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Derek Jarman chez Malavida : Anarchy in the U.K.

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Enfin, pourrait-on s’exclamer à l’annonce de la nouvelle : avec la sortie de quatre DVD ce 21 juin, Malavida rend un hommage attendu au cinéaste britannique Derek Jarman (1942-1994). Si l’on devait, comme cela devient la mode chez certains présentateurs TV, résumer la carrière de Jarman en quelques mots (une habitude stupide, assurément), on entendrait forcément : homosexualité, punk, subversion, anarchie, dérangeant… et Tilda Swinton. Cette singulière actrice écossaise a en effet débuté sa carrière devant la caméra de Jarman (Caravaggio en 1986) et est la vedette de huit opus du réalisateur.

Elle n’apparaît que dans un seul des quatre films Malavida (Last of England en 1988). Les trois autres proposés par l’éditeur sagace étant Sebastiane (1976), Jubilee (1977) et The Tempest (1979, La tempête), qui sont les trois premiers longs-métrages tournés par Jarman. Quatre titres que l’on n’a pas eu l’occasion de voir depuis très longtemps et devenus quasiment invisibles.

Tout commence donc par Sebastiane, un homo-péplum mythique car parlé en latin et co-signé par Paul Humfress. Pour un premier film, il fallait oser ! La caméra suit le personnage de Sebastianus (Leonardo Treviglio), favori de l’empereur Dioclétien (Robert Medley). Parce qu’au cours d’une orgie Sebastianus prend la défense d’un condamné, il se retrouve exilé dans une terre lointaine — le tournage s’est déroulé en Sardaigne. En compagnie de quelques hommes et sous l’autorité d’un gradé qui le dévore des yeux (Barney James), Sebastianus, qui passe pour chrétien (alors qu’il adore le soleil et refuse toute violence), va subir des humiliations, puis des punitions extrêmes jusqu’à son martyre où, percé de flèches, il devient ce Saint Sébastien mythique de la peinture de la Renaissance, devenu au fil du temps une icône gay.

 

 

Le corps masculin est ici célébré tout au long du film. Toujours nu, filmé à l’exercice, au bain de mer, aux thermes, au repos, sous la douche ou en pleine étreinte puisque deux des légionnaires romains sont ouvertement homosexuels. Cet exil, où il n’y a rien à faire sinon s’exercer à l’épée ou à la lutte gréco-romaine pour rien, puisque l’ennemi n’existe pas, fait penser à une version antique du Désert des Tartares. Mais aucun adversaire ne pointera ici le bout de son nez et c’est de ses propres compagnons que Sebastianus devra se défier.

 

 

Ici et là, dans les dialogues latins, Jarman et Humfress placent des références au Satyricon de Fellini — et la séquence d’orgie, en ouverture du film, peut y faire penser — ou à un certain Cecilii Mille, fameux organisateur de festivités en tous genres, clin d’œil aux péplums de Cecil B. DeMille. À noter aussi que, dès son premier film, Jarman fait preuve de la sûreté de ses goûts. Pour la musique, il fait appel à Brian Eno et à Lindsay Kemp pour la chorégraphie de l’orgie. Kemp qui compta parmi ses élèves, précisons-le, David Bowie et Kate Bush. On retrouvera d’ailleurs, dans la suite de la filmographie de Jarman, un des danseurs de Kemp, Jack Birkett. On le reconnaît dans Jubilee, où il est le producteur Borgia Ginz, et dans La tempête où il incarne Caliban. Il apparaîtra encore dans Caravaggio. À l’époque où il travaille avec Jarman, Birkett, qui se fait également appeler Orlando, est déjà aveugle, ce qui rend ses interprétations encore plus fulgurantes.

 

 

Jubilee sort en 1977, lorsque la reine Elizabeth II célèbre son jubilé d’argent, qui marque 25 années de règne. Le film part d’un postulat assez étrange : la reine Elizabeth Ière est transposée par magie dans une Angleterre post-apocalyptique, où Buckingham Palace est devenu un studio d’enregistrement dirigé par Borgia Ginz (Jack Birkett). Le rôle du magicien est tenu par Richard O’Brien, auteur du fameux Rocky Horror Picture Show. Quant à l’actrice qui joue la reine, Jenny Runacre, on la retrouve aussi en Bod, une Londonienne chef de bande.

 


Là encore, certaines scènes sont très fortes, comme lorsque Amyl Nitrate (Jordan) chante un Rule Britannia plutôt corsé pour des oreilles british, avec une rythmique proche du Sweet Jane de Lou Reed. Il ne faut pas oublier que, cette même année, les Sex Pistols braillent God Save the Queen. Ces séquences voisinent avec d’autres, beaucoup plus bavardes et statiques. Mais, même lorsque ça parle beaucoup, le plaisir réside dans les répliques, aussi gonflées que tout le reste : « En Angleterre, il n’y a que les prisons qui sont ouvertes la nuit » se plaignent des désœuvrés. Mieux encore : « Tant que la musique est forte, se réjouit l’hystérique Borgia Ginz, nous n’entendons pas le monde s’écrouler. »

 


Et puisque le film porte très haut l’étendard punk, il y va franchement, d’une partouze dans une église aux flics qui abattent de sang froid ces jeunes qui bousculent l’establishment. On reconnaît dans Jubilee plusieurs tenants de la mouvance punk et de la scène rock/alternative : Jordan et Adam Ant, respectivement manager et leader d’Adam and the Ants — à noter que Jordan s’occupait aussi des scandaleuses SEX boutiques de King’s Road, qui appartenaient à Malcolm McLaren et Vivienne Westwood —, Toyah Willcox (qui était l’épouse de Robert Fripp, le fondateur de King Crimson), Wayne County (chanteuse et actrice trans), Steven Severin (bassiste et cofondateur de Siouxsie and the Banshees), le chorégraphe Lindsay Kemp, Hermine Demoriane, baptisée « diva new wave » sur wikipedia…

 


S’il fallait trouver une raison au tournage de La tempête, le film suivant de Jarman, elle tiendrait sans doute dans le monologue final de Prospero dans la pièce de Shakespeare. Tout ce qui amène à ce texte final est, bien entendu, intéressant à suivre mais il semble que toute l’histoire ne tient, autant pour Shakespeare que pour Jarman, qu’à cause de ce soliloque : « Pareils à l’édifice sans base de cette vision, se dissoudront les tours immenses, les palais somptueux, les temples solennels, notre vaste globe lui-même. Tout ce que nous laisse la succession des temps se dissoudra comme s’est évanoui cet appareil mensonger sans laisser de traces derrière lui. Nous sommes faits de la vaine substance dont se forment les songes. »

 


Le choix de porter à l’écran La tempête n’est évidemment pas un hasard. Pensons-y : une dramaturgie où les ducs sont trahis et exilés, les rois emprisonnés, les fils de roi enchaînés et obligés de couper du bois ne pouvait que plaire à Jarman, lui si soucieux de déconstruire la si propre Angleterre. Quant à Caliban, que certains ont vu comme le symbole de la colonisation (Aimé Césaire, entre autres), il est ici grâce à l’interprétation de Jack Birkett un monstre clownesque, inquiétant et attachant, que le cinéaste filme en train de téter le sein de sa mère la sorcière Sycorax (Claire Davenport), image qui dérangea pas mal à l’époque, qui est toujours dérangeante aujourd’hui et qui fait penser, dans Game of Thrones, aux rapports étranges qu’entretiennent Lysa Arryn (Kate Dickie) et son fils Robin (Lino Facioli).

 

 

Il est encore question de déconstruction et de fin d’un monde avec The Last of England. Comment expliquer ce film qui, reprenant le titre d’un tableau de Ford Madox Brown, commence comme un journal intime, dérive dans l’expérimental, genre Ken Anger, et qui, à force de scènes éclatées, montées semble-t-il sans logique, raconte finalement quelque chose : les derniers jours de l’Angleterre. Il pourrait y avoir deux façons de regarder The Last of England : avec la touche avance rapide de la télécommande, en ne s’arrêtant que sur quelques séquences, en grappillant des images sur le fascisme, la misère humaine, l’homosexualité contrariée et la violence. Ou in extenso, en souffrant parfois, en se laissant souvent gagner par une sorte d’hypnose accentuée par la musique.

 

 

Jarman vient d’apprendre qu’il était séropositif et son film n’en est que plus contestataire, anarchiste, punk. « Vous avez aimé les Malouines ?, demande-t-on à un militaire. — Oui, madame !J’espère que la prochaine guerre, ce sera un gros conflit.J’espère, madame ! » Qu’est-ce que l’homme, semble se questionner Jarman. Un mec seul qui marche parmi les flammes ? Les personnages de ce vieux super 8 de famille, guindés, mimant le bonheur ? Ce gars qui, désespéré, tente de faire l’amour à un poster de Bacchus ou à un militaire encagoulé ? On retiendra surtout la très belle séquence finale au cours de laquelle Tilda Swinton, en robe de mariée battue par le vent, se livre à une chorégraphie digne de Loie Fuller. Et ce que fait Tilda, on ne peut que l’apprécier !

Jean-Charles Lemeunier

Sebastiane, Jubilee, La tempête et Last of England, quatre films de Derek Jarman en DVD chez Malavida le 21 juin 2017.

 



« La 9e vie de Louis Drax » d’Alexandre Aja : Boulevard de la mort

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En sortant La 9e vie de Louis Drax d’Alexandre Aja, Carlotta Films quitte le sillon du pur cinéma d’auteur des années passées (Fassbinder, Kurosawa, Godard, Guru Dutt, Lino Brocka, Barbet Schroeder, etc.) pour s’intéresser à un film sorti l’an dernier. Son auteur, le jeune cinéaste Alexandre Aja, a acquis la réputation d’un spécialiste du film fantastique sans avoir toutefois été encore catapulté au rang des plus grands. Même si de plus en plus de spectateurs et de critiques regardent son travail avec attention.

Il est des personnes pour qui les trajectoires semblent tracées dès la naissance. Alexandre Aja, par exemple. Et pourtant… Le fils d’Alexandre Arcady aurait pu mener, bon an mal an, une carrière d’auteurs de comédies ou de polars à la française, disposant d’un cheptel d’acteurs prêts à lui accorder leur confiance. Dès son premier court dont il confie la direction artistique à Grégory Levasseur (Over the Rainbow en 1997), ni Jean Benguigui ni Jean-Claude de Goros, vus tant de fois devant la caméra d’Arcady, ne se cantonnent au registre de comiques pieds-noirs. Bien au contraire.

Aja montre dès le départ un goût pour des plans et des atmosphères à l’américaine et son premier long, un film d’horreur français (Haute tension en 2003), est remarqué. Le jeune cinéaste fait rapidement le grand saut et signe quelque remakes réussis des grands succès gore US (La colline a des yeux en 2006 ou Piranha 3-D en 2010) ou horrifiques coréens (Mirrors en 2008). Réussis parce que Aja aborde en cinéphile les films de Wes Craven, de Joe Dante ou de Kim Seong-ho. Avec ses amis Grégory Levasseur et Franck Khalfoun, Alexandre Aja redonne une impulsion au cinéma fantastique américain en tournant de nouvelles versions (Maniac en 2013, que réalise Khalfoun et qu’Aja écrit et produit) ou en s’inspirant de thèmes classiques (Pyramide en 2014 que réalise Levasseur et que produit Aja).

 

 

Le fantastique, donc. Crade et rigolard. Ou angoissant. Et à chaque fois bien maîtrisé. C’est avec tous ces détails en tête que l’on aborde La 9e vie de Louis Drax. Qui, curieusement, pourrait presque pencher du côté de Spielberg — celui de A.I. —, sans doute à cause de l’enfant (Ayden Longworth, qui a des airs de Haley Joel Osment) placé au centre du récit. Louis Drax pourrait être le film le plus personnel d’Alexandre Aja, celui avec lequel il ne se contente pas de maîtriser un sujet connu en lui redonnant de la vitalité mais plutôt grâce auquel il tente des pistes nouvelles. Parfois maladroitement. Parfois très bien.

 

 

Louis Drax est un gamin dont la mère espère qu’il est doté de neuf vies. Car il en a déjà usé huit et aurait donc dû être mort huit fois. Le petit est pour l’instant dans le coma, suite à une chute du haut d’une falaise et c’est un fringant médecin (Jamie Dornan, de Cinquante nuances de Grey) qui va s’occuper de l’enfant… et de sa mère (Sarah Gadon, déjà vue chez Cronenberg père et fils). Le film s’éloigne des bonnes recettes terrifiantes déjà utilisées par Aja, même si certains plans sont là pour faire sursauter. Ce qui est loin d’être l’atout principal de Louis Drax. L’enjeu est ailleurs, sur chacun des personnages qui, au final, ne se révèlent pas conformes à leur image initiale. On notera ainsi la justesse d’Aaron Paul (Breaking Bad) dans son interprétation du père, toujours entre deux états, sympathique et inquiétant.

 

 

Malgré tout, Louis Drax apparaît à plus d’une reprise comme naïf, oscillant d’une séquence réussie à une autre beaucoup plus ancrée dans des clichés. Sans doute a-t-il manqué à Alexandre Aja et à son scénariste Max Minghella — le fils d’Anthony Minghella, auteur des excellents Truly, Deeply, Madly et Le talentueux M. Ripley, mais aussi du Patient anglais et de Retour à Cold Mountain — un peu de recul. Ce recul qui était si salutaire quand Aja s’attaquait à une famille barje du désert américain ou à de charmants poissons préhistoriques qu’on adorait voir croquer de charmantes naïades à poil.

Jean-Charles Lemeunier

La 9e vie de Louis Drax
Titre original : The 9th Life of Louis Drax
Année : 2016
Origine : Canada, Royaume-Uni
Réal. : Alexandre Aja
Scénario : Max Minghella d’après le roman de Liz Jensen
Photo : Maxime Alexandre
Musique : Patrick Watson
Montage : Baxter
Durée : 108 minutes
Avec Jamie Dornan, Aaron Paul, Sarah Gadon, Ayden Longworth, Oliver Platt, Barbara Hershey, Molly Parker, Alex Zahara…

Édité en DVD et Blu-ray par Carlotta Films le 21 juin 2017.


« Compte tes blessures » de Morgan Simon : Mal de mère

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Comment parvenir à réunir dans un même film la violence d’une musique métalleuse et les blessures d’une relation père/fils avec de la sensibilité et des déclarations d’amour ? C’était le pari risqué de Morgan Simon pour son premier long-métrage, qu’il a mené jusqu’au bout d’une manière exemplaire. Compte tes blessures, que ESC Conseils a sorti en DVD ce 13 juin, est une réussite, n’ayons pas peur des mots. Et la moisson de prix récoltés ici et là dans les festivals internationaux ne viendra pas en contradiction de cette affirmation.

Le titre est la fausse traduction d’un tatouage porté par Kévin Azaïs, « Count Your Blessings » qui signifie « Apprécie ta bonne fortune ». Count Your Blessings est surtout le titre d’un album de death metal, un style musical que pratique le jeune héros de Compte tes blessures, puisqu’il chante dans un groupe d’amis. Tatoués sur tout le corps, ceux-là sont sa véritable famille, beaucoup plus que son père veuf (Nathan Willcocks, très juste, comme le sont ses partenaires Kévin Azaïs et Monia Chokri).

 

 

Le jeune homme veut attirer l’amour de son père et l’on sent que tous deux ont été fragilisés par la mort de la mère. Ils se côtoient sans jamais chercher à se comprendre. Puis arrive la femme (Monia Chokri, une actrice québécoise vue chez Xavier Dolan et, plus récemment, chez Katell Quillévéré)… et tout se précipite.

Jeune cinéaste de 30 ans, Morgan Simon n’est pas parti de rien. Ses deux premiers courts-métrages (Essaie de mourir jeune et Réveiller les morts), qui sont présents dans le DVD, sont intéressants à voir puisqu’ils sont la matière première de Compte tes blessures. Le ferment qui a permis à la pâte de lever et au long-métrage de s’intensifier, de prendre beaucoup plus d’épaisseur et de force.

 

 

Les acteurs ont tous quelque chose à défendre ici et Nathan Willcocks ne rend pas Hervé, le père, détestable, loin de là, et s’il ne fait aucun effort pour parler à son fils Vincent et l’encourager, il pense que c’est pour son bien. Voir la scène où Vincent parle à table d’un livre qu’il est en train de lire et où Hervé ne cesse de le rabaisser, véritable combat de petits coqs face à Julia, la femme nouvellement arrivée dans la famille. Vincent veut se rapprocher de Julia, à peine plus âgée que lui, pour trouver enfin à qui parler de ses tourments de fils. Hervé voit de plus en plus en lui un rival potentiel et le rejette.

