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Deux films de Mario Soldati : Lacs et films majeurs

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Ils sont beaux, ces lacs italiens, tant le Majeur et celui de Côme, que l’on voit dans Piccolo mondo antico (1941, Le mariage de minuit), qu’à nouveau le lac de Côme, véritable vedette de Malombra (1942). Et qu’importe s’il y neige parfois, jusque dans les chansons de Mort Shuman. Ces deux films adaptés de romans d’Antonio Fogazzaro et réalisés par Mario Soldati sont deux chefs-d’œuvre d’un mouvement baptisé « calligraphisme ».
Parallèlement à la Trilogie de la guerre de Rossellini, contemporaine de ce Mariage et de Malombra, Bach Films sort donc en DVD ces deux œuvres majeures (encore le lac !) de Soldati, écrivain, scénariste et cinéaste, malheureusement oublié aujourd’hui alors que tous ses romans récemment réédités dans la collection Le Promeneur de Gallimard prouvent la qualité de son écriture.

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Le mariage de minuit nous plonge dans une époque, le milieu du XIXe siècle, où une partie de l’Italie est encore sous la domination autrichienne. Incarné par Massimo Serato, le héros du film est en quelque sorte entré en résistance contre l’occupant. Scénario étonnant quand on songe qu’il a été réalisé dans une Italie fasciste alliée à l’Allemagne qui, elle-même a annexé l’Autriche trois ans plus tôt. Le bouquin de Fogazzaro date de 1895 et sans doute, comme c’était le cas avec le cinéma de la France occupée, les censeurs n’y virent que du feu. Ou firent semblant car le film est très fortement marqué par cet esprit de lutte armée contre un pouvoir. Et dépeint tout autant une aristocratie collaboratrice, incarnée ici par une vieille marquise antipathique — jouée par l’excellente Ada Dondini. Si l’on n’était au bord des grands lacs italiens en 1850, on jurerait que l’action se déroule à une époque contemporaine de la réalisation : il est question de tracts que l’on cache, d’une police qui débarque à l’improviste, fouille les maisons, arrête arbitrairement les individus et tient des propos anti-italiens. « Apprenez à respecter les autorités », entend-on dans le dialogue.

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Autre élément étonnant soulevé dans le bonus par l’historien Jean Gili, grand spécialiste du cinéma italien : des dialectes, alors interdits par le régime mussolinien, sont entendus dans le film et sans doute autorisés par la censure parce que, ajoute Gili, « ils étaient déjà dans le livre de Fogazzaro ». L’aspect éminemment politique du Mariage de minuit est renforcé par le thème-même du film, lui aussi très politisé puisqu’il y est question d’argent. La richissime et vieille marquise pro-Autrichienne voit d’un très mauvais œil le mariage de son petit-fils (Serato) avec une jeune femme qui n’appartient pas à la noblesse (Alida Valli, qui est magnifique). Le mariage a lieu en cachette, à minuit, et la vieille décide de déshériter le jeune couple. Commencent alors les problèmes d’argent et de fierté, puisque Serato a droit à sa part d’héritage que, malhonnêtement, sa grand-mère lui refuse. Le mélodrame n’est jamais loin, d’autant plus qu’une tragédie survient abruptement, que Soldati dirige sobrement, avec beaucoup d’élégance et sans effet de manche.

À côté des deux héros romantiques, Le mariage de minuit propose une galerie de personnages sympathiques, vieux professeur (Giacinto Molteni), oncle dépossédé (Annibale Betrone), vieille dame sourde (Elvira Bonecchi), interprétés par des comédiens que nous ne connaissons pas en France et qui enrichissent le film. À noter encore au générique la présence d’Alberto Lattuada crédité comme coscénariste et assistant-réalisateur et celle de Dino Risi en assistant-opérateur.

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C’est toujours au bord d’un lac que se déroule Malombra, tourné l’année suivante. Soldati, raconte Jean Gili, voulait reprendre Alida Valli mais ce fut finalement Isa Miranda, grande vedette de l’époque, qui obtint le rôle. L’ambiance gothique, dans ce château isolé au bord d’un lac où débarque Isa Miranda, rappelle ces demeures majestueuses où règne la cruauté et qui cachent un secret, filmées à Hollywood avec les adaptations de Daphne Du Maurier (Rebecca en 1940) ou de Charlotte Brontë (Jane Eyre en 1943).

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Après avoir vécu quelque temps dans la frivolité, Isa Miranda, devenue orpheline, est récupérée par un oncle (Gualtiero Tumiati) et forcée de vivre dans un manoir dont elle ne pourra sortir que mariée. Elle tombe sur un vieux manuscrit écrit par la jeune femme séquestrée de son aïeul et se persuade qu’elle en est la réincarnation. Dans une atmosphère trouble qui peut faire penser à celle dans laquelle évoluaient les personnages des films de Serge de Poligny, dans la France occupée voisine, le mystère qui enveloppe l’intrigue était capable de faire oublier aux spectateurs la dureté de l’époque.

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Là encore, la magie de Soldati et de ce style calligraphiste opère. Le cinéaste filme d’ailleurs de manière très différente la réalité, telle qu’elle est hors du château, et cette ambiance particulière qui opère dès que l’on est revenu dans la demeure du bord du lac. Le personnage incarné par Isa Miranda s’enfonce peu à peu dans la folie et l’on est bien tenté de voir apparaître encore ici quelques intentions politiques. Et si l’Italie de Mussolini était devenue ce beau château dont toute sortie paraît difficile sinon improbable, en tout cas pour l’héroïne ? Et que ses occupants, coupés des réalités du monde, glissaient imperceptiblement dans la folie. Il n’est qu’à voir le parti choisi par l’oncle pour convoler avec la belle et jeune femme : un nobliau ridicule (Nino Crisman), flanqué d’une mère grimaçante et dictatoriale, un rôle dans lequel on retrouve Ada Dondini. Au château, les alliances ne se font pas avec les bonnes personnes alors que celles qui vivent au dehors — Andrea Checchi, le jeune premier du film, Irasema Dilian, la jeune fille du vieil ami du comte, là encore incarné par le sympathique Giacinto Molteni — paraissent beaucoup plus saines d’esprit. Mario Soldati a toujours été antifasciste, comme l’indique clairement le journal qu’il a tenu au cours des années de guerre et qu’il a publié sous le titre Fuite en Italie (on le trouve toujours chez Gallimard). Sans doute dénichait-il chez Fogazzaro plusieurs traits communs avec la situation actuelle et une possibilité, sous prétexte d’adaptation littéraire — n’oublions pas que l’écrivain italien, célébré dès la publication en 1896 de Piccolo mondo antico, fut nommé sénateur par le roi Humbert 1er et a postulé plusieurs fois au prix Nobel, qu’il n’a jamais obtenu — de montrer finement son désaveu du régime. Enfin, rappelons que Soldati tournera en 1947 un troisième film d’après Fogazzaro, Daniele Cortis.

Jean-Charles Lemeunier

Le mariage de minuit (1941) et Malombra (1942), deux films de Mario Soldati édités en DVD par Bach Films depuis le 19 janvier 2017.



« Split » de M. Night Shyamalan :  Un scénario qui vole en éclats

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On dit souvent, quand on ne veut pas avoir la dent trop dure, que certaines réputations sont surévaluées. Comment parler alors de la carrière de M. Night Shyamalan tout en restant poli ? Certes, le cinéaste a marqué les esprits dès son premier opus, Sixième sens, mais a depuis glissé dans une filmographie inégale, parvenant quelquefois à un tel ridicule qu’on ne sait plus très bien si les souvenirs qui nous reviennent en mémoire viennent de Signes et du Village ou de leurs parodies finement ciselées dans la série des Scary Movie. Certes, le monsieur a ses fans, qui jubilent lorsqu’il tient ses promesses, ce qu’apparemment il vient de faire avec Split. Mais, sur ce dernier point, le secret doit rester bien gardé.

Ce nouveau film suscitait beaucoup d’attente mais il faut se rendre à l’évidence : Shyamalan émousse son sujet, le TDI (trouble dissociatif de l’identité), l’écarte d’une trajectoire purement psychiatrique pour l’amener sur des sentiers bien mieux balisés : ceux d’un enlèvement suivis, et c’est loin d’être une nouveauté, par les méthodes astucieuses que les victimes utilisent pour s’en sortir.

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L’affiche est pourtant alléchante, qui parle d’un homme aux 23 personnalités. On pense forcément à Billy Milligan, personnage réel qui souffrait de 24 personnalités différentes obligées de cohabiter dans sa tête et au récit fabuleux de ce cas psychiatrique qu’en fit Daniel Keyes dans Billy Milligan, l’homme aux 24 personnalités, ressorti chez Calmann-Lévy sous le titre Les 1001 vies de Billy Milligan, suivi par Les 1001 guerres de Billy Milligan. On s’attend donc à ressentir à nouveau pour le héros de Split la même fascination que pour Milligan, d’autant plus que le film emploie le même vocabulaire — les personnalités qui, à tour de rôle, passent dans la lumière — et à peu près les mêmes identités. Soyons précis : loin de montrer 23 personnalités différentes — avec, nous proclame-t-on, une 24e prête à surgir —, Split n’insiste que sur quatre ou cinq d’entre elles, dont la plupart semblent tirées du cas Milligan. Car Milligan, comme dans Split, avait en lui un petit garçon qui exprimait la douleur, un homme violent, un homosexuel et un érudit. Shyamalan a rajouté une femme d’âge mûr et une petite fille souffrant du diabète — alors que Milligan abritait une petite fille de trois ans qui était dyslexique.

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Il est évident que c’est cet afflux de personnalités qui attire le public et non la mésaventure de jeunes femmes kidnappées par un fou. Car, dans ce cas, autant regarder Esprits criminels ! La question se pose alors pour le metteur en scène de savoir comment traiter visuellement le sujet : faire jouer les multiples personnalités par des acteurs différents ? James Mangold l’a fait avec Identity et le résultat est plutôt excellent. Donner à jouer au même comédien toutes les facettes ? C’est le choix opté par Shyamalan avec James McAvoy que l’on va identifier tour à tour en petit garçon, en styliste, en vieille dame ou en meneur. Le problème avec ce choix, c’est que Shyamalan se méfie de son public et de l’intelligence qu’il montrera à bien comprendre de quoi il est question. Alors, il filme McAvoy en chacun des personnages – déguisé en vieille dame, prenant des allures de petit garçon ou de pédant connaisseur de l’histoire médiévale de l’Orient, précieux comme devrait l’être un styliste ou renfrogné comme un gros dur – et toutes ces vidéos se retrouvent assemblées dans un ordinateur sur lequel la jeune héroïne va tomber… et tout comprendre. Mais bon sang, dira-t-elle en se tapant du poing la paume de sa main gauche, mais c’est bien sûr ! Non, j’extrapole mais à peine.

Jamais le personnage joué par James McAvoy est réellement pitoyable, comme l’était Billy Milligan dans le bouquin de Keyes, qui le présentait comme une victime plus que comme un mec dérangé digne des habituels psychopathes de série. Jamais on ne ressent vraiment de la compassion tant est mal fait le passage d’une identité à l’autre. McAvoy a beau faire ce qu’il peut, et il ne s’en sort pas si mal, Split reste bien en-deçà de ce que pouvez être Billy Milligan, le livre.

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Pourtant, pourtant Shyamalan est loin d’être un débutant et il nous distille tout au long de son récit une bonne idée et, attention, si vous êtes parvenu jusqu’ici sans bâiller et que vous ayez décidé de continuer la lecture, des éléments importants risquent de vous être livrés. Parmi les trois filles enlevées, l’une (Anya Taylor-Joy) est quelque peu spéciale et passe plutôt inaperçue dans un groupe. McAvoy, après avoir assommé le conducteur d’une voiture, se met au volant et gaze les deux jeunes filles à l’arrière pour les kidnapper. Assise sur le siège passager et effrayée, Anya regarde tout cela sans que McAvoy semble la remarquer. Puis, il la gaze à son tour. Une petite idée germe alors dans l’esprit perspicace du spectateur, les autres se contentant de piocher dans leur soupière de pop corn et de peloter leur copine. Et si la petite Anya, cette jeune fille si bizarre, était l’une des personnalités du méchant ? Tout, dans la suite, va continuer à nous mettre sur cette piste. Dans les commentaires sur le kidnapping que l’on surprend sur une télévision, il est souvent fait état de deux filles enlevées, parfois de trois. Les couloirs et les multiples pièces du lieu où les trois jeunes filles sont séquestrées ressemblent à la description d’un cerveau malade, les pièces étant les lieux des différentes personnalités et Anya se baladant au milieu de tout cela (alors que les deux autres ne sont toujours vues qu’enfermées). Jusqu’au bout, Shyamalan va dans ce sens pour tout laisser tomber à la fin. Ce que l’on pensait être le renversement de situation final que l’on retrouve dans quasi tous ses films s’avère n’être qu’une fausse piste, alors que le cinéaste opte finalement pour un choix surprenant et, avouons-le, passablement ridicule – sauf peut-être pour les fans absolus.

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Ajoutons à tout ce qui ressemble, il faut bien le dire, à des erreurs le personnage de la psychiatre (Betty Buckley). Cette brave vieille dame parle beaucoup, sans doute pour renforcer l’alibi psychanalytique du scénario, et les séquences où elle apparaît en discussion avec McAvoy sont de longs tunnels verbeux, censés nous en dire plus sur le héros, comme si Shyamalan n’était pas capable de nous faire comprendre les choses simplement avec des images et un minimum de mise en scène. Quant aux décisions finales de la Betty, se rendre sur place et griffonner sur un bout de papier la solution de l’énigme, elles sont tout simplement ridicules et indignes de quelqu’un que l’on s’évertue à placer parmi les plus grands. Alors, surévalué, le petit père Shyamalan ? Je suis peiné d’insister auprès de ceux qui lui tressent des couronnes de laurier mais, franchement, le laurier, gardez-le pour la cuisine et admettez que Split est tout sauf un grand film. Désolé !

Jean-Charles Lemeunier

Split

Origine : États-Unis

Année : 2016

Réalisateur et scénariste : M. Night Shyamalan

Photo : Mike Gioulakis

Musique : West Dylan Thordson

Montage : Luke Franco Ciarrocchi

Avec James McAvoy, Anya Taylor-Joy, Betty Buckley, Jessica Sula, Haley Lu Richardson…

Film sorti le 22 février 2017


« Les sorcières de Salem » de Raymond Rouleau : La chasse est ouverte

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Quand il écrit The Crucible (Les sorcières de Salem) en 1953, Arthur Miller se sert du passé — un procès en sorcellerie dans une bourgade du Massachusetts en 1692 — pour décrire une situation bel et bien contemporaine, la croisade anticommuniste menée aux États-Unis par le sénateur républicain du Wisconsin Joseph McCarthy et une bande d’exaltés hystériques d’extrême droite sur fond de guerre froide. Hystérie, voilà bien le mot qui convient pour décrire à la fois l’Amérique des Fifties et la Salem du XVIIe siècle. En 1954, Raymond Rouleau monte ce texte au théâtre dans une adaptation de Marcel Aymé. Deux ans plus tard, il décide porter à l’écran Les sorcières en faisant cette fois appel, pour l’adaptation, à Jean-Paul Sartre. Ce dernier n’est pas un inconnu puisque l’acteur-metteur en scène a déjà travaillé deux fois sur Huis-Clos, en 1944 et 1946. Dans le bonus du Blu-ray des Sorcières de Salem édité à la fin du mois par Pathé, Mylène Demongeot explique que Miller était mécontent du travail accompli par Sartre, si bien qu’il adapta lui-même en 1996 une nouvelle version cinématographique de sa pièce, The Crucible, dirigée par Nicholas Hytner et rebaptisée en français La chasse aux sorcières. Le film de Raymond Rouleau avait donc disparu des écrans de cinéma et de télévision et c’est une chance que Pathé, ayant acquis les droits, puisse enfin le remettre en circulation.

 

 

Raymond Rouleau, et c’est bien là la force des Sorcières de Salem, ne se contente pas de filmer platement la mise en scène qu’il avait conçue pour le théâtre. Il donne à ses Sorcières une tonalité digne des tableaux flamands, avec beaucoup de séquences éclairées à la bougie et de très beaux paysages de bord de mer. Il filme ainsi d’une manière originale un dialogue entre Mylène Demongeot et Yves Montand dans un pigeonnier, accentue la force du sujet par une violence physique : des femmes fouettées, des gamines hystériques qui hurlent et se roulent à terre, etc. D’autres exemples viennent en tête de l’intelligence de la mise en scène : lors du sabbat, Mylène Demongeot boit un verre de sang, gardant les lèvres tachées par le liquide. Plus tard, une tache de sang identique se retrouvera sur ses lèvres, pour d’autres raisons, comme si les événements étaient liés les uns aux autres.

Filmées frontalement, les scènes de tribunal sont tout aussi passionnantes. Rouleau recrée l’ambiance perçue à travers les images qui inondent alors les télévisions américaines : celles des passages des stars de cinéma devant la commission de l’HUAC, House Un-American Activities Committee. Un lieu de délations, de confessions, d’humiliations qui ressemble aux séquences de procès du film.

 

 

Mais reprenons du début, si vous le voulez bien. En 1692, Salem est un village bien tranquille peuplé de paysans religieux. Très religieux, même. Ainsi, nous sommes le dimanche et une petite fille veut jouer avec sa poupée. La mère surgit, jouée par la tout autant magnifique que rigide Simone Signoret, qui interdit à la gamine tout jeu, parce que le Seigneur l’a défendu. Éplorée, la petite se réfugie dans les bras du papa Yves Montand, qui n’a pas l’air de prendre au sérieux toutes ces simagrées. Dès les premières scènes, les personnages sont posés. Signoret, qui exprime beaucoup par le regard, ne sait dire son amour à son mari volage, trop engoncée qu’elle est dans son rapport au divin. Montand, frustré de sexualité conjugale, zieute — et on ne saurait lui jeter la pierre, Pierre — sur la jeune femme qui les aide à la maison, la splendide Mylène Demongeot, 22 ans, avec des allures qui hésitent entre la vierge effarouchée et l’allumeuse.

 

 

En quelques plans, Rouleau explique parfaitement ce que va être l’un des moteurs de l’hystérie qui va suivre : une tension amoureuse entre un homme toujours amoureux de sa femme mais qui se laisse aller à des incartades, une épouse amoureuse de son homme mais pétrie d’orgueil religieux, et une jeune femme qui va tout faire pour garder son amant seulement pour elle et l’épouser. C’est une évidence, la question de l’adultère travaille Arthur Miller. Marié depuis 1940 à Mary Grace Slattery, il n’est pas un modèle de vertu et a eu, en 1951, une brève liaison avec Marilyn Monroe — qu’il épousera finalement en 1956.

