald Laroche, un habitué des tournages du sieur Valette, un autre est joué par l’acteur et réalisateur Jean-Jacques Lelté, qui tenait le rôle principal du Cruel de Éric Cherrière, autre régional de l’étape).
Si certains « hasards » scénaristiques paraissent moins des ficelles que des câbles, ils font aussi qu’existe cette variation polaresque racée. Le film, rêvons-un peu, pourrait même être le prologue à quelques polars ruraux de derrière les ballots de foin.
Plausible quoique improbable, l’intrigue est mise en boîte avec une mise-en-scène épurée, loin d’une esbroufe aussi spectaculaire qu’efficace pour maintenir l’attention que celle devenue quasiment la norme. Techniquement, c’est là le film le plus mature de Valette. Il joue la carte d’une atmosphère constamment tendue plutôt que le festival de bourres-pifs.
Faussement lent, Le Serpent… porte également bien la patte de son réalisateur : le sérieux de l’affaire et la violence des événements sont tempérés par un humour aussi diffus que parfois vachard. Ainsi le tueur sino-colombien est-il le plus souvent accompagné d’un fils de caïd faible et à côté de ses pompes. En plus, il vapote !

Concernant le tueur professionnel qu’incarne Terence Yin, sa présence en ces terres de vignobles n’est qu’en apparence aussi incongrue que celles des autres. Elle est non seulement l’illustration très série B du caractère impitoyable et de l’insatiable appétit de puissants réseaux illégaux ou fertilisés sur des profits illicites, mais également un hommage aux polars hongkongais. Sa posture imperturbable, quasi robotique, sa froideur dans l’action, son indifférence face à la mort, en fait une sorte de squale chasseur d’hommes, ou mieux, un putain de serpent. Ce tueur impavide semble tout autant échappé d’un polar de Hong Kong façon Ringo Lam que d’un quartier miséreux d’une métropole colombienne, là où la vie d’un Gavroche sino-colombien a peut-être été plus dure encore pour lui que pour les autres gamins du barrio. De quoi devenir sicario.
L’antédiluvienne baston finale entre le gentil et le méchant est pliée en trois-quatre mouvements. Frustrant ? Mais n’en avez-vous pas marre de cette antienne qu’est la confrontation entre le « héros » et sa nemesis ? Ne savez-vous pas qu’un combat mano a mano entre deux combattants de ce niveau  a peu de chance de durer plus de dix secondes ? Ne trouvez-vous pas que c’est plutôt réconfortant d’assister à une scène de baston dans un polar français qui fasse un pied-de-nez aux chorégraphies et au montage sur-découpé des innombrables copieurs des fights de La Mémoire dans la peau ?

Polar, thriller d’action, western, Le Serpent aux mille coupures a eu le malheur d’être distribué a minima. Moins de quarante copies France, une seule copie dans Toulouse intra-muros, pourtant fief du réalisateur, une exploitation vite expédiée, peu de presse. Et des avis mitigées, si ce n’est hostiles, de la part d’un bon pourcentage des critiques amateurs. Une volée de bois vert à l’encontre de Tomer Sisley, pourtant impeccable dans une composition très comportementaliste, à la Manchette.
Il est clair que non seulement le film n’a pas eu la chance de faire carrière mais aussi qu’il est aisé de le sous-estimer. Parce qu’il » n’y a pas assez d’action », parce que « c’est mou », « parce que le mec des films Largo Winch est nul », parce que « c’est débile de mettre un flingueur chinois dans un film hexagonal se déroulant dans le Midi »…

À noter en bonus un entretien avec le réalisateur. Il s’exprime notamment sur la difficulté de monter ce type de projet dans le cadre d’un système de rentiers frileux d’une part de la production ciné.
Sinon, à part ça, jusqu’ici, tout va bien.

Laurent Hellebé

 

 

LE SERPENT AUX MILLE COUPURES
Réalisateur : Eric Valette
Scénario : Eric Valette & DOA d’après son roman éponyme
Production : Raphaël Rocher, Adrian Politowski
Photo : Vincent Mathias
Montage : Sébastien Prangère
Bande Originale : Christophe Boulanger & Mike Theis
Origine : France
Durée : 1h46
Sortie française : 05 avril 2017

 

 

« A Fuller Life » de Samantha Fuller : Brown Cigares

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Est-ce parce qu’elle porte un nom entré dans la grande Histoire du cinéma — Samantha Fuller s’abrège en Sam Fuller — que cette jeune femme, fille d’un talentueux cinéaste, s’est emparée d’une caméra et s’est engouffrée dans cette aventure de la même manière que son père près de soixante-dix ans plus tôt ?

 

Tel père telle fille : Samuel et Samantha Fuller

 

Samantha aurait pu signer un documentaire pétri de piété filiale comme il en existe des cargaisons dans son pays : des films intéressants, certes, mais très académiques et qui ne donnent aucun aperçu de la personnalité du sujet choisi. À des années lumière de tels procédés aux rouages huilés, la jeune cinéaste ouvre son film dans le bureau de son père, avec des rayonnages croulant de bouquins et un désordre qui ne le rendent que plus vivant. Tandis qu’elle avance dans l’étroit couleur face à une caméra en travelling arrière, elle accroche un fusil à son épaule et fonce à la manière d’un commando de GI dans le vif du sujet. En quelques mots, elle décrit ce père mort en 1997 à l’âge de 85 ans. Le film, A Fuller Life, qui sort en DVD et Blu-ray chez Carlotta, accompagné d’un livret, peut commencer : on entend la voix de Samuel Michael Fuller égrener ces mots qui donnent autant de bonheur aux cinéphiles qu’une messe en latin aux grenouilles de bénitier : moteur… son… (on entend un coup de revolver)… action !

 

 

Plutôt que d’appeler à la rescousse les collaborateurs et amis du paternel pour enregistrer tout le bien qu’ils pensent de lui, elle a choisi un panel de premier plan d’acteurs et de cinéastes et leur fait lire l’autobiographie de Sam Fuller, A Third Face (Un troisième visage, publié en français chez Allia). Certains ont travaillé avec lui : Bill Duke dans Sans espoir de retour (1989), Jennifer Beals dans Tinikling (1990), Robert Carradine, Mark Hamill et Kelly Ward dans The Big Red One (1980, Au-delà de la gloire), Constance Towers dans Shock Corridor (1963) et The Naked Kiss (1964). D’autres le connaissaient ou l’admiraient et beaucoup ont un lien direct avec l’extrait que Samantha leur a demandé de lire : ce n’est pas un hasard si c’est Bill Duke, comédien et cinéaste noir, qui raconte l’épisode au cours duquel le jeune Sam, alors journaliste, est confronté au Ku Klux Klan ou si ce sont Robert Carradine, Mark Hamill et Kelly Ward qui lisent ces passages passionnants et très forts où Fuller nous refait vivre sa guerre. Soldat, il passe de la Tunisie à la Sicile, remonte l’Italie avant de s’en aller débarquer en Normandie, tout cela avec la fameuse Big Red One. Une expérience dont il tirera le très beau et très antimilitariste film qui porte le nom de cette division d’infanterie.

 

Bill Duke

 

Portée par tous ces grands noms, la voix de Sam résonne à travers tout le film. Grand cinéaste, Fuller fut également un grand journaliste qui savait raconter ce qu’il vivait. En cela, sa façon de décrire ses jeunes années miséreuses, ses débuts dans le journalisme puis la guerre sont un sacré morceau de bravoure que Samantha éclaire par des extraits de films, montrant combien l’œuvre de Fuller faisait sens avec ce qu’il avait vécu. Dans ces tranches de vies filmées par Fuller, on reconnaît bien sûr des passages de ses grands films mais on a également la surprise de découvrir des dessins — car Fuller avait aussi ce talent — et les bandes en 16 mm que sa fille a retrouvées dans son bureau. Il y en avait un millier de bobines, beaucoup tournées pendant la guerre et lors de la découverte macabre des camps d’extermination nazis (celui de Falkenau/Flossenbürg, une ville aujourd’hui en République tchèque et portant le nom de Sokolov).

 

James Franco

 

Fuller n’a jamais cessé d’être journaliste et a toujours, dans le récit de sa vie, le sens du détail. C’est cette femme coiffée de la cagoule blanche du KKK qui dégrafe son corsage pour nourrir son bébé au sein. Ou cette pauvre Italienne mutilée qui veut se venger des fascistes. Ces entraînements à balles réelles qui entraînent la mort de soldats. Ou cette phrase du colonel George A. Taylor, au moment du débarquement en Normandie : « Nous ne libérons rien, nous renversons la situation. » Car Fuller n’est jamais dupe de quoi que ce soit. Il sait que les habitants de Normandie ont été obligés de coopérer avec les nazis après ces années d’occupation.

 

Le port de la drogue

 

Il y a encore cette jolie anecdote avec Marlene Dietrich, venue donner un spectacle sur le front, et à qui le soldat Fuller va vouloir parler pour lui demander une faveur. Puis viennent, bien sûr, les années hollywoodiennes. Fuller explique qu’il préférait tourner des films à budgets moins importants qui lui garantissaient son indépendance. Car ce petit homme nerveux au visage sempiternellement barré d’un immense cigare sombre — Brown Cigare auraient pu ironiser les Stones — était un indépendant forcené. Qui s’opposa toujours à l’incompréhension et fit face au rejet de ceux qui ne conçoivent le monde que cadenassé dans des boîtes bien étiquetées. La presse française de gauche des années cinquante eut tôt fait de l’assimiler à un réac parce qu’il avait signé un film comme Pickup on South Street (1953, Le port de la drogue), anticommuniste et surfant sur la vague maccarthyste. Fuller était plutôt un anarchiste et il explique que J. Edgar Hoover, le patron du FBI, trouvait que le film penchait davantage du mauvais côté puisqu’on y montrait des Américains acceptant de travailler avec des communistes. De même fut-il taxé de raciste à cause de White Dog (1982, Dressé pour tuer), alors que le film montrait le contraire.

 

William Friedkin

 

A Fuller Life s’achève sur un message de sagesse et d’espoir. « Croyez en vous, exhorte le cinéaste, quel que soit ce qu’on vous dit. » William Friedkin ajoute alors combien ce conseil a pu aider quelques jeunes à réaliser ce dont ils avaient envie. Enfin, signalons en bonus un inédit signé Sam Fuller : il s’agit d’un court film réalisé pour la TV, Dog Face, qui montre, en pleine guerre en Afrique du nord, les incohérences humaines.

Jean-Charles Lemeunier

 

Sam Fuller dans son bureau

 

A Fuller Life
Année : 2013
Origine : États-Unis
Réal. : Samantha Fuller
Concept : Samantha Fuller d’après « A Third Face » de Samuel Fuller
Photo : Hilton Goring, Seamus McGarvey, Tyler Purcell, Rachel Wyn Dunn
Musique : Paul-Alexander Fuller
Montage : Tyler Purcell
Avec Samantha Fuller, James Franco, Jennifer Beals, Bill Duke, James Toback, Kelly Ward, Perry Lang, Robert Carradine, Mark Hamill, Joe Dante, Tim Roth, Wim Wenders, Monte Hellman, Buck Henry, Constance Towers, William Friedkin…

DVD et Blu-ray sortis chez Carlotta Films le 3 janvier 2018.

 


« Le vénérable W » de Barbet Schroeder : L’habit ne fait pas le moine

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Barbet Schroeder l’a annoncé dans toutes ses interviews : avec ce Vénérable W sorti en DVD et Blu-ray chez Blaq Out, son désir était de clore ce qu’il avait baptisé la Trilogie du mal, démarrée avec un portrait du dictateur africain Idi Amin Dada en 1974 et poursuivie avec celui de l’avocat Jacques Vergès (L’avocat de la terreur, 2007).

Le vénérable W est un moine bouddhiste birman, Ashin Wirathu, qui assène calmement d’étonnantes professions de foi racistes. Sa cible sont les Rohingyas, qui sont malheureusement depuis plusieurs mois au cœur d’une actualité dramatique. D’entrée de jeu, face à la caméra de Schroeder, le « vénérable » moine donne un cours de zoologie sur les poissons-chats d’Afrique : « Ils grandissent très vite et se reproduisent très vite aussi. Et puis, ils sont violents. Ils mangent leur propre espèce et détruisent les ressources naturelles de leur environnement. Les musulmans sont exactement comme ce poisson. »

 

 

On apprend ainsi que Wirathu est à la tête du Mouvement 969 qui veut protéger « une identité bouddhiste » et fomente des émeutes contre les populations rohingyas. Accusant par exemple en 2012 les musulmans du viol d’une jeune bouddhiste, les membres du mouvement tuent 10 musulmans. Les violences se multiplient et se concluent par la mort de 31 bouddhistes et 46 musulmans.