Dans ce film passionnant de bout en bout, deux séquences bouleversantes sont à placer face à face : dans l’une, le fils perd pied et, dans la seconde, c’est le père. Jusqu’au bout, ils ne parviendront pas à se parler — comme déjà dans Essaie de mourir jeune — et seul un geste les relie, ce qui est déjà beaucoup pour eux. Le mal-être pour Vincent se traduit par une musique agressive et des tatouages derrière lesquels il peut se cacher, même si ceux-là disent déjà beaucoup de ses sentiments. Hervé préfère se réfugier dans le boulot, dans la vision archi-traditionnelle que les vieux peuvent avoir des jeunes et dans la culture, une culture qu’il ne peut partager avec son fils. Il faut voir ce père lettré raconter une anecdote sur le naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire à propos d’un homard, laquelle a le don d’ennuyer Vincent qui ne la trouve pas drôle, ce qui vexe Hervé. Tout est ainsi pareil : ce que l’un fait ou dit, l’autre le conteste ou s’en moque.

 

 

Les vrais durs ne dansent pas, prétendait Norman Mailer. Alors, sans doute que Vincent ne l’est pas autant qu’il le prétend, dur ! Non seulement il danse — belle séquence de salsa avec Monia Chokri — mais il est aussi capable de pleurer et de chercher une épaule sur laquelle se reposer. Ce grand costaud n’est qu’un petit gars fragile, comme l’est également son père. Tous deux ont le mal de cette mère disparue trop tôt et ni l’un ni l’autre n’est capable de partager sa souffrance ni même d’en parler.

Morgan Simon n’est pas un cinéaste qui hésite, qui tourne autour du pot. S’il désire amener son récit sur des rivages un peu plus boueux, il y va et nous y entraîne en douceur. Une séquence d’amour peut soudain devenir très glauque mais Morgan Simon la traite avec une telle délicatesse, renforcée par le jeu des acteurs, et l’achève d’une si belle manière que l’on pense à ce cinéma français des années soixante-dix, signé Jean-Claude Guiguet ou Paul Vecchiali, dans lequel les histoires d’amour côtoyaient forcément le social. Morgan Simon, lui aussi, filme ses personnages au travail, poissonnier sur un marché, caissière dans une moyenne surface, chanteur ou tatoueur. Et vous savez quoi ? Paul Vecchiali est au nombre des remerciements du générique final, parce que Morgan l’a eu pour parrain cinématographique avec Sylvie Verheyde dans le cadre d’emergence (sans accent et sans capitale), une structure créée en 1998 par Élisabeth Depardieu, qui aide les jeunes réalisateurs à mener à bien leurs projets de premiers longs-métrages.

Alors, pourquoi attendre pour découvrir Compte tes blessures ?

Jean-Charles Lemeunier

Compte tes blessures
Origine : France
Année : 2017
Réal. et scén. : Morgan Simon
Photo : Julien Poupard
Musique : Julien Krug, Selim Aymard
Montage : Marie Loustalot
Durée : 80 minutes
Avec Kévin Azaïs, Monia Chokri, Nathan Willcocks, Julien Krug, Selim Aymard, Cédric Laban…

DVD sorti chez ESC Conseils le 13 juin 2017.


« La longue nuit de l’exorcisme » de Lucio Fulci : Lucide Lucio

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On attend toujours avec impatience des nouvelles du Chat qui fume, cet éditeur de Montpellier qui sait nous réserver de belles surprises. La longue nuit de l’exorcisme (1972) de Lucio Fulci est de celles-là, un film connu également sous ses titres italien (Non si sevizia un paperino) et international (Don’t Torture a Duckling).

Premier étonnement, une fois qu’on a vu le film : la bêtise du titre français, qui préfère jouer sur la réputation de maître de films d’horreur de Fulci plutôt que de traduire vraiment. « Ne torturez pas un petit canard », annoncent les anglophones tandis que le paperino renvoie à Donald Duck (c’est ainsi que les Italiens ont baptisé l’ami de Topolino, alias Mickey). Tant en italien qu’en anglais, le titres est bien meilleur que cette histoire d’exorcisme rabâchée par les Français. Il faut avouer que, sorti en 1972 chez nos voisins, Non si sevizia un paperino n’arrive qu’en 1978 chez nous. Autant dire qu’entre temps, le tsunami de L’exorciste a fait ses ravages. Et que, quoi qu’on en dise, il n’est pas du tout question d’exorcisme ici. Quel dommage car quel beau titre original. Le petit canard auquel il est fait allusion est celui que tient un enfant qui a été tué. Car Fulci, même s’il met en scène une vague sorcière (Florinda Bolkan) et son oncle/amant (Georges Wilson), parle essentiellement de meurtres d’enfants. D’une façon terrible !

Fulci va toujours droit au but. Il est direct. Et lorsqu’il traite d’un assassin d’enfants, il filme des assassinats d’enfants. Sans mièvrerie, sans ellipse, sans tourner autour du pot. Ses enfants ne sont d’ailleurs pas enfantins (si ce n’est une petite fille attardée). Les autres, des gamins qui doivent avoir une douzaine d’années tout au plus, se comportent plutôt en adultes. Ils fument, jouent aux voyeurs quand deux prostituées débarquent en Fiat dans le village, entraînant une file d’attente masculine devant la ferme en ruines où se déroulent les ébats. Alors, lorsque ces enfants meurent, Fulci les filme ou montre une main sortant de la boue, ce que l’on fait habituellement lorsqu’il s’agit d’adultes.

 

 

Enfin, toujours dans le genre direct voire brutal, Fulci n’hésite pas à dévoiler ce que ses confrères se contentent de suggérer. Dans ce même village vit une ravissante blonde (Barbara Bouchet), que son riche père milanais a exilée dans cette campagne de la Basilicate, région voisine de la Calabre et des Pouilles, parce qu’elle avait de mauvaises fréquentations. La belle s’ennuie. Profondément, même. Alors, elle s’amuse à provoquer en se baladant en jupe très courte. Ou en prenant un bain de soleil complètement nue et en demandant au jeune fils du gardien de sa villa de venir lui apporter un verre. Et de ne pas baisser le regard. Autant qu’il profite de la vue ! On comprendra qu’avec ce genre de scène et celles des meurtres, le film ait été interdit aux moins de 18 ans.

Tout commence donc par un enfant que l’on enlève. À travers ce récit d’une enquête menée par les carabinieri de Monte Sant’Angelo, précise Fulci — donc, en regardant sur une carte, venant des Pouilles cette fois, dont Matera, où est tournée la majeure partie du film, est proche — et par un journaliste (Tomás Milián, acteur d’origine cubaine qui fit une grande partie de sa carrière en Italie et qui vient de décéder le 22 mars dernier), Fulci veut également montrer les réactions des villageois, dont les soupçons vont se porter tour à tour vers l’idiot du village (Vito Passeri) ou celle que l’on dénomme « la sorcière ». Le spectateur, qui joue au même jeu que les péquenauds mais sans arrière-pensée, se prend à soupçonner tout le monde : le journaliste, la belle Barbara, la sorcière, son tonton et même le curé (Marc Porel).

 

 

Sans en dire plus sur les investigations, on remarquera une fois de plus combien Fulci est gonflé. Le sujet, la manière dont il le traite, la conclusion, tout a dû faire suer à grosses gouttes les censeurs, et pas seulement ceux du Vatican. Gonflé, oui le Lucio l’est certainement qui ne se place jamais au-dessus de la mêlée, ne juge ni les uns ni les autres et se contente de regarder et de souligner. Ici, il pointe du doigt les superstitions paysannes, là l’incapacité de la magistrature à démêler des attitudes qu’elle ne comprend pas. Là encore, c’est la fille de la ville et ses problèmes de drogue et de sexe et, ici, les régionaux de l’étape qui se défoulent de cette même frustration sexuelle dans une ferme abandonnée. Sur tout cela, pèse le couvercle de la religion à travers un jeune curé qui, s’il aime jouer au foot avec les gamins du village, n’en condamne pas moins tout écart à la vertu. Non, décidément, la très catholique Italie a dû être choquée !

Si les meurtres des enfants sont brutaux, celui de la sorcière l’est aussi qui, échappant à ses bourreaux, parvient au bord d’une route. Dans leurs voitures, les familles en vacances ne font pas attention à elle. « Plus horrible que la violence, remarque dans l’un des bonus Jean-François Rauger, directeur de programmation à la Cinémathèque française, est l’indifférence du monde. »

 

 

La longue nuit de l’exorcisme peut-il jouir du statut de giallo, ces films policiers dans lesquels des tueurs fous tuent à l’arme blanche ? Le giallo est souvent urbain. En abandonnant l’arme blanche, en transposant l’action à la campagne, en soulignant les névroses des uns et des autres, en montrant ce qu’il est de mauvais goût de montrer et en délaissant parfois l’action au profit de séquences descriptives et d’absence de jugement, Lucio Fulci n’est pas de ces cinéastes qui jettent en pâture au public ce que celui-ci attend. Au contraire, il le prend tout du long à rebrousse-poil, regarde les actes des uns et des autres d’une façon lucide et ouvre, l’air de rien, des horizons politiques et sociaux auxquels on ne s’attendait pas.

Enfin, dernier plaisir de ce beau combo, les bonus qui, c’est une habitude du Chat qui fume, présentent des interviews des deux actrices du film, Florinda Bolkan et Barbara Bouchet, mais aussi du chef op’ Sergio D’Offizi, de Bruno Micheli qui travailla au montage, et des images d’archives de Fulci. Ajoutons encore des analyses pertinentes de Lionel Grenier, Olivier Père, Jean-François Rauger et Fathi Beddiar.

Jean-Charles Lemeunier

La longue nuit de l’exorcisme
Année : 1972
Titre original : Non si sevizia un paperino
Titre international : Don’t Torture a Duckling
Origine : Italie
Réal. : Lucio Fulci
Scén. : Gianfranco Clerici, Lucio Fulci, Roberto Gianviti
Photo : Sergio D’Offizi
Musique : Riz Ortolani
Montage : Ornella Micheli
Durée : 102 minutes
Film interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie en France
Avec Barbara Bouchet, Tomás Milián, Florinda Bolkan, Irène Papas, Marc Porel, georges Wilson, Antonello Campodifiori, Ugo D’Alessio, Andrea Aureli

Combo DVD/Blu-ray édité par Le Chat qui fume le 15 juin 2017.

 


« Les films interdits » de Felix Moeller : En revoir ou pas

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Inédit en salles et diffusé sur ARTE dans une version courte, Verbotene Filme (Les films interdits), le documentaire de Felix Moeller consacré au cinéma de propagande du IIIe Reich, est sorti en DVD le 9 mai dans une copie intégrale chez ESC Conseils.

À travers un corpus important de films — 1200 produits sous le régime nazi dont une centaine de propagande pure et 40 encore interdits et mis sous clef —, Moeller pose une question toujours d’actualité plus de soixante-dix ans après : doit-on ou pas montrer ces films ? Les réponses sont divergentes, quels que soient les interlocuteurs : public lambda, militants néo-nazis repentis, historiens, critiques, directeurs de cinémathèques, cinéastes ou personnes liées directement à l’histoire du cinéma allemand : on entend ainsi la fille du réalisateur Wolfgang Liebeneiner ou le neveu de l’acteur très populaire Emil Jannings. L’historien Moshe Zimmermann estime ainsi que ces films présentent des stéréotypes qui sont toujours dangereux, d’autant qu’ils peuvent encore se propager. Mais, précise-t-il, « pour les Israéliens, leur diffusion n’est pas un problème ». Diffusion qu’il préconise malgré tout d’accompagner d’un travail pédagogique. Le cinéaste Oskar Roehler regrette quant à lui que ces films interdits soient malgré tout accessibles aux élites. Pourquoi, dans ce cas, ne pas les montrer à tous, en expliquant leur contenu propagandiste ?

 

 

Il manque peut-être à ce documentaire forcément passionnant un aspect historique. Pour qui n’est pas familier du cinéma nazi — et, curieusement, la cinéaste la plus connue en France avec Veit Harlan, Leni Riefenstahl, n’est pas citée —, un petit récapitulatif aurait été bien utile. Car Moeller parle des films un peu en vrac, commence par le plus connu et sans doute le plus violemment antisémite de tous (Jud Süß, Le Juif Süss) puis pioche dans une quinzaine d’autres productions, sans qu’on sache toujours d’où viennent les extraits et le spectateur non spécialiste s’embrouille parfois.

Dommage aussi qu’il ne soit fait aucune mention de Theresienstadt, commencé en 1944 par Kurt Gerron, dont le cynisme propagandiste fait dresser les cheveux sur la tête puisque le film raconte combien il fait bon vivre pour les Juifs dans un camp de concentration ! Si Moeller s’intéresse à deux grandes figures du cinéma allemand, Emil Jannings et Heinrich George — un communiste passé au nazisme —, il est dommage qu’il laisse de côté Kurt Gerron, acteur dans les films de G.W. Pabst, Josef von Sternberg et Robert Siodmak. Interné parce que juif à Theresienstadt, les nazis l’obligèrent à tourner ce film sur le camp, sous-titré Le Führer donne une ville aux Juifs, avant de le déporter à Auschwitz où il est mort.

Sans entrer dans le détail, Moeller veut montrer que les nazis ont abordé des genres cinématographiques différents, y compris quelque musicals qui semblent très proches du modèle hollywoodien. Une historienne, Sonja M. Schulz, commente la difficulté d’étudier ces films. On les trouve principalement sur YouTube, explique-t-elle, sur des sources néo-nazies où les commentaires vous saluent d’un « Heil Hitler ! » ou encore chez des revendeurs d’extrême droite. La façon même dont tous ces films nazis sont conservés devient symbolique. Parce qu’ils sont en nitrate et, donc, hautement inflammables, ils demeurent stockés dans un bunker des Archives fédérales du cinéma allemand qui semble inaccessible. Le danger technique apporté par la matière dont ces pellicules sont composées est à la hauteur du danger moral.

 

 

Goebbels annonçait que « le film est l’objet de propagande le plus important », ce qui fait que ces œuvres étaient soignées et que — mais cela est terrible à écrire — les extraits présentés donnent envie de les voir dans leur intégralité. Comme cette séquence de Stukas (1941) de Karl Ritter où les joyeux pilotes allemands, après avoir pilonné les lignes ennemies, rentrent chez eux en chantant, comme s’ils occupaient une carlingue en compagnie de Gene Kelly et Donald O’Connor.

Ce cinéma-là marchait très bien et les chiffres annoncés — un milliard d’entrées en salles en 1943 contre 120 millions en 2012 — font froid dans le dos. Quelques films donnent lieu à des discussions plus précises quant à leur visionnement ou non, tel le fameux Juif Suss (1940, Veit Harlan) ou Ich Klage An (Suis-je un assassin ?, 1941, Wolfgang Liebeneiner) sur l’euthanasie. Les avis sont partagés, les uns affirmant qu’il faut les montrer en les expliquant, d’autres étant beaucoup plus réticents.

 

Heimkehr (1941, Retour au foyer) de Gustav Ucicky montre, aujourd’hui encore, les dangers d’une projection non préparée et commentée. Le film, qui justifie l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes, est une vision inversée de la réalité. Ucicky observe une minorité allemande habitant en Pologne en butte aux vexations et autres humiliations des Polonais. Et que dire de cette brute, un Polonais assurément, qui dépoitraille une jeune fille allemande pour lui arracher la chaîne qu’elle porte autour du cou et lui prendre son pendentif : une croix gammée ! Les méchants Polonais ont d’ailleurs pour nous qui voyons ces extraits des gueules de nazis, preuve que la propagande était vraiment capable de faire avaler des couleuvres aux spectateurs. À l’issue d’une projection récente, Felix Moeller trouve quelqu’un qui parle d’une « persécution impitoyable des minorités par les Polonais » et ajoute que l’invasion de la Pologne par les nazis est certes « une agression » mais « provoquée par les Polonais têtus ». Soixante-dix ans après, la propagande fonctionne toujours ! Ailleurs, dans Hitlerjunge Quex (1933, Le jeune hitlérien Quex, Hans Steinhoff), c’est le père brutal, incarné par Heinrich George, de ce pauvre jeune nazi qui force son gamin à chanter L’Internationale, l’interrompant dans un couplet à la gloire du Führer. Ce qui est étrange, c’est que ce méchant papa communiste nous apparaît pour le coup comme extrêmement sympathique. Bon, il paraît qu’à la fin du film, le pauvre Quex va tomber sous les coups des militants rouges. C’est ballot !

Dans un autre film, Ohm Krüger (1941, Le président Krüger, Hans Steinhoff), de méchants Britanniques lapident de pauvres Allemandes. Les cinéastes nazis présentent toujours les Allemands comme des victimes. Et, curieusement, leurs tortionnaires — qu’ils soient Anglais ou Polonais — usent de méthodes qui sont typiquement celles des SS. Quand on retourne une situation, on la retourne complètement !  

Alors, ces films interdits, faut-il en revoir ou pas ? Sous quelle condition ? La question reste posée et c’est à chacun de nous d’y réfléchir. 