La deuxième raison va être la religion. Le pasteur du village (Jean Debucourt) sent qu’il a du mal à tenir ses ouailles. Il sait que les deux précédents prêtres ont plié bagages et il ne veut pas qu’il soit dit que lui-même va échouer. Quand la rumeur de sorcellerie parvient à ses oreilles et qu’il prend position pour faire appel à un exorciste, il confie à l’un des notables du village (Alfred Adam) : « Ils ne m’ont jamais autant aimé ! » La manipulation devient politique — « Les sorciers ont fait pacte avec le Diable pour s’occuper du pouvoir », entend-on — et certaines phrases du dialogue ne peuvent que faire penser à ce qui se passe au même moment aux États-Unis : « Bientôt, affirme Debucourt, les bons dénonceront les méchants ! » Quant au juge incarné par Raymond Rouleau, il déclare : « L’ennemi est chez nous et dans nos propres foyers », phrase typique de la paranoïa maccarthyste. Face à lui, Montand commente : « Le pouvoir de l’Église chancelle, on veut le rétablir par la terreur. » Il déclare également — et ce genre d’attaque devait déjà faire défaillir à l’époque, même si un film de John Ford de 1948 portait déjà ce titre français —, alors qu’on lui demande ce qu’il a à dire : « Je dis que Dieu est mort ! » Enfin, accusée elle-même de sorcellerie, Jeanne Fusier-Gir explique que c’est parce qu’elle sait lire. Or, les intellectuels ont été parmi les premières cibles du sénateur du Wisconsin avec l’armée.

 

 

Si le sujet des Sorcières de Salem est fort, si son traitement est également très fort avec, on l’a mentionné, d’innombrables scènes d’hystérie et de violence mais également un traitement frontal de la sexualité, la distribution est formidable : le couple Signoret/Montand fait des éclats, avec tous ces moments de doute et d’amour, et, face à eux, Mylène Demongeot se taille la part du lion. Autour d’eux et de Jean Debucourt et Raymond Rouleau, il faudrait encore citer Pierre Larquey, Michel Piccoli dans un court rôle — et, curieusement, Raymond Rouleau fait beaucoup penser à ce dernier — et beaucoup d’autres encore, ces seconds rôles que l’on adore retrouver : Jeanne Fusier-Gir et Alfred Adam déjà cités mais aussi Yves Brainville, Pascale Petit, Françoise Lugagne, Alexandre Rignault, Darling Legitimus — la grand-mère de Pascal —, Gérard Darrieu, Jean Gaven, François Darbon et le très jeune Jean Amadou. À signaler encore la musique de Hanns Eisler, habituel coéquipier de Bertolt Brecht — le film a été tourné en Allemagne de l’est —, jouée par un orchestre dirigé par Georges Delerue.

Jean-Charles Lemeunier

Les sorcières de Salem
Origine : France
Année : 1956
Réal. : Raymond Rouleau
Scén. et dial. : Jean-Paul Sartre d’après la pièce d’Arthur Miller
Photo : Claude Renoir
Musique : Hanns Eisler
Montage : Marguerite Renoir
Avec Simone Signoret, Yves Montand, Mylène Demongeot, Alfred Adam, Raymond Rouleau, Pierre Larquey, Jean Debucourt, Jean Gaven, Jeanne Fusier-Gir, Françoise Lugagne, Pascale Petit, Yves Brainville, Michel Piccoli, Alexandre Rignault, Darling Legitimus, Gérard Darrieu, Véronique Nordey, Jean Amadou, François Darbon…
Le film sort chez Pathé en version restaurée DVD/Blu-ray le 29 mars 2017.


« Chez nous » de Lucas Belvaux : Extrême onction

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Dès les premières séquences de Chez nous, le film de Lucas Belvaux qui fait grincer quelques dents — celles du fond, à droite —, la caméra se pose sur un pont. En dessous, on a le choix entre deux voies : l’une est tranquille, l’autre est une autoroute. Pauline Duhez, la jeune héroïne du film interprétée par Émilie Dequenne, et quiconque vit dans le pays a lui-même le choix, semble nous dire Belvaux, le choix politique de choisir l’une ou l’autre des routes qui s’offrent à lui.

 

Nous sommes à Hénart, dans le Pas-de-Calais, une ville dont le nom semble inspiré de Hénin-Beaumont. Hénart, une commune tellement sinistrée qu’elle est prête à tomber dans les filets du RNP, Rassemblement national populaire, un parti populiste dont le vieux leader est à présent mis à l’écart, sa fille (Catherine Jacob) ayant pris à sa place les commandes dans le but d’élargir le profil politique de ses adeptes. Comment disait-on, déjà, avant les génériques des films d’autrefois ? Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé est purement fortuite. Sauf qu’ici Belvaux sait où il va et il n’a pas besoin de maquiller les faits pour attaquer de front l’extrême droite française.

 

Le scénario de Chez nous est assez simple, qui montre le glissement d’une jeune infirmière, fille d’un militant communiste, vers un parti qui annonce partout qu’il va s’élever contre le marasme économique. Ce chant des sirènes, Émilie Dequenne n’est pas la seule à l’entendre dans le film car, sur le terrain, les militants du RNP sont quasi les seuls. Les communistes — incarnés ici par Patrick Descamps — sont à bout de souffle, physiquement et politiquement, et c’est à peine si, au cours d’un dialogue, on entend parler de la municipalité en place, visiblement de gauche. Car nous sommes en période électorale et le RNP n’a rien trouvé de mieux que de recruter dans cette ville en déshérence une candidate nouvelle et vierge de tout passé politique. Émilie se laisse donc embobiner par le médecin de famille, le toujours incroyable André Dussollier, ici dans le rôle d’un député européen du RNP, manipulateur, doucereux, calculateur, sympathique et terriblement dangereux.

 

Chemin faisant, un autre personnage fait surface, joué par Guillaume Gouix, dont on apprend assez vite qu’il fait partie de la branche armée du RNP, l’équivalent des skinheads. Belvaux montre bien les rouages d’un parti politique, sa face émergée que l’on peut exhiber devant les caméras et sa face cachée, celle-là forcément peu recommandable et qui agit toujours dans l’ombre. Pour construire son scénario, Lucas Belvaux mêle un peu tout : l’histoire d’amour entre Émilie Dequenne et Guillaume Gouix, les querelles entre la jeune infirmière et ses amies — dont Anne Marivin, qui devient une acharnée du parti extrémiste —, la situation tragique de la région qui fait que la seule issue possible semble être entre les mains de Catherine Jacob, les discussions cyniques entre les membres haut placés du parti et les discours captés ensuite dans un meeting (d’ailleurs l’un des points faibles du film, sombrant quelque peu dans la caricature)… Dans tout cela, c’est l’aspect politique qui prime, les émois de Dequenne et Gouix passant bien après.

 

Mais là où Belvaux fait fort, c’est dans les échanges entre les tenants du RNP et les autres. Ainsi, a-t-on suivi dans son travail la jeune infirmière avant qu’elle ne s’engage au sein de ce parti peu sympathique. On l’a vu discuter d’égale à égale avec une dame maghrébine (Évelyne El Garby Klaï), parler de l’incompréhension du mari et des difficultés du foyer. Une fois engagée dans la course à la mairie avec l’étiquette RNP, l’infirmière n’est plus reçue de la même manière. La dame a posé un foulard sur sa tête et sa fille (Iman Amara-Korba) est venue l’aider pour signifier son refus de se faire soigner. La discussion entre l’infirmière et l’adolescente n’est pas aisée et Belvaux laisse entendre les habituels arguments (l’islamisme, la racaille) sur lesquels la gauche refuse habituellement de débattre. Et la soignante semble marquer des points quand la jeune fille ne sait quoi répondre. Là encore, on peut accuser le cinéaste de schématiser et tout son film reste ainsi sur le fil, entre justesse et surlignage.

Chez nous finit sur la même image, celle prise d’un pont par la caméra, avec toujours ce choix des deux routes. Rien n’est perdu, semble dire Belvaux, même si hélas un énorme boulot se présente. C’est sur le terrain que l’on peut combattre des idées nocives, c’est en montrant clairement les enjeux et le fascisme qui baigne encore l’extrême droite — voir les photos de Maurras et Brasillach qui décorent la bibliothèque de Dussollier, là encore du sursignifiant — que l’on pourra peut-être ouvrir quelques yeux. Quelles que soient les qualités du film — il en a plusieurs à son service —, quels que soient ses défauts — il n’en est pas dépourvu non plus —, c’est toujours une bonne nouvelle de voir les artistes se saisir du présent et faire, à leur manière, de la politique.

Jean-Charles Lemeunier

Chez nous
Année : 2017
Origine : France, Belgique
Réal. : Lucas Belvaux
Scénario : Lucas Belvaux, Jérôme Leroy
Photo : Pierric Gantelmi d’Ille
Musique : Frédéric Vercheval
Montage : Ludo Troch
Durée : 117 minutes
Avec Émilie Dequenne, André Dussollier, Guillaume Gouix, Catherine Jacob, Anne Marivin, Patrick Descamps…

Film sorti le 25 janvier 2017.


« Valmont » de Milos Forman : Dangereusement vôtre

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Comme dans une course de chevaux avec handicap, le Valmont (1989) de Milos Forman, que Pathé ressort en DVD/Blu-ray à la fin du mois, partait dès sa sortie avec un obstacle évident : celui d’avoir été précédé, six mois plus tôt, par Les liaisons dangereuses de Stephen Frears. Deux films adaptés du même bouquin, le fameux roman épistolaire de Choderlos de Laclos, et deux visions assez différentes, la première due à la plume de Christopher Hampton (la version Frears), la seconde à celle de Jean-Claude Carrière. En France et malgré la présence du scénariste français au générique du film de Forman, c’est la version Hampton qui obtiendra gain de cause. D’abord parce que le film de Frears est emballant, mené par des acteurs au mieux de leur forme, mais aussi parce que Christopher Hampton a adapté pour la scène ses Liaisons dangereuses et que le spectacle, tout aussi bon, a tourné dans les théâtres français avec Caroline Cellier et Bernard Giraudeau dès 1988. Avant d’être repris en 2012 à Paris par John Malkovich, un des interprètes du film de Frears. Malkovich qui signait seulement la mise en scène et l’adaptation de la pièce sans jouer dedans, une adaptation proche de celle de Hampton, très sensuelle, et — c’était nouveau — marquée par une modernité anachronique.

 

Finalement, quelle est-elle cette différence entre Hampton et Carrière ? Dans les deux, certes, il est question de libertinage mais, chez l’un et l’autre, l’axe des liaisons est légèrement faussé par rapport à Laclos. Dans le roman du XVIIIe siècle, Valmont et la marquise de Merteuil se racontent par lettres leurs exploits amoureux. Valmont les mène au grand jour, puisque, à l’époque, un homme a le droit de se montrer en libertin tandis qu’une femme doit se cacher. Dans ce jeu de manipulations des sentiments amoureux, Valmont tombe amoureux de Mme de Tourvel et finira tué dans un duel. C’est là où les deux versions divergent. Pour Hampton, Valmont est réellement tombé amoureux de Mme de Tourvel — c’était déjà le cas dans Les liaisons dangereuses 1960 de Roger Vadim, modernisées et très intéressantes — et il se laissera mourir de l’avoir perdue à cause de sa propre trahison. Pour Carrière, le véritable amour caché lie Valmont à Merteuil. Même s’il semble éprouver de réels sentiments pour Mme de Tourvel, Valmont n’est qu’un libertin et le seul combat qui lui tient à cœur est celui qu’il mène contre Merteuil, dont il ne cesse de réclamer les faveurs — on comprend qu’ils ont été amants par le passé mais qu’à présent, ils se contentent de s’exciter mutuellement par le récit de leurs frasques avec d’autres. Enfin, Carrière et Hampton ne concluent pas leur scénario de la même manière. Le côté grandiloquent avec lequel s’achève le livre de Laclos (Merteuil défigurée par la petite vérole) a été seulement conservé dans Les liaisons dangereuses 1960 avec Jeanne Moreau et dans Les liaisons dangereuses avec Glenn Close. Signalons tout de même que, dans la dernière version (insipide) du roman, Cruel Intentions (1999, Sexe Intentions) de Roger Kumble, Merteuil (Sarah Michelle Gellar) est défigurée moralement puisqu’on la trouve en possession de cocaïne. Damned !

 

Avec Valmont, Forman et Carrière ont fait le choix de confier les personnages de Laclos à des acteurs plus proches de leur âge. Fairuza Balk (qui joue la nigaude Cécile de Volanges) a réellement 15 ans et Henry Thomas — que l’on a découvert tout gamin dans E.T., Elliott, c’est lui ! — a tout juste 18 ans, ce que doit avoir Danceny dans le roman. Chez Frears, Uma Thurman avait déjà  18 ans et Keanu Reeves 24. Malgré tout, les acteurs de Valmont sont beaucoup moins flamboyants que ceux des Liaisons dangereuses et on préférera le couple John Malkovich/Glenn Close (chez Frears) à Colin Firth/Annette Benning (chez Forman) et, surtout, Michelle Pfeiffer (Frears) à Meg Tilly (Forman). Forman a choisi de rendre beaucoup plus fades ses personnages, moins dans la démesure. Dans cette vision cynique de l’amour, des sentiments et du mariage, on donnera néanmoins à Valmont un avantage : celui d’une fin plus réussie où la sobriété est finalement beaucoup plus dans le ton. Personne n’est ici défiguré et l’on se dit que ce joli monde aristocratique bâti sur l’hypocrisie, où les valets sont tenus de rester éveillés et de se lever à chaque passage de leurs maîtres d’une chambre à l’autre — car les riches amants adorent batifoler lorsque les maris dorment — n’en a plus que pour quelques années à vivre dans l’insouciance.

Jean-Charles Lemeunier

Valmont
Origine : Grande-Bretagne, France, Etats-Unis
Année : 1989
Réal. : Milos Forman
Scénario : Jean-Claude Carrière, Milos Forman d’après Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos
Photo : Miroslav Ondricek
Musique : Christopher Palmer, Mozart, Couperin, Haydn, Charpentier…
Montage : Nena Danevic, Alan Heim
Prod. : Claude Berri, Michael Haussman, Paul Rassam

Durée : 137 mm
Avec Annette Benning, Colin Firth, Meg Tilly, Fairuza Balk, Henry Thomas, Jeffrey Jones, Siân Phillips, T.P. McKenna, Ian McNeice, Ronald Lacey, Vincent Schiavelli, Sandrine Dumas, Niels Tavernier…

La version restaurée en DVD/Blu-ray sort chez Pathé le 29 mars 2017.


« Silence » de Martin Scorsese : kamikazes de la foi

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Au dix-septième siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage en terre hostile, les deux hommes mènent dans la clandestinité une quête périlleuse qui va confronter leur foi à de nombreuses épreuves…
Moyennement accueilli par une presse et un public surpris par la lenteur et l’aridité du film, Silence de Martin Scorsese n’en reste pourtant pas moins une œuvre essentielle et l’un des meilleurs longs-métrages de ce début d’année 2017. Sans atteindre les sommets de Les Infiltrés voire de Casino, la dernière production du cinéaste new-yorkais comporte néanmoins suffisamment de points d’intérêt pour en faire un opus majeur dans le désert de la production mondiale contemporaine.

La réussite de Silence provient, dans un premier temps, de deux facteurs immédiatement identifiables, à savoir, ses décors et son interprétation. Placé dans le paysage montagneux d’un Japon du dix-septième siècle, le long-métrage de Scorsese bénéficie, à plein, de décors naturels qui viennent amplifier le discours latent de ce drame historique austère et réflexif. Des décors bruts et sauvages, remplis de dangers, dans lesquels évoluent deux « étrangers », deux prêtes jésuites interprétés par des acteurs pour le moins inattendus.
Andrew Garfield partage avec Tobey Mc Guire non seulement le rôle, au cinéma, de Spiderman et de son alter-ego Peter Parker mais également la faculté d’avoir un faciès à la Dorian Gray, soit un visage éternellement jeune pouvant difficilement s’adapter à toutes les situations. Mais la capacité à transformer un comédien présentant de telles caractéristiques en un acteur adulte crédible devient, semble-t-il, l’une des nombreuses qualités du cinéaste américain. Après avoir métamorphosé l’éternel adolescent Leonardo di Caprio en un acteur mature, Scorsese tente le même pari – réussi – avec Garfield et, à un degré moindre, avec le moins connu Adam Driver. Accompagné par de vieux briscards comme Liam Neeson ou encore, côté japonais, Shinya Tsukamoto (le créateur de Tetsuo entre autres), les deux jeunes comédiens américains sont parfaitement plausibles dans le rôle de deux prêtres venus enquêter sur la disparition d’un autre homme d’Église.

Attention toutefois : réduire la réussite du film à ces deux seules composantes serait injuste ! Inspiré par les grands auteurs nippons comme Kenji Mizoguchi et, bien évidemment, Akira Kurosawa, Martin Scorsese délivre également une œuvre techniquement irréprochable et volontairement référencée aux maîtres du cinéma japonais. Prenant le temps d’installer son histoire, le cinéaste septuagénaire atteint un degré de calme (de zen?) dans son cinéma qui risque d’étonner le fan des premières heures. Mais s’il surprend par cette approche austère et un rythme volontairement apaisé, Silence ne doit en rien être dissocié, par ses thèmes principaux et connexes, des autres grands films de son géniteur. La foi, le doute intérieur, la dualité de l’Homme, sont en effet des notions que le réalisateur, tenté par la prêtrise dans sa jeunesse, a souvent mis en image.
Concernant la dualité de l’Homme, Les Infiltrés synthétise parfaitement la pensée du réalisateur : immense film de gangsters, ce long-métrage datant de 2006 montre l’initiation de figures humaines évoluant dans un monde de mensonges et de trahison. Exemple le plus frappant de la lucidité de son auteur sur le caractère humain, ce film anticipe les actes de certains des protagonistes de Silence. De plus, oscillant en permanence entre dévotion à l’ordre religieux et trahison opportuniste, le personnage de Kichijiro symbolise parfaitement l’image, ultra-présente dans le cinéma du cinéaste new-yorkais, des perdants, voire des paumés, qui s’accrochent par tous les moyens aux rêves d’un avenir meilleur ou, tout simplement, d’une survie immédiate.