Les Rohingyas vivent principalement sur la côte ouest de la Birmanie, dans la province d’Arakan. Or, se plongeant dans les archives, Barbet Schroeder découvre un reportage de Roger Pic, diffusé sur TF1, qui date de 1978 et qui montre la découverte de pétrole dans cette région. De là à vouloir en faire fuir les populations musulmanes qui vivent là, il n’y a qu’un pas. Aisément franchi.

La force du documentaire de Schroeder, comme l’étaient déjà les films sur le dictateur africain et sur l’avocat, est de laisser parler librement des personnages sulfureux. Ceux-là aiment d’autant plus se servir des caméras qu’ils croient les utiliser à leur profit. Schroeder dévoile en outre d’autres images tout aussi fortes — à vous glacer le sang, même — de la répression policière ou d’un homme en flammes, au cours d’une émeute, que les passants regardent indifférents. Le type bouge un peu, preuve qu’il est toujours vivant, et une voix lance : « Laissez-le mourir ! »

 

 

Lui-même proche du bouddhisme (il le dit dans le bonus), Barbet Schroeder enveloppe son document de cette sagesse orientale qui nous subjugue tant, nous les Occidentaux. Comme un pot se remplit d’eau de pluie, est-il dit dans le film, l’innocent qui l’absorbe goutte par goutte finit par se remplir du mal. Une manière d’expliquer pourquoi tant de moines semblent suivre le vénérable W dans ses discours de haine. Et ses débordements : n’a-t-il pas traité une déléguée de l’ONU de « putain bonne à vendre son cul aux Kalars (NDA : appellation birmane péjorative pour les musulmans)«  ? Heureusement, le cinéaste ajoute des témoignages contredisant Wirathu et apporte le contrepoint d’un autre moine, U. Kaylar Sa — un des leaders de la révolution de safran, en 2007 —, qui déclare : « Dès lors qu’il y a violence, le bouddhisme est détruit ! » Et la voix chuchotante de Bulle Ogier qui traduit celle d’une religion considérée comme profondément humaniste.

 

 

Le vénérable W montre à l’Occident un personnage qui va à l’encontre de ce qu’on croit être le bouddhisme. Il pointe également du doigt l’attitude tout aussi étonnante pour nous d’Aung San Suu Kyi qui, aujourd’hui à la tête du gouvernement, refuse de prendre position sur le massacre des Rohingyas (le film a été tourné en 2016, époque où les interrogations sur l’attitude d’Aung San Suu Kyi n’ont pas encore été placées sur le devant de la scène médiatico-politique). En revanche, Barbet Schroeder donne une tribune à un homme qui ne la mérite pas vraiment, comme c’était déjà le cas avec Amin Dada. Cité par Les Inrockuptibles, un chercheur de Sciences Po, David Camroux, estime que le film donne à Wirathu « de la crédibilité et de l’importance ». C’est toute la difficulté de l’information — et l’honnêteté de Schroeder qui désire rencontrer et donner la parole à l’homme dont il va brosser un portrait peu flatteur.

Jean-Charles Lemeunier

Le vénérable W
Année : 2017
Origine : France, Suisse
Réal. et scén. : Barbet Schroeder
Photo : Victoria Clay-Mendoza
Musique : Jorge Arriagada
Montage : Nelly Quetter
Avec Ashin Wirathu, U. Zanitar, Kyaw Zayar Htun, U. Kaylar Sa, Matthew Smith, Abdul Rasheed, Carlos Sardiña Galache, U. Galonni, avec la voix de Bulle Ogier.

Sorti en DVD et Blu-ray chez Blaq Out le 13 novembre 2017.

 

Un cinéaste oublié : Autour de Pottier

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Ceux qui suivent attentivement le contenu de ces colonnes, de même que ceux qui n’y viennent jeter un coup d’œil que de temps en temps, savent bien qu’il est question ici de beaucoup de cinéastes. De toutes sortes, des grands maîtres au plus obscur tâcheron, chacun méritant — dans le cas des seconds — de connaître un quart d’heure ou le temps de quelques lignes son instant de célébrité.

Que diriez-vous si c’était à présent au tour de Pottier, Richard de son prénom, d’être placé sous la lumière ? Qui qu’c’est-y qu’çui-là ?, demanderiez-vous certainement dans ce langage imagé qui vous caractérise. Richard Pottier ? Connais pas ! Et bien qu’à cela ne tienne, puisque Lobster Films vient de sortir en DVD Si j’étais le patron (1934), premier film du Richard en question, qu’avaient précédé chez le même éditeur Un oiseau rare (1935), L’aventure commence demain (1947) et La châtelaine du Liban (1956). Si l’on ajoute à ceux-là quelques autres titres parus ici et là (Caroline chérie, Picpus, La ferme aux loups, Meurtres) et le passage il y a peu d‘Ouvert contre X sur une chaîne de télé, on peut se dire qu’il est temps de causer un peu d’un cinéaste qui, malgré quelques gentillesses affligeantes (pensons à Barry, 1949, histoire d’un brave chien qui sauve des avalanches et de l’enfouissement sous la neige les héros du film à tour de pattes ou aux historiettes/opérettes jouées par Tino Rossi et Luis Mariano), a néanmoins plusieurs titres intéressants à épargner dans une filmo riche d’une quarantaine d’œuvres.

Si l’on s’attache au peu d’éléments biographiques trouvés sur internet, Richard Pottier est né Ernst Deutsch en 1906, à l’époque dans l’empire d’Autriche-Hongrie. Il se trouve qu’en 1916, un autre Ernst Deutsch, qui a fait ses premières armes au théâtre deux ans plus tôt, démarre une carrière cinématographique prolifique. Est-ce pour cette raison que notre Ernst à nous s’est transformé en Richard Pottier ? Sans doute aussi que, travaillant en France, il était normal de porter un patronyme vernaculaire. Quoi qu’il en soit, Pottier décroche une place d’assistant-réalisateur de Josef von Sternberg sur L’ange bleu en 1929. Il assiste ensuite, sur les versions françaises de films allemands, Dimitri Buchowetzki (Le réquisitoire en 1930, Magie moderne en 1931) et Wilhelm Thiele (Dactylo en 1931).

 

 

Nous en arrivons à 1934, année où Richard Pottier fait ses débuts dans la mise en scène. Dialogués par Jacques Prévert, ses deux premiers films, Si j’étais le patron et Un oiseau rare, ont un côté Front populaire. D’autant plus que, dans le premier, un ouvrier (Fernand Gravey) devient effectivement le patron de la boîte où il travaille grâce à la lubie d’un milliardaire (Max Dearly), principal actionnaire de l’entreprise et mécontent du directeur en place (Georges Vitray). Le second repose sur des quiproquos qui font confondre aux sports d’hiver, où il a gagné un séjour grâce à un concours, un sympathique prolo (Pierre Brasseur) et un milliardaire (encore Max Dearly, décidément abonné à ce rôle puisqu’il a été aussi Le dernier milliardaire pour René Clair en 1934). Les deux films sont enjoués et gentiment corrosifs. Il faut voir la fête chaleureuse organisée par les ouvriers de Si j’étais le patron, parce qu’ils viennent tous de gagner à la loterie. Prévert oppose le collectivisme et la sympathie des opprimés à l’hypocrisie coincée de la classe dominante. La première mesure prise par Gravey quand il accède au plus haut échelon de l’échelle sociale est d’ailleurs de permettre aux ouvriers de travailler en musique. On retrouve également, dans le rôle de l’ingénieur incapable et imbu de sa personne, le savoureux Charles Dechamps, que l’on reverra dans trois autres films de Pottier : Un oiseau rare, Les secrets de la mer Rouge (1937) et Ouvert contre X (1952).

En 1935, avec Fanfare d’amour, Pottier porte à l’écran un scénario de Robert Thoeren et Michael Logan, adapté en français par Pierre Prévert et dialogué par René Pujol. Deux musiciens au chômage (Fernand Gravey et Julien Carette) sont obligés de se déguiser en filles pour pouvoir intégrer un orchestre féminin. Ça vous rappelle quelque chose ? Il est évident que Billy Wilder a dû puiser quelque inspiration là-dedans pour son Some Like It Hot (1959, Certains l’aiment chaud). La même année, Pottier s’attaque à un film d’espionnage dans deux versions : la française (Le disque 413) et l’anglaise (Guilty Melody). Avant d’affronter, en 1937, Les secrets de la mer Rouge. Voilà un film d’aventures, tiré des récits d’Henry de Monfreid, qu’on aimerait voir sortir en DVD/Blu-ray un jour ou l’autre. D’autant plus qu’il est scénarisé par Joseph Kessel, interprété par Harry Baur et Gaby Basset — qui fut madame Jean Gabin quelques années auparavant — et que l’adorable Tela Tchaï, découverte dans L’Atlantide de Pabst et, encore moins couverte, dans Le roi de Camargue de Baroncelli, n’a pas l’air de porter grand chose de chaud dans ce récit-ci.

Son film suivant, Lumières de Paris (1938), va conduire Pottier sur une pente savonneuse ou plutôt sirupeuse, comme l’est la voix de son principal interprète Tino Rossi. Le chanteur corse est en effet une énorme vedette à l’époque et ses récitals comme ses films font recette. Pente savonneuse parce que Pottier va se laisser entraîner dans ces comédies musicales, un genre perfectionné par Hollywood et dans lequel Berlin s’est engouffré, et dont les copies françaises affichent un charme aujourd’hui désuet. Ainsi, Pottier alignera tout au long de sa carrière des films de ce genre, avec Irène de Trébert pour Mademoiselle Swing (1942), toujours avec Tino pour Mon amour est près de toi (1943), Destins (1946) — où l’on entend l’inusable Petit Papa Noël — et Deux amours (1948), avant de partir avec Luis Mariano sur une longue série de films chantés puis d’opérettes filmées : Rendez-vous à Grenade (1951), Violettes impériales (1952), Le chanteur de Mexico (1956) et Sérénade au Texas (1958).

 

 

Si les comédies musicales restent assez rares dans la cinématographie française, que dire des films de science-fiction ? C’est pourtant bien ce qu’est Le monde tremblera (1939), un sujet écrit par Clouzot et qu’on aurait bien aimé voir repris dans le coffret de Lobster Clouzot avant Clouzot. Ce sera, il faut l’espérer, pour une prochaine fois. Claude Dauphin a inventé une machine capable de prédire la mort de ceux qui la consultent. Erich von Stroheim la commercialise, ce qui va créer un certain nombre de problèmes à l’inventeur. On sent chez Pottier une facilité d’adaptation à tous genres de matériaux scénaristiques et un plaisir visible à les traiter avec, toujours, une bonne dose d’humour.

 

 

Humour que l’on retrouvera pas mal dans tous ses films policiers. Ainsi dans Picpus, en 1943. Ce polar est tourné en pleine occupation pour la Continental, une compagnie à capitaux allemands censée insuffler une vigueur nouvelle au cinéma français en pleine débâcle, sous couvert de propagande pro-nazie. Ce qui ne sera pas vraiment respecté (en matière de propagande). Ainsi décide-t-on de redonner vie au personnage créé par Simenon, le commissaire Maigret. Trois films seront ainsi produits par la Continental : l’un  — Cécile est morte (1944), un chef-d’œuvre — réalisé par Maurice Tourneur, les deux autres — Picpus (1943) et Les caves du Majestic (1945), plus qu’honorables — signés Richard Pottier. La première bonne idée de cette trilogie est de confier le rôle du meilleur flic de France à Albert Préjean. Jusqu’ici, le personnage avait été incarné par des acteurs à la stature hiératique (Pierre Renoir, Harry Baur), physiques imposants, imperturbables, comme le sera plus tard Jean Gabin. Tout au contraire, Albert Préjean (qui approche pourtant déjà la cinquantaine) fait beaucoup plus jeune, avec sa gouaille de titi parisien. On sait que Jules Maigret est le fils d’un régisseur de château. Préjean secoue cette grande figure de la littérature policière en lui donnant des allures de prolo. La deuxième excellente idée des trois films est d’avoir confié le personnage de l’inspecteur Lucas à Gabriello. Mais si, voyons, Gabriello est ce gros flic bonasse de L’assassin habite au 21 à qui Raymond Bussières, perché sur son réverbère, chantonne qu’il emmerde les gendarmes et la maréchaussée. Cette maréchaussée sied comme un gant à Gabriello, un type qui veut tellement dire de mots dans la même phrase que tout se bouscule dans sa bouche et qu’il a déjà fini ce qu’il voulait dire avant d’avoir commencé. Même en tendant l’oreille, on ne comprend pas toujours vraiment ce que vient de déclarer l’inspecteur Lucas et c’est cet humour omniprésent dans la trilogie, écrite suivant les épisodes par Jean-Paul Le Chanois ou Charles Spaak, qui vient éclaircir des histoires assez sordides. Trois excellents films dont deux seulement, Picpus et Cécile est morte, ont été édités en DVD par Gaumont dans sa collection À la demande.