Jean-Charles Lemeunier

Les films interdits
Année : 2014
Titre original : Verbotene Filme
Origine : Allemagne
Réal. et scén. : Felix Moeller
Photo : Isabelle Casez, Aline Laszlo, Ludolph Weyer
Musique : Bjorn Wiese
Montage : Annette Muff
Durée : 94 minutes
Avec Götz Aly, Stefan Drössler, Jörg Friess, Jörg Jannings, Egbert Koppe, Johanna Liebeneiner, Sylvie Lindeperg, Oskar Roehler, Rainer Rother, Sonja M. Schulz, Ernst Szebedits, Margarethe von Trotta, Christiane von Wahlert, Moshe Zimmermann
Extraits des films : Heimkehr (Retour au Foyer), Le Juif Süss (Jud Süß), Attentat à Bakou (Anschlag auf Baku), Carl Peters, S.A. Mann Brand, Suis-je un assassin ? (Ich Klage An), Les Rothschild (Die Rothschilds Aktien Auf Waterloo), GPU, Besatzung Dora, Kolberg, Pour le mérite, Le Jeune Hitlérien Quex (Hitlerjunge Quex), Fronttheater, Stukas, U-Boote Westwärts !, Le Président Krüger (Ohm Krüger), Über Alles in der Welt…

Sortie en DVD chez ESC Conseils le 9 mai 2017.


Carlotta Films : Elio Petri… d’excellentes idées

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En enrichissant sa collection sur le cinéma italien de deux titres d’Elio Petri, La decima vittima (1965, La dixième victime) et Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (1970, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon) en versions restaurées, Carlotta Films rend hommage à un cinéaste qui, malgré sa Palme d’or à Cannes avec La classe operaia va in paradiso (1971, La classe ouvrière va au paradis), est un peu tombé dans l’oubli. Ce qui est fort dommage.

Petri représente le cinéma politique italien dans toute sa splendeur. Même avec La dixième victime et son look sixties hyper sophistiqué, le regard sur la société est toujours critique. À partir d’un roman de Robert Sheckley, qui s’intitule d’ailleurs La septième victime, Elio Petri brosse le portrait d’une société cynique où la mort est devenue un enjeu publicitaire et télévisuel et invente la téléréalité avant l’heure. Sans doute inspiré par les mythiques Chasses du comte Zaroff, Sheckley écrira ensuite Le prix du danger, filmé par Yves Boisset en 1983, où, là encore, la télévision est partie prenante d’une chasse à l’homme.

La dixième victime décrit donc un monde futuriste où chasseurs et victimes se poursuivent et s’entretuent, étant entendu que celui qui aura réalisé un score de dix victimes recevra un pactole. Là dessus, se greffent des contrats publicitaires associés aux meurtres. Le tout raconté dans un style décontracté et humoristique proche du Modesty Blaise que Losey réalise l’année suivante.

 

La victime, c’est Marcello Mastroianni, teint en blond, flegmatique et typiquement italien avec son lot d’épouse et de maîtresse dont il n’arrive pas à se débarrasser et avec ses parents qu’il cache (la famiglia !) puisque l’État demande qu’on lui livre les vieux. « On les cache ou on les déguise en jeunes », commente Marcello pour expliquer ce trait de caractère typiquement italien. Des Italiens qui sont tout au long du film moqués. Quand le personnage joué par Mastroianni apparaît à l’écran, un observateur remarque : « C’est un Italien typique : il adore paresser au soleil ! » Face au beau et énigmatique héros de cet enjeu meurtrier, le chasseur… est une chasseresse. Et quelle chasseresse, puisqu’elle a la beauté d’Ursula Andress. Laquelle, dès sa première apparition au cours d’un strip-tease avorté, dispose d’un soutien-gorge sacrément armé. Au propre comme au figuré. On se croirait dans Austin Powers.

Dès les premières minutes du film, Petri rappelle les règles de la chasse à l’homme, règles que contestent en râlant ceux qui y participent : ils n’ont pas le droit d’utiliser leurs armes dans les restaurants, les hôpitaux, les orphelinats… « En Amérique, se plaignent-ils à propos des normes italiennes, on peut tirer où on veut et quand on veut ! » Et, lorsqu’ils tuent leur victime devant les flics, ils peuvent encore se ramasser un PV pour mauvais stationnement. Petri utilise un ton sarcastique qui déforme à peine la réalité, voire pas du tout quand il s’agit du port d’arme américain. L’ironie constante du cinéaste aborde aussi le cinéma. N’oublions pas que Petri, avant de devenir scénariste (en 1953) et réalisateur, d’abord de courts-métrages (en 1954) puis de longs (en 1961), a été critique. Et qu’en que tel, il reconnut tout à la fois la grandeur et les limites du cinéma néoréaliste. Alors que les critiques marxistes voient dans le travail de Petri une continuité du néoréalisme. Quoi qu’il en soit, dans La dixième victime, Mastroianni rend, sur la plage d’Ostie et en compagnie d’adorateurs, un culte au soleil. Quelques-uns de ses détracteurs lui balancent des œufs et des tomates tandis que lui déclare ne pas vouloir tenir compte de ces « néoréalistes vulgaires ».

Avec son rythme trépidant et sa fin bouffonne, le film pourrait passer pour une comédie alors qu’il est beaucoup plus que ça. Le rapport chasseur/chassé, bourreau/victime, renvoie à n’importe quelle relation humaine ou amoureuse avec ses tromperies et ses coups bas. Et ce futur d’opérette, avec ses stations-services de relaxation et cette course au meurtre, n’est finalement pas si éloigné du nôtre.

 

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon – c’était la mode des titres à rallonge – est beaucoup plus angoissant. S’ouvrant magistralement au son d’une musique d’Ennio Morricone, le film est, là encore, placé sous le sceau du cynisme. Bien avant Police Python 357 (1976, Alain Corneau) et No Way Out (1987, Sens unique, Roger Donaldson), et d’une façon bien plus fascinante qu’eux, Petri suit un flic assassin et fasciste qui enquête sur un meurtre, celui de la jolie Florinda Bolkan… qu’il a lui-même commis. Dans le rôle du policier retors, Gian Maria Volontè est formidable.

 

Même s’il a quitté le parti communiste en 1956, Petri est resté un homme de gauche et ses films sont toujours une dénonciation hésitant entre humour et cynisme. Dans Enquête, il faut voir les interrogatoires musclés pratiqués par des policiers semblables à des mafieux. Volontè peste après les graffitis que l’on voit sur les murs (Viva Mao, Staline, le Che, Ho Chi-Minh) et les fait effacer en ne laissant que « À bas Staline ». Pour mieux combattre les gauchistes, il prône l’infiltration des milieux étudiants et ouvriers par des flics à cheveux longs. Il est ignoble et fascinant, intransigeant et grotesque et tellement proche de la réalité à force d’outrances. Petri égaye ce monde d’état major kafkaïen où la hiérarchie joue un rôle décisif – « Je suis quelqu’un de respectable, je représente le pouvoir », entend-on – par des phrases à l’emporte-pièce. « La révolution est comme la syphilis, annonce Volontè. Elle est dans le sang ! »

Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon a, parmi tous les prix récoltés, obtenu celui du jury à Cannes et l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, à une époque où les films politiques obtenaient une audience mondiale. Avec La dixième victime, plus amusant même si intrinsèquement politique lui aussi, Enquête est toujours aussi fort et aussi dérangeant, toujours aussi magistral. A voir absolument !

Jean-Charles Lemeunier

 

 
« La dixième victime » et « Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon » : sorties en DVD et Blu-ray chez Carlotta Films le 12 juillet 2017.
 


Trois films classiques chez Bach Films : Farceurs et tragiques Italiens

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Dans sa collection sur le cinéma italien, que nous avons plusieurs fois évoquée ici, Bach Films a mis à l’honneur en DVD des titres alléchants, des films historiquement excitants et d’une importance capitale. Trois de plus viennent s’ajouter : Cavalleria (1936, La cavalerie héroïque) de Goffredo Alessandrini, Retroscena (1939) et La cena delle beffe (1942, La farce tragique), tous deux d’Alessandro Blasetti. N’y allons pas par quatre chemins : Blasetti est un très grand cinéaste, dont Bach Film nous a déjà réjouis de sa Couronne de fer et de La comtesse de Parme. Si Retroscena n’est pas le meilleur de ses films de l’époque mussolinienne — espérons que Bach nous propose un jour Aldebaran, Ettore Fieramosca, Un’avventura di Salvator Rosa ou Quatre pas dans les nuages —, La farce tragique est, en revanche, une œuvre étonnante et débarrassée des carcans bien-pensants.

 

 

De Cavalleria, fantaisie militaire qui vire au mélo, on retiendra surtout les extérieurs et cette séquence où des cavaliers doivent faire passer leurs chevaux par une descente vertigineuse. L’un des animaux d’ailleurs dégringole d’une façon impressionnante. Malgré un scénario où apparaissent les noms d’Aldo Vergano, futur réalisateur du Soleil se lèvera encore (1946), et d’Oreste Biancoli, qui dirigea quelques films et participa au scénario du Voleur de bicyclette et de quelques péplums, l’action est assez languissante et on ne se passionne pas vraiment pour les amours perturbées entre Elisa Cegani et Amedeo Nazzari, dont c’était le deuxième film. Plus étonnant est l’étirement du temps, puisque tout se déroule entre 1901 et 1917, et la conclusion sur la Grande guerre, où l’Italie se battait avec les Alliés contre l’Allemagne. Près de 20 ans après, à l’époque de la sortie du film, Mussolini cultive alors avec Hitler une relation qui oscille entre l’admiration et la haine. Ce n’est que le 1er novembre 1936 que l’axe Rome-Berlin est décrété alors que Cavalleria est présenté au festival de Venise au mois d’août de la même année… et que les Allemands y sont présentés comme des ennemis !

Le critique et spécialiste du cinéma italien Jean A. Gili, qui accompagne toujours doctement cette collection italienne, précise dans le bonus qu’avec Goffredo Alessandrini, on est loin du triomphalisme militant du cinéma fasciste. Le cinéaste choisit pour finir son film une date, 1917, qui est synonyme pour les Italiens de défaite : celle de Caporetto, véritable désastre et déshonneur pour la nation. C’est, toujours d’après Gili, cette absence de fierté nationale qui rend attachante la carrière d’Alessandrini. Il signale enfin, dans une courte scène de cabaret, l’apparition fugitive d’Anna Magnani en chanteuse de beuglant. Filmée de très loin, celle qui avait épousé Alessandrini l’année précédente n’est pas du tout reconnaissable.

 

 

Retroscena est une de ces comédies italiennes sophistiquées, baptisées « Téléphones blancs », avec eau de rose et appels téléphoniques. Blasetti est malin et expurge son film des habituels clichés inhérents au genre. Ces comédies sont en principe entièrement tournées à Cinecittà et passent d’un décor de salon à celui d’une chambre. Ici, Blasetti ouvre son film en pleine mer, alors que l’héroïne, la pianiste Diana Martelli (Elisa Cegani) est, accompagnée de sa tante (Lia Orlandini), dans une barque prête à rejoindre un paquebot. Les premières images sont prises en extérieurs, passent rapidement à des transparences (les acteurs sont filmés en studio) puis au décor du paquebot. Quoi qu’il en soit, Blasetti multiplie ses décors (le paquebot, l’hôtel, un bar, l’opéra, le commissariat) et les mêle à quelques séquences prises en extérieurs : les voitures sur une route ou l’un des personnages laissé en pleine rue. Sans parler des plans de Milan, où l’action se déroule.

Le scénario est signé par CM Margadonna (l’un des scénaristes du gothique Malombra de Soldati, disponible chez Bach Films, et auteur, après guerre, de la série des Pain, amour…) et Pietro Germi. Le futur grand cinéaste signait là sa première apparition dans un générique en tant que scénariste. Ce marivaudage bourré de rebondissements ressemble fort à ce que les Américains produisaient à la même époque. Il est soutenu par d’excellents seconds rôles, à commencer par Camillo Pilotto en ami du héros baryton. Lequel Pilotto, deux ans plus tôt, incarnait Hannibal dans la grande fresque de Carmine Gallone, Scipion l’Africain (là encore, une des perles rares de la collection Bach Film). Quant au couple qui est l’enjeu du film, si Elisa Cegani s’en sort très bien, son partenaire Filippo Romito, véritable baryton dans la vie, est plutôt fade. Le plus grand intérêt de Retroscena est de nous montrer les coulisses de l’opéra — on n’est pas dans Citizen Kane mais, tout de même, c’est très intéressant —, avec les machinistes qui regardent ce qui se passe sur scène et les lascars dans la salle payés pour faire la claque, dans une séquence très réussie. Autre réussite digne d’une screwball comedy, la scène du poste de police avec un commissaire mélomane (Giovanni Grasso) et un critique musical plutôt retors (Enzo Biliotti). Ce personnage du critique est d’ailleurs, selon Jean A. Gili, une des raisons qui fit accepter ce projet à Blasetti. Une façon pour lui de se venger et de ridiculiser cette profession.

 

 

Nous en arrivons à La farce tragique, joyau de cette nouvelle salve transalpine. Adaptée d’un livret de Sem Benelli pour un opéra d’Umberto Giordano — et ajoutons que Benelli n’était pas en odeur de sainteté pour les Mussoliniens qui le jugeaient un peu trop antifasciste —, l’action se déroule dans la Florence de la Renaissance. Le film est surtout connu parce qu’il est le premier en Italie, exceptions faites de l’époque muette avec les déshabillés flamboyants de Rina De Liguoro et les seins à l’air de Vittoria Carpi dans La couronne de fer du même Blasetti l’année précédente, à montrer la poitrine dénudée d’une vedette. C’est-à-dire Clara Calamai. Laquelle se livra par la suite à une guéguerre avec Doris Duranti, qui elle-même se découvrit dans Carmela (1942), à savoir laquelle avait le sein qui se tenait le mieux, lequel était le plus orgueilleux et sans trucage. Après quelque recherche, il s’avère que La farce tragique, sorti le 9 février 1942 avec l’accord de la censure (le film sera interdit aux moins de 18 ans), a été devancé, dans la filmo de Clara Calamai, par I pirati della Malesia d’Enrico Guazzoni, sur les écrans le 19 octobre 1941. Dans lequel, ses avantages à peine recouverts par ses longs cheveux, la Calamai se baigne nue dans un marécage malais. Bon, d’accord, dans La farce tragique, plus rien ne cache la beauté de l’actrice. L’érotisme mis en place par Blasetti va beaucoup plus loin que cette scène de nudité. Clara Calamai va ensuite jouer des transparences, ce qui rend encore plus troublantes ses apparitions. Dans cette Renaissance cruelle, les femmes sont convoitées et prises sans qu’elles aient leur mot à dire. Et la torture, de la même manière que dans La couronne de fer, est monnaie courante. Comme la folie.

 

 

La grande force de La farce tragique est d’opposer deux hommes, deux caractères totalement différents. Le premier est joué par Amedeo Nazzari. Ce grand acteur italien a toujours eu, dans les années cinquante avec sa fine moustache, des allures d’Errol Flynn. Là, imberbe, chemise bouffante et chevelure blonde tombant sur ses épaules, il ressemble toujours à Flynn, époque Captain Blood ou L’aigle des mers. Comme son homologue hollywoodien, Nazzari a du panache alors que, face à lui, Osvaldo Valenti, au physique nettement moins avantageux, est beaucoup plus cauteleux. Moins franc du collier. Pourtant, on aurait tort d’annoncer, même si les faveurs du public vont certainement vers Nazzari, que c’est ce dernier qui incarne le héros positif face au méchant Valenti. Au contraire, Blasetti a l’intelligence de jouer sur l’ambiguïté. Car Valenti est un éternel humilié et sans doute, contrairement à Nazzari qui ne fait que désirer la Calamai, un véritable amoureux de celle-ci.

Ce jeu du chat et de la souris, du corbeau et du renard, du malin et de l’impulsif est assez fascinant à suivre, tant les codes sont malaxés, tant cette histoire que l’on croit connaître sur le bout des doigts est balancée cul par-dessus tête et nous apporte, à chaque nouvelle séquence, une surprise tout aussi nouvelle. Puisque la farce est tragique, on sait que ce repas de dupes va mal se terminer mais, pour affirmer que rien n’est simple, Blasetti ne donne pas à l’un de ses personnages le triomphe facile, bien au contraire. Tout est en demi-teinte, la flamboyance et la noirceur, la force et la faiblesse, le bon droit et la traîtrise, l’amour et la haine (voir l’arrivée des anciennes maîtresses de Nazzari). Tout est maîtrisé et, même, cruellement maîtrisé.

Jean-Charles Lemeunier

« Cavalleria », « Retroscena » et « La farce tragique » : trois films édités en DVD par Bach Films le 5 juillet 2017.