Pour les autres thèmes abordés dans Silence, il semble bon de revenir sur deux œuvres décriées du maître. Controversé lors de sa sortie en 1988, La Dernière tentation du Christ affirmait clairement la foi d’un cinéaste élevé dans la religion catholique. Jugé blasphématoire par les autorités religieuses, ce film (exagérément?) artistique n’en reste pas moins la preuve la plus évidente de l’intérêt de l’homme et du cinéaste pour la liturgie. Un intérêt que l’on retrouve dans A Tombeau ouvert réalisé quelques années plus tard. Dans ce film clairement à réévaluer, Scorsese décrit l’Odyssée d’un ambulancier en quête de vie à sauver et qui entreprend, la nuit, un chemin de croix à la façon d’un prêtre convaincu de sa foi et désireux de sauver les âmes égarés. Suivant les lignes tracées par ces deux films, la dernière réalisation de Scorsese porte sur la foi et sur ceux qui la véhiculent, un regard plein d’interrogation et de doute que la vision de cette œuvre essentielle ne suffit pas à lever.
Leçon de cinéma où pointe toute absence de prosélytisme et de réponse, Silence décide au final de laisser le spectateur avec ses incertitudes mais avec l’intime conviction qu’il vient d’assister au nouveau grand film d’un cinéaste en plein état de grâce et, par la même, à son œuvre la plus personnelle.

Fabrice Simon

SILENCE
Réalisateur : Martin Scorsese
Scénario : Jay Cocks & Martin Scorsese d’après le roman de Shûsaku Endô
Production : Irwin Winkler, David Webb, Michelle Verdi, Martin Scorsese …
Photo : Rodrigo Prieto
Montage : Thelma Shoonmaker
Bande originale : Kathryn & Kim Allen Kluge
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h41
Sortie française : 02 février 2017

 


« Crépuscule » de Henry Hathaway : Où il y a Gene, il y a du plaisir !

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Classique est sans doute un qualificatif qui convient bien au cinéaste Henry Hathaway, dont Artus Films vient de sortir en DVD Sundown (Crépuscule), film rare tourné en 1941 pour Walter Wanger et distribué par United Artists. Cette précision n’est pas inutile car, après la Paramount où Hathaway a tourné plusieurs chefs-d’œuvre (Peter Ibbetson, Les trois lanciers du Bengale), le cinéaste se retrouve à la Fox dès 1940, une compagnie où travaille également Gene Tierney, première raison de voir Crépuscule. Mais là, tous deux se retrouvent donc sous une autre bannière.

Classique, donc, le petit père Hathaway ? Finalement, pas tant que cela. En 1941, l’Amérique n’est pas encore entrée en guerre, ce qui n’empêche pas Hollywood de pousser ses cinéastes à tourner des films de propagande. Tout le monde s’y colle, des moins illustres aux plus grands noms : Hitchcock signe Correspondant 17 en 1940, Borzage The Mortal Storm la même année, Lang Manhunt en 1941, Ford et Capra s’y mettront dès l’année suivante. Crépuscule est donc un film de propagande dont les principaux protagonistes sont anglais, forcément déjà en guerre. Ou, mieux, disons que Crépuscule pourrait passer pour un film de propagande. Il ne l’est tellement pas que Hathaway, parvenu à la fin de son histoire, se croit obligé de rajouter un laïus inutile sur l’Armée et l’Église, totalement hors de propos. Car le scénario, qui se déroule au Kenya, est finalement très peu propagandiste, qui propose un personnage de combattant italien — et donc ennemi des héros britanniques — sympathique, incarné par Joseph Calleia —, un Hollandais (joué par l’acteur d’origine autrichienne Carl Esmond) douteux — alors qu’allié — et un officier britannique (George Sanders) présenté d’abord comme un empêcheur de tourner en rond. Film d’aventures africaines, Crépuscule est curieusement tourné en noir et blanc — n’oublions pas que, chez les Anglais, Les quatre plumes blanches (1939) sont dans un chatoyant Technicolor. Enfin, l’ouverture du film avec l’arrivée en avion de Gene Tierney, séquence très étrange et bourrée de détails qui le sont tout autant (elle est accueillie par des Masaïs qui lui ôtent ses chaussures pour lui en mettre d’autres qui conviennent mieux à la marche dans le désert), ne correspond pas vraiment à ce qui va suivre, une histoire de trafiquant qui arme une tribu africaine contre les Anglais. Un début qui signifie que le spectateur n’est pas au bout de ses surprises puisque que la vedette que l’on suit dès les premières minutes ne réapparaîtra qu’au bout d’une demi-heure.

 

Carl Esmond, Joseph Calleia, George Sander et Reginald Gardiner

Partant d’un histoire originale de Barré Lyndon, adaptée par Charles G. Booth (Lyndon, Booth et Hathaway retravailleront ensemble sur The House on 92nd Street en 1945), Crépuscule est intéressant pour toutes les parenthèses qu’il ouvre, comme si l’histoire du trafic d’armes n’était pas ce qui intéressait le plus Hathaway. Rien que le titre. Pourquoi Crépuscule ? Toute simplement à cause d’une conversation tenue entre deux gentlemen britanniques perdus au fin fond de l’Afrique. « Le crépuscule, annonce Reginald Gardiner à Bruce Cabot, est le meilleur moment de la journée où il n’y a rien à faire, dans un pays où il n’y a rien à faire. » Le crépuscule, apprend-on plus tard dans un autre dialogue, est aussi inscrit dans la devise du père de Gene Tierney, un commerçant arabe qui aimait ce moment de la journée « pour les fêtes, pour les rencontres, pour la gloire d’Allah ».

 

Bruce Cabot et Gene Tierney

Autre originalité pour l’époque, celle de s’intéresser aux Africains. Il est question ici d’un mariage — occasion de découvrir la magnifique Dorothy Dandridge, pas encore devenue vedette —, d’un enterrement, preuves que l’intérêt que porte dans le film le personnage joué par Bruce Cabot  pour les Africains est partagé par Hathaway. Le message est clairement antiraciste, non seulement souligné par les prises de position de Cabot mais aussi par le scénario lui-même qui, par exemple, prend très au sérieux l’habari, ce rendez-vous avec la mort qui se propage au son des djembés.

Le film est tourné principalement en extérieurs, habitude prise par Hathaway dès ses premiers westerns des années trente et qui donnera une puissance documentaire à ses polars d’après-guerre produits par la Fox. Le cinéaste parvient à nous faire croire que ses plans pris dans le désert du Mojave, en Californie, ou du Crater Lake, dans l’Oregon, proviennent réellement d’Afrique.

 

Un des autres plaisirs du film vient bien sûr de ses interprètes. Huit ans après King Kong, on retrouve un Bruce Cabot à peine plus empâté, toujours aussi héroïque. Souvent réduit aux rôles de méchants, Joseph Calleia incarne ici un gars sympathique qui fuit la guerre et lui préfère la cuisine. On prend également plaisir à retrouver Harry Carey, prototype du héros d’aventures africaines avec Trader Horn (1931), et of course George Sanders, toujours juste même s’il est ici quelque peu en retrait. Inutile de préciser que le grand attrait du film tient dans la présence de Gene Tierney, belle d’entre les belles. Gene Tierney magnifique lorsqu’elle se présente vêtue en Arabe, lorsqu’elle est nonchalamment allongée sur son lit, lorsqu’elle semble trahir, lorsqu’elle défit son interlocuteur, lorsqu’elle est tout simplement face à la caméra. Cette actrice, Hathaway aimait la filmer. Dans l’interview donnée à Ronald L. Davis pour le livre Just Making Movies, le cinéaste évoque la profondeur du regard de Gene Tierney, qui exprimait toujours un sentiment. Gene Tierney toujours splendide et dont Hathaway se sert comme d’un atout : l’actrice ouvre Crépuscule d’une manière on l’a dit étonnante, se fait ensuite attendre, suscite des questions quant à son personnage et focalise tout le temps l’attention du spectateur. Vous savez quoi ? Cet article ne devrait être qu’une déclaration envers cette belle brune adorée depuis si longtemps.

Jean-Charles Lemeunier

Crépuscule
Titre original : Sundown
Origine : États-Unis
Année : 1941
Réal. : Henry Hathaway
Scén. : Charles G. Booth et Barré Lyndon d’après Barré Lyndon
Photo : Charles Lang
Musique : Miklos Rosza
Montage : Dorothy Spencer
Prod. : Walter Wanger Productions
Distribution : United Artists
Durée : 90 mn
Avec Gene Tierney, Bruce Cabot, George Sanders, Harry Carey, Joseph Calleia, Reginald Gariner, Carl Esmond, Marc Lawrence, Cedric Hardwicke, Dorothy Dandridge…

Sortie en DVD chez Artus Films le 7 mars 2017.


«Logan» de James Mangold : Walk the line

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Dans le cadre actuel des comic-books movies, et plus généralement des blockbusters, aussi cloisonné que sclérosé par un nivellement par le bas toujours plus abrutissant, Logan de James Mangold apparaît comme une exception, une véritable anomalie du système qu’il faut s’empresser de déguster à sa juste valeur avant de subir de nouveau la litanie des bidons de lessives Marvel ou DC. S’attachant au personnage le plus emblématique de la maison des idées, Logan est avant tout un excellent film avant d’être une nouvelle itération du genre super-héroïque. De sorte que l’on peut tout à fait apprécier ce film sans être obligé d’ingurgiter les précédents volets de la franchise X-Men et des spin-offs consacrés au mutant griffu. Si la famille mutante n’a pas trop à rougir, les films mettant en vedette les élèves du professeur Xavier s’avérant pour la plupart d’honorables divertissements en mettant de côté celui dirigé par Brett Ratner, il n’en va pas de même pour Serval (le nom de code français de Wolverine à l’époque de parution des éditions Lug dans les années 80…) qui a pâtit du catastrophique X-Men origines : Wolverine. La seconde aventure solo Wolverine : Le Destin de l’immortel signée James Mangold a quelques attraits narratifs mais souffre de la prise en main tardive du réalisateur d’Identity qui n’a pu imposer complètement sa patte. C’est peu dire que Mangold est autrement plus convaincant lorsqu’il est aux manettes dès les prémisses du projet tant il réussi à insuffler à Logan un rythme et une narration se rapportant aux thématiques développées. On ne peut que saluer la Fox d’avoir laissé le champ libre au cinéaste qui livre ainsi, sans pour autant les égaler, un digne rejeton de la trilogie Spider-Man de Sam Raimi, Blade 2 et les deux Hellboy de Guillermo del Toro, ces autres films qui avant de raconter les aventures sensationnelles de ses héros étaient avant tout mus par leurs tourments et questionnaient leurs motivations profondes à assumer leur rôle et leur destin. Ou comment concilier avec brio séquences ultra spectaculaires et résonance émotionnelle. Logan s’attache donc à tracer un sillon similaire, à retrouver cette intimité finalement jamais explorée et encore moins éprouvée.

Dans X-Men : Days Of Future Past, Wolverine servait de relais unificateur entre des temporalités éclatées, ce qui était un choix narratif plutôt pertinent compte-tenu de sa nature de super-héros au passé trouble et fluctuant. Ici, Mangold revient à l’essence du personnage définie par sa perpétuelle lutte entre son instinct sauvage et son humanité, entre sa nature de loup solitaire et sa volonté de sociabilité.


Alors qu’il ne reste plus qu’une poignée de mutants, Logan vit reclus à la frontière avec le Mexique avec Caliban et le professeur Xavier. Les deux derniers X-Men sont en bout de course mais une gamine du nom de Laura aux caractéristiques similaires à Wolverine va relancer la machine pour une potentielle rédemption en tout cas peut être une dernière occasion de renouer avec les idéaux de Xavier. Poursuivie par un groupe d’humains mécaniquement améliorés, les Reavers, elle cherche à atteindre un hypothétique Eden, un lieu à la frontière avec le Canada qui serait un havre de paix pour les membres de son espèce. Un voyage douloureux parfaitement esquissé dans la première bande-annonce rythmée selon la superbe chanson Hurt de Johnny Cash (chanteur de blues et defolk à qui Mangold a consacré un biopic en 2005). Les paroles du refrain articulant à la perfection la progression de Wolverine pour parvenir à faire face et accepter Logan.


« What have i become ? »
Alcoolique, chauffeur de limousine à louer, notre mutant griffu apparaît d’autant plus abîmé que son corps est meurtri et stigmatisé par des blessures non guéries à cause de la déficience de son pouvoir auto-guérisseur, comme s’il arrivait à saturation d’avoir trop vécu.
S’appuyant sur les préceptes de son professeur de cinéma, le réalisateur britanique Alexander MacKendrick (Tueurs de dames, Cyclone à la Jamaïque…), le traitement narratif ciselé par Mangold s’évertue avant tout à définir et développer son protagoniste principal dont les motivations seront le moteur de l’intrigue. Un classicisme qui renvoie à celui qui infuse toute la filmographie de Clint Eastwood. D’ailleurs, la position de Logan dans ce film rappelle le tueur fatigué reprenant une dernière fois les armes, William Munny, dans Impitoyable. La tonalité crépusculaire développée par Mangold renforçant cette parenté. Mais il y a également du Honkytonk Man dans les relations entre Logan, Charles Xavier et Laura embarqués dans ce road-movie atypique.
Avec comme référence et point d’ancrage explicite le film de George Stevens L’Homme des vallées perdues (Shane – 1953) que regardent Xavier et Laura dans leur chambre d’hôtel, Mangold convoque avant tout les codes et motifs du western. Un genre que l’éclectique cinéaste a déjà exploré avec l’excellent 3h10 pour Yuma, remake du film éponyme de Delmer Daves.
Ainsi, comme avec cette relecture personnelle, Mangold met la question humaine à l’épreuve de la fin d’une époque.


Le film fait d’autant plus plaisir que les accès de violence graphique très démonstratifs sont enfin mis en scène comme il se doit (ce qui avait été occulté depuis le premier X-Men movie en 2000), ça charcle et ça coupe des têtes à tour de griffes. Les combats sont dynamiques, remarquablement découpés, c’est impressionnant mais cette emphase décomplexée n’est jamais jouissive ou fun et aucun second degré ne vient en désamorcer le déchaînement brutal. Ce recours à la sauvagerie inhérente aux personnages de Logan et Laura sert autant à provoquer un choc en rendant l’identification inconfortable qu’à illustrer la colère face à leur déracinement et à leur conditionnement dont Logan aura passé son existence à effacer et s’émanciper.


« My sweetest friend »
Le métrage se montre tout aussi radical dans son traitement des personnages, de leurs relations et du rythme. Le professeur Xavier est lui aussi mal en point et invective copieusement son dernier x-man qui l’a enfermé dans un réservoir abandonné et l’assomme de drogues afin de contrôler les effets dévastateurs de ses pouvoirs télépathiques incommensurables déréglés par la sénilité attaquant son cerveau. En plus d’un Wolverine brisé, voilà que Mangold nous impose l’image d’un Charles Xavier grabataire. Des images peu glamour et choquantes tant ces héros semblent généralement immuables et immortels. De même, le rythme est inhabituel, assez lent, reflétant alors parfaitement les difficultés des personnages à se mouvoir, à avancer ou même à se relever. Du moins jusqu’à l’arrivée de Laura, la cobaye échappée d’un laboratoire secret. Elle va non seulement mettre sur les traces de Logan, Xavier et Caliban le détecteur de mutants (dont on apprendra au détour d’une confrontation verbale qu’il n’a pas toujours œuvré pour le bien de tous) la clique de mercenaires à ses trousses et provoquer une réaction pour leur survie mais les bouleversements qu’elle va engendrer s’avéreront beaucoup plus profond. D’un point de vue figuratif, son action va redonner à Charles et Logan sinon une deuxième jeunesse du moins un motif pour se battre. Un changement qui se traduira à l’image par le retour dans la lumière de Charles Xavier jusque là confiné.


La notion de famille est importante voire primordiale pour Xavier qui avec son école pour jeunes surdoués avait créé le parfait écrin pour en constituer une de substitution pour les jeunes mutants accueillis. Cet établissement aidait ces individus spéciaux effrayés par leurs dons à les maîtriser moins par l’entraînement que par l’instauration de relations développant leur confiance et leur solidarité. Wolverine a toujours élé un électron libre mais il y revenait pourtant régulièrement.
Désormais, tout a disparu et Logan se retrouve livré à lui-même obligé de s’occuper de son mentor chauve même plus capable d’aller aux toilettes seul. Lorsque Laura entre en scène en offrant la possibilité de refonder une cellule familiale capable d’apaiser ses tensions, Logan refuse de l’aider. Non par égoïsme mais par lassitude, pour ne pas revivre la peine après la perte de ses compagnons d’arme et amis. Ainsi toutes les tentatives de rapprochement de Laura, les petits gestes envers son protecteur se solderont par de cruels rejets de la part de ce dernier.

« Everyone i know goes away in the end »
Des réactions étonnantes tout comme les changements de tons assez brutaux imprimés par Mangold qui n’hésite pas à faire bifurquer son film d’un road movie en forme de traque en faisant adopter à ses personnages des pauses aussi bien pour se ressourcer que pour redéfinir ce qui les unit. C’est exemplaire lorsque le trio aide sur l’autoroute une famille à récupérer ses chevaux et que sous l’impulsion du prof ils acceptent de passer la soirée et la nuit dans leur ferme. Plutôt qu’une déviation, Xavier ne fait que remettre le récit sur les rails d’une résolution nécessaire à Logan. Et c’est peut être là, durant ces séquences en compagnie de cette famille noire que Mangold exprime le mieux la quintessence de l’enseignement de son mentor Mackendrick. Les jeux de regards au cours du repas, le découpage de cette scène banale de partage permettent de formaliser des émotions et une sensation d’apaisement que la famille mutant en cavale au fond recherche. La situation de la ferme enclavée parmi des champs de maïs OGM, soit des plants clonés, symbolise celle de Logan, Xavier, Laura et les autres enfants issus de manipulations génétiques secrètes en quête d’un havre de paix.
Tout débute avec les personnages, leurs confidences, leurs drames.
Lorsque Logan accompagne le père de famille pour réparer la pompe à eau indispensable pour leur vie au quotidien, la confrontation avec les propriétaires des terres ramène au premier plan le genre du western.
Cependant, un autre film de Mangold infuse imperceptiblement Logan. Il s’agit de Knight And Day avec Tom Cruise et Cameron Diaz puisque le cinéaste ici aussi questionne en creux la condition du héros. Dans ce film d’action jouissif et réflexif, il y a également une séquence que l’on peut définir comme un entre-deux narratif lorsque June se rend dans la maison familiale de son ange-gardien Miller. A la fois pause dans le programme trépidant du métrage et relance de son action, un endroit où toute les interrogations de June trouvent une réponse par l’observation du cocon familial et de vieilles photos.