 

 

C’est dans cette même collection de DVD que l’on peut également dénicher La ferme aux loups (1943), autre grande réussite de Richard Pottier, là encore produite par la Continental. Comédie policière menée à train d’enfer par Paul Meurisse, François Périer et Martine Carol, elle met en scène deux journalistes et leur secrétaire à la recherche des circonstances de la mort d’un mystérieux clochard russe. Pour donner un exemple des péripéties : les trois héros, dans une voiture décapotable, sont surpris par un orage et soudain stoppés par un arbre abattu en plein milieu de la route. De frayeur, Martine Carol s’évanouit. « Micky — c’est le nom de la jolie dame —, Micky », s’inquiète François Périer en lui posant la main sur le sein. Te gêne pas, lui dit en substance Meurisse qui se voit expliquer par Périer qu’il voulait juste voir si le cœur battait toujours. « Micky, Micky », s’inquiète alors à son tour Paul Meurisse. Qui, aussitôt, vient poser sa main sur le cœur de Martine Carol. L’occupation allemande est brutale, il faut bien se changer les idées !

Pottier retrouve Meurisse dans L’insaisissable Frédéric (1946), nouvelle comédie policière écrite par Gérard Carlier et Carlo Rim, qui a déjà travaillé avec le cinéaste sur 27, rue de la Paix en 1936 et Les secrets de la mer Rouge l’année suivante. L’acteur est une des excellentes raisons de découvrir ce film, d’autant plus qu’il est accompagné par Denise Grey, Jeanne Fusier-Gir, Palau et quelques autres. Ah oui, il y a aussi Renée Saint-Cyr, dont le jeu sucré peut en exaspérer plus d’un.

À propos de L’aventure commence demain, on s’arrêtera moins sur l’histoire du cimetière des éléphants après lequel court un trio sympathique que sur le trio lui-même et sur les échanges dans lesquels amour et humour font bon ménage. Isa Miranda, Raymond Rouleau et André Luguet retrouvent l’entrain de ces comédies rythmées à la française des temps de guerre, décalquées du modèle hollywoodien et qui avaient un charme certain.

 

 

Glissons un peu sur les années. Après deux films avec Fernandel en 1950 (Casimir et, surtout, Meurtres, dans lequel le célèbre comique euthanasie sa femme malade — scandale garanti), Pottier aborde en 1951 un nouveau genre : le film à costumes dans lequel l’héroïne l’ôte assez souvent (son costume). Martine Carol éclate dans Caroline chérie et devient star grâce au film. L’adaptation du bouquin de Jacques Laurent (alias Cecil Saint-Laurent) par Jean Anouilh reste très réactionnaire : les pauvres marquises sont violentées par de méchants révolutionnaires et autres hommes du peuple. Un son de cloche que l’on retrouvera peu ou prou dans Les révoltés de Lomanach, que Pottier tourne trois ans plus tard. Mais Dany Robin n’a rien du charme délétère de Caroline/Martine Carol et ce deuxième film fera moins de bruit, comme n’en feront pas les deux autres épisodes de Caroline tournés par Jean Devaivre, l’ancien assistant de Pottier. Quoi qu’il en soit, si l’on veut bien laisser de côté sa fibre républicaine libertaire, Caroline chérie reste très plaisant à regarder. Même si le fameux érotisme sulfureux paraît aujourd’hui bien anodin. De la Lola-Lola de L’ange bleu à Caroline, Pottier a certainement retenu quelques leçons de Sternberg, avec le soin apporté à la photographie de Maurice Barry et la direction artistique confiée à Jacques Krauss, qui avait déjà travaillé sur Si j’étais le patron et Un oiseau rare.

Un mot encore d’Ouvert contre X, tourné l’année suivante. Ce film sans vedette, mais bourré de seconds rôles comme on les aime, est porteur d’un humour savoureux dû aux dialogues de Marc-Gilbert Sauvajon. Lesquels font penser un peu à ceux que Michel Audiard fignolera quelques années plus tard, et pas seulement parce qu’on y entend « Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages ». Audiard qui aurait d’ailleurs participé, sans être crédité, à Caroline chérie. Cette enquête menée tambour battant par un trio de flics imparables (Yves Deniaud, Yves Vincent et Robert Dalban) autour de la mort d’un financier peu scrupuleux (Henri Nassiet) sert surtout de prétexte à une galerie de portraits cocasses, de la bignole peu farouche (Maria Riquelme) à la cuisinière qui veut presser l’interrogatoire policier pour aller souper (Zélie Yzelle), de la voisine toujours prête à débiner (Madeleine Barbulée) au pauvre détective sans client (Charles Vissières), de la manucure arrêtée pour prostitution (Marthe Mercadier, une innocente !) à la faiseuse d’anges (Odette Barencey, une autre innocente !), la liste est longue et toujours riche en excentricité. Pottier et Sauvajon abordent aussi sans détour l’homosexualité féminine à travers le personnage de Marie Déa.

 

 

Inspiré de Pierre Benoît, La châtelaine du Liban, film d’aventures sur fond de gisement d’uranium affiche à son générique les noms de Jean-Claude Pascal, Gianna Maria Canale et Jean Servais (on y retrouve aussi, outre l’inoxydable Robert Dalban, Juliette Gréco et Omar Sharif). Soit le couple vedette (Pascal et Canale) d‘Alerte au sud, tourné trois ans plus tôt par Jean Devaivre avec, là, l’expérimentation d’une arme nouvelle et d’un rayon de la mort. Comme encore avec Le grand jeu (1954) de Robert Siodmak — avec toujours Jean-Claude Pascal —, l’époque surfe sur ce besoin d’épopée proche-orientale au lendemain de la guerre.

Après deux péplums (David et Goliath en 1960, co-signé par Ferdinando Baldi — et Orson Welles pour les séquences dans lesquelles il apparaît —, et L’enlèvement des Sabines en 1961 avec Roger Moore dans le rôle de Romulus et Mylène Demongeot en belle Sabine), Richard Pottier achève cette longue et prolifique carrière en 1964 avec Le dernier tiercé, une histoire de chevaux et de meurtre avec Odile Versois, Michel Le Royer, Magali Noël et Dario Moreno. Pas de quoi émouvoir le PMU, quand on compare avec tout ce qui a précédé.Le cinéaste disparaît en 1994 sans n’avoir jamais eu les honneurs d’une reconnaissance tardive. C’était pourtant quelqu’un, ainsi que l’a souligné Paul Vecchiali dans son admirable Encinéclopédie, qui faisait mieux que bien connaître son métier : « On devine qu’il l’aimait ». Même si Vecchiali déplore que Pottier était avant tout un technicien et ne faisait preuve d’aucune ambition artistique.

Avec son beau nom d’artisan, Pottier a forcément plus d’un tour dans son sac. Sans révolutionner le septième art ni pouvoir mériter le statut tant envié d’auteur, il a néanmoins mis avec talent ses mains dans l’argile pour en sortir une bonne quinzaine, si ce n’est une vingtaine, de films plutôt bien fichus, plaisants à voir et à écouter — car les dialogues y ont toujours une grande importance —, habités par ces acteurs que l’on aime tant dans ce cinéma français des années 30-50 et que le grand Raymond Chirat nommait si justement les excentriques. De la belle ouvrage, quoi !

Jean-Charles Lemeunier

Quelques DVD de Richard Pottier :

Si j’étais le patron, Un oiseau rare, L’aventure commence demain et La châtelaine du Liban chez Lobster Films

Barry chez Ciné Club

Le chanteur de Mexico, Violettes impériales, Sérénade au Texas chez Studio Canal

Picpus, La ferme aux loups, Caroline chérie (disponible également en Blu-ray), Tabarin chez Gaumont À la demande

Destins, Casimir, Meurtres chez René Chateau Vidéo

 

« Pour toi j’ai tué » de Robert Siodmak : Le parfum d’Yvonne

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Loin de moi l’idée de reprendre au foot tel ou tel slogan mais, franchement, qui ne saute pas sur le moindre film de Robert Siodmak qui pointe le bout de son nez n’est pas cinéphile. Et justement Criss Cross (1949), que l’infidèle traduction française a transformé en Pour toi j’ai tué, fait son apparition chez Elephant Films. Faut-il vraiment que vous alliez jusqu’au bout de cette chronique pour vous précipiter ?

 

 

Pour toi j’ai tué est considéré comme un film noir. Le sujet en a, certes, toutes les apparences, apparences d’ailleurs trompeuses puisqu’elles ne font qu’habiller une vraie histoire d’amour romantique. Et charnel. Car, depuis la Seconde Guerre mondiale, le cinéma a évolué. Le cynisme des premiers héros de films noirs, souvent incarnés par Bogart, a laissé sa place à l’amoureux rendu fou par une femme fatale. Les rapports entre les deux sont sexuels et les cinéastes n’en font pas mystère. À plus forte raison s’ils ont été formés aux écoles viennoises ou berlinoises. On connaît le sillon tracé à Hollywood par Erich von Stroheim, Josef von Sternberg, Ernst Lubitsch ou Billy Wilder. C’est justement Wilder qui signe le très sexué Assurance sur la mort en 1944 et c’est Robert Siodmak, cinéaste qui a débuté à Berlin avant de gagner Paris puis l’Amérique pour cause de barbarie nazie, qui pose son nom sur le générique de Pour toi j’ai tué

 

 

Après avoir été marié à Yvonne De Carlo puis largué au bout de 8 mois, Burt Lancaster revient à Los Angeles. Et cherche à revoir son amoureuse. Laquelle, maquée au malfrat local (Dan Duryea), n’est pas opposée au fait de reprendre ses relations avec le beau Burt. Triangle classique, certes, qui devrait faire basculer la jolie Yvonne dans le rang très occupée des femmes fatales qui se révèlent être de belles garces. C’est là toute la différence apportée par Siodmak. Laissant malgré tout planer une ambiguïté, ses deux amoureux se comportent comme deux tourtereaux, vite pris sur le fait. D’où l’idée du hold-up, prétexte à dédouaner le couple illégitime.

 

 

Entre Burt Lancaster et Yvonne De Carlo, tous deux magnifiques, les dialogues sont à peine à double sens, grand tour de force des films noirs — il n’y a qu’à revoir Le grand sommeil de Hawks et chercher toutes les allusions sexuelles qui se glissent dans les dialogues. Ici, Siodmak et son scénariste Daniel Fuchs (qui adapte un roman de Don Tracy) y vont en roue libre. Lorsque les deux amoureux évoquent leurs disputes fréquentes, arrivent aussitôt sur le tapis les heureux souvenirs des réconciliations, toujours très fortes selon Yvonne. On comprend très bien ce qu’elle veut dire. Rarement la sexualité a été abordée aussi frontalement dans un film produit par un grand studio, ici Universal, depuis l’instauration du code de censure. Et il n’est qu’à voir la beauté endormie sur un canapé pendant que se prépare le hold-up pour comprendre ce que je veux dire. N’en déplaise à Patrice Leconte, cette Yvonne-là n’a pas que son parfum qui est entêtant !

Un plan d’ailleurs, qui démarre la formidable séquence du braquage, explique clairement de quoi il s’agit. Le fourgon blindé qui va être attaqué est vu d’avion, circulant entre un bâtiment rectiligne (la ligne droite de la bonne conduite) et un autre présentant deux formes arrondies (qui ne peuvent faire penser qu’aux appas féminins, sans avoir trop besoin de se creuser la tête). Lancaster est ainsi pris entre deux feux. Au cours d’une conversation avec Yvonne, il lui expliquera qu’en croquant une pomme, un morceau reste souvent entre les dents. On prend alors un bout de carton qu’on détache de son paquet de cigarettes et il se coince aussi. En clair, il en va de même avec un amour. Il a beau s’éloigner, il vous en reste toujours un petit bout qui vous gêne et vous fait penser à lui.