«À la recherche du plaisir » de Silvio Amadio : Morts à Venise

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En matière de femmes, dans sa chanson L’ancêtre, Brassens en réclamait « qui fument, crénom de nom ». Quand il s’agit de chats, les cinéphiles ne peuvent que lui faire écho. Un chat, oui d’accord, mais un qui fume, crénom de nom ! Oui, qui fume, crénom de nom ! Lorsque vous tiendrez entre vos mains le beau coffret d’À la recherche du plaisir, le film de Silvio Amadio que Le Chat qui fume vient d’éditer, vous ne pourrez qu’acquiescer. Ce thriller y est présent en DVD et Blu-ray avec de nombreux bonus et le CD de la musique de Teo Usuelli.

Quand il réalise en 1972 Alla ricerca del piacere, connu aussi sous le titre d’Amuck, Silvio Amadio a déjà derrière lui une petite carrière de scénariste et cinéaste, qui l’a mené essentiellement du péplum aux comédies et thrillers érotiques, via la case obligée du western spaghetti. Si l’on ne devait retenir que seulement quelques œuvres, À la recherche du plaisir serait en bonne place avec peut-être Peccati di gioventù (1975, Si douce si perverse, qu’il ne faut pas confondre avec le Si douces si perverses d’Umberto Lenzi, tourné en 1969) et La minorenne ou ses deux participations à la série de La lycéenne, autant de sujets plus ou moins polissons et interprétés par la belle Gloria Guida.

 

 

Quand ce n’est pas la Guida, c’est Barbara Bouchet, Rosalba Neri, Dagmar Lassander ou Rosemarie Dexter qui peuplent la filmographie de Silvio Amadio. On l’aura compris, le gaillard adore travailler avec les jolies filles, d’autant plus qu’elles attirent les spectateurs dans les salles. À la recherche du plaisir ne fait pas défaut à cette règle puisque Barbara Bouchet et Rosalba Neri se disputent les honneurs du générique. Auxquelles s’ajoutent quelques belles inconnues elles aussi dénudées. Bon, on vous aura prévenus, le film est un thriller érotique qui contient donc son lot de séquences assez faciles qui ne reposent que sur la beauté des corps dévoilés. Mais on aurait tort de ne le cantonner qu’à cela.

 

 

Première bonne raison, c’est que le premier rôle masculin est tenu par l’acteur américain Farley Granger. Entendre ce dernier parler de « meurtre parfait », c’est comme voir l’un des deux protagonistes de La corde de Hitchcock reprendre son récit là où il l’avait laissé vingt-quatre ans avant. Granger a vieilli mais son personnage semble tout aussi machiavélique. Comme s’il avait conservé les mêmes pulsions. C’est souvent là la grande force des gialli : embaucher des vedettes américaines sur le déclin et profiter de leur aura mythique. Granger ne fait pas ici défaut à cette règle. Se combine à cela une autre image de l’acteur véhiculée en sous-main : on le sait homosexuel dans la vraie vie et condamné au cinéma à interpréter des rôles un peu veules. Tel celui qu’il joue, toujours devant la caméra de Hitchcock, dans L’inconnu du Nord-Express, film qui commence par une séquence où l’on suit des chaussures entrant dans un train. Laquelle s’achève par un mec faisant du pied à un autre. Si dans L’inconnu, les rapports entre Granger et son acolyte Robert Walker sont plus que troubles, l’acteur traîne avec lui cette dimension crypto-gay qui, dans À la recherche du plaisir, lui colle encore comme un costume rétréci. L’homosexualité, mais féminine cette fois, est d’ailleurs au cœur du récit.

Face à Granger et dans un décor vénitien très photogénique, le film bénéficie de deux atouts féminins de choix. Barbara Bouchet, la blonde Américano-Germano-Italienne, a déjà été admirée dans l’autre sortie DVD du mois du Chat qui fume, La longue nuit de l’exorcisme – nous en avons parlé ici même il y a peu. Dans À la recherche du plaisir, elle est également en quête (il n’y a pas que le plaisir dans la vie) de son amie disparue. Celle-ci était secrétaire de l’écrivain Farley Granger, aussi Barbara a-t-elle réussi à se faire embaucher pour la remplacer. Barbara prend des risques, se fourre dans des situations compliquées et parfois inextricables en faisant un peu n’importe quoi, plonge allègrement et tête la première dans des pièges et, histoire de ne pas oublier qu’on regarde un film italien des années soixante-dix, se déshabille dès qu’elle en a l’occasion.

 

 

Quant à la brune Italienne Rosalba Neri, si son nom ne dit plus grand chose aujourd’hui, les spectateurs de l’époque n’ont certes pas pu oublier sa participation au film de Fernando Di Leo La bestia uccide a sangue freddo (1971, La clinique sanglante, exploité aussi sous le titre douteux des Insatisfaites poupées érotiques du Dr Hitchcock). Et pourquoi n’ont-ils pu le faire ? Parce que la Neri s’y masturbait d’une façon vraiment très explicite – allez, on dit que les gros plans n’étaient pas pris sur elle. Dans le rôle de l’épouse de Farley Granger, Rosalba joue l’ambiguïté en se montrant traîtreusement amicale.

C’est souvent le cas chez les cinéastes italiens de cette époque : ils réfléchissent sur ce qu’est leur métier. Dans une séquence de partouze bourgeoise, l’assistance regarde une version érotique du Petit Chaperon rouge, mal filmée, peu excitante, avec une fille grassouillette en capeline rouge qui passe son temps à trémousser ses fesses celluliteuses pour fuir devant le Grand Méchant Loup. Dans le salon, les spectateurs n’en perdent pas une miette, la bave aux lèvres. Comme si Amadio nous disait : petits veinards, moi je vous livre un vrai scénario, un vrai film bien photographié par Aldo Giordani, avec une belle musique de Teo Usuelli et des nanas sacrément plus jolies que ce Petit Chaperon.

Ne nous emballons pas pour autant. Amadio n’est pas un premier de la classe du Centro sperimentale di cinematrografia. De Thésée et le Minotaure aux Révoltés de l’Albatros et de Pour mille dollars par jour à ses lycéennes qui se dessalent, Silvio a surfé tant bien que mal sur toutes les modes, de la toge au costume de pirate et du stetson à l’érotisme. Il n’empêche : il connaît son métier et a forcément un point de vue dessus.

 

 

Tout au long d’À la recherche du plaisir, on ne peut que reconnaître des qualités à la tension que développe Amadio dans sa mise en scène. Que ce soit dans la scène de la cave ou dans celle de la lagune, la maîtrise du cinéaste est certaine. Ne cherchons pas dans ce genre de films une psychologie très développée. Parfois, les réactions des personnages sont étranges mais c’est ainsi que le genre va ! Vers la fin, alors que nous pensons avoir compris les tenants et aboutissants de l’histoire et alors que la pauvre Barbara Bouchet vient d’échapper à la mort dans une séquence spectaculaire de sables mouvants, tout soudain bascule et l’on ne fait plus, le temps de quelques plans, la part des choses entre la réalité et ce qui a pu être fantasmé. Puis l’explication arrive, délivrée par Farley Granger, et là encore nous ne sommes plus très sûrs de ce qui est vrai ou faux. Là dessus, Amadio qui s’amuse avec nos nerfs change de cap et passe du thriller aux codes du giallo pur et dur avec l’apparition d’une arme blanche et d’une main mystérieuse qui, la tenant, commet un meurtre. Jusqu’au bout, le spectateur va ainsi être baladé pour son plus grand plaisir. Lui qui, comme les héros du film, est aussi à la recherche de celui-ci.

Ajoutons pour conclure la richesse habituelle des bonus proposés par Le Chat qui fume : interviews de Rosalba Neri et Barbara Bouchet, du fils du cinéaste, Stefano Amadio, du critique Philippe Chouvel et du programmateur de la Cinémathèque française, Jean-François Rauger. De la belle ouvrage, comme on disait autrefois !

Jean-Charles Lemeunier

À la recherche du plaisir
Année : 1972
Titre original : Alla ricerca del piacere
Réal. et scén. : Silvio Amadio
Photo : Aldo Giordani
Musique : Teo Usuelli
Montage : Antonio Siciliano
Prod. : Italo Zingarelli
Durée : 100 min
Avec Farley Granger, Barbara Bouchet, Rosalba Neri, Umberto Raho, Nino Segurini…

Film sorti en combo DVD/Blu-ray/CD par Le Chat qui fume le 15 juin 2017.

 




« Le lauréat » de Mike Nichols : And here’s to you, Mrs Robinson

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À quoi peut-on imputer la réussite de The Graduate (1967, Le lauréat), que Carlotta Films ressort en salles ce 12 juillet ? À sa musique, signée Simon et Garfunkel et comportant des titres aussi connus que The Sound of Silence, Mrs Robinson et Scarborough Fair ? Certainement, parce qu’elle est l’une des grandes qualités du film, mais pas seulement. Le métrage de Mike Nichols emprunte des sentiers connus — le dépucelage d’un jeune homme, une femme amoureuse d’un homme plus jeune, l’histoire d’un amour contrarié par les parents — sans jamais les traiter d’une façon conventionnelle et en enrichissant davantage les personnages au fur et à mesure.

Simon et Garfunkel, donc. D’entrée de jeu, leur Sound of Silence inscrit le film dans l’ère contemporaine. Dans le Hollywood des années soixante, les bandes originales sont signées par les grands auteurs de musiques de film, quelquefois par des chanteurs à la mode (ce fut le cas avec Elvis Presley ou, en Angleterre, les Beatles, également acteurs dans ces productions) mais jamais encore par les représentants du courant pop-folk américain. Le héros du film a une vingtaine d’années — l’acteur qui l’incarne, Dustin Hoffman, en a dix de plus — et, bercé par le score du duo très populaire à l’époque, il n’en apparaît que plus « dans le coup ».

 

 

Hoffman est donc un jeune homme inhibé et à la merci des adultes. Il obéit à ses parents, écoute poliment les amis de ses parents, se force à apparaître dans les soirées organisées chez eux par ses parents (dame, c’est qu’il vient de réussir ses examens). Jusqu’au moment où Mrs Robinson (Anne Bancroft), l’épouse quadragénaire et très alcoolisée de l’associé du père de Dustin, va se mettre à faire du gringue au jeune homme. Le cinéma américain a souvent montré par la suite ce que représentait la perte de la virginité pour un jeune mâle. Sauf qu’ici, Mike Nichols et ses deux scénaristes Calder Willingham et Buck Henry, qui adaptent un roman de Charles Webb, décident de s’écarter des clichés. Le côté loufoque du récit a sans doute été amené par Buck Henry : n’oublions pas qu’à l’époque, il est avec Mel Brooks — le mari d’Anne Bancroft — le créateur de la série Max la menace. Forcément, l’aspect beaucoup plus âpre du film revient donc à Willingham. Pour situer le bonhomme, il a écrit pour Stanley Kubrick Les sentiers de la gloire (1957) et quelques séquences de Spartacus (1960). Pour le même Kubrick, il remplace Sam Peckinpah sur le scénario de La vengeance aux deux visages. Coup de Trafalgar : l’acteur et producteur du film, Marlon Brando, décide de virer Kubrick et Willingham, de remplacer ce dernier par Guy Trosper et de prendre lui-même en charge la mise en scène du film. Tous ces films cités sont loin d’être des comédies et c’est cette rugosité qui les caractérise que Willingham a introduite dans Le lauréat.

 

Dustin Hoffman (Benjamin Braddock)

 

Le film ne s’en tient pas à un seul sujet mais préfère en étudier les conséquences et rebondir vers d’autres histoires. Car finalement, le thème profond n’est pas l’éveil à la masculinité d’un jeune homme ni le drame d’une femme vieillissante amoureuse d’un plus jeune ni une histoire romantique à l’eau de rose mais bel et bien la quête fortuite et impulsive de l’indépendance. Hoffman, dont on voit clairement ici le potentiel alors qu’il n’en est qu’à ses débuts, rend par son jeu son personnage très complexe. À la fois timide et arrogant, gentil et mufle, riche fils à papa et cherchant à se débrouiller seul, largué par sa propre vie puis en prenant les rênes d’une main ferme. À le voir dans sa piscine, lunettes de soleil sur le nez, on se dit que Tom Cruise, dans Rain Man, lui a emprunté beaucoup.

 

 

Du côté de l’interprétation, Hoffman et Anne Bancroft tiennent le haut du pavé. Vieillie pour la circonstance (l’actrice est en réalité plus âgée de six ans par rapport à son partenaire), celle-ci donne à sa Mrs Robinson une intensité très forte, une douleur permanente. Dès qu’apparaît Katharine Ross, qui joue sa fille, on comprend que la lutte sera inégale, que la guerre est perdue avant même d’avoir commencé. À leurs côtés, quelques vieux comédiens (telle Marion Lorne en dame organisatrice d’un bal, que l’on a vue chez Hitchcock et qui est la tante perturbée de la série Ma sorcière bien aimée) côtoie de futurs vedettes. Il faut ainsi avoir l’œil pour reconnaître le jeune et grassouillet Richard Dreyfuss parmi les voisins de Dustin Hoffman à Berkeley.

À la sortie du film, en 1967, de la même manière que le Benjamin Braddock incarné par Dustin Hoffman, la jeunesse a tenté de prendre les choses en main : elle écoute une musique qui horripile ses parents, manifeste contre les massacres au Vietnam, prône l’amour et pas la guerre, se change les idées par la drogue, occupe les campus, clame un monde égalitaire donnant sa chance à toutes les races et refuse l’American Way of Life de papamaman. Par l’attitude de son héros, par sa musique, par le jeu moderne de ses interprètes, Le lauréat est à l’image de ces changements. Complètement dans l’air du temps. Cinquante ans après, le film n’a rien perdu de ses qualités. Et certaines de ses séquences les plus fameuses, telles les balades en voiture ou le mariage, n’ont rien perdu de leur caractère culte.

Jean-Charles Lemeunier

Le lauréat
Titre original : The Graduate
Origine : États-Unis
Année : 1967
Réal. : Mike Nichols
Scén. : Calder Willingham, Buck Henry, d’après Charles Webb
Photo : Robert Surtees
Musique : Simon & Garfunkel
Montage : Sam O’Steen
Durée :
Avec Anne Bancroft, Dustin Hoffman, Katharine Ross, William Daniels, Murray Hamilton, Elizabeth Wilson, Buck Henry, Norman Fell, Marion Lorne, Richard Dreyfuss…

Carlotta Films ressort le film en salles en version restaurée 4K le 12 juillet 2017.

 

 


« Belle de jour » de Luis Buñuel : Fantasmes discrets de la bourgeoisie

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En ressortant sur grands écrans quasi simultanément L’emmerdeur (1973) d’Édouard Molinaro (le 26 juillet) et Belle de jour (1967) de Luis Buñuel (le 2 août en version restaurée 4K, en même temps que cinq autres films du maître espagnol), Carlotta Films pratique le grand écart. Il y a effectivement un monde entre la comédie populaire écrite par Francis Veber pour deux monstres sacrés antinomiques, Jacques Brel et Lino Ventura, et celle beaucoup plus fine interprétée par Catherine Deneuve et une pléiade de grands acteurs :  Michel Piccoli, Jean Sorel, Pierre Clémenti, Françoise Fabian, Geneviève Page, Macha Méril, Francis Blanche, Georges Marchal, Francisco Rabal, François Maistre, Muni… Ce véritable jeu de massacre qu’est Belle de jour, film atypique et sans musique (si ce n’est la clochette récurrente d’une calèche), est dû aux talents conjugués de Buñuel et Jean-Claude Carrière, adaptant un bouquin de Joseph Kessel.

 

 

L’histoire de Séverine, cette bourgeoise qui, pour tromper son ennui et sa frigidité, se prostitue l’après-midi, ne pouvait que plaire à notre duo. Elle est en plus l’occasion, à travers les différents clients de Belle de jour (Catherine Deneuve), de filmer un panorama de leurs fantasmes. Ce que Buñuel avait abordé d’une façon plus soft dans Le journal d’une femme de chambre (1964). À cette époque, l’actrice commence à acquérir cette réputation de froideur qui la caractérise et l’on se demande si, à travers le personnage de Belle de jour et ses multiples partenaires, Buñuel et Carrière ne cherchent pas à brosser également le portrait d’une actrice. « Tu es froide », reproche son mari Jean Sorel à Séverine, avant qu’elle ne devienne Belle de jour. Plus tard, il lui reproche « sa distance ». L’héroïne du film passe alors de bras en bras, comme cela arrive à une actrice tout au long de sa filmographie. Le cinéma équivalent de la prostitution est une métaphore souvent entendue, à cette époque-là, dans la bouche-même de ceux qui en sont les vedettes. Comme si Buñuel et Carrière s’amusaient à reprendre cette comparaison et à l’appliquer au pied de la lettre.