Au-delà d’un étonnant écart discursif, cette partie semblant déconnectée du récit en est en fait le cœur puisque après l’irruption des Reavers et de leur arme ultime renvoyant Logan à son démon intérieur, tout va de nouveau s’emballer et rebattre les cartes de la relation entre Laura et Logan. La résolution des arcs narratifs dans une forêt bordant la frontière entre Canada et États-Unis est d’une logique implacable en termes symbolique et mythologique pour notre héros s’offrant un dernier baroud d’honneur. La rage dont il fait alors preuve n’est plus instinctive mais désormais entièrement dévolue à la sauvegarde d’un idéal aussi bien conceptuel que personnel.
Après avoir passé sa vie à voir mourir ceux qu’il aime, Logan aime finalement quelquechose et quelqu’un qui finiront par lui survivre.

Nicolas Zugasti


LOGAN

Réalisateur : James Mangolds
Scénario : James Mangold, Scott Franck, Michael Green
Production : Simon Kinberg, James Mangold, Lauren Shuler Donner, …
Photo : John Mathieson
Montage : Michael McCusker & Dirk Westervelt
Bande originale : Marco Beltrami
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h17
Sortie française : 1er mars 2017

 



« Les portes de la nuit » de Marcel Carné : Des enfants qui s’aiment

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En proposant à la vente, en DVD et Blu-ray en version restaurée, Les portes de la nuit (1946), Pathé nous replonge dans le travail éblouissant d’un duo mythique du cinéma français d’avant-guerre, le cinéaste Marcel Carné et son dialoguiste Jacques Prévert. Dès Jenny (1936) et Drôle de drame (1937) puis avec l’invention du réalisme poétique, ils ont aligné les chefs-d’œuvres : Le quai des brumes (1938), Le jour se lève (1939), Les enfants du paradis (1943-45) – j’avoue beaucoup moins m’emballer pour Les visiteurs du soir (1942), malgré Jules Berry et Arletty.

 

La guerre est passée par là et, avec Les portes de la nuit, Carné et Prévert se retrouvent pour la dernière fois. Ils tenteront encore de monter un ultime film, La fleur de l’âge (1947) qui restera inachevé. Et Prévert donnera également, sans être crédité, un petit coup de main au dialogue de La Marie du port (1950). Mais revenons aux Portes de la nuit. Le film connaît des problèmes de distribution. Il est écrit pour Marlene Dietrich et Jean Gabin, à l’époque couple à la ville, qui déclinent l’invitation de Carné et lui préfèrent Martin Roumagnac de Georges Lacombe. Alors, Gabin est remplacé par Yves Montand, un jeunot qu’Édith Piaf a recommandé à Carné. Elle vient de partager avec lui le tournage d’Étoile sans lumière de Marcel Blistène – et accessoirement sa couche, aussi. Et le rôle de Dietrich est endossé par Nathalie Nattier, une jeune actrice d’origine russe et qui en garde, semble-t-il, comme une trace d’accent. Force est de reconnaître que ni l’un ni l’autre, ni Montand ni Nattier, ne sont à la hauteur de leurs personnages. Et que le temps a passé, que le réalisme poétique renvoie aux années qui précédaient la guerre et qu’à présent en 1946, avec toutes ces années d’occupation et de guerre, après la libération de Paris, la mayonnaise a curieusement du mal à prendre. Et, revu avec une distance de 70 ans, on sent bien que plus personne n’y croit vraiment, à ces rencontres de hasard téléguidées par le Destin.

 


Mais alors, est-ce à dire que Les portes de la nuit n’a pour seul intérêt que la marque du déclin de Carné et Prévert ? Non, car le film est passionnant pour bien d’autres raisons. À commencer par ce qu’il raconte. Au moment où débute l’histoire, qui va s’accrocher aux règles classiques d’unités de lieu, de temps et d’action, Paris est libéré mais la guerre n’est pas encore finie. Et les personnages peuvent enfin en parler. Rappelons que pendant toutes les années d’occupation allemande, interdiction était faite de la moindre allusion au temps présent. Donc Carné et Prévert en profitent pour dénoncer la prévarication des anciens collabos, dont Sénéchal, joué par l’impeccable Saturnin Fabre. Prévert ne peut s’empêcher, et on l’en remercie, d’y aller de sa blague : « Sénéchal, me voilà », chantonne Serge Reggiani, le fils du Sénéchal en question, tout autant collabo que son père et tout aussi excellent dans ce rôle douteux que Saturnin Fabre. Première qualité des Portes de la nuit, historique celle-là : qu’il est bon de se replonger dans le passé pour vérifier certains commentaires hâtifs. On a longtemps entendu dire que Le chagrin et la pitié (1971), immense documentaire de Marcel Ophüls, était le premier à parler de collaboration alors que, jusque là, le cinéma avait transformé les Français en héros résistants. Ici, Carné et Prévert montrent qu’il y a eu des combattants (Montand et Raymond Bussières en font partie) et des collabos (Fabre et Reggiani), d’autres qui se sont contentés de survivre (Carette et sa nombreuse famille), d’autres encore qui ont suivi à Londres le Général (Pierre Brasseur). Le personnage de Bussières est d’autant plus passionnant que, militant communiste dans le film, il va raconter avec humour la torture subie pendant l’occupation, avec son copain Montand. Il brandit sa main abimée et cite l’avenue Henri-Martin, certainement pour ne pas parler de la vraie rue où la milice française torturait, la rue Lauriston, elle aussi située dans le 16e arrondissement. L’humour est l’arme la plus sûre utilisée par Prévert pour parler de l’époque contemporaine. Pour les collabos, il parle de « ceux qui travaillaient avec les touristes habillés en vert ».

 

Autre élément majeur du film : Paris, que la production de Carné a toujours magnifié à travers les décors d’Alexandre Trauner. Traqué parce qu’il était juif, le décorateur a pu se cacher près de Tourrettes-sur-Loup, dans les Alpes maritimes, grâce à Prévert, et continuer à travailler pendant l’occupation sur les films de ses amis : Les visiteurs du soir et Les enfants du paradis. Tout naturellement, il recrée un Paris sublimé, avec sa station de métro Barbès, les petites rues désertes dans la nuit, le pont de chemin de fer qui rappelle celui qu’il avait créé pour Carné dans Hôtel du nord (qui, pour une fois, était dialogué par Henri Jeanson et non Prévert, Jeanson qui avait baptisé ce nouveau film « Les portes de l’ennui »), comme il refait aussi le canal de l’Ourq, réminiscence du canal Saint-Martin célébré par Arletty et son « Atmosphère » dans ce même Hôtel du nord. C’est un Paris populaire qu’aiment Carné, Prévert et Trauner, un Paris de gens simples et d’enfants qui s’aiment, comme le dit la fameuse chanson de Prévert et Kosma, chantonnée dans le film par Montand lui-même (un grand moment d’émotion, reconnaissons-le) et par Nathalie Nattier.

 

Enfin, il y a aussi dans Les portes de la nuit, à l’exception du couple vedette un peu en baisse de régime, comme l’étaient d’ailleurs Alain Cuny et Marie Déa dans Les visiteurs du soir, plusieurs acteurs formidables : les déjà cités Serge Reggiani, Pierre Brasseur, Saturnin Fabre, Raymond Bussières et Carette. Quand on regarde de près les nombreux gamins de ce dernier, qui joue l’inoubliable M. Quinquina, le plus jeune, que l’on aperçoit au bout de la fille indienne qui monte et descend les escaliers de l’immeuble, âgé d’à peine cinq ans, n’est autre que Jacques Perrin. Ce fils d’un régisseur de la Comédie française qui devint plus tard souffleur au TNP de Jean Vilar retrouve ici, avant son père (puisque le TNP fut repris par Vilar en 1951), le futur employeur de ce dernier. Vilar campe ici le Destin, un clodo parfois inquiétant, parfois utile (puisque c’est lui qui force la main de Jean Maxime à se poser sur celle de Dany Robin, les deux amoureux du film tout mignons), toujours de bon conseil mais jamais écouté et qui souffle dans son harmonica le lancinant air des Enfants qui s’aiment.

 

Alors, c’est vrai, Les portes de la nuit peina à trouver son public aux lendemains de la guerre. Le public ne voulait plus de ce réalisme poétique poisseux et poissard, dans lequel les héros n’avaient aucune chance dans cet univers glauque. Avec pour eux, pourtant, cette envie d’ailleurs « bien plus loin que la nuit, bien plus haut que le jour, dans l’éblouissante clarté de leur premier amour ». C’est pas moi qui le dis, c’est Prévert.

Jean-Charles Lemeunier
 
Les portes de la nuit
Année : 1946
Origine : France
Réal. : Marcel Carné
Scén. et dialogue : Jacques Prévert
Photo : Philippe Agostini
Musique : Joseph Kosma
Montage : Jean Feyte, Marthe Gottié
Décors : Alexandre Trauner
Prod. : Raymond Borderie, Pierre Laurent
Durée : 120 min
Avec Yves Montand, Nathalie Nattier, Pierre Brasseur, Serge Reggiani, Saturnin Fabre, Raymond Bussières, Jean Vilar, Carette, Sylvia Bataille, Jane Marken, Dany Robin, Gabrielle Fontan, Christian Simon, Jean Maxime, Fabien Loris, René Blancard, Mady Berry, Jacques Perrin…

Film édité chez Pathé en DVD/Blu-ray version restaurée le 29 mars 2017


« Le Serpent aux mille coupures » d’Eric Valette : Total sud-ouestern

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Dans le paysage cinématographique français, Eric Valette apparaît comme une exception, voire même une anomalie tant il s’attaque à des genres peu visités (le fantastique avec Maléfique, le thriller politique avec Une Affaire d’état, le film d’action en forme de course-poursuite avec La Proie) et surtout le fait avec autant de maestria, livrant des films percutants aux personnages fouillés et travaillés. Depuis les violentes mises au placard de Florent Emilio Siri et Fred Cavayé, récupérés par le système et contraints de s’adonner (on l’espère très temporairement) à la comédie frelatée à base de Franck Dubosc et de Dany Boon (respectivement Pension Complète et Radin), Eric Valette est le dernier des Mohicans de films divertissants mais à l’exigence narrative prégnante. Avec Le Serpent aux mille coupures, adaptation d’un roman policier de DOA, le réalisateur s’impose comme l’ultime représentant d’un cinéma buriné et même burné avec un univers propre et un talent visuel indéniable.
Tendu, âpre dans ses rapports humains, à la violence sèche et parfois graphique un poil excessive (les deux séquences de torture parfaitement justifiées par l’intrigue ont valu une restriction aux moins de 16 ans moins pour leur caractère insoutenable que la nudité frontale des malheureuses victimes), le film détonne par son lieu d’action peu usité, la campagne française et plus précisément du sud-ouest aux environs de Toulouse, rendue superbement cinégénique par une photo léchée et un scope de toute beauté, et par la volonté de rejeter tout manichéisme primaire, développant des zones intermédiaires où le confort du spectateur est largement mis à mal. Autrement dit, un film jouissif dans sa mise en scène mais plus complexe dans son appréhension des relations entre les protagonistes et qui maximise son faible budget (pour ne pas dire famélique). Une école de la débrouille et des contraintes que Valette expérimente depuis son premier long.
Un mystérieux motard blessé et accidenté près de vignes sachant tenir une arme est contraint de se réfugier dans une ferme avoisinante après avoir tués des trafiquants de drogue attendant leurs interlocuteurs. Ces derniers, secondés par un tueur à gage impassible et impitoyable se mettront en chasse de celui qui a tout fait capoter. Tandis que la police locale patauge allégrement en tentant de mettre en lumière tous les tenants et aboutissants grâce à un collègue espagnol, les habitants du cru préparent une expédition punitive chez le fermier noir et sa femme blanche séquestrés chez eux par ce motard que les médias identifient comme un terroriste.


Porté par un casting de gueules comme on en trouve désormais rarement dans les films français, Le Serpent aux mille coupures entretient le flou quant au positionnement moral de certains de ses protagonistes. Les villageois les plus véhéments sont animés par un racisme ordinaire à l’encontre de ce couple mixte mais il est avant tout exacerbé par un ressentiment lié à la paupérisation de cette population, et à laquelle le couple échappe en ayant pu acquérir une ferme convoitée, plutôt que par la haine idéologique. De même, il est difficile de s’identifier à l’homme d’action inconnu car son comportement ne suscite pas franchement l’adhésion, c’est le moins que l’on puisse dire. Il est ligote le mari dans la cave, prend en otage leur fille pour s’assurer de leur coopération, se montre violent verbalement et physiquement avec la mère de famille. C’est d’autant plus perturbant que ce personnage est interprété par une figure assez reconnue dans le paysage du cinéma français à savoir Tomer Sisley jouant généralement des hommes plus positifs. En tous cas, l’acteur est parfaitement crédible dans ce rôle tendancieux qui rejoint la litanie des personnages sur la corde raide affectionnés par le réalisateur et dont leur évolution au sein du récit permet d’en réviser le jugement initial quant à leurs motivations profondes. Si le perso de Sisley apparaît assez contrasté et même ambigu, ses réelles intentions et origines demeurent difficilement déchiffrables tout au long du film. Et c’est aussi intriguant que satisfaisant tant la tendance est plutôt au surlignage et à la surexplication.

Les séquences impliquant la famille et leur preneur d’otage demeurent calmes en termes de péripéties mais Valette parvient à faire ressentir la menace sourde que la présence de cet homme violent fait peser. Le rythme du métrage palpite donc entre ces plages de tranquillité apparente, les pérégrinations de flics déboussolés et le sillage morte du tueur envoyé par un cartel colombien pour faire le ménage. Personnage le plus actif, c’est sur lui que le cinéaste reporte son attention, en faisant l’épicentre du récit. Soit l’élément perturbateur dont chaque geste, chaque intervention, chaque interaction entraîneront une conclusion dramatique inéluctable. Hitchcock disait que plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film et cet adage se vérifie une fois encore, ce tueur implacable interprété par l’acteur hongkongais Terence Yin suscite inquiétude et inconfort à chacune de ses apparitions tant on ne sait jamais quand cet homme au charisme vénéneux va frapper.
Il est secondé par le personnage de Stéphane Debac, épatant en side-kick imposé par les circonstances. Un falot mu par un racisme de classe et qui malgré sa position détachée des basses œuvres qu’il répugne sera obligé de mettre les mains dans le cambouis. Une forme d’ironie noire qui parcourt l’œuvre d’Eric Valette et qui trouve ici un remarquable écrin.
Le trafic de drogue international transitant par le sud-ouest de la France, sa violence inhérente, traduisent au fond uen globalisation économique non moins brutale et qui accapare cette population rurale. Un enjeu politique en filigrane qui vient enrichir le récit de ce polar aux accents de grand ouest sauvage.


Si l’on pense volontiers au cinéma d’Yves Boisset et d’Henri Verneuil, la principale résurgence du Serpent aux mille coupures est bien entendu le western. Ce genre infusait déjà Une Affaire d’état via le personnage de Gérald Laroche (que l’on retrouve d’ailleurs ici en tenancier d’un troquet) et imposait plus ouvertement sa marque dans La Proie. Ici, en œuvrant vers une forme d’épure narrative et stylistique toujours plus soignée, Valette s’empare très clairement de motifs du genre pour livrer un véritable sud-ouestern hargneux. Une remarquable transposition du genre western dans la campagne française avec le personnage de Tomer Sisley en véritable homme sans nom dont le passage charrie son lot de violence et de chaos. Le règlement de tous les comptes dans le grand finale ne pouvait se produire autre part que dans la ferme, véritable confluent de toutes les pistes narratives et toutes les formes de violences (physiques, sociales, économiques) ayant émaillées l’histoire.
Eric Valette ne réalisera sans doute jamais son projet de western surnaturel Dark Guns mais on espère vivement qu’il pourra continuer à en transposer l’influence dans ses films.
En tous acs, entre western sans concession et héros qui n’en a ni l’attitude ni le rayonnement, on comprend mieux les choix de Valette pour sa carte noire lors de l’édition 2016 du festival Extrême Cinéma, L’Homme de la loi et Le Piège infernal représentant alors autant son appétence pour la série B rageuse que l’état d’esprit ayant animé Le Serpent aux mille coupures.

Nicolas Zugasti

LE SERPENT AUX MILLE COUPURES
Réalisateur : Eric Valette
Scénario : Eric Valette & DOA d’après son roman éponyme
Production : Raphaël Rocher, Adrian Politowski
Photo : Vincent Mathias
Montage : Sébastien Prangère
Bande Originale : Christophe Boulanger & Mike Theis
Origine : France
Durée : 1h46
Sortie française : 05 avril 2017

 

 


« Tropique du cancer » d’Edoardo Mulargia et Giampaolo Lomi : Giallo exotique

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Il est normal de suivre avec beaucoup de curiosité et de vigilance les sorties vidéo d’éditeurs passionnés et débusqueurs de raretés. Vous l’aurez compris, Le Chat qui fume est de ceux-là et Al tropico del cancro (1972, Tropique du cancer), qu’il nous propose dans un coffret de trois disques — versions DVD et Blu-ray auxquelles s’ajoutent les bonus et une version VHS —, nous permet une meilleure connaissance du cinéma de genre italien.

Qu’on ne se fie pas au titre, Tropique du cancer n’a rien à voir avec Henry Miller ni avec la version filmée par Joseph Strick en 1970 de son célèbre roman. Il s’agit d’un giallo exotique tourné à Haïti et portant la double signature de Giampaolo Lomi et d’Eward G. Muller, alias Edoardo Mulargia. Si l’on connaît bien le second, auteur de nombreux westerns spaghetti, le premier s’est fait repérer par son travail auprès des « documentaristes » Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi, notamment sur Addio zio Tom (1971, Les négriers), pseudo-documentaire d’exploitation qui retrace la traite des Noirs, tourné déjà à Haïti. Il est d’ailleurs amusant de comparer, dans les bonus — tous passionnants —, l’interview filmée de Lomi à celle, audio, de Mulargia. Les deux s’attribuent la paternité de Tropique du cancer. Pour Lomi, qui connaissait bien le pays, Mulargia passait ses journées à pêcher tandis que Lomi filmait. Pour Mulargia, Lomi a tourné quelques séquences sans grande importance dont il ne reste pratiquement rien. La vérité est bien sûr, sinon ailleurs, au milieu des deux déclarations. Mulargia a certainement tourné les séquences avec les acteurs — et les critiques italiens interrogés dans l’un des bonus parlent ainsi du goût du cinéaste pour les grands espaces, hérité de ses westerns, et que l’on retrouve ici. Lomi, lui, a été beaucoup plus à l’aise avec les scènes proches du documentaire, montrant un rite vaudou, une cérémonie matrimoniale ou la mise à mort des animaux dans un abattoir.