 

 

Siodmak est ainsi un cinéaste d’images. Au sens figuré, celles-ci parsèment ses dialogues. Au sens propre, elles sont très soignées, toujours signées par un chef op’ de renom. Ici, c’est Franz Planer qui, lui aussi, a suivi la même trajectoire que son réalisateur : le cinéma allemand, puis français, puis américain pour lequel il changera son prénom en Frank. Planer place sa caméra souvent dans la rue et nous montre un Los Angeles pentu (celui de Bunker Hill), avec le fameux funiculaire des Anges aperçu par une fenêtre d’un appartement.  Souvent, par l’ouverture d’un bâtiment, que ce soit justement une fenêtre ou une porte, il profite de la profondeur de champ pour montrer un paysage, une rue;

Siodmak sait aussi donner du rythme à ses images et leur conférer, quand il faut, une tension très forte. Il n’y a qu’à se reporter à la séquence de l’hôpital, stressante à souhait avec ses jeux d’ombres et ses angles biscornus tout droit sortis de l’expressionnisme allemand.

 

 

Les acteurs sont comme on les aime dans ces films noirs. Lancaster et De Carlo ont été abondamment cités mais il faudrait aussi mentionner l’excellent Dan Duryea, visage dur, mâchoire crispée, chevelure gominée d’officier nazi, et Stephen McNally dans le rôle du flic, pas mièvre pour deux sous, même s’il veut éviter ce qu’il pense être le pire à son ami Lancaster. Parmi les nombreux seconds rôles du film, il faudrait encore parler d’Alan Napier en vieux braqueur alcoolique sur le retour. Ce grand bonhomme, tant par la taille (1,97 m) que le talent, attire l’œil de la caméra et du spectateur dès qu’il apparaît. Malgré une très grande carrière sur grand écran, il est surtout connu pour son rôle d’Alfred, le serviteur de Bruce Wayne, dans la série Batman (1965-1968).

 

 

On relèvera encore l’apparition muette de Tony Curtis, alors inconnu et portant le prénom d’Anthony, dans le rôle du jeunot qui fait tourbillonner Yvonne De Carlo lors de la scène du bal. Dans le bonus, Eddy Moine (oui oui, c’est bien le fils de Monsieur Eddy) nous explique que c’est grâce à ce petit tour de danse que l’acteur sera plébiscité et se verra offrir de plus grands rôles par Universal.

Pour toi j’ai tué fait partie d’une série de trois films noirs, avec le génial Espions sur la Tamise de Fritz Lang (où l’on retrouve Dan Duryea et Alan Napier) et le moins connu La vengeance d’une femme de Zoltan Korda, que sort Elephant Films ce 6 février. Vous êtes encore là ou déjà dans votre magasin préféré ?

Jean-Charles Lemeunier

Pour toi j’ai tué
Année : 1949
Titre original : Criss Cross
Origine : États-Unis
Réal. : Robert Siodmak
Scén. : Daniel Fuchs d’après Don Tracy
Photo : Frank Planer
Musique : Miklos Rosza
Prod. Universal
Durée : 88 min
Avec Burt Lancaster, Yvonne De Carlo, Dan Duryea, Stephen McNally, Esy Morales, Percy Helton, Alan Napier, Tony Curtis…

DVD et combo Blu-ray/DVD sortis chez Elephant Films le 6 février 2018

« Vivre ensemble » d’Anna Karina : Chronique d’un amour dans l’après 68

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Présenté, lors du dernier festival Lumière à Lyon, au cours d’un hommage à Anna Karina, Vivre ensemble — écrit, joué, réalisé et produit par la comédienne en 1973 — ressort en salles grâce à Malavida Films.

 

 

Quand elle décide de tourner son premier film en tant que réalisatrice, la muse de Godard a entamé une carrière internationale. On l’a vue devant les caméras de Luchino Visconti (L’étranger, 1966), Guy Green (The Magus, 1968), J. Lee Thompson (Avant que vienne l’hiver, 1968), Volker Schlöndorff (Michael Kohlhaas, 1969), George Cukor (Justine, 1969), Tony Richardson (La chambre obscure, 1969), Hans Geissendörfer (Carlos, 1971) , Lee H. Katzin (Notre agent à Salzbourg, 1972) et elle s’apprête à tourner dans Pain et chocolat (1973) de Franco Brusati quand elle attaque Vivre ensemble. Ce qu’elle désire, visiblement, c’est retrouver cette liberté si présente dans les films de JLG et montrer le monde tel qu’il est, ce qui donne parfois à Vivre ensemble des allures de documentaire. Le Paris d’après 68 et le New York de la contestation anti-guerre au Vietnam, avec ces jeunes qui s’emparent de Central Park, ne sont pas des décors mais les réels personnages de cette histoire d’amour contrariée entre une jeune femme bohème, Julie (Anna Karina), et un prof petit-bourgeois, Alain (Michel Lancelot).

 

 

Tandis que l’une va progressivement mûrir et prendre des responsabilités, l’autre va sombrer dans une dépression entretenue grâce à l’alcool et la drogue. Car, pour vivre avec Julie, Alain va quitter sa femme et son boulot. Pour apprendre bien vite, malgré un voyage à New York, qu’on vit difficilement d’amour et d’eau fraîche. Chronique amère liée à son époque, Vivre ensemble offre de belles vues de Paris et New York et, surtout, un portrait acerbe d’une jeunesse paumée. Qu’est-ce que la liberté, semble s’interroger Anna Karina, quand l’un fait ce qui lui plaît mais qui déplaît à l’autre ? Quand l’alcool et le désœuvrement amènent les coups ? Certaines séquences deviennent d’ailleurs très dures, à la limite du supportable. Ce sont des gens qui s’aiment, certes, mais, comme le chante Ferré dans Madame la Misère, « traînant des mots d’amour avalant les insultes/ Et prenant par la main leurs colères adultes ».

 

 

Dans ce face-à-face qui se déroule sous les regards attentifs de Buster Keaton et des Marx Brothers (les affiches qui ornent la chambre de Julie), Anna Karina incarne une femme tout à la fois attirante et agaçante qui va s’assagir, tandis que Michel Lancelot, très coincé au départ, va sombrer dans le sordide. Le film est une belle occasion de revoir ce journaliste tombé aujourd’hui dans l’oubli (il est décédé en 1984), qui donna quelques heures de gloire à la radio (avec Campus, une émission dans la mouvance libertaire de 68) et à la télé. Oscillant, en tant que critique, de Combat à Minute, qualifié parfois de « beatnik fasciste », Michel Lancelot était devenu le chantre de la contre-culture, célébré par Léo Ferré et tant d’autres. Ce charisme dont il faisait preuve est mis en scène dans Vivre ensemble par celle qui était alors sa compagne. Et le film prend des allures de document sensible et intelligent.

Jean-Charles Lemeunier

 

 

Vivre ensemble
Année : 1973
Origine : France
Réal. et scén., prod. : Anna Karina
Photo : Claude Agostini
Musique : Claude Engel
Montage : Andrée Choty, Françoise Collin
Durée : 93 min
Avec Anna Karina, Michel Lancelot, Monique Morelli, Bob Asklof, Jean Aurel…

Malavida Films ressort « Vivre ensemble » en salles le 14 février 2018.

« Espions sur la Tamise » de Fritz Lang : L’homme qui était trop curieux

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Les grands cinéastes placent-ils dans leurs films des indices subliminaux que l’on pourra ou non percevoir sans que le scénario en souffre ? Que Fritz Lang soit un immense cinéaste, cela ne fait aucun doute. Et que Ministry of Fear (1944, affublé en français de deux titres, l’un ridicule – Espions sur la Tamise — et l’autre plus approprié —Le ministère de la peur —) soit un film mésestimé par son auteur lui-même n’empêche rien : Lang y a semé ici et là des images-signatures, des symboles pouvant marquer des passages. En quelque sorte des trous de ver, ainsi que les astrophysiciens désignent aujourd’hui ces sortes de raccourcis dans l’espace-temps.

 

 

Puisqu’Elephant Films a la bonne idée de ressortir le film en DVD et Blu-ray, remettons-nous un instant dans le bain : dans une chambre, un homme (Ray Milland) regarde l’horloge fixée au mur. Elle indique six heures moins cinq et, exactement à six heures, la porte s’ouvre, donnant soudain un espace de lumière et un point de fuite. Stephen Neale, le type qui attend, est enfin libéré de l’asile psychiatrique où il a séjourné deux ans, accusé d’un meurtre sur lequel, dans son esprit, le doute subsiste. Une fois de plus, en une séquence, Lang a planté les clous qui vont supporter le décor de son histoire. Vont s’y mêler une atmosphère étrange dont on se sait pas bien si elle est réelle ou rêvée, une mainmise de la société sur l’individu, et une possibilité d’échapper à son destin.

 

 

Une fois dehors, Milland, en attendant son train pour Londres, va aller faire un tour dans une fête de charité organisée par les Mothers of Free Nations. Nous sommes en 1944 et le film n’a pas peur de décrire la réalité du Blitz. Il nous montre une attaque aérienne et le bombardement d’une usine et une longue scène d’alerte où les Londoniens sont contraints de s’abriter dans une station de métro. Mais revenons à Milland. Il est libre, a du temps à perdre en attendant son train et pénètre donc dans l’enceinte de la fête. Sitôt la limite franchie, le personnage va entrer dans ce qui ressemble à un rêve et recevoir immédiatement sur lui un ballon envoyé par une gamine. Est-il maudit comme M, ce tueur de petites filles filmé par Lang, treize ans plus tôt, dans la même situation ? Ou pénètre-t-il dans un univers parallèle ? À partir de là en tout cas, rien ne ressemble plus à la réalité : ni la rencontre avec une voyante, ni ce gâteau qu’il faut peser et dont on lui donne le poids afin qu’il le récupère, ni cet aveugle qui partage son compartiment dans le train, ni cette séance de spiritisme digne des Mabuse, menée par la séduisante Hillary Brooke. Quand il quitte précipitamment l’appartement d’Hillary, Ray Milland croise à nouveau des enfants qui jouent au ballon dans la rue. Fritz Lang nous explique-t-il que l’on quitte désormais son univers ? Que tout le reste n’appartient plus qu’à l’académisme hollywoodien ?

 

 

Dans le bonus, Eddy Moine raconte combien le cinéaste allemand n’aimait pas Espions sur la Tamise, ayant été obligé de suivre à la lettre le scénario de Seton I. Miller — par ailleurs producteur du film —, lui-même adapté d’un roman de Graham Greene. Il est vrai que l’histoire, étrange et bien foutue au départ, sombre à la fin dans la convention. Mais qu’importe puisqu’elle est sauvée, rehaussée, mise en valeur et sublimée par la mise en scène de Fritz Lang ! Les plans géniaux succèdent aux bonnes idées, comme ce coup de feu tiré à travers une porte depuis une pièce sombre, un rai de lumière pénétrant soudain par l’orifice ainsi percé. Lang a beau signer à cette époque des œuvres assez proches de celles de Hitchcock, avec l’importance accordée à la psychologie, la présence d’une cinquième colonne nazie dans un pays démocratique et même une sorte de MacGuffin, prétexte sans importance pour lancer toute l’histoire, ses héros — et certainement ici celui interprété par Ray Milland — ne sont pas de faux coupables mais des personnages ayant quelque chose à se reprocher. Et si Milland n’est pas ici un homme qui en sait trop, il est en tout cas trop curieux pour être laissé tranquille.

Jean-Charles Lemeunier

 

 

Espions sur la Tamise
Année : 1944
Titre original : Ministry of Fear
Origine : États-Unis
Réal. : Fritz Lang
Scén. : Seton I. Miller d’après Graham Greene
Photo : Henry Sharp
Musique : Miklos Rozsa
Montage : Archie Marshek
Prod. : Seton I. Miller, Buddy G. DeSylva (Paramount)
Durée : 86 min
Avec Ray Milland, Marjorie Reynolds, Carl Esmond, Hillary Brooke, Percy Waram, Dan Duryea, Alan Napier, Erskine Sanford…

Combo Blu-ray/DVD sorti par Elephant Films le 6 février 2018.

Deux films de Pete Walker : Artus Films passe au Blu-ray

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Sans doute trop occupé à nous dénicher quelques pépites rarissimes, Artus Films n’était toujours pas passé au Blu-ray. C’est désormais chose faite et avec quoi, je vous le donne en mille ? Deux rarissimes pépites !

Car, entre nous, à part les plus mordus des amateurs de bis, qui connaissait le nom de Pete Walker ? Qui était capable de citer un ou deux titres de ce cinéaste anglais des années soixante-dix, toujours vivant et ayant signé, si l’on en croit les deux spécialistes convoqués dans les bonus des deux combos DVD/Blu-ray (Alain Petit et David Didelot), quelques excellents films. Lesquels se comptent peut-être sur les doigts d’une seule main mais c’est déjà ça !