 

 

Ce qui plaît également à Don Luis, c’est de gommer la frontière ténue qui existe entre le rêve et la réalité, ce qu’il montrera encore quelques années plus tard avec le célébrissime Charme discret de la bourgeoisie et ses rêveurs s’éveillant dans un rêve. Ici, Séverine ne cesse de fantasmer des scènes de domination érotique et l’on est en droit de se demander si toute l’aventure racontée à l’écran n’est pas qu’un pur fantasme. Buñuel aime se laisser pousser les ongles à chacun de ses films, pour mieux égratigner la bourgeoisie, les conventions et la religion. « On ne s’ennuie jamais dans un bar, constate Piccoli. Pas comme dans les églises où on reste seul avec son âme. » Il fait encore un flashback qui montre Séverine enfant refusant l’hostie de la communion.

 

 

Comme il ne se prend pas au sérieux — il fait une apparition en client d’un café très sélect —, Buñuel sème de petits clins d’œil ici et là (tel cet Américain qui vend le Herald Tribune sur les Champs, pendant masculin de la Jean Seberg d’À bout de souffle), des choses pas très sérieuses. Certains fantasmes de la haute société peuvent faire sourire à défaut de choquer : l’éminent professeur (François Maistre) qui aime se faire humilier, le duc qui se masturbe sous le cercueil où Séverine repose, dans le rôle de sa fille morte. Dans ce monde secret de la maison close, la vie fait soudain irruption avec les personnages de deux gangsters, Francisco Rabal et Pierre Clémenti, qui viennent bousculer cet univers feutré. Ils y amènent la violence, la crasse (Ah ! les chaussettes trouées de Clémenti !) et aussi l’amour. Qui, forcément, se conclut par la mort.

 

 

Avec Belle de jour, Buñuel entame une nouvelle phase dans sa carrière, avec des films a priori moins linéaires, plus fantasmatiques, comme le seront La voie lactée (1969), Le charme discret de la bourgeoisie (1972) et Le fantôme de la liberté (1974). Le cinéaste retrouve ainsi auprès des critiques ce qualificatif de surréaliste qui lui a été donné dès ses débuts, alors qu’il travaillait avec Salvador Dali. Surréaliste, Belle de jour peut le paraître : on ne sait jamais vraiment sur quel pied danser, on confond l’existant et le sublimé, l’érotisme joue un grand rôle dans le scénario et le sujet ne peut qu’effrayer le bourgeois. Quand Breton le définissait dans son Manifeste, le surréalisme représentait l’expression du « fonctionnement réel de la pensée ». Buñuel continue à donner ses lettres de noblesse au surréalisme. un mot finalement pratique lorsque les mots manquent pour définir clairement ce qui se passe à l’écran.

Puisque la vie est un rêve et que les fantasmes y ont toute leur importance, laissons-nous porter par la douceur froide de Catherine Deneuve, la diversité de ses rencontres, le cynisme de Michel Piccoli et cet humour omniprésent et trangressif, marque de fabrique de Buñuel, et gage de plaisir à la vision de Belle de jour.

Jean-Charles Lemeunier

Belle de jour

Année : 1967

Origine : France

Réal. : Luis Buñuel

Scén. : Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière, d’après Joseph Kessel

Photo : Sacha Vierny

Montage : Louisette Hautecœur

Durée : 101 minutes

Avec Catherine Deneuve, Jean Sorel, Michel Piccoli, Geneviève Page, Françoise Fabian, Maria Latour, Pierre Clémenti, Macha Méril, Francisco Rabal, Georges Marchal, Francis Blanche, Muni, François Maistre…

Ressortie sur grand écran par Carlotta Films en version restaurée 4K le 2 août 2017, à l’occasion du 50e anniversaire du film.


La Fureur sauvage de Richard Lang : traque dans la montagne

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Le western n’a jamais été un genre moribond et a certainement présenté plus d’un âge d’or, n’en déplaisent aux puristes. Lorsque ce type de films n’avait plus trop la côte, il s’en produisait toujours et encore, et si ce n’était au cinéma, on le retrouvait à la télévision. Alors, peut-être, oui, que la fin des années 70 et une bonne partie des années 80 n’ont pas été le soleil d’Austerlitz de la féconde saga westernienne. En 1980, au hasard, sortaient pourtant La Porte du paradis, Le Gang des frères James, Tom Horn et La Fureur sauvage qui nous intéresse présentement. Que du bon.
Synopsis : En 1830, dans les montagnes Rocheuses, les indiens, les chasseurs et les trappeurs vivent en paix et en harmonie. Deux trappeurs, Bill Tyler et Henry Trapp, font la rencontre d’une indienne prénommée Moineau Bleu. Celle-ci s’éprend de Bill et décide de les suivre. Mais sa tribu n’apprécie pas, OEil d’Aigle et les siens poursuivent alors les deux trappeurs et la jeune indienne.


L’originalité du film de Richard Lang (bien plus un téléaste qu’un cinéaste) est tout d’abord de mettre en vedettes deux vieux de la vieille usinant alors depuis une bonne trentaine d’années, Brian Keith et Charlton Heston, dont vous avez peut-être entendu parler (Keith, qui se fait ici à moitié scalpé, vivait la même mésaventure, enfin, son personnage, dans The Deadly Companions (New Mexico), le premier film de Sam Peckinpah, en 1961).
En second lieu, le long-métrage s’impose comme un héritier de classiques comme Jeremiah Johnson, Le Convoi sauvage et Un Homme nommé Cheval, une sous-catégorie friande à présenter coureurs des bois, aventuriers, chasseurs, trappeurs Français ou de langue anglaise, ces mountain men du titre original, la plupart préférant cette vie de demi-solitude, de dangers mais de liberté aux mirages de la vie « moderne », à l’esprit pionnier des premières caravanes qu’ils croisent sans s’attarder plus que le temps d’échanger quelques propos, des peaux de castors et de l’alcool. La Frontière, ils la vivent, ils ne la cherche pas. Un type d’œuvres brièvement remisent au goût du jour par The Revenant.

On retrouve ici nombres occurrences, thèmes et stéréotypes : la nature, aussi belle que potentiellement hostile, les étendues neigeuses ou arides, les contrées vierges ou quasi-vierges des empreintes de l’homme blanc (l’histoire se déroule en 1830, dans le Wyoming), une belle « sauvage » qui tient tête aux hommes mais sera fidèle au Blanc (quel tombeur ce Heston) qui saura la dompter, des membres de tribus peaux-rouges, tantôt brutaux et avides de sang, tantôt faisant preuve d’humour et d’une humanité certaine, au même titre que leurs pâles antagonistes. Ils sont toujours montrés de manière relativement réaliste (bien que joués par des non-amérindiens et que le terme squaw soit plutôt insultant), à savoir qu’il ne s’agit pas là particulièrement d’un western pro-natives (mais certainement pas anti), qu’ils sont décrits aussi cruels que déjà pressentant presque avec désespoir leur disparition future via la constatation d’un gibier diminuant dangereusement et les ravages de la variole, cadeaux des visages pâles. C’est particulièrement le cas chez les Pieds-Noirs (les Blackfeet), pourtant les plus violent à l’écran et ennemis des Crows, visiblement plus pacifistes (et dont le vieux chef de 110 ans porte un haut d’armure de conquérant espagnol). Leurs affrontements ne sont pas la moindre des originalités décrites.

Pris entre deux feux, nos deux trappeurs ont fort à faire. À signaler également, surtout dans le premier tiers du métrage, un ton décalé mais un scénario historiquement documenté, à l’image de ce grand village provisoire mélangeant camp Crow, comptoirs de commerce, rendez-vous de trappeurs, tentes-tavernes, bordels ambulants, mon tout dans une ambiance de défoulement alcoolisé où tous se mélangent sans s’entre-tuer même si se bagarrant occasionnellement dans l’hilarité générale. Une séquence à la fois curieuse et forte, en fait comme l’ensemble de ce film scénarisé par un jeunot de 25 ans, Fraser Heston, le fils à son papa.

Laurent Hellebé

 

THE MOUNTAIN MEN
Réalisateur : Richard Lang
Scénario : Fraser C. Heston
Production : Andrew Scheinman, Martin Shafer, Richard R. St-Johns, Cathleen Summers
Photo : Michel Hugo
Montage : Eva Ruggiero
Bande originale : Michel Legrand
O
rigine : Etats-Unis
Durée : 1h42
Sortie française : 17 septembre 1980


Disponible en DVD et Blu-ray chez Sidonis/Calysta depuis le 18 juillet 2017

 


« Un Jour dans la vie de Billy Lynn » d’Ang Lee : Clairvoyance

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Adaptation d’un roman de Ben Fountain, Un Jour dans la vie de Billy Lynn conte le spectacle de la mi-temps d’un match de football américain organisé en l’honneur des soldats de la compagnie Bravo servant en Irak. Un retour au pays dû à la vidéo virale d’une de leurs intervention et qui coûta la vie à leur sergent-chef. PTSD, questionnement du statut de héros, loyauté, patriotisme sont quelques uns des thèmes abordés. Rien de bien original de prime abord mais de la part du conteur hors-pair de L’Odyssée de Pi, on peut s’attendre à un traitement inattendu. Et effectivement, la narration est d’autant plus déstabilisante qu’elle s’appuie sur une mise en scène en HFR (ici 120 images par seconde), 4K et 3D. Malheureusement, peu de salles dans le monde sont suffisamment équipée pour proposer l’expérience telle que pensée par Ang Lee. Et évidemment, encore moins en France qui se contente d’une projection en 2 D. Cela aurait été un moindre mal si le film n’avait pas été projeté sur à peine une vingtaine d’écrans.
Ce traitement calamiteux à sa sortie en février 2017 a malheureusement rappelé le rejet désormais récurrent pour des projets proposant des expériences inédites et un sens incongru des priorités puisque à la même période sortaient en grandes pompes sur nos écrans L’Ascension, Raid Dingue ou la suite de Cinquante Nuances de Grey.
Bien que le film soit désormais disponible en vidéo, DVD et Blu-ray depuis le 7 juin 2017, on ne peut toujours pas apprécié à sa juste valeur ce défi ambitieux mais on peut se rendre compte de quelques différences majeures dans la manière d’envisager le médium avec des ajustements de mise en scène originaux pour ce type de production. Surtout, même en l’état, Un Jour dans la vie de Billy Lynn est un excellent film aussi poignant que troublant.

Ang Lee a toujours aimé expérimenté lors de ses tournages et le résultat obtenu par Peter Jackson avec la trilogie du Hobbit l’emballe particulièrement pour porter à l’écran ll’histoire de Billy Lynn selon un point de vue particuliers. Mais c’est à la suite de deux rencontres décisives qu’il s’enthousiasme à l’idée d’utiliser de nouveaux outils pour un défi technologique et cinématographique de grande ampleur. Ses entrevues auprès de Douglas Trumbull, qui mis au point le procédé du showscan (fréquence de 60 images par seconde dans un format 70 mm) entre la fin des années 70 et le début des années 80, et James Cameron, qui faisait ses propres expérimentations en 60 images par seconde, ont convaincu Ang Lee qu’une augmentation de la fréquence de l’image serait la plus appropriée pour l’adaptation du roman de Ben Fountain afin de provoquer une immersion plus intense dans l’histoire intime de Billy Lynn.

Mais le passage à 120 images par seconde donnait un rendu bien plus proche de ce que l’on pourrait expérimenter dans la réalité et il fut face à un choix cornélien. Continuer avec une image encore proche du cinéma conventionnel ou aller au-delà et briser les dernières barrières.
Une décision radicale qui non seulement engendre un sacré défi technique (tournage inédit dans ce format avec aucun point de repère ou de comparaison) et qui se heurte à une résistance culturelle et idéologique. Il n’y a qu’à voir les retours critiques sur les films de la saga du Hobbit, peu enthousiastes et surtout dénigrant l’expérience nouvelle offerte en la rapprochant de celle que pourrait offrir un écran de télévision géant.
Ang Lee se lance donc en parfait territoire inconnu où tout est quasiment à réinventer. Notamment en matière de jeu d’acteurs, la clarté du 120 images par seconde obligeant les interprètes à moduler leur intensité pour ne pas paraître ridicule ou trop cabotin, problème déjà envisagé au moment de passer des films muets au films sonorisés. Cela vaut également pour les maquillages, là encore, la netteté offerte imposant d’en amoindrir les effets pour ne pas que la peau paraisse caoutchouteuse mais aussi en termes de photographie. Avec une luminosité augmentée et l’accroissement du sentiment de réalité et de la profondeur, le chef opérateur John Toll (entre autres faits d’armes il a remarquablement géré la photographie de Jupiter Ascending et Cloud Atlas des sœurs Wachowski) a dû s’adapter et travailler en créant le moins d’ombres possibles, la caméra spécifique à cette nouvelle fréquence nécessitant toute la lumière possible.

La fluidité et la luminosité accrues des images grâce au procédé du HFR implique d’adapter des techniques conventionnelles en fonction de ce rendu inédit. Mais si le film fonctionne tout de même en 2D c’est parce que le cinéaste a d’abord pensé sa mise en scène par rapport au matériau original et ce qu’il voulait faire ressentir, le HFR-4K-3D étant des outils pour en décupler les effets. Même sans l’avoir expérimenté, on sent que le format original défini par Ang Lee et ses techniciens augmente l’immersion et les sensationsressenties au plus près de ces soldats et notamment le jeun Billy Lynn dont Ang Lee nous fait partager la proximité, l’intimité.
De par son découpage précis, la multiplication des gros plans, la construction des plans renforçant l’isolement du groupe de soldats par rapport aux nombreuses interactions avec les personnes les sollicitant constamment, le film instaure un rapport de force déroutant.

En effet, l’humanité de chacun des Bravo est ainsi mis à l’épreuve non pas par leurs traumatismes réels mais par l’inconséquence des participants à ce cirque patriotique ostentatoire. Organisateurs, financiers, médias, personnel chargé de l’animation…ne voyant chez eux qu’une image héroïque à se repaître et à exploiter à des fins mercantiles ou pour simplement se donner bonne conscience. Ils s’illusionnent alors de la satisfaction de participer à l’effort de guerre, niant tragiquement les sentiments de doute et de perdition qui étreignent Lynn et ses compagnons.

Face à l’incompréhension mais aussi l’hostilité de certains à leur égard, les soldats doivent être plus solidaires que jamais. D’autant qu’ils apparaissent plus perdus et décontenancés dans leurs pays que lorsqu’ils sont exposés au feu ennemi. Ang Lee n’élude pas pour autant le drame de la guerre, il n’en fait pas en contrepoint un échappatoire valable. Il examine la complexité de la situation au travers de ces soldats ballotés entre deux champs de bataille. Pour survivre, dans un tel chaso, ils développent des liens indéfectibles pour entrer en communion.
Dans ces conditions, la progression narrative du récit fait de ce fameux spectacle de la mi-temps le point d’orgue du dispositif de Lee. Le metteur en scène y réussi le tour de force de faire vivre ce moment de l’intérieur tout en conservant le point de vue du spectateur, mettant à mal toute zone de confort. La furie pyrotechnique qui se déploie alors, les entoure, les agresse (à souligner le remarquable travail effectué sur le son) ravive le stress vécu sur le terrain. A ce moment, on les sent au bord de l’implosion.

Outre cet esprit de corps dont font preuve les soldats, ce qui intéresse Ang Lee à formaliser est leur état mental lorsqu’ils sont plongés dans des situations terrifiantes. La correspondance entre le numéro des Destiny Child au sein duquel sont projetés les Bravos et les combats en Irak est totalement pertinente. Surtout, la clarté apportée par la technologie utilisée est parfaitement appropriée pour dépeindre la netteté de leur perception et de leur état d’esprit lorsqu’ils sont au front. Ils atteignent une forme de tranqulité que, paradoxalement, ils ne retrouvent pas lors de leur virée à Dallas. Ce n’est pas un hasard car en plus d’être devenu étranger à ce qui se passe au pays, ils souffrent surtout de la disparition du sergent Virgil « Shroom » Breem, véritable catalyseur vers une forme de méditation existentielle. Son expérience, ses conseils transmutent leurs angoisses vers un état d’esprit libéré. Une sorte de maître zen étonnant (d’autant plus que c’est Vin Diesel qui l’interprète) qui était le ferment de l’union du bataillon. Sa mort bouleverse profondément leur unité et l’enjeu primordial sera pour Billy et les autres de dépasser leur douleur existentielle pour retrouver leur fraternité et se reconnecter avec une forme de paix intérieure car, pour reprendre un vers de Paul Valéry tiré du poème Le Cimetière marin, « le vent se lève, il faut tenter de vivre ».

Nicolas Zugasti


BILLY LYNN’S LONG HALFTIME WALK
Réalisateur : Ang Lee
Scénario : Jean-Christophe Castelli d’après le roman de Ben Fountain
Production : Stephen Cornwell, Ben Fountain, Marc Platt, Ang Lee …
Photo : John Toll
Montage : Tim Suyres
Bande originale : Jeff & Michael Danna
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h53
Sortie française : 1er février 2017
Disponible en vidéo, DVD et Blu-ray depuis le 7 juin 2017


« La fête à Henriette » de Julien Duvivier : Au fil du film

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« La vie est plus vide que la tête d’un adjudant-chef. Il ne s’y passe rien. Il faut tout inventer ! »
Signée par Henri Jeanson, cette ligne de dialogue donne le ton de La fête à Henriette, le film de Julien Duvivier à l’affiche en 1952 et que Pathé ressort ce 13 septembre en DVD et Blu-ray, dans une très belle version restaurée en 4K.