 

 

Signé par les deux cinéastes et l’acteur principal, Anthony Steffen (qui reprend à l’occasion son véritable patronyme d’Antonio De Teffè), le scénario se base sur le fameux MacGuffin prôné par Hitchcock : un prétexte, quel qu’il soit, qui fait courir après lui tous les protagonistes, voire les entretuer. Ici, c’est une formule chimique utile pour fabriquer une drogue aphrodisiaque et que détient Anthony Steffen. Autant dire que c’est loin d’être ce qu’il y a de plus intéressant dans le film. Lomi parle même de ces « déséquilibres à cause d’un script à six mains« . Bien sûr, les meurtres se succèdent (et certains sont assez coriaces) et, dira-t-on, c’est la moindre des choses dans un film qui se réclame du giallo, genre italien oscillant entre le policier et le film d’horreur. Un giallo (et les gants en cuir noir de l’assassin en sont bien une preuve) abâtardi par un autre courant du cinéma de genre transalpin, le mondo. Cet aspect documentarisé est de loin ce qui donne toute son originalité à ce Tropique du cancer. Certains détails sont ainsi particulièrement impressionnants. Dans une séquence qui se déroule dans un hôtel de luxe de Port-au-Prince, Stelio Candelli (l’un de ceux qui courent après la formule) se plaint d’une piqûre. Anthony Steffen, qui est médecin, s’approche et se rend compte qu’il s’agit de la morsure d’une mygale. Un des employés de l’hôtel saisit alors à pleine main la bestiole sacrément balèze. Le toubib prend une seringue, pique l’araignée et réinjecte le venin dans le genou de Candelli. Le tout, filmé en gros plan, a de quoi faire frémir le moins pétochard des arachnophobes.

 

 

Les séquences documentaires sont ainsi étonnantes… et typiques du cinéma d’exploitation. Pour la séance de vaudou, ce sont des femmes seins nus qui se tortillent en tous sens et se roulent au sol tandis qu’on sacrifie un pauvre taureau. Dont le sexe sectionné va servir de trophée que se disputent les extatiques en furie. Plus tard, c’est un étrange rite matrimonial au cours duquel un couple, allongé nu sur le ventre et badigeonné d’une terre crayeuse, est lavé à grandes eaux. L’érotisme est bien entendu le fer de lance des deux genres, tant le giallo que le mondo. Curieusement ici, si à plusieurs reprises des hommes sont montrés intégralement nus de face, les femmes se dévoilent un peu moins. Signalons dans ce registre une très belle séquence fantasmée par Anita Strindberg, l’héroïne de ce Tropique. Enivrée par des fleurs droguées, elle court dans un couloir rouge devant des Haïtiens nus qui tentent de l’attraper dans un très beau ralenti très esthétique. Dans les bonus, les experts rapprochent cette séquence de l’ouverture de Una lucertola con la pelle di donna (1971, Le venin de la peur) de Lucio Fulci dans laquelle Florinda Bolkan, d’abord dans un train bondé, se retrouve à se frayer un chemin parmi une foule nue dans un couloir étroit avant de se retrouver avec… Anita Strindberg. Un film lui aussi édité par Le Chat qui fume dans un superbe combo DVD/Blu-ray.

 

 

Restons un moment sur ces experts qui commentent le film dans les bonus. Francis Barbier va jusqu’à parler du « Mankiewiczme de la fin » qu’il compare à celle de Soudain l’été dernier. C’est sans doute excessif mais véridique de facto. Il insiste également sur l’aspect expérimental de Tropique du cancer, allant jusqu’à citer Le sang des bêtes de Franju pour la séquence de l’abattoir et cette couleur rouge omniprésente dans le film. Enfin, il mentionne cette très belle scène au cours de laquelle des blocs de glace tombent d’un camion de livraison pour s’échouer aux pieds du couple Anita Strindberg/Gabriele Tinti. Le regard échangé entre la belle touriste et le jeune conducteur du camion est le prélude à la fameuse séquence du fantasme d’Anita Strindberg qui, après avoir traversé le couloir rempli d’hommes nus, se retrouve elle-même déshabillé dans les bras du chauffeur du camion. Comme si Lomi (davantage semble-t-il que Mulargia) avait voulu créer une sorte de courant secondaire à son scénario de recherche de formule, celui d’une histoire d’amour (ou plus simplement d’attirance) interraciale, ce que peut créditer l’ultime plan du film.

 

 

Venons-en aux acteurs de Tropique. Anita Strindberg est sublime, même si l’on peut regretter la minceur de son rôle. Face à elle, deux hommes, plutôt proches physiquement : son mari, incarné par Gabriele Tinti, et le docteur de l’île, Antonio De Teffè/Anthony Steffen, que Lomi traite de « chasseur de premiers plans« . Mais celui que l’on remarque le plus ne fait pas partie des deux jeunes premiers, n’est pas non plus Stelio Candelli ni Umberto Raho (le directeur de l’hôtel) mais bien le gras Peacock, équivalent de ces personnages énigmatiques et polissés joués par Sydney Greenstreet dans les polars américains des années quarante. Entouré de jeunes garçons nus au bord de sa piscine, Peacock est un bien étrange mafieux. Si la plupart des sites créditent Alfio Nicolosi dans ce rôle, il semblerait que ce soit plutôt Harry Gordon « Buddy » Felio qui prête sa corpulence et son physique d’ange grassouillet à cet amateur de paons – ce qu’accrédite d’ailleurs Lomi dans son interview. Quant à Nicolosi, il joue un homme de main.

 

On aurait donc tort de s’arrêter à une vision superficielle de Tropique du cancer, à son seul scénario « giallesque » somme toute assez peu convaincant, alors que quantité d’autres détails rendent ce film très intéressant à découvrir.

Jean-Charles Lemeunier

Tropique du cancer

Titre original : Al tropico del cancro

Origine : Italie

Année : 1972

Réal. : Giampaolo Lomi, Edward G. Muller (Edoardo Mulargia

Scénario : Giampaolo Lomi, Edoardo Mulargia, Antonio De Teffè

Photo : Marcello Masciocchi

Musique : Piero Umiliani

Montage : Cesare Bianchini

Avec Anthony Steffen (Antonio De Teffè), Anita Strindberg, Gabriele Tinti, Stelio Candelli, Umberto Raho, Gordon Felio, Alfio Nicolosi, Kathie Witt…

Sorti en combo DVD/Blu-ray par Le Chat qui fume le 1er avril 2017.

 

 


« Contes italiens » de Vittorio et Paolo Taviani : Leçons d’histoires

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Évoquer une version cinématographique du Décaméron de Boccace renvoie forcément à l’un des chefs-d’œuvre de Pasolini. Autant dire qu’en s’attaquant, avec ces Contes italiens que Blaq Out propose en DVD, à une nouvelle mise en images des histoires racontées par des jeunes gens ayant fui Florence ravagée par la peste, les frères Taviani relèvent un sacré défi… et s’en sortent très bien.

Autant Le Décaméron était ouvert sur la vie (initiant même dans la filmo de son auteur la Trilogie de la vie), joyeusement grivois, autant ces Contes italiens s’attachent, du moins pour le début du film, aux jours noirs de la maladie, de la douleur et de la mort. Les scènes sont très fortes, tel cet homme qui pleure la mort de sa famille et se fait enterrer avec elle puis, à l’image de l’histoire de cette jeune femme passée pour morte et qui revient à la vie, le film des Taviani se met lui-même à s’éclairer à partir du moment où les jeunes gens se réfugient dans une maison et vont se mettre à raconter.

Les Taviani ont souvent placé les contes au centre de leurs films (voir Kaos, contes siciliens en 1984, suivi de Kaos II en 1998) et utilisé le passé pour discourir sur le présent. Quand ils tournent les Contes italiens, les Taviani ont à peu près l’âge qu’avait Éric Rohmer quand il mit en chantier son ultime film, le très beau Les amours d’Astrée et de Céladon, inspiré du roman d’Honoré d’Urfé, écrivain du XVIe siècle. Comme si revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à une simplicité du récit, à des comédiens peu connus, à la beauté des paysages et des costumes et à l’absence apparente de modernité, permettait de mieux parler du temps présent.

 

Car que racontent les jeunes Florentins du XIVe siècle ? Une époque de fléau, qualificatif qui conviendrait parfaitement à ce que nous connaissons aujourd’hui, des histoires d’amour intemporelles, des refus d’hypocrisie (la réjouissante partie qui se déroule dans un couvent de nonnes), une célébration du don de soi qui tourne mal (très belle histoire de l’homme au faucon) ou encore de la bêtise. Ils disent que rien n’est jamais écrit : a déjà été mentionnée cette femme revenue à la vie par la grâce de la magie amoureuse. Les dogmes séculaires peuvent être jetés aux oubliettes, ainsi que le montrent les religieuses déjà citées. Dans l’aventure de Calandrino, on ne sait qui est le plus stupide : l’homme simplet qui croit les moqueurs et leur fait stupidement confiance ou ces derniers qui profitent de la naïveté de leur victime. Enfin, le dépit de Calandrino lorsqu’il comprend qu’on s’est joué de lui est durement mis en scène par les Taviani, avec une séquence très violente de coups donnés à une femme qui dénote avec le reste du film et nous replonge dans ces moments cruels du début du film, décrivant la peste.

 

En se réfugiant loin de l’épidémie, les jeunes gens échappent aussi à la ville et sa modernité. Mais aussi à la facilité : on les suppose nobles et ils partent sans serviteurs, obligés de dresser eux-mêmes la table et de fabriquer leur propre pain. Mais on ne peut rejeter trop longtemps le monde actuel, les Taviani le savent, eux dont la filmographie parcourent les siècles, de la Renaissance florentine de ces Contes italiens aux prisons contemporaines où ils filment leur César doit mourir (2012), retranscription par des détenus de la pièce de Shakespeare. Toujours pour eux, insistons là-dessus, le passé doit éclairer le présent. Que représentent alors ces jeunes qui se mettent à l’écart, dans les Contes italiens ? Symbolisent-ils ceux qui, en chattant entre eux sur les réseaux sociaux ou en étant enfermés dans la villa d’une télé-réalité en oublient le monde véritable ? Ce serait minimiser l’apport des histoires qu’ils racontent, vectrices de vérités et de philosophie.

 

En portant leur choix sur des récits assez peu érotisés, les Taviani prennent donc leurs marques, comme cela a déjà été précisé, par rapport à Pasolini et autres histoires scélérates filmées par Sergio Citti et beaucoup d’autres. Pas question pour eux d’illustrer Boccace de la même manière que Pasolini en mettant en avant l’érotisme des récits du maître, d’autant plus que tout un courant du cinéma italien des années soixante-dix avait décliné l’étalon pasolinien dans une série de films rapidement baptisés par les critiques « decamerotici ». Les Taviani centrent leurs contes sur la beauté des plans de la Toscane et des costumes du XIVe siècle alors que Pasolini, signant aussi de magnifiques images — pour la plupart tournées dans la région de Naples —, avait ajouté à son Décaméron une série de portraits de prolos et de paysans italiens et de leur patois imagé. Plus classiques, très plaisants tout en étant parfois emplis de mélancolie, les Contes des Taviani rendent avant tout hommage à cette si belle Toscane dont ils sont natifs. Une remarque toutefois : il est un point sur lequel les deux frangins rejoignent Pasolini. Dans Le Décaméron, le cinéaste/poète incarne un élève du peintre Giotto qu’il décrit coincé dans sa création, avant qu’un rêve de la Madonne (Silvana Mangano) ne lui révèle la représentation du paradis. Les Taviani commencent, eux, par dépeindre l’enfer pour s’acheminer sans doute pas vers le paradis, du moins vers des paysages beaucoup plus sereins.

Jean-Charles Lemeunier
 
Contes italiens
Titre original : Maraviglioso Boccaccio
Année : 2015
Origine : Italie
Réal. : Vittorio et Paolo Taviani
Scénario : les Taviani d’après Le Décaméron de Boccace
Photo : Simone Zampagni
Musique : Giuliano Taviani, Carmelo Travia
Montage : Roberto Perpignani
AvecLello Arena, Kasia Smutniak, Michele Riondino, Jasmine Trinca, Kim Rossi-Stuart…

Sortie en DVD chez Blaq Out le 2 mai 2017.


Coffret Borowczyk chez Carlotta : Subversion originale

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On l’a perdu de vue, Walerian Borowczyk, à qui Carlotta Films consacre un superbe coffret de sept films en DVD et Blu-ray. Pourtant, ce cinéaste polonais (1923-2006) qui débuta sa carrière par des films expérimentaux d’animation  — dont plusieurs en collaboration avec Jan Lenica en Pologne et un autre avec Chris Marker une fois arrivé en France — pour la prolonger en donnant quelques chefs-d’œuvre au cinéma érotique mérite qu’on s’y intéresse. La raison principale étant cet aspect transgressif, irrévérencieux, volontiers surréaliste qui traverse toute sa filmographie.

En nous proposant, à côté de ses films les plus connus — Goto l’île d’amour (1968), Blanche (1971), Contes immoraux (1974), Histoire d’un péché (1975), La Bête (1975), Dr Jekyll et les femmes (1981) —, ses premiers courts d’animation (dont Les astronautes, 1959) et son premier long, lui aussi d’animation (Le théâtre de M. et Mme Kabal, 1967), Carlotta nous permet une traversée tout autant archéologique que stylistique de l’œuvre de Borowczyk.

Le cinéaste semble toujours aller contre. Contre les idées reçues, contre la manière traditionnelle de montrer les choses, contre une stupide censure qui, sous couvert de bon goût, n’admet pas certaines images, etc. Noël Véry, qui a très bien connu Borowczyk et a été au fil du temps son caméraman et son chef op’, décrit dans le superbe bonus à partir du making-of muet de La Bête la façon de travailler minutieuse du cinéaste. On dit souvent, à propos de Sternberg, que ses acteurs n’étaient pour lui que des tubes de gouache qu’il disposait comme il l’entendait sur l’écran. De la même manière, Borowczyk dirigeait ses mises en scène au cordeau, le geste des acteurs devait être précis au centimètre près, ce qui eut le don, toujours d’après Noël Véry, d’exaspérer le grand Marcel Dalio.

 

 

C’est finalement dans l’érotisme que Boro, ainsi que l’appelaient ses amis, trouva la subversion finale. Véry explique que le cinéaste était pudique — d’où sa gêne à diriger les séquences de nu — mais voyeur. Ce que confirme la vision des Astronautes, ce court-métrage réalisé à partir d’images animées et cosigné par Chris Marker. Lequel sortira, trois ans plus tard, un long-métrage (la sublime Jetée, source d’inspiration pour Terry Gilliam et son Armée des 12 singes) à partir de photos. Dans Les astronautes, le voyeurisme est déjà présent. L’astronaute en question (joué par Michel Boschet, futur réalisateur du court-métrage d’animation Demain la petite fille sera en retard à l’école, César 1980), dans son engin spatial, examine son environnement par un double périscope. Vu de l’extérieur, on voit les deux tuyaux qui sortent de l’astronef et… deux yeux au bout. Et que regarde-t-il, entre autres, l’astronaute en question ? Une jeune femme en maillot à sa fenêtre (Ligia Branice, compagne de Borowczyk que l’on va retrouver dans plusieurs de ses longs-métrages jusqu’en 1978, et aussi dans La jetée de Marker).

 

 

C’est encore Ligia Branice, femme d’un vieux seigneur médiéval (Michel Simon) dans Blanche, que l’on va surprendre nue dans son bain. Depuis son premier long, Goto l’île d’amour, dans lequel il dénude la poitrine de Ginette Leclerc, Boro comprend que la subversion passe à présent par la nudité. À partir des Contes immoraux, celle-ci sera au cœur de son cinéma.

 

 

Ces Contes, justement, qu’il place sous le double signe de La Rochefoucauld (« L’amour, tout agréable qu’il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même ») et d’André Pieyre de Mandiargues, à qui il emprunte son premier sketch, La marée. Et qu’il ouvre par une nouvelle citation : « Julie, ma cousine, avait 16 ans, j’en avais 20, et cette petite différence d’âge la rendait docile à mes commandements. » Là encore, Borowczyk n’est jamais là où l’on pourrait l’attendre. La marée, avec ce monologue de Fabrice Luchini, est beaucoup plus érotique par le texte que par les images, où le flux et le reflux de la mer va de pair avec les vagues du désir ressenties par le narrateur.

Mais l’on aurait tort de s’arrêter au seul érotisme. Même s’il a signé un cinquième épisode peu convaincant de la série Emmanuelle, Borowczyk ne filme pas de l’érotisme de salon, bon pour le bourgeois qui veut s’encanailler. Plus proche d’Arrabal que de Just Jaeckin, il attaque toutes les hypocrisies, qu’elles viennent de la bourgeoisie ou de l’église. Dans l’épisode sur Lucrèce Borgia de ses Contes immoraux, il n’hésite pas à filmer les rapports incestueux entre Lucrèce (Florence Bellamy), son frère (Lorenzo Berinizi) et, surtout, son père, le pape Alexandre VI (Jacopo Berinizi). Hypocrite est encore l’Église dans Histoire d’un péché, qui interdit le divorce en Pologne mais l’accepte à Rome moyennant finances. Dans La Bête, le curé (Roland Armontel) qui vient baptiser le fils de famille (Pierre Benedetti), débarque avec deux gamins, un organiste et un chanteur, qu’il va embrasser à pleine bouche. Dans ce même film, la haute bourgeoisie représentée par Guy Tréjan, un marquis désargenté, n’est pas plus épargnée, prête à toutes les manigances pour redorer son blason.