À commencer par les deux que nous sert Artus sur un plateau : House of Whipcord (1974, Flagellations) et House of Mortal Sins (1976, Mortelles confessions). Deux surprises et même, pour tout dire, deux très bonnes surprises. Car Walker a beau traîner dans son sillage la réputation d’un réalisateur de sexploitation, ce terme un peu péjoratif ne s’applique pas aux deux films présentés ici. La surprise évoquée plus haut est d’autant meilleure que Flagellations comme Mortelles confessions ont des sujets aux épaules sacrément renforcées : qu’il concerne la justice ou la religion, le propos est fortement politique. Même si Pete Walker, on l’apprend, jurait ses grands dieux que ce n’était pas le cas.

 

 

Dans Flagellations, des femmes sont emprisonnées arbitrairement. Au moment du générique, une phrase qui glace le sang dédie d’ailleurs le film « à ceux que le relâchement moral inquiète et qui attendent impatiemment le retour des châtiments corporels et de la peine de mort ». On sourit. Sacré Pete, il se fout des pères la pudeur et enfonce le clou en montrant ce que serait la société si ces gugusses avaient gagné la partie. Une fois le film vu — laquelle vision conforte cette impression première —, on se rend directement au bonus. Et David Didelot nous apprend que, non non non, ce n’est pas du second degré et que l’ami Walker était au contraire extrêmement conservateur. Une opinion que n’accréditent ni Flagellations ni Mortelles confessions et pourtant, il faut se rendre à l’évidence, Walker cultivait le premier degré. Toujours selon Didelot, « la plus-value dans la carrière de Pete Walker » s’appelle David McGillivray, scénariste des deux films. C’est lui qui aurait poussé Walker à sortir de la sexploitation pure et dure et à travailler des scénarios un peu plus corrosifs. Cerise sur le gâteau : le critique nous apprend que McGillivray a également écrit pour Norman J. Warren, autre cinéaste britannique buissonnier, le tout aussi indépendant Esclave de Satan.

 

 

Lorsque l’héroïne de Flagellations se retrouve enfermée dans une prison désaffectée, le spectateur inattentif pourrait penser que le film va basculer dans le fameux sous-genre des WIP (Women in Prison) cher aux bisseux de la planète entière : Italiens, Philippins, Américains, Espagnols, Allemands, Français se sont fait un plaisir d’enfermer dans des cellules crasseuses de jolies filles à peine vêtues et humiliées par de coriaces gardiennes. Beaucoup d’éléments sont présents dans Flagellations : la jolie fille, la cellule et la matonne peu commode, les châtiments corporels et même le saphisme, certains effleurés, d’autres montrés plus franchement. Pete Walker s’amuse à semer quelques graines, tel ce personnage, joué par Robert Tayman, à qui il donne le nom de Mark E. Desade — qui se prononce, bien sûr, marquis de Sade. Mais son film est beaucoup plus angoissant qu’un film bis, avec cette justice aveugle symbolisé par un juge qui l’est tout autant (Patrick Barr). Angoissant aussi parce que c’est à l’excellente — et redoutable — Sheila Keith que le cinéaste a confié le rôle de la gardienne en chef. L’actrice est formidablement efficace et les personnages étranges que Walker lui a confiés (on la retrouve dans Mortelles confessions, on en reparlera) lui siéent à merveille.

Six ans après la série télévisée Le Prisonnier, Flagellations parle encore d’une impossibilité de s’échapper. Là d’un village, ici d’une prison, comme si la société anglaise se sentait coincée sans espoir de renouveau. Et, comme dans Le Prisonnier, Penny Irving croira pouvoir échapper à ses tortionnaires alors que toute tentative semble vouer à l’échec.

 

 

Critique (ou célébration) de la justice expéditive, Flagellations est une heureuse introduction à l’univers de Pete Walker. Deux ans plus tard, Mortelles confessions nous confirme le fait que le cinéaste peut se montrer très critique envers les institutions. Ici, c’est l’Église qui en fait les frais. En ouverture du film, une fille court, arrive chez elle et se suicide. La caméra s’attarde sur une Bible qu’elle avait ouverte sur sa table de chevet. Fondu enchaîné sur une autre Bible, cette fois celle d’un prêtre. De là à imaginer un principe de cause à effet, il n’y a qu’un pas que le spectateur franchit rapidement. Spectateur qui admire au passage la façon qu’a Pete Walker de lier deux actions. On pense, dans Flagellations, à ce raccord entre une jeune femme qui geint et une autre qui rit franchement, effectué grâce aux gros plans de la bouche ouverte et des dents.

 

 

Il va être question de meurtres dans Mortelles confessions, de meurtres filmés de prime abord comme dans un giallo, ces films de tueurs en série dont les Italiens raffolaient à la même époque. On ne voit du coupable que les mains gantées et la silhouette vêtue d’un manteau noir. Mentionnée plus haut, la critique de l’Église se fait en deux temps. Le vieux confesseur qui s’amuse à poser aux jeunes femmes des questions sur leur sexualité est certes plus que contestable, pour ne pas en dire plus sur ce personnage d’envergure incarné puissamment par Anthony Sharp. Dans le bonus, Alain Petit explique que le rôle avait d’abord été proposé à Peter Cushing qui, engagé ailleurs, avait dû refuser. Ce n’est pas sûr qu’on y perde, tant Sharp se montre à la hauteur. Plus tard, toujours en ce qui concerne le questionnement du clergé, c’est un jeune curé (Norman Eshley) qui discute avec un homologue beaucoup plus âgé (Mervyn Johns) de la possibilité du mariage des prêtres, le plus vieux acceptant sereinement cette idée.

 

 

Nous finirons avec Sheila Keith qui incarne la gouvernante borgne d’Anthony Sharp. Avec ses cheveux platine courts et coiffés en arrière et le cache qu’elle porte sur un œil, l’actrice a soigné son look. Cette femme inquiétante se livre, à la toute fin du film, à une confession — puisque c’est l’un des sujets du film — grâce à laquelle elle dévoile entièrement ce qu’elle a toujours tu. Grand moment, ainsi que la conclusion très cynique, qui font que les deux propositions d’Artus Films pour ouvrir l’accès aux Blu-ray sont d’excellents choix.

Jean-Charles Lemeunier

« Flagellations » et « Mortelles confessions », deux films de Peter Walker proposés en combos Blu-ray/DVD par Artus Films le 6 mars 2018.

Une histoire du western : Le regard d’Ulysse

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Bien qu’annoncée constamment et régulièrement, la mort du western n’est toujours pas à l’ordre du jour. Et quand ce n’est pas un film qui a les honneurs du box office, c’est un hommage circonstancié qui vient prouver que le genre connaît toujours un regain d’intérêt. GM Éditions et Carlotta Films sortent deux coffrets, l’un consacré aux cowboys et l’autre aux Indiens, comportant chacun six films et un livre écrit par Louis-Stéphane Ulysse.

Illustré par Alamo, Il était une fois dans l’Ouest, La horde sauvage, Josey Wales hors-la-loi, Tom Horn et True Grit, celui des frères Coen, le premier coffret rend donc hommage aux cowboys des westerns américains, auxquels s’ajoutent ceux qui ont été revus et corrigés par la caméra de Sergio Leone. Et, avec La flèche brisée, La prisonnière du désert, Soldat bleu, Little Big Man, Jeremiah Johnson et Danse avec les loups, le second coffret célèbre les Indiens.

 

 

Dans chacun des livres qui les accompagnent, abondamment illustrés, Louis-Stéphane Ulysse retrace les grandes figures historiques, cowboys et Indiens, et les acteurs qui les ont incarnés. Difficile d’être exhaustif avec un sujet aussi vaste. L’auteur a donc choisi de mettre en avant quelques personnages peu connus du grand public. Ainsi, pour les Indiens, Red Wing, James Young Deer, Chief Buffalo Child Long Lance — ayant des origines à la fois noire et indienne, cet acteur milita pour la cause des Indiens, jusqu’au moment où, découvrant qu’il avait des ancêtres noirs, la « bonne société » le bannit de ses soirées —, Iron Eyes Cody — un Italo-Américain qui se fit passer toute sa vie pour un véritable Indien — ou Sacheen Littlefeather, la jeune Indienne qui vint représenter Marlon Brando lors de la cérémonie des Oscars 1973 et refuser la statuette attribuée à l’acteur pour Le Parrain.

 

 

Approches tantôt historiques, tantôt cinématographiques, les deux livres sont plutôt une balade dans ce riche univers des légendes de l’Ouest lointain, qui partent à chaque fois de Buffalo Bill et de son cirque, le Wild West Show qui tourna de 1883 à 1913. Ce fut lui qui fit découvrir aux Américains et aux Européens les légendes westerniennes, des outlaws aux shérifs mythiques, des grands chefs indiens emplumés aux Blancs qui prirent le parti des opprimés contre les militaires et pionniers toujours à la recherche d’une nouvelle frontière. La frontière est justement l’un des grands axes du western, que Louis-Stéphane Ulysse approfondit en même temps que les premiers cowboys de l’écran (William Hart, Tom Mix), John Wayne, les cowboys chantants (Gene Autry), John Ford, le Lone Ranger, etc.

 

 

Pour paraphraser Théo Angelopoulos, le regard d’Ulysse se pose aussi sur les westerns européens. Tels Winnetou, avec un Indien joué par le Français Pierre Brice, véritable star outre-Rhin, et, bien sûr, la trilogie du dollar de Sergio Leone. Insatiables, on en voudrait plus encore, on aimerait que l’auteur aille encore plus loin dans le détail. Ce qu’il fait, reconnaissons-le, lorsqu’il parle du colonel Carleton et de ses batailles contre les Navajos, ou de Josef Muench, photographe du Grand Canyon, de Monument Valley et de l’Arizona. À propos de ce dernier, Ulysse reprend l’histoire comme quoi Muench aurait jeté une tomate au visage de Hitler, ce qui appartient peut-être plus à la légende qu’à la réalité. Mais l’auteur des Cowboys et des Indiens n’allait quand même pas contredire le grand John Ford en s’en tenant à la réalité.

Jean-Charles Lemeunier

« Une histoire du western » : les deux coffrets — comprenant chacun un livre et six films en DVD — sont édités par GM Éditions et Carlotta Films le 15 mars 2018.


 


« Mon XXe siècle » d’Ildiko Enyedi : La maman et la putain

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C’est curieux comme des dialogues passés à peu près inaperçus lors de leur sortie peuvent avoir une autre résonance aujourd’hui. Que dites-vous de celui-ci, prononcé dans Mon XXe siècle, beau film de la réalisatrice hongroise Ildiko Enyedi datant de 1989 et que Malavida Films a la bonne idée de ressortir en salles ce 14 mars ? Perchée sur un mur où l’a aidée à monter Oleg Yankovskiy moyennant un baiser puis dégringolant de l’autre côté, Dorota Segda disparaît du plan ne laissant place qu’à une voix – la sienne ou celle des étoiles très présentes dans le film ? – et aux mots qu’elle(s) prononce(nt). Et quels mots !

« Vous pensez que les femmes sont juste dévolues à l’accouplement et la reproduction. Vous devez réaliser juste que les ambitions des femmes vont dépasser l’obtention du vote. Les femmes ne sont pas à la merci de l’homme ! Une femme a sa propre vie. Les tyrans de votre espèce vont bientôt débarrasser le plancher. Le temps où les femmes vont toucher à la dynamite au lieu de préparer le café va bientôt venir ! » Prémonitoire !

 

 

Mon XXe siècle est le premier film réalisé par Ildiko Enyedi, qui a obtenu l’an dernier à Berlin l’Ours d’or pour Corps et âme. Sorti en France le 10 février 1990, il recevait dans La Saison cinématographique un accueil mitigé, Yves Alion saluant les « fulgurances poétiques » mais regrettant qu’une certaine confusion fasse passer Mon XXe siècle à côté d’un grand film. Le critique espérait sans doute un équivalent hongrois aux éblouissantes Petites marguerites de Vera Chytilova, un film également disponible chez Malavida. Mais là où les deux amies tchèques débordaient de vitalité et de couleurs, les jumelles hongroises de Mon XXe siècle nous plongent dans un magnifique noir et blanc. Depuis les années soixante, il se passe artistiquement quelque chose de fort de l’autre côté du rideau de fer, prêt à se relever lorsque sort Mon XXe siècle. Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin et le symbole du Bloc communiste s’effondrent, soit moins de deux mois après la présentation du film au festival de Toronto, le 15 septembre 1989, et trois semaines avant sa sortie à Budapest, le 30 novembre 1989.