 

La vie est vide et deux scénaristes, interprétés par Henri Crémieux et Louis Seigner, vont vouloir y remédier en inventant sous nos yeux un film. Avec ses impasses, ses ratures, ses retours en arrière, ses corrections et quelques échauffements entre les deux cerveaux en ébullition surpris en plein travail.

Nos deux amis, ils l’expliquent au début, viennent d’être déboutés par la censure. Le film qu’ils ont écrit ayant atterri dans la poubelle d’Anastasie — le joli nom donné à la paire de ciseaux qui coupe sans rechigner textes et images —, les voilà donc obligés de se remettre à l’ouvrage. Oui, mais ils n’ont plus d’idée. Et lorsque Henri Crémieux se saisit d’un journal où puiser une quelconque inspiration, il lit deux faits-divers qu’il juge insipides. Deux faits-divers qui sont en fait le sujet de films célèbres : Le voleur de bicyclette de Vittorio De Sica et Le petit monde de Don Camillo de Julien Duvivier. Première petite baffe donnée au « bon goût « de la critique, couplée avec une autocritique amusée de la part de Duvivier — on peut aussi une voir une embardée du scénariste Jeanson contre son confrère René Barjavel qui signe Don Camillo.

Dès l’ouverture, La fête à Henriette se présente donc comme une fantaisie sur le septième art, avec son lot de coups de griffe gentillets et de moqueries. Les deux scénaristes vont alors laisser vagabonder leurs esprits tout en vaquant à leurs occupations. On les voit ainsi, pendant qu’ils échafaudent un possible scénario, se lever le matin laissant chacun une maîtresse dans leur lit — ce qui n’empêche pas Louis Seigner de glisser, au passage, quelques doigts curieux dans le corsage de leur secrétaire (Micheline Francey) —, faire leur toilette, déjeuner, etc. Crémieux est extravagant, voit partout des courses poursuites échevelées avec la police et des crimes crapuleux tandis que Seigner le ramène constamment à la normale, au réel. À la simplicité.

 

Le récit qu’ils inventent est simple : suivre la journée d’une jolie Parisienne, Henriette (Dany Robin), qui célèbre en ce 14 juillet sa fête et son anniversaire. Elle jouera à cache-cache avec son amoureux photographe (Michel Roux), rencontrera un mauvais garçon sympathique (Michel Auclair), connaîtra quelques péripéties tout autant policières que burlesques et amoureuses, se payant même le luxe d’un personnage de destin aveugle (Paul Œttly) tout droit sorti de chez Prévert. « C’est de la démence », assure même le scénariste sage (Seigner) qui remballe aussitôt cette incongruité sortie de l’imagination débordante de son confrère. Dès le départ, Duvivier et son coscénariste s’amusent avec la matière filmique. Ainsi le générique, empli de tirets et de points d’interrogation puisque le film n’existe pas encore. Au bout du métrage, alors que La fête à Henriette est enfin à l’écran, le vrai générique sera dit par Michel Auclair, comme si l’on se retrouvait chez Sacha Guitry.

De la même manière que le scénario divague d’un genre à l’autre, Duvivier se divertit à mettre en images toutes ces manigances : ici, ce sont des plans obliques, là un enchaînement de bals populaires au son de la même musique de Georges Auric mais jouée par des orchestres différents. On pense à l’utilisation qu’il fit de la valse de Maurice Jaubert dans Un carnet de bal, avec toujours autant de virtuosité. On pense au sketch du même film avec Pierre Blanchar en médecin avorteur, filmé lui aussi de traviole.

 

Pour plaisant qu’il soit, le film ne reçut pas à sa sortie que de bonnes critiques. Dans le bonus, Éric Bonnefille, auteur de Julien Duvivier, le mal aimant du cinéma français chez L’Harmattan, cite les mauvaises humeurs des grandes plumes de l’époque (Georges Charensol, Georges Sadoul et quelques autres) qui reprochèrent au film de ne pas avoir assez parlé du monde du cinéma de l’intérieur, de n’en avoir pas moqué quelques aspects et d’avoir utilisé l’érotisme sous prétexte de ridiculiser les films qui attiraient ainsi leur clientèle. Il est vrai qu’Henriette méritait d’être beaucoup plus mordant et qu’ici, Jeanson a versé de l’eau claire dans sa vachardise. Plutôt qu’un véritable règlement de compte comme a pu l’être The Player d’Altman, La fête à Henriette est une œuvre sympathique parce que jamais linéaire ni convenue, avec ses petits moments jouissifs dus aux dialogues de Jeanson. Lequel, l’air de ne pas y toucher, brocarde les politiciens et les journalistes, mais aussi la célébrité et ces gens qui se précipitent vers la première inconnue venue en quête d’un autographe, parce qu’on leur a proclamé qu’elle était célèbre.

 

Lorsque Henriette rentre chez elle, c’est-à-dire chez ses parents (Paulette Dubost et Alexandre Rignault), sa mère raconte : « Avec ton père, on s’est connus le 6 octobre, épousés le 6 février et, le 14 juillet, tu étais là ! » Comptez bien : les parents ont visiblement couché dès la première rencontre et la mère est immédiatement tombée enceinte. La censure n’y a visiblement vu que du feu. De même, nos deux compères introduisent dans leur histoire des personnages gratuits mais hauts en couleurs et incarnés par de très grands acteurs : Saturnin Fabre et Carette. Le premier surgit alors que Dany Robin attend sagement son presque fiancé à la terrasse d’un café. Le dialogue avec un autre consommateur est assez extraordinaire. Le second est un malfrat digne de la meilleure tradition du cinéma français. Si Carette semble malgré tout sacrifié, Fabre se taille, l’espace d’une séquence, un moment à sa démesure. Malgré tout ce qu’ont pu écrire les critiques de l’époque — des angles insolites et des contre-plongées qui ne font pas oublier Orson Welles, des poncifs que Duvivier et Jeanson savent frelatés, un manichéisme naïf, etc. —, ce sont ces petits pas de côté qui font tout le charme d’Henriette et qui rendent le film si attachant : l’apparition d’un acteur, une phrase assassine, une main qui s’égare, une accélération soudaine… On ne peut les citer tous, le film en est rempli.

Jean-Charles Lemeunier

La fête à Henriette
Origine : France
Année : 1952
Réal. : Julien Duvivier
Scén. : Julien Duvivier et Henri Jeanson
Dialogues : Henri Jeanson
Photo : Roger Hubert
Musique : Georges Auric
Montage : Marthe Poncin
Durée : 108 minutes
Avec Dany Robin, Michel Auclair, Michel Roux, Henri Crémieux, Louis Seigner, Hildegard Knef, Micheline Francey, Julien Carette, Daniel Ivernel, Saturnin Fabre, Claire Gérard, Odette Laure, Jeannette Batti, Paulette Dubost, Alexandre Rignault, Paul Œttly…

Sortie chez Pathé en DVD et Blu-ray dans une version restaurée en 4K le 13 septembre 2017.

« La fête à Henriette » fait également partie d’un coffret DVD/Blu-ray de cinq films que Pathé consacre à Julien Duvivier, avec « La belle équipe », « La fin du jour », « Voici le temps des assassins » et « Marie-Octobre ». Sortie le 13 septembre 2017.


« Picnic » de Joshua Logan : 

Conte cruel de la jeunesse

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En sortant simultanément en DVD et Blu-ray Picnic de Joshua Logan et Suddenly Last Summer (Soudain l’été dernier) de Joseph Mankiewicz, deux films Columbia respectivement datés de 1955 et 1959, Carlotta Films met l’accent sur ce Hollywood qui, en proie à la concurrence de la télévision, se tourne dans les années cinquante vers le théâtre pour lui fournir de nouveaux scénarios. Deux grands auteurs sont ici convoqués : William Inge pour Picnic et Tennessee Williams pour Soudain l’été dernier.

Le point de départ de Picnic ressemble à celui de The Long Hot Summer (Les feux de l’été) que Martin Ritt tournera en 1958 avec Paul Newman. Ce dernier film s’inspirant d’un roman de Faulkner publié en 1940. Dans Picnic et dans Les feux de l’été, un homme arrive dans une petite ville dont il va chambouler les habitudes. Un homme qui ne fait pas partie du microcosme et qui va concentrer autour de lui autant d’attirance que de méfiance. Dans le film de Logan, le rôle est tenu par William Holden, dont le cinéaste va multiplier les plans torse nu. Tout se passe au début comme si un coq débarquait soudain dans un poulailler : Holden croise d’abord la vieille Helen (Verna Felton) puis la famille qui vit là : la mère Flo (Betty Field) et les deux filles, Madge (Kim Novak) et Millie (Susan Strasberg). Il y a encore là une vieille fille, Rosemary (Rosalind Russell). Toutes n’ont d’yeux que pour lui et notre gars en profite pour rouler des mécaniques.

 

 

Si Holden, en quête d’un emploi, est venu retrouver là son ancien camarade d’université (Cliff Robertson), fils d’un magnat local, toute la petite ville se prépare pour le grand événement qu’est chaque année le pique-nique, avec jeux, concours, dégustations, baignade et élection de Miss Neewollah — c’est-à-dire Halloween à l’envers. Tous les protagonistes de l’histoire se retrouvent donc à ce gigantesque pique-nique qui donne son titre à la pièce et au film — alors, précise l’enseignante de cinéma Marguerite Chabrol dans l’intéressant bonus, qu’il reste hors-champ dans la pièce. Ce qui est prétexte, dans le film, à une sorte d’hystérie collective assez surjouée, qui ressemble d’ailleurs à celle dont fait preuve Don Murray dans un autre film de Joshua Logan inspiré lui aussi d’une pièce de William Inge, Bus Stop (1956).

 

 

La longue séquence du pique-nique est très réussie. Marguerite Chabrol a raison de remarquer qu’elle n’est pas juste une « aération », un cliché souvent utilisé par les cinéastes qui transposaient un sujet de la scène à l’écran. La séquence comporte des aspects quasiment documentaires, avec cet enchaînement de plans sur les diverses activités qui ponctuent la fête. Elle s’achève, le soir tombé, sur une danse très sensuelle — un très beau moment du film — entre Bill Holden et Kim Novak.

 

 

Curieusement, Holden n’est pas à sa place dans Picnic. Là où il aurait fallu un Paul Newman — qui jouait d’ailleurs dans la pièce à sa création, mais dans le rôle du copain du héros, ce dernier étant incarné par Ralph Meeker, le futur interprète du fabuleux Kiss Me Deadly d’Aldrich —, voire un Brando, un acteur plus animal, beaucoup plus jeune et rebelle, Logan et ses producteurs ont opté pour une star hollywoodienne qui a déjà à l’époque 37 ans. À peine cinq ans de moins que l’actrice qui joue Flo, la mère de Kim Novak et Susan Strasberg. Et cinq de plus que Cliff Robertson, son soi-disant camarade d’études. Comme Bomber, le jeune freluquet qui livre les journaux le matin (Nick Adams, l’acteur qui le joue, a déjà 24 ans, soit 10 de trop par rapport au personnage), Holden est trop vieux pour le rôle, il fait trop rangé et une curieuse phrase de dialogue vient confirmer cette impression. Le personnage de Rosalind Russell, vieille fille assumée, a abusé de la bouteille et elle vient se frotter à Holden. Elle lui parle de son âge : il veut paraître jeune mais ne l’est pas tant que cela ! Cet étrange échange semble soudain en dehors du film, donnant l’impression que Logan a capté un hors-champ, un instant volé au tournage. D’autant plus qu’il conclut la scène par un projecteur braqué d’un pont sur les deux protagonistes, comme si on leur demandait de rejoindre à présent le film et ses sunlights.

 

 

Plus que William Holden, acteur pourtant hautement appréciable, tant le jeune homme de Sunset Blvd que le vieux cowboy de La horde sauvage, plus que Kim Novak, beauté un peu fade qui n’a pas encore atteint les sommets de Vertigo ou des films de Richard Quine (dont le très beau Liaisons secrètes), c’est véritablement Rosalind Russell qui tire le film vers le haut. L’increvable interprète de La dame du vendredi de Hawks ou de My Sister Eileen d’Alexander Hall est, ceux qui se souviennent d’elle le savent, une actrice à tempérament. Elle en fait preuve ici et son personnage d’institutrice sur le retour courtisée par un vieux garçon (Arthur O’Connell) est sans aucun doute le plus lucide de ce microcosme campagnard américain. Elle aussi à qui Inge et Logan font cadeau des meilleures répliques. Celle sur l’âge de Holden, bien sûr, mais aussi cette sentence assénée à O’Connell au terme d’une scène éprouvante entre les deux vieux amoureux, éprouvante parce que, comme dans les plus beaux Cassavetes, elle dure sans trouver de fin, aux limites du malaise. « Épouse-moi », implore plusieurs fois Rosalind Russell à son cavalier qui ne semble pas en avoir envie. « On n’aime pas quelqu’un parce qu’il est parfait », conclut-elle, clouant le bec à O’Connell.

 

 

 

Pourquoi revoir aujourd’hui Picnic, ce conte cruel de la jeunesse ? Parce que le film s’inscrit dans un âge d’or en perte de vitesse, dans un questionnement hollywoodien typique des années cinquante : les studios veulent saisir le malaise de la jeunesse, La fureur de vivre étant sorti en 1955, tout comme Picnic. Cette jeunesse qui, au sortir de la guerre, est montrée comme rebelle, refusant de suivre la voie tracée par les parents, refusant aussi de soumettre leurs amours aux diktats de la société. Picnic suit ce même cheminement, auquel s’ajoute un écho de la lutte des classes : un pauvre petit gars désœuvré ne peut traiter un fils de riche sur un pied d’égalité, même s’ils ont fait partie de la même fraternité étudiante. Cette illusion-là, sur laquelle s’ouvre le film, n’a qu’un temps. Et Logan sait ce qu’est l’injustice. N’a-t-il pas été écarté en 1950 du prix Pulitzer décerné aux auteurs de South Pacific (Richard Rodgers, Oscar Hammerstein II et lui-même) parce qu’un article du New York Times avait oublié de mentionner son nom au crédit du spectacle ? L’erreur a beau avoir été réparée, Josh Logan ne fut jamais vraiment reconnu comme coauteur du show, les gens qui en parlaient devant lui se contentant de citer uniquement le nom des deux autres, Rodgers et Hammerstein étant deux stars de Broadway.

Jean-Charles Lemeunier



Picnic

Origine : États-Unis

Année : 1955

Réal. : Joshua Logan

Scénario : Daniel Taradash d’après William Inge

Photo : James Wong Howe

Musique : George Duning

Montage : William A. Lyon, Charles Nelson

Prod. : Columbia Pictures

Durée : 113 minutes

Avec William Holden, Kim Novak, Betty Field, Susan Strasberg, Cliff Robertson, Arthur O’Connell, Verna Felton, Rosalind Russell, Nick Adams…

Sortie chez Carlotta Films en Blu-ray et DVD le 23 août 2017.

 


“Deux hommes en fuite” de Joseph Losey : L’abstraction comme Losey l’osait

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Avec Deux hommes en fuite, un film de 1970 que Carlotta et L’Atelier d’images ressortent sur grand écran le 27 septembre pour la première fois en version restaurée, le titre français est informatif, c’est sûr. Beaucoup plus intéressante est la désignation originale, Figures in a Landscape. D’abord parce, peut-être autant voire plus que les deux hommes en question, le paysage tient le rôle principal. Un paysage filmé en Andalousie, dans la Sierra Nevada et alentours, tourmenté, tout en pierres sèches, puis grands espaces vallonnés et, enfin, hautes montagnes neigeuses. Ensuite parce que Figure in a Landscape est, apprend-on dans le dossier de presse du film, le titre d’un tableau de Francis Bacon. S’il fallait établir un rapport entre l’œuvre de Joseph Losey et la peinture, ce dernier pencherait plutôt du côté de l’abstraction.