 

 

Borowczyk a souvent aimer filmer les rapports entre les femmes et les monstres, montrer l’attirance des unes pour les autres. La Bête est ainsi la version trash du conte pour enfants, La Belle et la Bête. Chez Mme Leprince de Beaumont, qui écrit le récit en 1757, chez Cocteau et même plus tard chez Disney, on s’arrête à cet amour incertain que la Belle éprouve finalement pour la Bête. Boro va beaucoup plus loin. Ah oui, la Belle est tombée amoureuse de la Bête ? Et que se passe-t-il ? Il filme Sirpa Lane, la belle marquise, surprise dans les bois par la Bête. Elle va d’abord s’enfuir, être rattrapée et violée, pour finalement y prendre goût et pratiquer avec sa partenaire sacrément pourvue des choses que la morale, expliquait Brassens, réprouve. Gare au gorille, pourrait chantonner également Boro qui s’amuse de ce sexe animal évacuant une interminable semence. Semence que, précise Noël Véry, le cinéaste a pris plaisir à confectionner chez lui à partir de tout un tas d’ingrédients.

 

 

Le monstre est également présent dans Dr Jekyll et les femmes (malheureusement présenté dans sa seule v.f.). En offrant à Udo Kier le rôle du docteur, Borowczyk se place dans la continuité des deux films de Paul Morrissey et Andy Warhol — et, accessoirement, Antonio Margheriti — dans lequel Kier est tour à tour le médecin responsable de la créature (Chair pour Frankenstein, 1973) et le maître des vampires (Du sang pour Dracula, 1974). De toutes les versions filmées de L’étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde, j’avoue ma préférence pour celle de Rouben Mamoulian (1932) dans laquelle Hyde (Fredric March) venge Jekyll de ses frustrations sexuelles imposées par la société victorienne. Dans Dr Jekyll et les femmes, deux acteurs jouent les deux rôles de Jekyll et Hyde (Kier et Gérard Zalcberg) et ce sont surtout les personnages annexes de ce huis-clos qui rendent le film, une fois de plus, subversif. La vieille baderne de général (Patrick Magee) et son enfant (Agnès Daems), jeune fille rangée qui se dévergonde à vue d’œil dès l’apparition du monstre, et la fiancée-même de Jekyll (Marina Pierro) qui prouvera son goût pour la monstruosité.

Rien ne choque Borowczyk et aucune morale n’a le droit de réprouver tel ou tel acte. L’humour vient parfois au service de ce qu’il veut démontrer. Toujours dans La Bête, la fille du marquis (Pascale Rivault) et le serviteur noir (Hassane Fall) essaient tout au long du film de coucher ensemble, à chaque fois interrompus par un appel du maître de maison. Alors, frustrée, la jeune femme va chercher son plaisir en se frottant au mobilier. Piètre consolation ! C’est aussi de masturbation féminine dont il est question dans Intérieur d’un couvent — hélas, absent du coffret — avec cette fois — on retrouve le Boro iconoclaste et anticlérical — une image de Jésus gravée sur le godemiché.

 

 

Quand la sexualité n’est pas frontale, elle prend les chemins détournés du symbolisme, preuve que, chez Boro, tout est symbole. Les escargots sont présents tout au long de La Bête, symboles sexuels — le cinéaste réalise même en 1975 le court-métrage L’escargot de Vénus sur un texte de Rémy de Gourmont et des dessins de Bona —, et le sexe lui-même devient symbole de la libre-pensée, à laquelle était liée le libertinage du XVIIIe siècle. Car comment, pour lui, ne pas dénoncer ce que la société et sa morale imposent. C’est cette jeune Blanche qui, au Moyen-Âge, a été forcée d’épouser un vieux seigneur et qui devient l’objet de la convoitise d’un roi (Georges Wilson) à qui elle ne peut opposer de refus, alors qu’elle-même est tombée amoureuse du fils (Lawrence Trimble) d’un premier mariage de son époux. La liberté est bafouée comme elle est dans Goto, dans cette île coupée du reste du monde et que le gouverneur (Pierre Brasseur) mène d’une main de fer.

Le corps reste la dernière liberté, malgré toutes les pressions sociétales, religieuses et conformistes. L’avilir, le forcer, le cacher revient à priver l’autre de sa liberté. C’est ce que raconte Histoire d’un péché, qui marque le retour de Borowczyk en Pologne, le temps d’un long-métrage (son premier tourné dans son pays d’origine). Le cinéaste y appelle même Diderot à la rescousse, cité par l’un des personnages : « Le bonheur et l’intégrité sont présents dans les pays où la loi traite les instincts de manière sérieuse. » Et d’évoquer l’île des Pins où les femmes vont nues ou le Japon où hommes et femmes ont le droit de se baigner ensemble « sans honte ».

 

 

Histoire d’un péché est un mélo érotisé, du Jules Mary ou du Adolphe d’Ennery revus et corrigés par Sade. Il y a quelque chose des Infortunes de la vertu, dans ce récit de cette jeune amoureuse très catholique (Grazyna Dlugolecka) qui, par amour puis par force, va glisser vers ce que l’on nomme commodément le vice. L’action se déroule à la fin du XIXe siècle et Borowczyk énumère tout au long de son film toutes les exigences, les intimidations imposées. Il y a d’abord cette notion de péché, imposée par l’église, puis les différentes pressions familiales, celle du chef de bureau qui refuse un congé (« Cela fait 27 ans que je n’en ai pris », argumente-t-il), celle d’un homme sur une femme, qui se croit le droit de l’importuner sous prétexte qu’il est le mâle, celle du riche sur le pauvre…

 

 

Se replonger aujourd’hui dans Borowczyk, c’est sentir ce courant libertaire qui traversa le cinéma des années soixante-dix. Une liberté maîtrisée chez le cinéaste au millimètre près, comme l’étaient déjà ses films d’animation, tel l’étonnant M. et Mme Kabal. Cette liberté, Boro la doit sans doute aussi à sa rencontre avec le producteur Anatole Dauman dès Les Astronautes. Avec Argos Films, Dauman produira Contes immoraux et La Bête à la même époque que L’empire des sens et L’empire de la passion d’Oshima. L’audace de Borowczyk ne dérive jamais vers n’importe quoi mais garde au contraire une honnêteté éminemment politique. Ce qui, dans ces mois électoraux affligeants, fait du bien.

Jean-Charles Lemeunier

Coffret collector Walerian Borowczyk (8 DVD, 3 Blu-ray, 2 livrets) édité par Carlotta Films le 22 février 2017. Nouveaux masters restaurés 2K.


Deux films d’Elia Kazan : Et il y a Elia

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La collection Hollywood Legends, chez ESC Conseils, s’enrichit de deux nouveaux titres, deux films rares d’Elia Kazan : Pinky (1949, L’héritage de la chair) et Man on a Tightrope (1953, Cirque en révolte), tous deux produits par la Twentieth Century Fox. Deux films séparés par le témoignage de Kazan devant la Commission des activités anti-américaines, la terrible HUAC (House Un-American Activities Committee), devant laquelle il va livrer en 1952 le nom de quelques-uns de ses camarades soupçonnés de communisme.

 

 

Lorsque Darryl F. Zanuck, le patron de la Fox, décide de mettre en chantier une adaptation du roman de Cid Ricketts Sumner, Quality, publié en 1946, Kazan est l’un des spécialistes des sujets sociaux. L’héroïne, Patricia dite Pinky – qui donnera ce surnom au titre du film –  est une jeune femme noire à la peau suffisamment claire pour passer pour blanche et pour vouloir épouser un médecin blanc. Cela est vrai jusqu’à son retour auprès de sa grand-mère, dans le Deep South, où elle comprend où est sa place, Dans le bonus du DVD, Michel Ciment (auteur de Kazan par Kazan) explique que le film est confié d’abord à Kazan qui, accaparé par son travail à Broadway, décline l’offre. Le scénario du film étant signé par Dudley Nichols, Zanuck propose alors Pinky à John Ford. Lequel a déjà mis en images 15 sujets de Nichols.

Voici ce qu’écrit Joseph McBride dans A la recherche de John Ford (Actes Sud) : « En 1947, l’Oscar du meilleur film fut attribué à un film de Kazan, Gentleman’s Agreement (Le mur invisible), un film produit par la Fox sur un journaliste qui se fait passer pour un Juif pour démasquer l’antisémitisme. Cela donna des idées à Zanuck : « Refaisons la même chose avec un Noir. » Zanuck lui ayant rendu service en facilitant le tournage de Dieu est mort, Ford lui devait un film (…) Mais l ‘enquête de la HUAC découragea rapidement les studios de produire des films dénonçant les problèmes sociaux. Même Zanuck fut affecté par cette vague de timidité qui s’abattit sur Hollywood (…) Le projet fut réactivé à la hâte après l’annonce de deux autres films sur des thèmes raciaux : Home of the Brave (Je suis un Nègre de Mark Robson, 1949) et Lost Bundaries (Frontières invisibles d’Alfred L. Werker, 1949). »

 

 

Ajoutons que le film de Robson, qui traite des tensions raciales dans l’armée, est aussi sorti sous le titre La demeure des braves. Quant à Frontières invisibles, il met en scène un médecin métis qui se fait passer pour blanc jusqu’au moment où la vérité éclate. McBride nous apprend encore que le scénario de Nichols est retapé par Philip Dunne, qui apporte un élément important : « Il suggéra, entre autres changements, que le boyfriend blanc de Pinky, au lieu de l’abandonner quand il apprend son secret au début de l’histoire, décide de rester avec elle à condition qu’elle se fasse passer pour blanche (…) Ford commença le tournage en mars 1949 – mécontent parce que Zanuck avait refusé des extérieurs dans le Sud. Puis Ford eut des difficultés dans ses rapports avec Ethel Waters et Zanuck suggéra de refaire certaines scènes pour les rendre moins théâtrales. « C’était une différence d’opinion d’ordre professionnel, a déclaré Zanuck. Les Nègres de Ford étaient comme Tante Jemima – NDA : Aunt Jemima était une marque de produits pour le petit déj’, représentée par une mama noire, fichu sur la tête. Des caricatures. J’ai pensé que nous allions avoir des ennuis. Jack m’a dit : « Je crois que vous feriez mieux de prendre un autre réalisateur. » Je lui ai dit : « Terminez le travail de la journée » et je l’ai remplacé. »

 

 

La raison officielle du changement de réalisateur  fut donc un zona de John Ford. McBride poursuit en citant l’autobiographie de Philip Dunne (Take Two : A Life in Movies and Politics) : « La vérité, c’est que Ford rendait Ethel Waters dingue (…) Ford avait des vues de l’ancien temps sur la question des races. Il voulait que Waters gémisse des spirituals. Il ne comprenait pas, c’est tout.  » Suite à la maladie « diplomatique » de Ford, revoilà donc Kazan aux manettes de Pinky. Après une mise en place quelque peu bavarde, le cinéaste entre dans le vif du sujet : les tensions raciales. Il est vrai que la description de la petite ville et le procès qui suit était tout à fait dans les cordes de Ford. Mais Kazan, qui lui aussi a filmé brillamment un procès dans Boomerang (1947), s’en sort très bien dans le rendu des rapports entre les deux communautés et de ce racisme insupportable qui rend quelques-uns de ses personnages – le shérif, joué par Arthur Hunnicutt, ou la vieille cousine, formidablement rendue par Evelyn Varden qui la rend exécrable – si odieux, le tout contrebalancé bien sûr par ceux qui sont montrés positivement : Ethel Barrymore, le médecin (Griff Barnett) ou le juge (Basil Ruysdael).

 

 

Pour le rôle de Pinky, Lena Horne et Dorothy Dandridge, qui toutes deux auraient mieux convenu, furent intéressées mais pas retenues. Rappelons que la première fut blacklistée pour des convictions trop à gauche vis-à-vis des maccarthystes. Quant à la seconde, il faudra qu’elle attende 1954 et Carmen Jones d’Otto Preminger pour avoir enfin un premier rôle. C’est donc la très blanche Jeanne Crain qui remporte le gros lot. Sans doute choquait-elle moins la censure dans les scènes où elle embrasse son fiancé William Lundigan. Kazan lui-même la trouvait trop fade, avec des allures d’institutrice. Ce qui n’empêcha pas Jeanne Crain d’obtenir une nomination aux Oscars pour Pinky. Olivia De Havilland la coiffera au poteau avec The Heiress (L’héritière) de William Wyler. De même, Ethel Barrymore et Ethel Waters qui concouraient pour la meilleure actrice de second rôle furent battues par Mercedes McCambridge dans All the King’s Men (Les fous du roi) de Robert Rossen.

 

 

Quand il aborde Man on a Tightrope en 1953, Kazan vient de tourner A Streetcar Named Desire (1951, Un tramway nommé Désir) et Viva Zapata (1952). Le renversement de vapeur de son passage devant l’HUAC et de ses dénonciations vont changer son cinéma. Premier film réellement anticommuniste, Man on a Tightrope sera suivi d’un chef-d’oeuvre, On the Waterfront (1954, Sur les quais), dans lequel il est question de dénonciation. Kazan n’est jamais aussi bon que lorsqu’il exprime ses doutes et ses choix. Son Cirque en folie est plus banalement dans l’air du temps de cette vague anti-rouges qui a submergé Hollywood. En Tchécoslovaquie en 1952, le directeur d’un cirque nationalisé finit par se persuader, après quelques hésitations, qu’il faut passer à l’Ouest. Le film se laisse suivre sans ennui même si, sur le sujet analogue du passage Est-Ouest, Torn Curtain (1966, Le rideau déchiré) d’Hitchcock lui est supérieur tout en n’étant pas, loin s’en faut, l’un des meilleurs sujets tournés par le maître du suspense. Malgré tout, en quelques plans d’ouverture, Kazan montre qu’il sait manier sa caméra. Le cirque chemine tranquillement sur une petite route lorsqu’une colonne de motards l’oblige à se ranger à toute vitesse pour laisser passer un convoi militaire, ce qui ne se fait pas sans mal, avec son lot de roulottes dans le fossé et d’essieux cassés. Le convoi en question transporte des prisonniers et force est de reconnaître que ces images nous plongent immédiatement dans un climat de malaise. L’autre atout du film, à côté de la mise en scène de Kazan, est la présence de Gloria Grahame dont le premier plan, jambes et pieds nus dessinant sur le mur, possède une charge érotique certaine.

 

 

Autant le personnage du flic communiste, joué par Adolphe Menjou, connu pour ses convictions violemment maccarthystes, est intéressant – on le découvre couché, écoutant l’interrogatoire de Fredric March, le directeur du cirque, et on le verra constamment avec son veston constellé de cendres de cigarette -, autant les autres personnages sont malgré tout assez peu dessinés, se contentant d’être les stéréotypes du cirque : le patron dépossédé, puisque nationalisé, et qui cherche à s’en sortir, les clowns, le nain, la jeune écuyère, la possible idylle entre la femme du directeur et le dompteur, etc. Reconnaissons que quelques-uns sortent malgré tout du lot : la Duchesse (Dorothea Wieck) et la mère du directeur, bouleversante parce qu’elle reste muette et que seuls ses yeux expriment ce qu’elle ressent. Elle est incarnée par Mme Brumbach dont le cirque, qui réussit de s’échapper d’Allemagne de l’Est en 1950, servit de base au scénario de Neil Paterson et Robert Sherwood.

 

 

Bien sûr, rien n’est laissé au hasard dans la description du contexte. Ce cirque qui tombe en morceaux, où les toiles se déchirent dès qu’on tire dessus, où tout est prêt à casser, figure l’état du pays, usé par la guerre, le nazisme puis la mainmise soviétique. Kazan dénonce également les commissaires politiques qui surveillent leurs propres hommes, montrés sous un éclairage évident de paranoïa. La voie du salut est apportée par le directeur lui-même, qui n’en peut plus de ce régime, mais aussi par un Américain qui se cache au sein du cirque. L’action prend le dessus dans la seconde partie du film avec la préparation de la fuite et tous les obstacles qui se dressent au fur et à mesure. L’intelligence de Kazan est aussi d’avoir tourné son film en extérieurs en Bavière. Enfin, saluons encore son sens du détail avec, par exemple, le personnage du chef du poste-frontière, qui passe son temps à se faire masser. Lorsque le cirque arrive, il est d’abord étonné, puis rit, avant de comprendre ce qui se passe réellement. Bien que ne faisant pas partie des grands films d’Elia Kazan, Cirque en révolte mérite, ne serait-ce que pour tout cela, qu’on s’intéresse à lui.

Jean-Charles Lemeunier

L’héritage de la chair et Cirque en révolte sortis en DVD nouveau master haute définition chez ESC Conseils le 17 avril 2017.


Trilogie Ninja : les guerriers de la Cannon

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Amateurs du cinéma de la Cannon, réjouissez-vous car depuis fin mars vous pouvez trouvez à la vente l’excellente trilogie ninja, une œuvre essentielle qui fit accéder le fameux studio américain à une renommée internationale. Ressortis dans des copies magnifiques, les trois films qui composent ce coffret possèdent encore le charme des productions bis, fauchées mais inventives, qui envahirent le marché – et notamment celui des vidéo-clubs – au début des années quatre-vingt.

L’Implacable Ninja


Après avoir terminé une formation de ninja, Cole rend visite à son ancien frère d’armes Frank Landers, qui possède une ferme aux Philippines. Ce dernier refuse de vendre sa propriété à un groupe de gangsters locaux et va solliciter l’aide de son ami pour résoudre le conflit qui se profile. Jusqu’à l’arrivée d’un ninja qui n’est autre que l’ancien frère d’arme de Cole….

Producteur et cinéaste compétent, Menahem Golan profite, à la fin des années soixante-dix, de la soudaine exploitation des œuvres asiatiques pour mettre en place la réalisation d’une œuvre efficace et basée sur l’un des fondements de la mythologie nippone : le ninja. Membre d’une société secrète, cet expert du combat, ce tueur implacable et froid possède ainsi toutes les qualités intrinsèques lui permettant de devenir instantanément une icône cinématographique. Premier film de ce genre produit par la Cannon, L’Implacable Ninja est le précurseur de bon nombre d’ersatz dont la plupart, à cause de leur budget famélique, ne resteront pas dans la mémoire collective. Disposant de moyens financiers conséquents, le film de Golan possède, pour sa part, quelques qualités : intrigue rappelant les westerns hollywoodiens des années cinquante, réalisation soignée sans être ostentatoire, musique typique des années quatre-vingt mais bien intégré,… L’Implacable Ninja constitue au final un excellent divertissement malgré un casting qui laisse le spectateur dubitatif. Voir, notamment, le moustachu et ventripotent Franco Nero, torse nu, s’entraîner au nunchaku peut provoquer immédiatement des éclats de rire involontaire. Mal employé et visiblement plus intéressé par le cachet que par le récit, le mythique acteur italien trouve certainement dans ce long-métrage exotique l’un des pires rôles de sa carrière. Doublé, grâce à un artifice costumier, dans la plupart des scènes de combat, Nero délivre le strict minimum dans les rares scènes émotives où son talent aurait du apparaître. Alors, inévitablement, la vraie star de L’Implacable Ninja n’est pas l’ancien interprète de Django. Dans le rôle de son ennemi japonais, l’impeccable Sho Kosugi, véritable expert en arts martiaux, crève émerge au grand jour et vient s’imposer instantanément aux yeux du public international pour devenir, par la suite, la vraie star du genre. Et logiquement, il devient, trois années plus tard, « la » star de Ultime violence – ou Ninja 2 – une fausse suite qui tente maladroitement de poursuivre l’œuvre originale.