Le plus étonnant dans Mon XXe siècle, ce sont les références occidentales éloignées de l’Europe de l’est. De même que les innovations d’Edison annoncent le XXe siècle, l’inventeur américain, incarné par Peter Andorai, ouvre et ferme le film. On retrouve également des allusions aux contes d’Andersen, à Sade voire à Jean Eustache (La maman et la putain). Tout commence donc par la naissance de jumelles, Dora et Lili, toutes deux interprétées, ainsi que la mère, par Dorota Segda, une réelle découverte. En grandissant, elles deviennent pour survivre de petites marchandes d’allumettes puis sont séparées. Ensuite, Dora se transforme en aventurière croqueuse d’hommes, de bijoux et d’argent, tandis que Lili, beaucoup plus prude, se rapproche du courant anarcho-féministe. Les Justine et Juliette sadiennes ne sont pas loin dans leurs prédispositions, chacune de leur côté, au vice et à la vertu. Une vertu tout de même poseuse de bombes dans ce cas précis !

 

 

Cet étrange film, qui se déroule en gros entre 1880 et 1900, évoque moins le siècle de la modernité et des deux guerres mondiales que l’éveil scientifique et la place de la société humaine dans un monde qui obéit à d’autres règles, qu’elles soient divines ou de l’ordre de la Nature avec un grand N, une Nature qui semble observer et rire des agissements humains. D’où l’importance des animaux, chien, âne, colombes et singes, toujours là pour signifier que l’homme n’est pas au sommet de l’échelle, quoi qu’il en pense.

Dans les entretiens donnés ici et là, la réalisatrice avoue qu’elle a voulu mettre beaucoup de choses dans son film.Tel cet éveil au féminisme flagrant dans le monologue cité plus haut, lequel monologue suit une séquence assez étonnante d’une conférence sur le droit de vote féminin. L’homme, un scientifique, commence par dire qu’il y est favorable pour ensuite tenir un discours typiquement masculin de dépréciation, alléguant que les femmes ne sont vouées qu’à la sexualité, la reproduction et l’accouplement. Et qu’elles se distinguent suivant deux types : la maman et la putain !

 

 

La richesse du propos s’accompagne d’une mise en scène tout aussi inventive : pensons à ces séquences de la célébration de la nouvelle année entre deux trains et du palais des glaces, à la Lightning Dance d’Edison et à ces plans d’étoiles qui, elles aussi, dansent, à cette caméra qui passe, sur un bateau, de la table du capitaine à un échange de ping-pong que regarde l ‘une des jumelles. Ce soin apporté à la mise en scène se retrouve dans l’omniprésence de l’eau, de fleuves, de canaux, dont les courants sont suivis par la caméra, symboles de transmission grâce, là encore, à la Nature.

 

 

Soulignons enfin l’importance du hors-champ – les scènes entendues depuis la cabine du bateau ou devant le mur de l’usine – qui ramènent à une présence quasi divine que confirme Edison dans son discours final, à savoir que Dieu a créé l’homme à son image et l’a placé dans un monde qu’il devra apprendre à maîtriser. A noter au passage le clin d’œil d’Ildiko Enyedi qui filme à ce moment-là un appareil dont la marque est Marx et Marx. A chacun sa religion !

Jean-Charles Lemeunier

Mon XXe siècle

Titre original : Az én XX. századom

Origine : Hongrie

Année : 1989

Réal., scén. : ldiko Enyedi

Photo : Tibor Mathé

Musique : Laszlo Vidovszky

Montage : Maria Rigo

Durée : 102 min

Avec Dorota Segda, Oleg Yankovskiy, Paulus Manker, Peter Andorai, Gabor Maté…

Caméra d’or au festival de Cannes 1989.

Nouvelle sortie en salles par Malavida Films le 14 mars 2018.

David O. Selznick chez Carlotta : Le portrait de Jennifer

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Après le beau coffret Selznick/Hitchcock, Carlotta Films poursuit son étude de la filmo du grand producteur américain avec un nouveau coffret ultra collector comportant deux films, Duel in the Sun (1946, Duel au soleil) et Portrait of Jennie (1948, Le portrait de Jennie), et un livre très documenté et joliment illustré, Le temps des folies de Pierre Berthomieu.

 

 

Les deux films sont interprétés par Jennifer Jones, que Selznick épouse en 1949 et avec qui il entretient une liaison depuis plusieurs années, une actrice qui, malgré toute sa bonne volonté, surjoue un peu. Face à elle, heureusement, Selznick embauche des acteurs nettement meilleurs : Gregory Peck, Joseph Cotten, Lionel Barrymore, Lillian Gish, Herbert Marshall, Walter Huston et Charles Bickford dans Duel ; Joseph Cotten, Ethel Barrymore, Lillian Gish, David Wayne et Cecil Kellaway dans Jennie.

S’il confie à William Dieterle la responsabilité de Jennie, la mise en scène de Duel au soleil pose davantage de problèmes : le film est officiellement signé par King Vidor mais, comme ce fut le cas pour Autant en emporte le vent (1939), chef-d’œuvre de Selznick, il voit passer de nombreux autres cinéastes : Josef von Sternberg, William Dieterle, Sidney Franklin, William Cameron Menzies et Otto Brower.

 

 

Le scénario de Niven Busch et Oliver H.P. Garrett, sur lequel intervient également le légendaire Ben Hecht, est tiré d’un roman de Niven Busch. L’histoire, celle d’une jeune métisse (fille d’un Blanc et d’une Indienne) recueillie par le riche et tyrannique propriétaire d’un ranch rappelle un peu celle de The Furies (1950, Les furies) d’Anthony Mann, dont Pierre Berthomieu nous apprend qu’elle est, elle aussi, tirée d’un récit de Busch. Dans Les furies, l’intrépide Barbara Stanwyck brave l’autorité de son père (Walter Huston) parce qu’elle est l’amie de Gilbert Roland, un Mexicain que son père fait pendre. Dans Duel, la tout aussi intrépide Jennifer Jones, de sang mêlé, brave le racisme de Lionel Barrymore en tombant amoureuse des deux fils de la maison (Peck et Cotten).

 

 

Car c’est là la force, d’un point de vue scénaristique, de Duel au soleil : le désir sexuel. Jennifer est la fille d’une Indienne, incarnée par l’Autrichienne Tilly Losch, dont la danse sur les tables, au début du film, est très sexuée — on se demande bien comment tout cela a pu passer auprès de la censure — comme l’est son propre personnage. Les vêtements de Jennifer Jones, les couleurs qu’elle porte, sa longue chevelure sur sa peau cuivrée font que Joe Cotten et Gregory Peck ne peuvent que transpirer de concupiscence à sa vue.

 

 

L’autre atout du film consiste dans l’emploi du Technicolor. À l’évidence, Selznick cherche à renouer avec le succès d’Autant en emporte le vent et Duel au soleil lui ressemble à bien des égards. Dans les deux films, une femme forte (Vivien Leigh et Jennifer Jones) est confrontée à un homme très viril (Clark Gable et Gregory Peck), tout en étant profondément amoureuse d’un mollasson qu’elle ne pourra jamais avoir (Leslie Howard et Joseph Cotten). Outre ses couchers de soleil flamboyants et ses beaux paysages, le film nous offre plusieurs séquences mémorables : l’ouverture sur la danse de la mère et le double meurtre, le dressage du cheval sauvage, le bain dans l’oasis, le viol — atténué dans son ultime version, celle qui apparaît à l’écran —, le duel dans la rue déserte et, bien entendu, le finale. On garde aussi un souvenir ému des couleurs du film, en particulier de la robe verte portée par Jennifer Jones. Selznick, puisqu’il semble être le véritable auteur de Duel au soleil, dépasse les thèmes westerniens pour les tirer vers la tragédie, une tragédie que l’on qualifiera volontiers de sexuelle. Le producteur oppose à son actrice le personnage d’un prédicateur, qu’il offre à Walter Huston sans doute en souvenir du rôle qu’il tenait dans Rain (1932), remake par Lewis Milestone du Sadie Thompson de Somerset Maugham mis pour la première fois en images en 1928 par le grand Raoul Walsh. Sadie Thompson, où le rôle du missionnaire était tenu par Lionel Barrymore. La boucle est quasiment bouclée. Dans Duel au soleil, Huston a beau n’avoir que Dieu à la bouche, il n’en remarque pas moins que Jennifer Jones est « façonnée de la chair de la tentation ».

Si le scénario combat le racisme anti-Indien dont est victime le personnage joué par Jennifer Jones, il ne peut s’empêcher de redonner à Butterfly McQueen le rôle — plutôt pénible — de la servante noire naïve et stupide qu’elle tenait déjà dans Autant en emporte le vent. Avec une voix de crécelle qu’on pourrait comparer à celle de Bernadette (Melissa Rauch) dans la série The Big Bang Theory.

 

 

Toute l’aventure du film est très savamment retracée par Pierre Berthomieu dans Le temps des folies. Cet universitaire spécialiste de Hollywood — il a signé chez Rouge profond le triptyque Le temps des géants, Le temps des voyants, Le temps des mutants — part du roman de Niven Busch, compare les différentes versions du scénario, essaie de discerner les apports des uns et des autres sur la version finale et étudie les personnages et tous les aspects du film. Une somme !

 

 

Dans certains dialogues et surtout avec la voix-off du début, on déplore dans Duel au soleil une grandiloquence assez pompeuse que l’on retrouve dans le prologue du Portrait de Jennie. Comme le scénario raconte l’histoire d’un peintre (Joseph Cotten) qui tombe amoureux d’une étrange « petite fille » (Jennifer Jones, 29 ans à l’époque, qui devient de plus en plus crédible au fur et à mesure que le film avance et qu’elle grandit), Selznick, Dieterle et leur chef op’ Joseph August ont pris le parti de donner à ces premières images un grain, comme si elles étaient peintes sur une toile. Ici, la couleur est délaissée — à l’exception d’une scène — au profit d’un très beau noir et blanc.

 

 

Poétique et naïf, Le portrait de Jennie raconte une touchante histoire d’amour absolu, digne du tant vanté par les Surréalistes Peter Ibbetson (1935), dans laquelle le spectateur se sent de plus en plus subjugué, transporté par cette ballade que ne cesse de chanter Jennifer Jones : « Là d’où je viens, personne ne sait et là où je vais, tout va. »

Curieusement, le film ne joue pas que sur le romantisme et laisse la place à plusieurs séquences de comédie, notamment avec l’ami de Cotten et le bar irlandais. Il faudrait aussi évoquer ce vieil employé de théâtre (Felix Bressart) qui remonte dans ses souvenirs pour fournir à Cotten un renseignement capital et qui, chaque fois qu’il est interrompu, est perturbé. On ne peut que penser à l’impayable Delmont dans La femme du boulanger (1938) de Pagnol qui, lui non plus, n’aime pas être coupé sous peine de reprendre son récit depuis le début. On sait que ce film fut vu en Amérique puisque, sitôt après la guerre, Orson Welles — par ailleurs le narrateur de Duel au soleil — vint à Paris rencontrer Raimu, pour lui « le plus grand acteur »… et pour apprendre que ce dernier venait de décéder.

 

 

Signé par Paul Osborn et Peter Berneis, le scénario de Jennie, auquel ont collaboré Selznick et Ben Hecht, laisse suffisamment d’ambiguïté à ses personnages pour que l’on puisse pencher vers une thèse ou une autre. On peut croire aux fantômes et au merveilleux et penser que cet amour par-delà la vie n’existe que parce que, comme le disent ses protagonistes, « nous étions faits l’un pour l’autre ». On peut aussi suivre la thèse développée par la galeriste (Ethel Barrymore) et penser que le personnage incarné par Jennifer Jones et l’Inspiration avec un I majuscule ne font qu’un. Le plus important dans cette histoire est apporté dans un bonus par Daniel Selznick, le fils de David O. et de sa première femme Irene — la fille de Louis B. Mayer, le patron tout puissant de la MGM. Pour lui, l’aventure de ce peintre affichant la quarantaine qui tombe amoureux d’une petite fille qui passe par l’adolescence avant de devenir une jeune femme est la même que celle vécue par son père, tombé amoureux de Jennifer Jones, plus jeune que lui de 17 ans.

 

 

Alors, peut-on se dire, Duel au soleil et Le portrait de Jennie brossent le portrait de Jennifer, une actrice portée aux nues par son producteur. Et sont les preuves d’un amour qu’un homme peut porter à sa femme.

Jean-Charles Lemeunier

Duel au soleil et Le portrait de Jennie en Blu-rays et DVD et en coffret ultra collector, accompagné du livre Le temps des folies de Pierre Berthomieu. Sortie le 21 mars 2018.

« La môme vert de gris » de Bernard Borderie : Lemmy public numéro 1



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Sortie chez Pathé Films en combo Blu-ray/DVD, la version restaurée de La môme vert de gris (1952) nourrit une attente due à la légende de ce fleuron de ce que l’on a appelé « le film noir à la française ». Et, curieusement, même si le film peut décevoir par son manque de punch, voilà bien le genre de DVD que l’on est content de voir et revoir voire d’avoir dans sa vidéothèque. Parce que, tout à la fois, il entretient et casse le mythe.