 

Oui, Losey parvient à réaliser un film abstrait. Les deux hommes qu’il met en scène sont en fuite, c’est un fait. Mais que fuient-ils ? Un emprisonnement, certes, puisqu’on les voit au départ tous deux les mains attachées dans le dos, mais on ne saura jamais dans quel pays ils se trouvent, quels délits ils ont commis ni qui les pourchassent. Eux se contentent de dire “il” à propos d’un ennemi supposé. L’homme en question, qu’on ne verra jamais, les pourchasse en hélicoptère et l’on n’apercevra jamais que deux silhouettes avec casques, appartenant au pilote de l’hélico et au poursuivant des deux hommes. Sur terre, ce sont des militaires qui sont à leur poursuite mais les deux héros, incarnés par Robert Shaw — qui signe également le scénario — et Malcolm McDowell, ne parlent que par généralités : la patrouille, la frontière…

 

 

Dans ce paysage gagné par l’abstraction, les seuls dialogues échangés ne le sont qu’entre nos deux figures. Les autres personnages se contentent d’être des figurants, aperçus de loin ou une femme silencieuse qui se met à hurler. Losey s’amuse, outre les paysages magnifiques déjà cités, à n’utiliser la belle photo d’Henri Alekan que pour des dialogues entre Shaw et McDowell. Ces séquences parfois longues sont alors bousculées par des irruptions de violence, l’hélico qui s’approche ou les champs en flammes où doivent se réfugier nos deux compères. Abstraction encore que cette étrange musique de Richard Rodney Bennett, qui signa plusieurs partitions pour Losey, et qui ne devient véritablement mélodieuse qu’à la toute fin. Elle fait un peu penser à celle, tout autant avant-gardiste, que Jerry Goldsmith a composée pour La planète des singes deux ans auparavant. Nous sommes, en 1970, à la limite de l’expérimental.

Losey, qui a connu dans sa carrière plusieurs virages en épingle à cheveu, n’en est plus à un près. N’oublions pas que ce cinéaste américain a dû quitter son pays devenu maccarthyste à cause de ses convictions politiques. Réfugié en Angleterre, il signe une série de films à thèse (Les damnés, The Servant, Pour l’exemple) avant d’ouvrir une parenthèse psychédélique avec Modesty Blaise. Ses trois films suivants sont des adaptations de grands auteurs de théâtre (Harold Pinter, Tennessee Williams, George Tabori). Puis arrive ces Deux hommes en fuite, sorte de western moderne sans chevaux ni cowboys ni Indiens.

 

 

Le scénario, on l’a dit, est dû à Robert Shaw. Spécialisé dans les rôles de méchants — entre autres, le tueur blond de Bons baisers de Russie — l’acteur est également un auteur reconnu. Ses véritables titres de gloire à l’écran, c’est avec L’arnaque (1973) et Les dents de la mer (1975) qu’il les obtient. Face à lui, le jeune Malcolm McDowell vient d’exploser à l’écran dans If de Lindsay Anderson, sur une révolte scolaire. La célébrité planétaire viendra l’année suivante grâce à Orange mécanique. Dans le roman dont Shaw s’inspire et qui fut publié en 1968, Figures in a Landscape, l’écrivain Barry England décrit ses deux héros comme deux soldats évadés d’un camp de prisonniers, dans une république bananière. La force de Shaw est d’avoir épuré complètement le récit, gommant les détails et le transformant en un sujet beaucoup plus universel et allégorique d’une humanité perdue et en danger.

Jean-Charles Lemeunier

 

 

Deux hommes en fuite
Titre original : Figures in a Landscape
Année : 1970
Origine : Grande-Bretagne
Réal. : Joseph Losey
Scén. : Robert Shaw d’après Barry England
Photo : Henri Alekan, Guy Tabary, Peter Suschitzky
Musique : Richard Rodney Bennett
Montage : Reginald Beck
Durée : 110 minutes
Avec Robert Shaw, Malcolm McDowell, Henry Woolf, Roger Lloyd-Pack, Pamela Brown…

Sortie au cinéma de la version restaurée par Carlotta Films et L’Atelier d’images le 27 septembre 2017.



Movinside édition : que du bonheur

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Chez plusieurs éditeurs, l’année 2017 est particulièrement féconde en matière de sorties DVD ou/et Blu-ray de films cultes ou/et rares. Causons ici de Movinside, avec l’apparition de pas moins trois collections sous l’égide de Jean-François Davy (oui, bande de schnocks, celui des films olé-olé) : Trésors du fantastique, Suspense & polar et Grands films de guerre. Cette dernière collection compte déjà neuf titres (le plus connu étant Le Baron rouge de Roger Corman), auxquels en octobre s’en ajouteront quatre autres. Ils sont originaires notamment d’Angleterre, des États-Unis et d’Allemagne. Le terme Grands sera laissé à l’appréciation de chacun. Ce qui est acquis, c’est l’intérêt de la plupart de ces séries B, ou qui en ont plus ou moins l’apparence.

Le film allemand Chiens, à vous de crever !, signé Frank Wisbar, daté de 1959, en est un excellent exemple. Considéré comme le premier long-métrage sur la défaite allemande de Stalingrad, et se voulant visiblement œuvre de mémoire, il réussit l’équilibre entre la vision du biffin de base et celle du haut-commandement, voix-off qui contextualise et stock-shots plutôt habilement insérés à l’appui de cette volonté d’instruire. Aussi a-t-on droit à quelques saynètes présentant les atermoiements d’Hitler et de son état-major rapproché, à quelques autres scènes présentant Paulus, le chef de la 6e armée encerclée, coincé entre son devoir d’obéissance et la conscience du tragique de la débandade en cours et, bien sur, la vision de la guerre au ras du sol, avec fraternité d’armes, démotivation, incompréhension en regard de nombreux ordres considérés comme stupides et incohérents, dégoût grandissant face aux supérieurs. Difficile, dans ces aspects là, de ne pas penser à trois films de guerre, deux d’entre eux lui étant postérieur : le Attack de Robert Aldrich (1956), notamment pour la mise en scène au cordeau cachant vaille que vaille un financement modeste ; le Croix de fer de Sam Peckinpah, en particulier pour la relation entre un sous-lieutenant pivot de l’histoire et l’officier qui va devenir son supérieur, évoquant celle entre les personnages de Coburn et Schell (sans compter quelques lignes de dialogues qui pourrait avoir inspirés le grand Sam ou ses scénaristes) ; le Stalingrad de Joseph Vilsmaier pour les décors (on a froid pour ces pauvres types) et plusieurs anecdotes du quotidien en rapport avec la recherche de la bouffe, les combats rapprochés, les lignes de démarcations floues parfois situées d’une pièce ou d’un étage à l’autre… Un DVD à ranger à côté d’un autre film choc de la même période également originaire de chez nos voisins teutons, Le Pont.

Première collection à avoir eu des titres parus (huit à l’heure d’écrire ces lignes, sept autres d’ici novembre), Trésors du fantastique est intégralement un régal pour les amateurs de fantastique, d’horreur et aussi d’anticipation en provenance d’outre-Manche et d’outre-Atlantique. Des œuvres années 50-60 avec Corridors of Blood, Monstres invisibles (aah, l’attaque finale des cerveaux prolongés d’une moelle épinière !) et ce classique enfin édité décemment, Le Cerveau d’acier, tourné en 1970 par Joseph Sargent. L’histoire ? Pour faire court, elle raconte la mise en service d’un super-ordinateur chargé de maintenir le statu quo entre grandes puissances, de surveiller les armements nucléaire, bref, un système informatique tellement pointu qu’il devient une IA décidant bientôt de se passer de ses concepteurs pour prendre de drastiques décisions. Il s’agit peut-être là du premier grand film d’anticipation abordant la problématique Homme-machine, une œuvre séminale qui connaîtra une longue descendance. Ce film impeccablement emballé et dirigé fait inévitablement penser à la saga Terminator mais aussi à Wargames et moult autres bobines chères à nos cœurs de cinéphages. N’ayez pas de honte à ranger le boîtier à côté de Ghost in the Shell.

Les titres suivants datent tous des années 70 et de l’aube des dirty eighties. Parmi les plus réputés de cette série, notons Nuits de cauchemar, que propose en 1980 Kevin Connor, cinéaste anglais venant faire des siennes aux USA. La chose, dont une photo eu l’honneur de faire la couverture d’un ouvrage d’utilité publique (le Redneck Movies de Maxime Lachaud, paru chez Rouge Profond en 2014) est un slasher caustique qui, sur une trame classique du genre (des quidams se trouvent au mauvais endroit au mauvais moment), présente une famille de frappadingues assez atypique mettant en pratique une idée démente puisque leurs victimes sont enterrées vivantes jusqu’au cou dans un grand potager, ainsi nourries et engraissées jusqu’à l’heure d’être occises, débitées et servies incognito à qui passant par là aurait une petite fringale. En quelque sorte des écolos bien conscients de produire local.

Ce met de choix est suivi de La Nuit des vers géants, datant de 1977, qui malgré quelques effets gore d’excellentes tenus (Rick Baker est au fourneau, pardon, aux FX) reste plus faiblard que deux autres titres du réalisateur Jeff Lieberman, à savoir Survivance et Le Rayon bleu, le premier étant toujours inédit en DVD par chez nous. Autre inédit jusqu’alors dans l’Hexagone et aussi célèbre pour les amateurs que Nuits de cauchemar, le foufou Soudain… les monstres ! fourbi urbi et orbi en 1976 par Bert I. Gordon (votre serviteur rêvant depuis des décennies devant une VHS abîmée de voir sortir Le Détraqué, avec Chuck Connors, autre œuvre culte du bonhomme). Notoirement obsédé par le gigantisme, le réalisateur propose ici une sorte de thriller écologique, sous-genre très à la mode dans les 70’s. Un héros sans peur et sans reproche y est super-vénère de voir toutes sortes de bestioles hypertrophiées, en particulier des rats, s’attaquer à la population locale d’un coin perdu et forestier. L’ensemble à certes un aspect un peu cheap, étroitesse du budget oblige et système D obligatoire, mais la réalisation est cependant au-dessus de tout soupçon. Une série B aussi surprenante que morale et drôle (notamment parce que le 1er degré prime, surtout chez l’acteur principal). Bien barrée également, et presque aussi culte, Ssssnake (Bernard Kowalski, 1972), est une autre perle présentant des bestioles vindicatives. Si l’énormité des créatures du Gordon était due à une aberration naturelle (mais dont un salopard entendait profiter), les serpents présentés ici, de taille plus réaliste, sont les cobayes peu amènes des expériences d’un savant fou obsédé par son rêve de créer un hybride homme-serpent. N’importe quoi ? Oui, n’importe quoi. Le film, décalquage bis de L’Île du docteur Moreau, bien qu’à la réalisation et à la photo sans grand intérêt, est cependant un divertissement d’autant plus agréable que l’idée est dingue, que l’on y voit un Dirk Benedict pas encore vedette télévisuelle (cela viendra avec Galactica et L’Agence tout risques) être le jouet tragique de l’expérience et que le savant fou est interprété par le formidable Strother Martin, second et troisième couteau du cinéma US des années 60-70 notamment vu dans une bonne partie des films de Sam Peckinpah.

Finissons-en avec cette appétissante série en causant du Doomwatch de Peter Sasdy, production made in England de 1972. À l’instar du rarissime et virulent Panique du canadien Jean-Claude Lord en 1977 et d’autres suspenses pro-écologiques décennaux (voire plus si affinités) jouant la carte du réalisme, Doomwatch dénonce les pollueurs industriels. Chargé par une organisation à la Greenpeace de relever les traces d’une marée noire sur une petite île, un scientifique (Ian Bannen) est confronté à l’hostilité des habitants et s’aperçoit peu à peu que nombres d’entre eux semblent atteint d’un mal mystérieux déformant leurs traits, les rendant agressifs et les faisant mourir prématurément. Au fil de son enquête, il découvrira qu’un des sites côtier de l’île sert de dépotoir à des industriels peu scrupuleux y coulant notamment des bidons d’hormones de croissance et autres additifs alimentaires en surplus ou devenus invendables ou les déchets issus de ces confections douteuses. Il découvre même auparavant que le site incriminé est également utilisé par la marine anglaise pour enfouir des déchets radioactifs. Une formule dévastatrice. La dernière partie, dans une atmosphère de siège, voit s’aligner les révélations et la présentation impressionnante de victimes déformées. Si ce pamphlet est avare en action, il n’en est pas moins prenant et semblera en bonne partie aux spectateurs lorgner du côté du cinéma fantastique, notamment de par son ambiance. On pourrait croire à une folie du type de The Wicker Man (Robin Hardy, 1974) alors que l’on est plus proche du The Crazies du regretté George Romero. Cette œuvre rugueuse, pessimiste et quasiment sans humour, signée d’un affidé de la Hammer Films, a donc son importance.
À signaler que tous ces titres disposent d’un petit bonus, une présentation instructive du journaliste spécialisé Marc Toullec.

Venons-en maintenant au polar. Passons rapidement sur The Hit, fort honorable suspense et road-movie du milieu des années 80, puisque ce long-métrage anglo-espagnol signé Stephen Frears avec Terence Stamp, John Hurt, Tim Roth et Laura del Sol a déjà été édité à plusieurs reprises en DVD (y compris sous le titre Les Nouveaux tueurs). Attachons-nous (pas trop serré quand même, j’ai la couenne sensible) aux deux autres titres disponibles dans la collection Suspense & polar (quatre autres sont prévus pour novembre). Des inédits mais pas des inconnus pour l’amateur, au moins de réputation. Don Angelo est mort, daté de 1973, est un des premiers sous Parrain engendrés par le succès du monument de Francis Ford Coppola. Si les sévères crêpages de chignons entre familles mafieuses et héritiers à un trône ne sont pas des plus originaux, cette production pragmatique de commande mérite néanmoins le détour pour plusieurs raisons. À commencer pour les fiches technique et artistique : produite par Hal Wallis, réalisée par Richard Fleisher, mise en musique par Jerry Goldsmith, jouée, entre autres, par Frederic Forrest, Robert Forster, Anthony Quinn et Al Lettieri, Victor Argo. Mazette. Le scénario et son traitement (qui a lui seul mérite le détour, comme tant de films de Fleischer) ensuite, réservent également et heureusement quelques surprises : loin d’être fascinés par les mafieux et refusant les accents de tragédie et de lyrisme de maître Coppola, le réalisateur et le scénariste Marvin Albert font de Don Angelo est mort une œuvre sèche et mortifère sans aucune empathie pour les protagonistes. Enfin, la primauté accordée aux personnages de deux jeunes loups indépendants considérés comme de simples hommes de mains mais ruant de plus en plus dans les brancards est rendue d’autant plus efficace que Forrest (un ami de Coppola) et Forster (dans un de ses meilleurs rôles) brillent de tout leur éclat.

Achevons cette chronique par Le Flic se rebiffe, un « petit » film, qui a tout de même l’heur d’être interprété, coécrit et coréalisé par Burt Lancaster en 1974. Également présent cette année-là dans le glacial Scorpio de Michael Winner, lui-même signataire à la même période de son mythique Le Justicier dans la ville, Lancaster est ici un ex-flic vieillissant passé gardien de nuit sur un campus. Un boulot banal, ingrat, celui d’un invisible. Jusqu’à ce que l’effraction d’un bureau et le vol de cassettes sur lesquelles des étudiants font des confidences à un psychologue puis le meurtre de l’une de ces étudiantes (la magnifique Catherine Bach) ne réveille ses instincts de policier. Ce qui ne va pas plaire à tous. Considérée comme une œuvre mineure et ayant laissée dubitatifs des critiques se demandant les raisons d’une telle implication de Lancaster dans ce projet, ce Flic se rebiffe (un titre bateau auquel on aurait préféré une traduction du titre original, The Midnight Man) ne démérite pourtant pas. L’histoire est tordue et glauque à souhait, telle qu’en ont pondues tous les grands écrivains de polars, dont, toute proportion gardée, Raymond Chandler, à qui il est permis de penser à la vision de cette affaire et au comportement très détective privé du personnage de Lancaster. L’acteur principal est entouré notamment de Susan Clark, Cameron Mitchell, Harris Yulin, Ed Lauter et cette trogne pas possible de Charles Tyner. La mise en scène de Roland Kibee et Lancaster (mais surtout le premier, a priori), les deux hommes étant de surcroît associés à la production, n’est peut-être que fonctionnelle mais est rehaussée par la qualité de la photo. Un coup d’œil à cette enquête apparemment lente mais durant laquelle il se passe pourtant pleins de choses (dont deux très bonnes scènes d’action) ne fera de mal à personne, bien au contraire.

Laurent Hellebé

 


« Man on the Moon » de Milos Forman : Fake You


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Voilà qu’avec la ressortie en salles de Man on the Moon ce 13 septembre chez Carlotta Films, dans le cadre d’une rétrospective à la Cinémathèque française, se pose la même question qu’en 1999, lorsque le film de Milos Forman avait fait sa première apparition sur les écrans : pourquoi diable ne savons-nous rien, ici en France, de cet étrange comédien américain qu’était Andy Kaufman et qu’incarne à la perfection Jim Carrey dans Man on the Moon ? Pourquoi, nous qui sommes gavés parfois jusqu’à l’écœurement de la moindre sitcom US, n’avons-nous jamais eu droit qu’à une brève diffusion en 2000 de Taxi, série qui révéla Kaufman et dans laquelle jouait Danny DeVito, que l’on retrouve dans Man on the Moon ? Et sur une chaîne câblée, qui plus est.

 

 

Pour nous raconter la vie du comédien, Forman délaisse le biopic classique au profit d’une forme plus proche que ce que faisait Andy Kaufman dans la réalité et ce, dès le démarrage du film et son générique. Générique de fin qui défile sur le côté dès le début, donc. Avec un Jim Carrey facétieux qui supervise la musique à l’aide d’un électrophone.