Ultime violence



Après que leur famille ait été exterminée par des Ninjas, Cho et son fils, décident d’immigrer aux États-Unis pour y recommencer un nouvelle vie. Mais Cho découvre bientôt la trahison de son meilleur ami qui l’a impliqué malgré lui dans un trafic de drogue. Il va devoir se préparer pour l’ultime bataille qui en découle…

Présentant des combats nettement mieux maîtrisés que son prédécesseur, Ultime violence bénéficie en plus de la présence derrière la caméra de l’intéressant Sam Firstenberg, le cinéaste responsable des films de la série American Warrior avec Michael Dudikoff. A l’aise, malgré son budget ridicule, Firstenberg délivre une œuvre rythmée et efficace dont le point d’orgue est le combat final – qui dure tout de même plus d’une dizaine de minutes – entre le bon et le gentil de l’histoire. Handicapé par un casting composé d’acteur surinterprétant les stéréotypes de leurs personnages, Ultime violence est également limité par la présence d’un gamin, aux capacités martiales certes apparentes, mais qui impose un ton infantile dispensable dans ce genre de production. Un ton qui demeure, de plus, en totale inadéquation avec l’atmosphère sombre de ce long-métrage oscillant entre action et scène de combat. Parsemé d’une touche érotique, le film de Firstenberg arrive toutefois à intégrer la figure du ninja dans le monde occidental en transformant une ville américaine en immense terrain de combat. Les décors constitués de grands immeubles, de longues avenues ou de parcs intra-muros, deviennent ainsi éléments des combats violents qui s’amènent. Alors, malgré quelques défauts, ce long-métrage suit, certes maladroitement, les traces de son aîné pour devenir, finalement, l’œuvre la plus intéressante de la trilogie, loin devant la dernière partie de cette trilogie.

Ninja 3



Une femme, employée des télécommunications et passionnée d’aérobic, vient en aide à un assassin ninja plutôt efficace. Malheureusement il meurt devant ses yeux en lui léguant son sabre. Celle-ci se révèle possédée par un esprit conférant des pouvoirs d’assassins à son nouveau propriétaire.

Réunissant dans un même long-métrage deux courants alors à la mode – un film de possession couplé à un autre de ninja – les producteurs de la Cannon réussirent, en 1984, un fameux coup. Acteur mauvais, effets spéciaux ratés et histoire complètement stupide ; Ninja 3 n’est pas, on l’aura compris, le meilleur film de cet indispensable coffret mais il réserve néanmoins des moments purement nanardesques et extrêmement jouissifs qui forcent le respect. Entrecoupé de scène d’aérobic – sport à la mode au milieu des années quatre-vingt y compris en dehors des States – ce film sans liant et volontairement foutraque dispose de moments cultes qui culminent dans l’assassinat d’un policier, qui dispute une partie de billard, cigare au bec, en tee-shirt et en caleçon mais avec ses bottes réglementaire…Bref, un grand moment de n’importe quoi, de « foutraquerie » filmique et scénaristique qui impose néanmoins l’intérêt de l’aficionado du genre et qui dénote avec le sérieux assumé de ces deux prédécesseurs.

Fabrice Simon

Le coffret Trilogie Ninja est disponible depuis le 28 mars 2017 chez ESC Editions

 

 



Barbet Schroeder chez Carlotta Films : Un moraliste, pas un moralisateur

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Touffue, la carrière de Barbet Schroeder — dont le nouveau film, Le vénérable W, est présenté à Cannes en séance spéciale — traverse les genres et les pays. On se dit alors que Carlotta Films, qui, dans le cadre de la rétrospective du centre Georges-Pompidou à Paris (jusqu’au 11 juin), sort un coffret de 5 films en DVD et Blu-rays consacré au cinéaste suisse, a dû avoir du mal à choisir lesquels seraient présents et lesquels écartés. À noter que Carlotta met également sur le marché, en édition séparée, les fameuses Bukowski Tapes.

 

 

De Bukowski aux films retenus dans le coffret (Maîtresse, Tricheurs, Général Idi Amin Dada, autoportrait, Koko le gorille qui parle et La vierge des tueurs), on pourra isoler quelques grandes lignes : ces personnages atypiques, mis à l’index, hors normes voire monstrueux sont toujours présentés par Schroeder sans jugement, avec seulement, parfois, une mise en perspective. En relation avec un état du monde, une contradiction ou une polémique. Le cinéaste aime aussi mettre au cœur de ses sujets ce qui est rejeté par le plus grand nombre : le sadomasochisme, l’addiction, l’homosexualité, la violence, l’alcoolisme. Et même si, dans l’un des entretiens avec Jean Douchet proposés en suppléments, Barbet Schroeder explique son « approche anti-auteur », il est bel et bien un auteur.

 

 

Chacune des fictions du coffret aborde un monde a priori mal connu, qu’un connaisseur fait découvrir à un candide : celui du sado-masochisme dans Maîtresse (1976), dont Bulle Ogier ouvre les portes à Gérard Depardieu. Celui du jeu dans Tricheurs (1984), dans lequel Jacques Dutronc fait pénétrer Bulle Ogier. Dans La virgen de los sicarios (2000, La vierge des tueurs), c’est d’un retour dont il est question : celui de l’écrivain Fernando Vallejo (German Jaramillo) à Medellin (Colombie), une ville d’où il a été absent de nombreuses années et où son jeune amant (Anderson Ballesteros) lui sert de guide. Ajoutons que Schroeder lui-même a vécu enfant en Colombie et que le film marque aussi pour lui un retour au pays.

 

 

Souvent chez les héros de Schroeder, il est question de nihilisme et d’autodestruction. C’est le cas de Dutronc dans Tricheurs, que sa passion pour le jeu détruit. C’est aussi le cas, dans la réalité, pour Bukowski qui avoue avoir préféré « crever de faim pour avoir du temps libre et écrire ». Il ajoute peu après : « Plus je pense à l’humanité, moins je désire y penser. » Vallejo lui-même ne cesse d’évoquer son désir de mourir et passe son temps, dans un pays où tout se règle par les armes, à provoquer les autres. L’ambiguïté est alors poussée à son paroxysme : l’écrivain désire mourir, râle sans cesse après la musique tonitruante diffusée par la radio dans les taxis, après un type qui siffle dans la rue ou après un autre qu’il prend à parti dans un métro. Il attend la mort libératrice et ne fait que la donner aux autres par l’intermédiaire de son amant tueur.

 

 

Schroeder est documentariste jusque dans la fiction. La violence surgit soudain, qu’il ne semble pas toujours contrôler. C’est le cas lors d’une interview de Bukowski. La compagne du « Vieux dégueulasse », ainsi qu’il se baptisait lui-même dans l’un de ses chefs-d’œuvre, se met à l’asticoter. L’écrivain reste imperturbable mais l’on sent monter sa colère, jusqu’au moment où il commence à donner des coups de pied à sa femme. On entend la voix de Schroeder qui annonce qu’il va éteindre sa caméra mais le mal est fait et la violence a été enregistrée, comme elle l’est aussi dans La vierge des tueurs. Ce réel que le cinéaste veut coûte que coûte saisir peut aller jusqu’au malaise. Ainsi, dans Maîtresse, n’hésite-t-il pas à nous montrer les rituels sado-maso : les fessées, les coups de fouet jusqu’à l’insoutenable et cet homme qui se fait clouer le sexe sur une planche. Schroeder va encore plus loin dans son approche en amenant à son sujet une dimension psychanalytique : Bulle Ogier, la « maîtresse », possède un appartement en duplex. Elle vit dans les pièces du haut et exerce ses talents dans celles du bas, auxquelles elle accède par un escalier caché, comme si elle pénétrait alors dans l’inconscient.

 

 

Si les fictions de Schroeder montrent des aspects très documentarisés, ces documentaires pourraient ressembler à des fictions. Le formidable film qu’il consacre à Idi Amin Dada en 1974 identifie ce dernier à un personnage qui pourrait être issu de l’imagination d’un scénariste. Qui oserait ainsi montrer de telles images, accompagnées d’une musique écrite par un dictateur volontiers qualifié d’ubuesque, d’un chef d’état qui propose à ses ministres un concours de natation dans une piscine ? Tous plongent, et tandis qu’Amin Dada coupe allègrement la route des concurrents, ceux-là ralentissent clairement pour le laisser gagner… et sauver leurs têtes. Le président désigne aussi ses quatre épouses et ses 18 enfants en se vantant : « Je suis un bon tireur ! » Et ce télégramme, envoyé à Julius Nyerere, le président de la Tanzanie ? « Si vous aviez été une femme, je vous aurais épousée mais, comme vous êtes un homme, la question ne se pose pas. » Le film n’est qu’une succession de déclarations à l’emporte-pièce et ce mégalo, tout à la fois sympathique et effrayant, naïf et malin, prêterait à rire si Schroeder n’avait pris soin de montrer les corps nus d’opposants du régime exécutés à la va-vite et jetés dans un camion. Une fois de plus, Schroeder préfère, au jugement, la mise en perspective : « Après un siècle de colonisation, n’est-ce pas une image déformée de nous-mêmes qu’Idi Amin Dada nous renvoie ? »

 

Koko le gorille et Penny Patterson

 

Le gorille et Carol Kane dans The Mafu Cage

 

Koko le gorille qui parle (1978) pourrait également être une fiction. D’ailleurs, les images du film que l’on trouve ici et là, montrant une jeune femme blonde et un gorille, renvoient à ce film de fiction de Karen Arthur, The Mafu Cage (1978), dans lequel la fragile Carol Kane côtoie elle aussi un grand singe. À travers l’histoire de Penny Patterson, une scientifique de l’université de Stanford (Californie) qui a appris à une jeune gorille des rudiments du langage des signes pour communiquer avec elle, Schroeder pose en parallèle à cette histoire étonnante les limites du système. Il ironise même, faisant de Koko « la première gorille blanche, américaine et protestante », véritable WASP. Il ne cache rien non plus des polémiques déclenchées autour de Penny Patterson à propos de l’anthropomorphisme de ses recherches. « Nous ne pouvons pas imposer nos valeurs à un gorille, remarque un directeur de zoo. Il n’est ni bon ni mauvais, c’est un gorille ! » Référence explicite aux séquences où Penny gronde Koko à propos d’une bêtise qu’elle a faite, en lui répétant : « Ce n’est pas bien d’avoir agi ainsi ! »

Documentaires et fictions le prouvent : Barbet Schroeder est un moraliste, pas un moralisateur. Il filme les contradictions de ses personnages, leurs crises de conscience, leur désespoir, leur attrait pour la mort. Le malaise de la société, pas forcément occidentale même si l’Occident a toujours quelque chose à y voir, sert de décor à ses films. Son nouveau documentaire, Le vénérable W — un genre qu’il n’avait plus abordé en long-métrage depuis 2007 et L’avocat de la terreur, sur Jacques Vergès —, a pour sujet un moine bouddhiste birman, leader d’un parti raciste qui s’en prend à la minorité musulmane des Rohingya. Et achève, d’après son auteur, une trilogie du mal commencée avec Général Idi Amin Dada, autoportrait.

Jean-Charles Lemeunier
 
Coffret Barbet Schroeder « Un regard sur le monde », comprenant cinq longs-métrages en Blu-ray et DVD, un documentaire exclusif et de nombreux suppléments, nouvelles restaurations 4K

The Charles Bukowski Tapes en DVD

Disponibles chez Carlotta Films depuis le 26 avril 2017.


« Et au milieu coule une rivière » de Robert Redford : Sans prendre la mouche



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L’expérience est simple. Prenez une personne de votre choix — votre mère, votre sœur, votre épouse, votre copine, votre fille — et parlez-lui d’un film réalisé par Robert Redford et interprété par Brad Pitt et vous verrez aussitôt le regard s’allumer, le teint rosir, la respiration devenir plus intense. Rien n’y fera, vous aurez beau inventer les pires calomnies, elles se pâmeront. Toutes.

Alors, parce que Pathé sort le DVD et le Blu-ray, quand vous vous mettez « enfin » — c’est elles qui le disent — à regarder A River Runs Through It (1992, Et au milieu coule une rivière), le film de Redford interprété par Brad Pitt, vous vous dites que vous allez ricaner, à leur oreille murmurer quelques insanités — il l’a bien fait à celles des chevaux — ou sans doute vous assoupir. Mais finalement, non ! Vous ne prenez pas la mouche à regarder ces histoires de pêche et entrez volontiers dans cette chronique de gens ordinaires du Montana (et c’est bien là le titre de la première réalisation de Redford, Ordinary People, en 1980) que vous vous plaisez à suivre.

 

Il semble bien que, dans le Montana (un état dont Redford n’est pourtant pas natif), le sport national soit donc la pêche à la truite. Le cinéaste s’est basé sur l’autobiographie de Norman Maclean, La rivière du sixième jour, et l’on sait que le formidable Richard Brautigan en a fait le sujet de son premier roman, La pêche à la truite en Amérique, écrit en 1961 et publié six ans plus tard.

Missoula, la ville du Montana où se déroule le récit, a une valeur symbolique. C’est là en effet que de nombreux écrivains sont passés ou ont élu domicile, beaucoup pour enseigner à l’Université du Montana : outre Maclean, on peut citer Richard Brautigan, Raymond Carver, Jim Harrison, James Crumley, Richard Ford, James Welch, Richard Hugo, James Lee Burke, William Kittredge (qui a produit Et au milieu)…

 


Ces gens ordinaires chers à Redford mais aussi à la plupart des écrivains de cette « école du Montana » n’ont, comme le signale Maclean, « pas de ligne claire entre la religion et la pêche à la mouche ». Le film suit le parcours des deux fils du pasteur local (Tom Skerritt), Norman et Paul, joués enfants par Joseph Gordon-Levitt (qui avait alors 11 ans) et Vann Gravage et, adultes, par Craig Sheffer et Brad Pitt. Le père, qui initie ses deux gamins à la pêche, leur fait écouter la rivière. La voix du narrateur (c’est celle de Robert Redford) précise : « La rivière a creusé son lit au moment du grand déluge, elle recouvre les rochers d’un élan surgi de l’origine des temps. Sur certains des rochers, il y a la trace laissée par les gouttes d’une pluie immémoriale. Sous les rochers, il y a les paroles, parfois les paroles sont l’émanation des rochers eux-mêmes. » Cette simplicité, ce bon sens marqué par la religion, est au centre du film, avec la beauté des paysages photographiés par Philippe Rousselot, remercié pour cela par un Oscar — et l’on connaît les partis-pris écologistes de Redford. Malgré tout, la description de cette petite communauté présente une partition qui n’est pas sans bémol. Ainsi, cette société de gens charmants est-elle gangrénée par le jeu.

 

Le rythme du film semble suivre le cours de la rivière, tantôt lent et tantôt agité, pris de soubresauts, comme si soudain le scénario était emporté par des rapides avant de reprendre une progression plus normale. Redford insiste sur la connivence entre les personnages, surtout quand ils se retrouvent au bord de la rivière. Alors, le père et ses deux fils n’ont pas besoin de beaucoup se parler pour être au diapason. Et lorsque des intrus se glisseront parmi eux, comme le frère (Stephen Shellen) de la chérie de Norman (Emily Lloyd), le plaisir ne sera plus là. Pourtant, Brad Pitt, le petit frère, continuera d’échapper au grand pour mieux garder ses secrets.

Avec son scénariste Richard Friedenberg, Redford prend plaisir autant à ces emballées – la descente des rapides, la voiture qui fonce dans un tunnel dans le noir total, la boîte où Brad Pitt va jouer – qu’aux instants où le temps semble suspendu. Autant de plaisir à changer de ton et passer de l’humour au drame. Comme si le film avait lui-même deux versants, au même titre que cette famille Maclean dont l’aîné est respectueux des codes et finira par devenir écrivain et dont le cadet est beaucoup plus insouciant, téméraire, en quête de danger. Ce cadet est incarné avec beaucoup de force par Brad Pitt, dont c’était l’un des premiers rôles importants (la même année, il jouait le flic de Cool World, passé dans un monde parallèle peuplé de personnages de cartoons). Un Brad Pitt attachant, séducteur, plombé par un désir inavouable d’un ailleurs qu’il ne peut atteindre. Curieusement, pour nous spectateurs d’aujourd’hui, c’est ce quotidien baigné de lumière et de verdure, coloré de sépia par le temps — l’action se déroule dans les années vingt et trente — qui nous semble un ailleurs disparu, un paradis perdu digne de Milton.

Jean-Charles Lemeunier

Et au milieu coule une rivière
Année : 1992
Titre original : A River Runs Through It
Origine : Etats-Unis
Réal. : Robert Redford
Scén. : Richard Friedenberg d’après Norman Maclean
Photo : Philippe Rousselot
Musique : Mark Isham
Montage : Robert Estrin
Avec Craig Sheffer, Brad Pitt, Tom Skerritt, Brenda Blethyn, Emily Lloyd, Stephen Shellen, Joseph Gordon-Levitt, Vann Gravage…

Sortie en DVD et Blu-ray chez Pathé le 24 mai 2017 (édition restaurée).

Le film sera également présenté dans la sélection Cannes Classics.


Cannes 2017 :  Belles surprises isolées

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La 70e édition (Photo JCL)

Alors que le palmarès vient de tomber, petit retour sur une 70e édition finalement peu propice aux coups de cœur. Pourtant, où ailleurs qu’ici, sur la Croisette, peut-on attendre avidement et dans la même semaine les derniers films de Michael Haneke, Jacques Doillon, Arnaud Desplechin, David Lynch, Bong Joon-ho, Fatih Akin, Todd Haynes  et de quelques autres pointures, accompagnés de petits nouveaux tels que les frères Safdie ou Yorgos Lanthimos ? Où ailleurs qu’ici peut-on conspuer ces mêmes œuvres, les siffler parce qu’elles sont distribuées par un réseau qui ne les lancera pas dans les salles mais sur les écrans TV ? À Cannes bien sûr qui, depuis quelque 70 années, a su créer un monde à part, une planète cinéma où plus rien n’a plus autant d’importance que le dernier film d’auteur ou que l’émergence d’un jeune cinéaste ? Sauf que, ces dernières années, la réalité a dépassé les fictions présentées et qu’elle s’est imposée de plus en plus fortement sur les tapis rouges.