Ce mythe, quel est-il ? Il est lié à l’arrivée massive, pour cause de libération de la France, des polars américains menés de mains de maître par les Bogart et consorts. On retrouve, dans La môme vert de gris, bien que le film soit inspiré d’un roman anglais qui, lui-même, lorgne sur la littérature hard-boiled US, plusieurs éléments des fameux films noirs : un héros au style décontracté, une femme fatale — une blonde qui fume, crénom de nom ! —, un méchant qui a la classe et qui renvoie au George Macready de Gilda (1946) ou à Everett Sloane dans La dame de Shanghai (1947) et, enfin, un décor exotique, ici le Maroc et les souvenirs du Casablanca de Michael Curtiz.

 

 

Une fois plantés les personnages et l’ambiance, reste à placer l’intrigue. C’est sans doute là où le bâts blesse quelque peu. S’inspirant du roman de Peter Cheyney qui ouvrit en 1945 la collection Série noire — avec des tirets pour vert-de-gris, contrairement au film —, créée par Marcel Duhamel chez Gallimard, le scénario de Bernard Borderie et Jacques Berland reste malgré tout mou du genou parce que les deux compères n’ont pas osé se servir à fond des pourtant beaux seconds rôles qu’ils avaient à disposition. Pensons quand même que, parmi tous les personnages secondaires, nous avons Maurice Ronet, Dario Moreno, Roger Hanin, Georges Wilson, Jess Hahn, Giani Esposito et deux vieux de la vieille, Gaston Modot et Philippe Hersent, qui ne font tous qu’une trop courte apparition. C’est un peu dommage, si ce n’est le plaisir de les retrouver tous (à part Modot et Hersent, bien sûr) aussi jeunes et quasi anonymes. Autre curiosité : qu’on ait confié à Paul Azaïs, vedette populaire de l’entre-deux guerres, qu’un rôle de barman laconique. Mais cela est dû certainement à la commotion dont fut victime l’acteur suite à un accident et qui lui laissa quelques trous dans la mémoire.

 

Jacques Ary, Howard Vernon, Nicolas Vogel, Dominique Wilms, Eddie Constantine

 

La môme vert de gris marque les débuts ou presque du réalisateur (c’est son deuxième long-métrage) et d’Eddie Constantine. Partenaire de Piaf — une autre môme célèbre —, le chanteur n’a fait que de courtes apparitions avant cela dans des films oubliables. Remarquée par le cinéaste Edmond T. Gréville alors qu’elle est mannequin, la pulpeuse Dominique Wilms fait ici ses premiers pas à l’écran. Quant au personnage de Lemmy Caution, créé par Peter Cheyney, il n’est apparu que dans un sketch du film Brelan d’as (Henri Verneuil), en octobre 1952, sous les traits de John Van Dreelen. La môme sortira quelques mois plus tard, le 27 mai 1953. Constantine endossera à nouveau les traits de l’agent du FBI dans Les femmes s’en balancent (1953, Bernard Borderie), Cet homme est dangereux (1953, Jean Sacha, dont Bertrand Tavernier dit le plus grand bien), Vous pigez (1956, Pierre Chevalier), Comment qu’elle est ? (1960, Bernard Borderie), Lemmy pour les dames (1962, Bernard Borderie), À toi de faire… mignonne (1963, Bernard Borderie), Alphaville (1966, Jean-Luc Godard), Macaroni Blues (1986, Bela Coepasanyi et Fred Sassbo), Allemagne année 90 neuf zéro (1991, Jean-Luc Godard) et Le retour de Lemmy Caution (1989, Josée Dayan) pour la TV, sans compter en 1981 un épisode d’une série autrichienne. Bref, une nombreuse progéniture issue de cette Môme, c’est dire son importance historique. À signaler en bonus du combo de Pathé la sympathique interview d’Eddie Constantine qui raconte ses premiers pas dans le métier…

 

 

Constantine tient le film grâce à sa décontraction et son accent. Dragueur impénitent, il fait du charme à toutes les filles qui passent à portée de son sourire. Telle Jacqueline Noëlle, une des employées de l’aéroport, qui remarque : « Vous, vous devez être du Midi en Amérique » tant notre ami pousse la galéjade un peu loin. Face à lui, Dominique Wilms est à l’aise dans ce jeu de dupes où, à la manière des stars hollywoodiennes, elle est à la fois garce et salvatrice.

 

 

À ses côtés, dans le camp des méchants, Howard Vernon qui venait d’être remarqué grâce à son rôle de l’officier allemand dans Le silence de la mer (1947) de Melville est suave à souhait. Le futur interprète fétiche de Jess Franco apporte une ambiguïté salutaire à ce personnage de malfrat, à la fois inquiétant et parfois sympathique.

Malgré la volonté de Borderie et de son père, le producteur Raymond Borderie, de s’apparenter le plus possible aux récits hollywoodiens qui passionnent les foules, il est néanmoins une séquence qu’on ne peut trouver que dans un film français de cette époque : celle du strip-tease d’ouverture, le genre de scène jetée illico presto dans les poubelles de la censure avant même d’être tournée chez nos voisins d’outre-Atlantique. Et un surnom qui, on ne se refait pas, dépasse les limites de la franchouillardise dans la traduction qu’en a faite Marcel Duhamel lui-même puisque cette Môme vert de gris était surnommée, dans le roman original, Poison Ivy. Un nom qui vient d’une plante vénéneuse, le sumac. Ça a quand même un peu plus de gueule, non ? Et qu’on n’aille pas dire que le British Peter Cheyney est allé reluquer du côté des comics américains puisque la Poison Ivy de Batman n’a fait son apparition dans la bédé qu’en 1966 !

 

 

Pour toutes ces raisons historiques, La môme vert de gris mérite une bonne place dans toute vidéothèque ne serait-ce que pour savourer le duo Wilms/Constantine, ne serait-ce que pour voir hurler un Maurice Ronet de 25 ans, cinquante kilos tout mouillé, qui démarrait une prolifique carrière. Ne serait-ce aussi que pour identifier, au fil des séquences, Jess Hahn en marin menotteur, Giani Esposito, comédien, chanteur et poète trop tôt disparu, en capitaine de bateau, Jean-Marc Tennberg, lui aussi poète à ses heures, en journaliste alcoolo et Roger Hanin en malfrat anonyme. À ses côtés, lui aussi dans un rôle de méchant, mentionnons encore Jacques Ary qui, dans les années soixante, en compagnie de Jacques Legras, fit les belles heures de La caméra invisible et que l’on voyait parfois, au cours d’une émission télévisée, commencer à se déshabiller jusqu’à ôter ses chaussettes et les enfiler par la tête pour se déguiser. C’était une autre époque !

Jean-Charles Lemeunier



La môme vert de gris


Origine : France
Année : 1952

Réal. : Bernard Borderie

Scén. : Bernard Borderie, Jacques Berland d’après Peter Cheyney

Photo : Jacques Lemare

Musique : Guy Lafarge

Montage : Jean Feyte, Colette Lambert

Cascades : Henri Cogan

Prod. : Raymond Borderie

Durée : 97 minutes

Avec Eddie Constantine, Dominique Wilms, Howard Vernon, Dario Moreno, Jean-Marc Tennberg, Maurice Ronet, Nicolas Vogel, Gaston Modot, Philippe Hersent, Jess Hahn, Paul Azaïs, Jack Ary, Roger Hanin, Georges Wilson, Jo Dest, Jacqueline Noëlle, Gianni Esposito, Henri Cogan, Raymond Meunier…

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Sortie en combo Blu-ray/DVD par Pathé Films le 11 avril 2018.


Nus sur la Lune de Doris Wishman : L’étoffe des Éros

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Naïf ou malin ? Ces deux adjectifs antinomiques pourraient convenir à Nude on the Moon (1961, Nus sur la Lune), le film de Doris Wishman que Bach Films a la bonne idée d’exhumer de la sépulture légendaire où il reposait. Ajoutons que le DVD sort, au sein d’une collection Double programme, accouplé à une bizarrerie : The Boob Tube (1975) de Christopher Odin, version sexy du Groove Tube (1974) de Ken Shapiro, lui-même déjà passablement porté sur la chose. Un prétexte à montrer cette si jolie partie du corps féminin qui donne son titre au film. Parmi les autres nouveautés de la collection de Bach Films, citons également Invasion USA/In the Year 2889, Frankenstein contre le monstre de l’espace/La fille de Frankenstein ou Giant from the Unknown/La bête de la caverne hantée. Si après ça vous ne salivez pas, autant retourner voir La cht’ite famille !

Pourquoi sépulture légendaire à propos de Nude on the Moon ? Parce que les Américains ont rapidement qualifié de « culte » ce nanar devenu invisible au fil du temps et dont nous, Français, furent une fois de plus longtemps privés. Bon, une fois posés tous ces préambules, revenons à la question essentielle du début : le film est-il naïf ou malin ? Prend-il le spectateur mâle américain à qui il est destiné pour un benêt ? La réponse pourrait être affirmative parce que le qualificatif convient clairement. Mais Doris Wishman a su mêler quelques éléments prouvant qu’elle-même n’est pas dupe. La cinéaste a sans doute certainement compris assez rapidement que c’est en surfant sur la frustration sexuelle de ses contemporains qu’elle arriverait à gagner sa vie. Il n’est qu’à voir ses deux films les plus connus après son escapade lunaire, Supernichons contre mafia (dont nous avons parlé ici-même) et Double agent 73, pour comprendre combien Doris a saisi ce qui émoustillait ces messieurs. Une sorte de Russ Meyer au féminin, inférieure malgré tout à l’adorateur de l’hypertrophie mammaire – peut-être parce qu’elle n’a pas un univers aussi structuré que celui des Vixens, nourri de cartoons et d’un vif appétit libidineux.

 

 

Que raconte Nude on the Moon ? L’histoire de deux scientifiques vêtus du même uniforme, Huntley (Lester Brown) et Nichols (William Mayer), et qui ont, semble-t-il tous seuls dans leur coin, construit une fusée. Laquelle est dans un enclos fermé par un grillage sur lequel est apposé le panneau « Huntley Rocket Project ». Question discrétion, on fait pas mieux ! Nous sommes à Miami, dans le même coin que Cap Canaveral, mais finalement sans tout le chichi dont la NASA entoure le lancement de ses vols spatiaux. Ici, nous ne voyons que les deux savants, dotés par ailleurs d’une très belle voiture décapotable que Doris Wishman aime visiblement filmer, une secrétaire (Marrietta) et rien de plus. En plus de tout cela, un autre petit signe qui montre que la Doris n’est pas du tout dupe de ce qu’elle filme : le bureau de Huntley et Nichols est rempli de fioles genre Dr Jekyll dont on se demande bien à quoi elles peuvent servir à ces deux astrophysiciens.

On l’a compris, nos deux hommes ne vont pas tarder à s’envoler vers notre cher satellite pour un petit voyage qui ne devrait pas durer plus de quatre jours. Au passage, autre clin d’oeil, au cours d’une des nombreuses balades en voiture des deux hommes, ils passent devant un cinéma jouant un film dont ils disent le plus grand bien : Hideout in the Sun, premier film réalisé par Doris l’année précédente. L’histoire de deux braqueurs qui ne trouvent rien de mieux que de se réfugier, pour fuir la police, dans un camp de nudistes. Le meilleur moyen pour se cacher étant, c’est bien connu, de se foutre à poil !

 

 

À partir du décollage, Doris Wishman et son coréalisateur Raymond Phelan (tous deux signent sous le nom unique d’Anthony Brooks) ne vont cesser de multiplier les signes montrant combien ils s’amusent. La fusée alunit dans un désert rocailleux sans que les deux voyageurs n’en prennent vraiment conscience, plongés qu’ils sont dans un profond sommeil pouvant faire penser que tout le reste n’est que rêve. Vêtus de seyantes combinaisons, une rouge et une verte – de quoi rendre morts de honte les futurs Power Rangers -, nos deux héros vont trouver sur la Lune un paysage qui ressemble en tous points à la Terre et même, pour être plus précis, à l’intérieur d’un camp de nudistes en Floride. Car, et c’est là l’aspect le plus vendeur du film, les Sélénites sont de jolies filles aux seins nus, habillées d’un seul et charmant slip de bain, protégées par deux ou trois vigoureux gaillards aux mêmes slips, et qui communiquent entre elles par télépathie et une voix-off en anglais  Très occupées à batifoler dans la nature, elles endorment les deux visiteurs.