 

 

Kaufman aimait les mystifications et Forman, fort à propos, utilise tout au long du film ce penchant de l’acteur. Ainsi l’étrange Andy, le dadaïste Andy créa-t-il  le personnage de Tony Clifton, une sorte de chanteur mal embouché qu’il réussit à faire embaucher à ses côtés dans Taxi, alors que tout le monde pensait sur le plateau que Kaufman et Clifton étaient deux acteurs à part entière. Ce goût du bluff (Fake You, a-t-on l’impression qu’Andy clame à ses admirateurs) va se poursuivre jusqu’au bout. Plusieurs personnes (et des sites abondent en ce sens) pensent que sa mort fut mise en scène et n’est pas réelle. Sur cette question ô combien épineuse voire scabreuse, Forman ne tranche pas et finit sur une dernière et jolie pirouette.

On retrouve au générique de Man on the Moon tous les proches d’Andy Kaufman : Bob Zmuda, son scénariste/gagman, et George Shapiro, son agent, font des apparitions dans le film. Shapiro raconte d’ailleurs la première blague nonsensique du film, celle des sœurs siamoises qui se rendent en Angleterre « pour que la deuxième puisse conduire ». C’est Danny DeVito qui endosse le rôle de Shapiro et qui produit le film. Il était, on l’a mentionné, le partenaire de Kaufman dans Taxi et les autres acteurs de la série (Judd Hirsch, Christopher Lloyd, Marilu Henner…) figurent également dans le film.

 

 

Jim Carrey rend à Andy Kaufman un bel hommage, aussi à l’aise dans l’imitation d’Elvis que dans un combat de catch mixte. L’acteur semble habité par ce double. D’autant que Man in the Moon apporte une réflexion sur l’acte de faire rire. Kaufman lui-même ne se considérait pas comme un acteur comique. Carrey ne se contente pas d’incarner à la perfection Andy Kaufman, de lui donner un corps, un esprit, une intelligence et cette part mystérieuse que possède sans conteste Kaufman et qui le fait agir parfois d’une manière étonnante, que personne ne comprend et pas même lui. Dans ce puzzle, Carrey est une pièce maîtresse et permet à Forman de poursuivre son questionnement sur l’art. De même que l’on voyait son Mozart punk, dans Amadeus, se débattre avec la composition du Requiem, de même Kaufman est montré dans une suite d’événements réels, construisant une œuvre que l’on ne peut discerner qu’après coup. Ici, le héros ne s’oppose à aucun ennemi. Aucun Salieri jaloux n’est caché dans l’ombre. Ses principaux adversaires ne sont pas les producteurs, juste étonnés par ses manières. Pas même le public qui ne comprend pas toujours à quoi joue le comédien, surtout lorsqu’il se met à lire à haute voix un livre sur scène. Son principal adversaire, c’est peut-être lui-même s’écartant d’une voie royale sitôt qu’elle est tracée, cherchant sans cesse d’autres chemins pour accomplir ce qu’il a en tête. Pour se construire sans calcul une identité totalement originale.

Jean-Charles Lemeunier
 
Man on the Moon
Année : 1999
Origine : Angleterre, Allemagne, Etats-Unis, Japon
Réal. : Milos Forman
Scén. : Scott Alexander, Larry Karaszewski
Photo : Anastas Michos
Musique : REM
Montage : Adam Boome, Lynzee Klingman, Christopher Tellefsen
Durée : 118 minutes
Production : Danny DeVito, Universal Pictures
Distribution Carlotta Films, Program Store
Avec Jim Carrey, Danny DeVito, Courtney Love, Paul Giamatti, Vincent Schiavelli…

Sortie en salles, pour la première fois en copie restaurée, le 13 septembre 2017.

 

 


« We Are the Flesh » d’Emiliano Rocha Minter : « L’esprit, c’est la chair ! »

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Avec We Are the Flesh, premier long-métrage du Mexicain Emiliano Rocha Minter sorti en DVD/Blu-ray chez Blaq Out, on pense forcément à Carlos Reygadas, remercié dans le générique final au même titre que Lautréamont, Gaspar Noé, Sade, Artaud, Zulawski, Iñarritu ou Georges Bataille — et pas seulement à cause de la scène de fellation. Découvert au festival de Cannes 2012, Post Tenebras Lux de Reygadas plongeait, de la même manière, le spectateur dans un univers parallèle fait de transgressions, dont il ne possédait ni les tenants ni les aboutissants. Il existe chez les cinéastes mexicains un goût inné pour l’étrange et le malaise, pour le franchissement des tabous et Rocha Minter réussit à créer, au moyen d’un appartement en ruine et de trois personnages principaux, un univers post-nucléaire tout à fait saisissant.

À travers ces trois individus, un vieil homme (Noé Hernandez, extraordinaire), une jeune femme (Maria Evoli) et son frère (Diego Gamaliel), vont se rejouer tous les mythes de l’humanité, de la naissance à la mort mais aussi le rapport à la divinité et au diabolique, la relation incestueuse d’Adam et Eve — puisqu’ils sont nés de la même chair —, le Bien et le Mal… We Are the Flesh est un film chthonien, tellurique, d’avant et/ou d’après l’Histoire… Un film dans lequel le spectateur ne possède plus aucun repère, où il prend d’abord sensuellement les éléments que le script lui fournit, avant de pouvoir les analyser intellectuellement. « L’esprit, c’est la chair », annonce l’un des personnages. Les images sont belles et les phrases énoncées étonnantes : « L’amour n’existe pas », déclare la jeune femme. « Seules les preuves d’amour existent » ajoute-t-elle en faisant couler dans la bouche de son frère son sang menstruel.

 

 

Minter décrit un monde où aucune de nos valeurs ne compte plus. « On ne peut regarder en face ni le soleil ni la mort ». Pour le faire, le cinéaste transgresse les tabous comme ont pu le faire avant lui tous ceux qu’il cite dans son générique. Mourir en jouissant est une des images chocs qu’il nous livre. Quand ce ne sont pas les images, ce sont les dialogues qui sont là pour secouer la quiétude : « Mangez ma chair rance. Buvez mon sang, chaud comme la chatte de la vierge Marie. » On pourra alors, à la vision de We Are the Flesh, soit tout rejeter, soit entrer dans cet univers étrange et s’y laisser guider sans savoir où l’on va.

 

 

Ainsi bousculée par les déclarations sur la chair et le sang, la cène devient orgie et s’achève sur la naissance symbolique de l’Homme. Lequel, transgenre, vêtu de vêtements féminins déchirés, peut accomplir une nouvelle naissance puisque, après avoir franchi des couloirs, il parvient à la lumière et sort dans la rue. Dans le bonus, Noé Hernandez parle de « scènes difficiles à comprendre mais qui, viscéralement, avaient du sens ». Ce « voyage dans l’infra-monde », nous indique la chanson de générique, nous amène « directement à la mort voir s’il y a autre chose ». Une expérience qui, via le film, se révèle finalement assez enthousiasmante.

En bonus, on pourra découvrir deux courts-métrages réalisés par Minter, Dentro et Videohome

Jean-Charles Lemeunier

We Are the Flesh
Titre original : Tenemos la carne
Origine : Mexique
Année 2016
Réal. et scén. : Emiliano Rocha Minter
Photo : Yollotl Alvarado
Musique : Esteban Aldrete
Montage : Ybran Asuad, Emiliano Rocha Minter
Avec Noé Hernandez, Maria Evoli, Diego Gamaliel, Gabino Rodriguez, Maria Cid

DVD/Blu-ray sorti chez Blaq Out le 17 octobre 2017.


« Il mattatore » de Dino Risi : Premier rendez-vous

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Tourné en 1959, Il mattatore, que Carlotta Films édite pour la première fois en DVD et Blu-ray, est sorti en 1960 sur les écrans. En France, sous le titre L’homme aux cent visages. Le film marque la rencontre entre le cinéaste Dino Risi et l’acteur Vittorio Gassman. Le premier a déjà une petite carrière derrière lui, depuis ses premiers courts-métrages en 1946, et, grâce à ses comédies, commence à se faire un nom. Le second a lui aussi débuté en 1946 mais le cinéma ne l’intéresse pas vraiment, malgré une amorce de carrière américaine entre 1953 et 1956 : il tourne sans grande conviction sous la direction de Joseph H. Lewis, John Farrow, Robert Rossen, Charles Vidor, Robert Z. Leonard et King Vidor. Son truc, au Vittorio, c’est le théâtre. C’est seulement l’année précédente, en 1958, qu’il découvre la comédie avec le grandiose Pigeon du non moins grandiose Mario Monicelli. La proposition de Risi, avec Il mattatore, est l’occasion pour Gassman de poursuivre dans la voie comique.

 

Construit comme une succession de sketches — ce qui va devenir la grande spécialité du cinéma italien — et écrit par les as de la comédie all’italiana (Age et Scarpelli, Ruggero Maccari, Ettore Scola et Sandro Continenza), Il mattatore est donc le premier rendez-vous qu’offre aux spectateurs le futur duo mythique Risi/Gassman. Le film ne possède pas encore la puissance qui sera développée plus tard avec Il sorpasso (1962, Le fanfaron), I mostri (1963, Les monstres), Profumo di donna (1975, Parfum de femme) et I nuovi mostri (1978, Les nouveaux monstres). Il pose toutefois les jalons de ce qui fera le succès de Vittorio Gassman dans les films dirigés par Dino Risi.

 

Ce mattatore qui donne son titre au film désigne parfaitement le personnage incarné par l’acteur. Il est l’attraction du film — traduction approximative du titre italien —, un histrion en roue libre qui endosse la personnalité et le look de personnages complètement foutraques et différents pour mieux arnaquer ses victimes. Comme dans beaucoup de comédies italiennes, les héros sont de pauvres types qui ne savent rien faire de leurs dix doigts, sinon profiter de la crédulité des autres. Ces prolos incarnent à merveille le petit peuple cher au cœur des grands cinéastes, et Dino Risi en est un. Si Gassman incarne un seul et même personnage qui va prendre plusieurs identités, Il mattatore ressemble à un prototype des futurs Monstres, Une poule, un train et quelques monstres, Les nouveaux monstres ou Les derniers monstres que tournera par la suite Risi (parfois avec l’aide de Monicelli et Scola). Chez ces trois cinéastes en particulier, la comédie est toujours sociale et nous fait profiter d’une plongée dans l’Italie contemporaine du tournage.

 

C’est une évidence, Gassman cabotine et c’est ainsi qu’on l’aime. Car cet immense acteur sait, le temps d’un plan, mettre une profondeur dans son regard qui n’a plus rien à voir avec la comédie. Il y a toujours chez lui, au plus fort d’une séquence comique dans laquelle il accentue le ridicule d’un personnage, une dimension tragique. Dimension qu’il a peaufinée alors qu’il travaillait au théâtre Shakespeare, Sartre, Ibsen, Cocteau, Pirandello ou Tennessee Williams sous la direction de Luchino Visconti, Luigi Squarzina ou dans ses propres mises en scène. Certes, le Gerardo à qui il donne tout son poids n’a pas encore la double dimension tragique et comique qu’endosseront plus tard le fanfaron ou l’aveugle de Parfum de femme. Mais la graine est plantée et, grâce aux talents conjugués de Gassman et Risi, elle va pouvoir s’épanouir.

Jean-Charles Lemeunier
 
Il mattatore
Origine:Italie
Année : 1960
Réal. : Dino Risi
Scén. : Age, Scarpelli, Ruggero Maccari, Ettore Scola, Sandro Continenza
Photo : Massimo Dallamano
Musique : Pipo Barzizza
Montage : Eraldo Da Roma
Durée : 95 minutes
Avec Vittorio Gassman, Dorian Gray, Anna Maria Ferrero, Mario Carotenuto, Alberto Bonucci, Fosco Giachetti, Luigi Pavese, Nando Bruno…

Édité en DVD et Blu-ray par Carlotta Films le 11 octobre 2017.

 

 


Ouverture du festival Lumière à Lyon : En attendant Wong Kar-wai

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C’est devenu une tradition. Sur la scène de la halle Tony-Garnier à Lyon, devant pas loin de 5000 personnes – parmi lesquelles deux ministres d’État (Gérard Collomb, ancien maire de Lyon, et Françoise Nyssen) -, Thierry Frémaux accueille son cortège d’invités. Directeur de l’Institut Lumière, délégué général du festival de Cannes et grand organisateur — avec Bertrand Tavernier — du festival Lumière, il devient, le temps de l’ouverture de cette 9e édition et durant toute la semaine (jusqu’au 22 octobre), un véritable chef d’orchestre et chef de chœur. Et prend un malin plaisir à faire décréter par cette cinquantaine de personnes sur scène que le festival est ouvert. Un peu plus fort. Un peu plus clairement. Un peu plus ci, un peu plus ça et, dans la salle, les gens se marrent jusqu’au moment où, comme une seule femme et comme un seul homme, ils vont à leur tour répéter la phrase fatidique.

 

Michael Mann, Tilda Swinton, Guillermo del Toro, Marisa Paredes, Daniel Brühl, Gérard Collomb, Françoise Nyssen et quelques autres déclare ouvert le festival Lumière 2017 (Photo JCL)

Citons, parmi les invités, Jean-François Stévenin, Vincent Lindon, Ludivine Sagnier, Marina Foïs, Tonie Marshall, Gérard Jugnot, Robin Campillo, Thomas N’gijol, Anne Le Ny, Catherine Frot, Pierre Richard, Christophe Lambert, Michèle Laroque, Robert Guédiguian, Marina Golbahari, Alexandre Desplat, Daniel Brühl… et Tilda Swinton, Marisa Paredes, Jerry Schatzberg, Alfonso Cuaron, Guillermo del Toro et Michael Mann. Excusez du peu !


Eddy Mitchell venait présenter La mort aux trousses de Hitchcock et les souvenirs échangés entre le chanteur et Tavernier furent généreux. Arrivé au son de Pas de boogie woogie, le chanteur fit un tour de salle triomphant. Après un petit concert de mariachis en l’honneur des deux cinéastes mexicains présents — « ¡ Ola cabrones ! », plaisantèrent Guillermo del Toro et Alfonso Cuaron —, Eddy Mitchell et Bertrand Tavernier se lancèrent dans une série d’anecdotes marrantes du tournage de Coup de torchon avant un éloge de Jean Rochefort et un rappel de la phrase de Mark Twain que l’acteur aimait citer : « Dieu a créé l’homme parce qu’il était un peu mécontent du singe. »

Se tournant ensuite vers Eddy Mitchell, le cinéaste a raconté qu’ils se sont connus au moment d’Une semaine de vacances, un film pour lequel Monsieur Eddy a produit la musique. « Eddy était à l’enregistrement et on partageait des passions pour certains chanteurs. Comme Eddie Constantine. Eddy connaît par cœur une dizaine de ses chansons. Je me suis dit qu’Eddy pourrait être un acteur formidable. Je lui ai proposé le rôle de Nono dans Coup de torchon. Jouer un imbécile, seul quelqu’un d’intelligent pouvait le faire. Nono en est une version abyssale, on touche à l’infini dans la crétinerie. Sur le tournage, grâce à Eddy, j’ai enrichi mon vocabulaire. Jeannot le marcheur, c’était du Johnnie Walker. Quand il fumait des grèves chanceuses, c’était des Lucky Strike. Et il fallait l’entendre avec Guy Marchand chanter le répertoire de Bing Crosby. C’était à tomber par terre ! Eddy a fait aussi une apparition formidable dans Autour de minuit : il entre en titubant dans un bar, boit un verre et s’effondre. Dexter Gordon se tourne vers le barman et lui dit : « Donnez-moi la même chose ! »

 

Eddy Mitchell parle ensuite de sa cinéphilie, née dans les salles de Belleville où son père l’amenait après le boulot. « À cette époque, on ne parlait pas de réalisateurs. On allait voir un film de Gary Cooper ou de Burt Lancaster. » Comme Christophe Lambert est dans la salle, Eddy évoque I Love You, le film de Marco Ferreri — « un personnage tellement hors du commun » — qu’ils ont tourné ensemble. Ils se souviennent que Ferreri disparaissait « parce qu’il avait besoin de pommes » : « Il les épluchait et gardait les pelures dans un sac. » Ils concluent : « C’est quand même l’histoire d’un type amoureux d’un porte-clés ! »

Et de conclure par un karakoé géant et unanime sur La dernière séance.

La mort aux trousses peut démarrer. Le 9e festival Lumière est bien parti qui, outre les films de Wong Kar-wai — qui arrivera en fin de semaine —, va proposer une rétrospective Clouzot, des hommages à Tilda Swinton, Diane Kurys, Jean-François Stévenin, Guillermo del Toro, Anna Karina, Michael Mann, William Friedkin, Giorgio Moroder… Que du bon !

Jean-Charles Lemeunier


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