 

 

La suite oscille là encore entre le naïf et le malin. Huntley et Nichols redescendront sur Terre pour s’apercevoir qu’on peut parfois trouver près ce qu’on a cherché loin et sans qu’on sache si leur aventure fut vécue ou rêvée. Mais est-ce si important ? Et l’on se doute que le film a dû susciter des vocations astronautiques chez les ados qui ont eu la chance de le voir.

 

 

Un mot encore sur Invasion USA (1952) que signe le vétéran Alfred E. Green (il réalise ses premiers films en 1916). Voguant sur la vague anticommuniste, ce curieux récit décrit la destruction des États-Unis par des troupes vêtues d’uniformes américains et parlant anglais (quelle sournoiserie) qui ressemblent fort à l’Armée rouge. Une paranoïa qui fit long feu dans la cinématographie américaine puisqu’en 1984, dans Red Dawn (L’aube rouge), des ados luttaient contre une invasion communiste et que, l’année suivante, au cours d’une autre Invasion USA, Chuck Norris devait affronter à nouveau de méchants communistes,un mélange de Cubains et de Soviétiques.

 

 

Si le film est étrange, c’est qu’il montre aux Américains, s’ils n’y prennent garde, combien l’idéologie communiste peut être nocive. L’histoire est donc comme un rêve vécu par un petit groupe de personnes qui se trouvent dans un bar de New York. Série B idéologique, Invasion USA ne rechigne pas devant des images chocs, telle cette voiture dans laquelle se trouve une famille américaine, pulvérisée par les eaux du barrage Hoover (le Boulder Dam). Ne surnage dans les flots qu’une poupée enfantine. Œuvre militariste intéressante parce qu’elle nous apprend beaucoup sur la mentalité réactionnaire de l’époque maccarthyste, Invasion USA se conclut sur une citation de George Washington, l’équivalent de la fameuse locution latine « Si vis pacem, para bellum » : « Si tu veux la paix, prépare la guerre. »

 

 

À noter que le film est produit par Albert Zugsmith qui, entre deux films d’exploitation (La vie privée d’Adam et Sex Kittens Go to College), finança quelques chefs-d’oeuvre : La soif du mal d’Orson Welles, Ecrit sur du vent et La ronde de l’aube de Douglas Sirk, L’homme qui rétrécit de Jack Arnold…

 

 

Quant à In the Year 2889 (1967) de Larry Buchanan, c’est une sympathique série Z qui étudie, dans un monde post-apocalyptique, les rapports entre un groupe de personnes réunies dans une maison épargnée par les radiations atomiques. À noter la présence, au sein d’une distribution inconnue chez nous, de Quinn O’Hara, Miss Écosse au Miss International Beauty Congress de Long Beach (Californie). Détail dont on peut, bien sûr, se passer.

Jean-Charles Lemeunier

Nus sur la Lune/The Boob Tube et Invasion USA//In the Year 2889 : en DVD chez Bach Films depuis le 5 février 2018.

 

4 films d’Agatha Christie ressortent en salles : La politique des acteurs

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Il en est d’une série de films adaptés des romans policiers d’Agatha Christie, sortis entre 1974 et 1981 et que Carlotta Films et Studio Canal ressortent sur grand écran, comme de certains matchs de basket où tous les joueurs sont des vedettes : ce sont des All Star Games.

Voici donc à nouveau proposés, et on s’en réjouit, Murder on the Orient Express (1974, Le crime de l’Orient-Express) de Sidney Lumet, Death on the Nile (1978, Mort sur le Nil) de John Guillermin, The Mirror Crack’d (1980, Le miroir se brisa) de Guy Hamilton et Evil Under the Sun (1981, Meurtre au soleil) de Guy Hamilton. Il manque curieusement à cette belle série Appointment with Death (1988, Rendez-vous avec la mort) de Michael Winner, dernière apparition de Peter Ustinov dans le rôle d’Hercule Poirot, le fameux détective belge créé par la romancière.

Si Agatha Christie a déjà été adaptée au cinéma à maintes reprises, ce sont ces films qui viennent immédiatement en tête dès qu’on évoque son nom. Des films dont chacun des personnages ou presque est incarné par une star. Tout commence avec Le crime de l’Orient-Express que Lumet et ses scénaristes Paul Dehn et Anthony Schaffer — ce dernier signera trois autres adaptations de Christie — conçoivent comme une pièce de théâtre. On retrouve un prologue (l’enlèvement d’un bébé en Amérique, inspiré de celui du fils de Charles Lindbergh), trois actes (l’arrivée des différents personnages dans le train, le meurtre et les interrogatoires pendant que le train est stoppé par le mauvais temps, la démonstration de Poirot) et l’épilogue (le train repart, libéré de la neige). De la même manière qu’à une avant-première, les stars arrivent sur le tapis rouge, échangent quelques mots avec le présentateur et entrent dans le cinéma, ici Lumet filme ses différentes vedettes à l’arrivée (sur tapis rouge) devant le train : ils échangent quelques mots avec ceux qui les accueillent (Martin Balsam et Jean-Pierre Cassel) et pénètrent dans le wagon. Se succèdent ainsi Lauren Bacall, Ingrid Bergman, Jacqueline Bisset, Michael York, Richard Widmark, Anthony Perkins, John Gielgud, Wendy Hiller, Rachel Roberts, Vanessa Redgrave, Sean Connery, Colin Blakely et Dennis Quilley. À la fin du film, les personnages se salueront comme, au théâtre, ils saluent les spectateurs.

 

Face à tous ces poids lourds, il fallait un Hercule Poirot qui tienne la route. Lumet confie le rôle à un Albert Finney en sur-régime, qui joue avec les excentricités du personnage : son soin apporté à sa coiffure et à sa moustache, ses éructations, son accent belge, son rire impromptu, la façon qu’il a de se déplacer comme si son corps était serré dans un corset. Très différent de ce que Peter Ustinov fera par la suite de Poirot (plus suave, moins démonstratif), Finney — et, avec lui, Lumet — tirent le film vers un spectacle qui nous tient non seulement par l’intrigue policière (avec une solution qui reste encore étonnante et une démonstration magistrale) que par le jeu de tous ces grands acteurs réunis. Lumet pose ainsi quelques jalons qui seront repris par les autres cinéastes qui adapteront Agatha Christie.

Puisque Sidney Lumet joue à fond la politique des acteurs, il utilise pour certains d’eux leur background cinématographique. Ainsi, Tony Perkins est-il perturbé comme l’était Norman Bates, le personnage le plus célèbre qu’il ait incarné, dans le Psychose de Hitchcock. Ingrid Bergman, une folle de Dieu comme pouvait être la Jeanne d’Arc qu’elle a jouée en 1947, arrive avec son accent suédois. Lauren Bacall ne cesse de parler de ses deux maris (l’actrice fut mariée à Humphrey Bogart et Jason Robards). Sean Connery est un soldat de l’armée des Indes appartenant aux Royal Scots et il ne fait aucun doute que l’acteur est lui-même Écossais. Et il a déjà incarné un soldat britannique pour Lumet dans The Hill (1965, La colline des hommes perdus).

 

 

Après cet excellent départ, il est certain que les adaptations d’Agatha Christie qui vont suivre vont adopter le même principe : celui du All Star Game. On retrouve ainsi Peter Ustinov, Mia Farrow, David Niven, Bette Davis, Maggie Smith, Lois Chiles, Jane Birkin, Angela Lansbury, George Kennedy, Olivia Hussey, Jon Finch, Simon McCorkindale et Jack Warden dans Mort sur le Nil. Dans Le miroir se brisa, Liz Taylor, Rock Hudson, Tony Curtis, Kim Novak, Angela Lansbury, Geraldine Chaplin et Edward Fox sont au coude-à-coude. Et dans Meurtre au soleil, Peter Ustinov retrouve Jane Birkin et Maggie Smith mais aussi Diana Rigg, James Mason, Roddy McDowall, Colin Blakely, Dennis Quilley, Nicholas Clay et Sylvia Miles.

Côté intrigues, la force de la romancière britannique et de ses adaptateurs (en premier lieu Anthony Schaffer) est de présenter un panel de représentants de la haute société, réunis autour d’un meurtre, et qui ont tous une raison valable d’être l’auteur du forfait. Face à eux, un enquêteur excentrique et il va de soi que, dans cette catégorie, le personnage d’Hercule Poirot, qu’il soit interprété par Finney ou Ustinov, tous deux délicieusement belges, est le plus savoureux, du moins au cinéma. La Miss Marple campée par Angela Lansbury dans Le miroir se brisa est beaucoup moins secouée que la romancière jouée par la même actrice dans Mort sur le Nil. Peut-être le rôle de la détective créée par Agatha Christie a-t-il trop été marqué par Margaret Rutherford dans les cinq films qu’elle tourna entre 1961 et 1965 et Angela Lansbury n’a pas voulu se mesurer à ce fort modèle d’excentricité.

 

 

Après L’Orient-Express, Mort sur le Nil est une autre réussite flagrante. Dans les décors magnifiques de l’Égypte, Ustinov est un Poirot apprêté et flegmatique, qui insiste sur sa belgitude. « Vous êtes un espion français », lui reproche-t-on. « Non, belge ! Un espion belge ! » « Vous n’êtes qu’un parvenu français », entend-il encore. « Non, belge ! Un parvenu belge ! » Le film est largement traité comme une comédie, ce que prouvent par exemple la séquence du tango ou celle des voyageurs tentant de monter qui sur des ânes, qui sur un chameau. Ce qui n’amenuise pas, loin de là, l’énigme policière.

 

 

Changement de registre avec Le miroir se brisa. D’abord parce que l’enquête n’est plus menée par Hercule Poirot mais par une Miss Marple plutôt en retrait, vu qu’elle est victime d’une entorse à la cheville. Et le film, qui se déroule pendant un tournage américain en Angleterre, se veut un hommage parodique à l’art cinématographique. Tout commence d’ailleurs en noir et blanc par une scène façon Cluedo, typiquement Agatha Christie, où l’on a réuni d’éventuels coupables pour en désigner un. La séquence est interprétée par des comédiens britanniques bien connus du public (Anthony Steel, Nigel Stock, Dinah Sheridan…) et est en fait un film dans le film. Un film qui d’ailleurs casse, au grand désarroi de ceux qui le regardent dans une salle paroissiale (retour à la couleur). Heureusement que Miss Marple, spectatrice, a tôt fait d’expliquer le pourquoi du comment aux autres.

 

 

Ainsi, tout au long de l’enquête menée sur le terrain par le neveu de Miss Marple qui est inspecteur (cinéphile) à Scotland Yard (Edward Fox) et par la vieille dame elle-même, de chez elle, les clins d’œil au cinéma abondent. Rock Hudson explique à un quidam la différence qui existe entre un réalisateur et un producteur. Elizabeth Taylor, la star du film, regarde dans un miroir les poches qu’elle a sous les yeux : « Partez, leur dit-elle, partez et allez chez Doris Day ! » À ses côtés, Rock Hudson fait une drôle de figure. C’est que l’acteur a souvent été le partenaire de Doris Day. Miss Marple elle-même lâche dans une conversation ce qu’elle a lu sur Hollywood : « Sous le faux clinquant se cache le vrai clinquant », ce qui est un des leitmotivs du film. On notera en outre, dans une scène, la présence d’un figurant qui n’est autre que Pierce Brosnan.

 

 

Meurtre au soleil ramène Hercule Poirot sur le devant de la scène, toujours joué par Peter Ustinov. Après un beau générique sur fond d’aquarelles peintes par Hugh Casson, le premier plan est celui d’Hercule Poirot dans une vitrine. Le détective raffiné, ridiculement raffiné pourrait-on ajouter (il faut le voir dans son peignoir de bain) va être confronté à de riches parvenus qui opposent à sa distinction une vulgarité tapageuse. Il faut entendre le yachtman Colin Blakely parler de sa danseuse de revue de maîtresse (Diana Rigg, tout aussi sexy que dans Chapeau melon et bottes de cuir) et du bijou qu’il lui a offert « contre trois jours de pelotage par gros temps ». Ou, plus tard, cette même Diana Rigg annoncer : « En tant que chorus girl, j’ai déjà donné pour la jambe en l’air et le grand écart. »

 

Une fois de plus, l’intrigue est bien menée, le dénouement surprenant et l’on ne pourra que prendre plaisir, ce 4 avril, à se précipiter en salles revoir ces grands classiques.

Jean-Charles Lemeunier

Le crime de l’Orient-Express, Mort sur le Nil, Le miroir se brisa et Meurtre au soleil : ressorties en salles par Studio Canal et Carlotta le 4 avril 2018 en versions restaurées inédites, vost + vf.

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