On ne peut plus oublier, lors de cette 70e édition du festival de Cannes, que nous vivons en état d’urgence. La présence des forces armées, les contrôles incessants, les fouilles des sacs, les passages aux détecteurs de métaux ou sous des portiques sont là pour vous le rappeler sans cesse. Et, comme partout ailleurs, le cœur de la planète cannoise s’est arrêté de battre ce mardi en apprenant la nouvelle de l’attentat de Manchester. À 15 heures, une minute de silence a été décrétée, un silence direz-vous qui n’a plombé que soixante secondes le bruit et la fureur cannoise. Les premiers jours de la manifestation, des projections ont été retardées, essentiellement dans la salle Debussy, parce qu’un sac suspect avait été retrouvé. Ailleurs, avant la projection à la Quinzaine des Réalisateurs du documentaire d’Amos Gitaï sur une possible paix entre Israël et la Palestine, À l’ouest du Jourdain, la salle du Théâtre Croisette est passée au peigne fin par des maîtres-chiens. Bien sûr, cette haute surveillance incessante n’empêcha en rien l’esprit festif de régner ici, comme cela est devenu une habitude.

 

M pendant sa balance, le seul moment où, en se tordant le cou, on pouvait l’apercevoir depuis la Croisette (Photo JCL)

 

Mis à part les films dont nous reparlerons plus tard, quels souvenirs de cette édition anniversaire vont s’accrocher à nos mémoires ? La cérémonie du 70e ? Rien à en dire, n’ayant pas réussi malgré un badge presse, certes au plus bas de l’échelle sociale des valeurs cannoises mais badge presse tout de même, à y être invité. Le concert gratuit de M ? Les organisateurs avaient pris soin de dresser le long de la Croisette des panneaux bleutés derrière lesquels il était impossible de voir quoi que ce soit. Il fallait s’entasser sur une plage en s’y prenant à l’avance pour pouvoir voir le concert ou ne pas y être. Je n’y étais pas. Ces palissades étaient d’autant plus troublantes que, les jours suivants, elles furent enlevées pour que tout le monde puisse se délecter de la délégation de « Paris 2024 » menée par la ministre Laura Flessel, ou d’un concert, très sympathique au demeurant, de musique orientale. Le vrai événement était la prestation de M. Donc, comme tout événement, fait pour susciter des envies et des frustrations.

 

Marion Cotillard et Charlotte Gainsbourg dans « Les fantômes d’Ismaël »

 

Frustrations et déceptions furent donc au programme, ce qui est normal au sein d’un festival aussi riche de titres. Déception devant de grands noms : Arnaud Desplechin, Michael Haneke, Naomi Kawase, Sofia Coppola et Jacques Doillon. Au lieu de se cantonner à son formidable trio amoureux, Les fantômes d’Ismaël se perd dans une histoire parallèle pas très intéressante, celle d’un film dans le film, qui donne lieu à des dérapages éprouvants. Mathieu Amalric et Hippolyte Girardot, deux acteurs que l’on apprécie, se retrouvent en roue libre dans des séquences à la limite du supportable. Quant à l’histoire amoureuse, elle n’aboutit malheureusement à rien de bien original et c’est dommage.

Retrouver le trio Haneke-Trintignant-Huppert augurait une qualité hélas absente de Happy End. Que d’ennui dans cette histoire qui, se voulant sans doute moderne, commence sur des images plutôt irritantes prises à partir d’un iPhone. Le spectateur devient comme le personnage joué par l’immense Jean-Louis Trintignant, avec ce sourire de résignation polie qui ne lâche jamais son visage. Trintignant à qui, tout comme pour Isabelle Huppert, Haneke ne donne pas grand chose à jouer. On est loin du sublime Elle de Paul Verhoeven découvert l’an dernier. On est loin d’Amour, qui valut une Palme d’or méritée au cinéaste autrichien, même si le personnage de Trintignant dans Happy End y fait allusion.

L’ennui est également au cœur du Rodin de Jacques Doillon, sans doute parce que seulement une phrase sur deux y est compréhensible, ce qui força les spectateurs francophones à suivre le film grâce aux sous-titres anglais. Malgré le talent de son interprète masculin, Vincent Lindon, Doillon peine à nous intéresser et pas plus les problèmes de création artistique que les histoires de fesses du sculpteur ne parviennent à capter notre attention. On est très loin du Van Gogh de Pialat, loin aussi des films sur Camille Claudel tournés par Bruno Nuytten et Bruno Dumont.

Un scénario déjà filmé par d’autres, c’est aussi le cas de Sofia Coppola avec The Beguiled (Les proies). Pourquoi, quand on est un auteur (ce qu’est Sofia Coppola, indéniablement), a-t-on envie de tourner le remake d’un film qui, bien que vieux d’une cinquantaine d’années, possède des qualités et un acteur toujours autant bankable (Clint Eastwood) ? Admettons que tout cela voue le projet au doute. La reprise d’un standard de jazz, et ce n’est pas Clint qui vous dira le contraire, doit pour être réussie comporter une véritable mainmise du nouvel interprète, un désir de s’accaparer le titre, de se l’approprier pour le transformer et le rendre plus personnel. Le film de Don Siegel dont s’est inspirée Sofia Coppola était beaucoup plus incisif, osé et cynique. La frustration sexuelle de toutes ces femmes, adultes et adolescentes, qui recueillaient un soldat nordiste blessé pendant la guerre de Sécession était beaucoup plus forte et bien mieux illustrée. Ici, on a l »impression que Sofia Coppola émascule le film (il était également question chez Siegel d’inceste et de viol racial), en fait un objet qui peut être plaisant à voir (à condition de ne pas connaître la précédente version) et diffusable en prime time. Et le jury, bon enfant, lui a attribué un prix de mise en scène.

Nicole Kidman (qui reprend dans Les proies un rôle tenu par Geraldine Page, dont Siegel avait accentué le physique de vieille fille frustrée) retrouve Colin Farrell dans The Killing of a Sacred Deer (Mise à mort du cerf sacré), film beaucoup plus intéressant signé par Yorgos Lanthimos, à la filmo toujours aussi étrange. Là, en revanche, on ne peut qu’applaudir au prix du scénario. La progression assez lente laisse s’installer progressivement un malaise. Comme dans Canine ou The Lobster, on ne saisit pas vraiment dans quelle direction le cinéaste nous entraîne et, à condition d’entrer pleinement dans le film (ce qui fut mon cas), on se laisse guider volontiers dans un scénario fantastique assez effrayant. Avec une mention spéciale pour Barry Keoghan, l’adolescent qui vient perturber la famille.

 

François Ozon et son équipe, à quelques minutes de la présentation de « L’amant double » au palais des festivals (Photo JCL)

 

Tout aussi troublant est L’amant double de François Ozon, adaptation d’un roman de Joyce Carol Oates. Ozon qui se paie le luxe d’un détour vers le cinéma organique de David Cronenberg, avec des personnages (celui joué par l’excellente Myriam Boyer) semblant sortir d’un Polanski. Dans cette histoire perverse de gémellité, on retrouve dans quelques séquences Ozon et ses préoccupations mais le cinéaste nous surprend en changeant une fois de plus de style. Depuis Sitcom, il a toujours aimé flirter avec le fantastique et, à son habitude, s’en sort très bien.

À côté de ces poids lourds, un premier film, justement récompensé par la Caméra d’or, a retenu l’attention du public : Jeune fille de Léonor Serraille, emmené au pas de charge par la géniale Lætitia Dosch. Un film dont il faudra se souvenir et guetter la sortie !

Enfin, un dernier mot sur le film cannois qui m’a fait la plus grosse impression : 12 jours de Raymond Depardon. Dans ce documentaire sur les entretiens entre juges et internés sous contrainte, pour savoir si l’internement doit être ou non prolongé, Depardon nous émeut, interroge, stupéfie. C’est simple, une caméra fixe et des gens qui se parlent, des plans de coupe sur la solitude dans les hôpitaux psychiatriques, et c’est beau et fort. Un des rares films, avec celui d’Amos Gitaï précédemment cité, là encore un documentaire, à susciter de réelles émotions. Comme si, à l’instar de Mallarmé, on se désolait que la chair soit aussi triste, hélas, et que nous ayons vu tous les films, que les nouvelles fictions n’apportent plus grand chose de nouveau et que seule la réalité puisse encore nous révéler des choses sur l’humain. Cette réalité qui, disais-je en début d’article, a aujourd’hui dépassé la fiction.

Jean-Charles Lemeunier


Cadeau pour les amateurs d’exploitation chez Bach Films : Les sentiers de la perdition



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En sortant simultanément le coffret Hollyweed et les deux DVD « Freaksploitation », L’amour parmi les monstres et Terreur à Tiny Town, c’est vraiment un cadeau royal qu’offre Bach Films aux amateurs de cinéma d’exploitation. Plus particulièrement de cette exploitation primitive américaine qui, dès les années trente sous la houlette de Dwain Esper et de quelques autres, a livré des sujets qui ne furent pas contrôlés par les visas de censure habituels. Même sous le très vigilant Code Hays, ces films sortaient dans les campagnes profondes et obtenaient un succès certain.

Hollyweed propose à notre curiosité huit films distribués entre 1933 et 1957. Ils se cachent souvent sous un prétexte plus ou moins discutable : une sorte de mise en garde de la jeunesse contre, principalement, l’attrait des drogues. Outre Dwain Esper dont nous reparlerons plus loin, ces films sont dirigés souvent par de vieux metteurs en scène. Citons Elmer Clifton (Assassin of Youth, 1937) qui a démarré auprès du grand D.W. Griffith ou Louis Gasnier (Reefer Madness, 1936), un Français qui a partagé ses réalisations entre la France (dès 1905 !) et les États-Unis et dont le titre de gloire, chez nous, est d’avoir dirigé la première version du Topaze de Pagnol en 1933, interprétée par Louis Jouvet et Edwige Feuillère.

 

 

Connu sous divers titres — Doped Youth, Tell Your Children —, Reefer Madness est LE film de référence du cinéma d’exploitation des années trente. Et le premier à être devenu culte quelque quarante ans plus tard. Effectivement, tout y est : le ton sentencieux et moralisateur et une description extrémiste des effets de la drogue en question : « Un rire incontrôlable, de dangereuses hallucinations, l’espace s’étend, le temps ralentit… » Cela continue ainsi pendant quelques lignes puisque tout cela est écrit plein écran avant la menace finale : « On sombre enfin dans une folie incurable. » Dans le film, les acteurs et actrices qui tirent sur leurs joints en font des tonnes : ils écarquillent les yeux, éclatent en rires hystériques et convulsifs, font des grimaces. À côté de cela, grâce au cynisme des adultes qui conduisent de gentils étudiants sur les pentes savonneuses de l’addiction, le film s’apprécie à des degrés ultimes avec un procès pour meurtre dont on accuse un innocent et le retournement de situation final.

 

 

Assassin of Youth s’en prend, lui aussi, aux méfaits de la marijuana. Son point de départ est, comme souvent, une héroïne pure et naïve qui va se laisser entraîner. Ici, c’est la jeune Joan (Luana Walters) qui ne pourra hériter de la fortune de sa grand-mère décédée, renversée par une voiture pilotée par des jeunes sous l’influence de marijuana, que si elle a une conduite exemplaire. Nous sommes dans une petite ville où les commères épient le comportement des uns et des autres, dont la farouche Mme Frisbee (Fern Emmett), qui ressemble à la Margaret Hamilton du Magicien d’Oz, où elle incarnait la méchante sorcière de l’Ouest. Cette Mme Frisbee est plus ridicule qu’effrayante, surtout quand elle part de chez elle chaque matin sur un scooter archaïque et qu’elle se prend une pierre et s’étale sous les rires de la jeunesse locale. Donc, Joan doit hériter, ce qui est loin de plaire à sa cousine (Fay McKenzie), par ailleurs dealeuse de drogues. Avec ses deux camps bien marqués, les gentils et les méchants, le film amuse tout autant par sa naïveté affichée et ses bons sentiments à la pelle que par ses faux raccords. Finalement, il conquiert notre attention grâce à deux personnages, amis/ennemis jurés, et à ce qu’ils incarnent. D’un côté le juge (Henry Roquemore), intransigeant, qui condamne Joan pour « turpitudes morales ». De l’autre, Pops, le patron d’un bistrot (Earl Dwire), qui vole au secours de la belle et rappelle au juge une fameuse nuit de 1908, dans une grange, au cours de laquelle il a honoré une jeune fille. Curieusement, le film se transforme en défense de l’amour libre : « Tu n’avais pas tort alors, proclame le vieux Pops, et Joan n’a pas tort non plus ! » C’est par ce genre de séquences, qui brave tous les interdits et fait un pied de nez au bon vieux Code Hays, que ces petits films d’exploitation méritent un large détour et une attention plus que bienveillante.

 

 

Mentionnons encore, parmi les auteurs de ces curieux films, Dorothy Davenport. Cette actrice du muet eut la (mal)chance d’avoir été l’épouse de Wallace Reid, grand jeune premier qui succomba à une overdose en 1923 et suscita l’un des premiers scandales hollywoodiens, avec bien sûr la mort de Virginia Rappe en 1921, dont on accusa le très populaire Fatty Arbuckle. Alors que son époux était complètement accro à la morphine et sur le point d’en crever, Dorothy prit le nom d’artiste de Mrs Wallace Reid et tourna plusieurs films de dénonciation du fléau. Dont The Road to Ruin (1934), qu’elle signe avec Melville Shyer.

The Road to Ruin

 

 

Deuxième du nom après une version muette, réalisée déjà par Dorothy Davenport en 1928 et déjà interprétée par Helen Foster, The Road to Ruin pourrait s’intituler Méfiez-vous fillettes, montrant comment une oie blanche se fait dévergonder. On a tendance à voir dans ce film — et le cultissime Jean-Pierre Bouyxou sacrifie lui aussi à cette lecture dans le bonus — un avertissement aux méfaits de la drogue. Sans doute parce qu’on connaît le parcours de sa réalisatrice et les souffrances causées par l’addiction de son époux. On y voit, certes, Helen Foster griller sa première clope (puis en abuser), boire son premier verre, échanger son premier baiser mais rien ne dit vraiment qu’elle s’adonne à la marijuana, ce qu’expliquent habituellement les commentateurs. On la voit plutôt goûter à « une boisson un peu spéciale » qui n’est sans doute pas de la vitamine.

La force de Dorothy Davenport est de ne jamais nommer les thèmes tabous et pourtant son sujet en regorge. Il est question de sexe, de grossesse sans être passé sous les sacrements du mariage, d’avortement, de MST, sans que rien de tout cela ne soit ouvertement mentionné. Ce qui étonne le spectateur d’aujourd’hui est que les deux héroïnes, Helen Foster et Nell O’Day, surprises en pleine party par la police suite à une plainte de voisins — les fêtards jouaient à un strip-dés avant de se baigner plus ou moins à poil dans une piscine, plutôt moins que plus, d’ailleurs — soient aussitôt cataloguées comme « délinquantes sexuelles ». Bouyxou a raison de remarquer que The Road to Ruin est davantage une mise en garde sincère qu’un film d’exploitation qui, par principe, se situe sur une ligne très étroite entre ce que l’on montre pour effrayer et ce que l’on montre pour émoustiller. Ici, seule la séquence de la party avec le strip tease des joueuses et le bain de minuit pourrait être placée dans le genre. Mais la réalisatrice apporte instantanément un frein à l’excitation. C’est elle-même, dans le rôle de Mrs Merrill, qui dirige la Crime Prevention Division, qui sermonne les jeunes filles coupables de s’être laissées entraîner. Dans cet aspect préventif, The Road to Ruin rejoint un court-métrage tourné par John Ford pendant la guerre, Sex Hygiene, qui met en garde les soldats contre les maladies vénériennes contractées avec des prostituées.

 

 

Restons du côté des cinéastes et délaissons Dorothy Davenport pour Sam Newfield. Lequel prend le nom de Sherman Scott pour Wild Weed (1949, Plaisirs interdits). Avec lui, c’est encore autre chose. Le gaillard affiche à son compteur pas loin de 300 films, tous genres confondus et tournés sous un tas de pseudos différents, avec une flopée de gourmandises à se mettre sous la dent. Une filmo « qui donne le vertige » assuraient Tavernier et Coursodon dans leur 50 ans de cinéma américain. À commencer par les deux titres sortis par Bach Films, Plaisirs interdits et The Terror of Tiny Town (1938, Terreur à Tiny Town), un western entièrement interprété par des nains comme il avait déjà fait l’année précédente Harlem on the Prairie, western uniquement interprété par des Noirs. Sam Newfield, c’est encore des histoires de singes géants (Nabonga, 1944, White Pongo, 1945, où cette fois le gorille est albinos), une dizaine d’aventures de Billy le Kid avec tantôt Buster Crabbe tantôt Bob Steele dans le rôle principal, des folies scientifiques où l’on crée à tour de bras des monstres tous plus moches les uns que les autres quand on ne découvre pas ceux qui sont nés naturellement (The Monster Maker, 1944, The Flying Serpent, 1946)… C’est comme ça tout au long de la carrière de Newfield, de la série Z qui fait plaisir à voir, avec quelques stars qu’on aime bien (telle Rhonda Fleming dans L’île aux serpents, 1947), bref du très recommandable à condition de ne pas être regardant !

Cowboys sur poneys

 

 

The Terror of Tiny Town (1938), un western chantant qui s’ouvre sur un forgeron préparant des fers pour un cheval et qui contient tous les ingrédients de l’épopée de l’ouest classique — des bons et des méchants, un saloon, des cavalcades, des coups de feu, une rivalité entre deux familles, une attaque de diligence —, n’aurait rien de particulier si ce n’était qu’il est entièrement joué par des nains, parcourant des distances à fond la caisse sur des poneys. Produit pour la Columbia par Jed Buell, le film oppose un héros (Billy Curtis, que l’on retrouvera plus tard aux côtés de Clint Eastwood dans L’homme des hautes plaines) et un méchant (Little Billy) et passerait pour un western traditionnel si ce n’était quelques gags récurrents pas très sympas pour les acteurs : quand un cavalier arrive en trombe et attache son cheval à une barrière, il passe ensuite par-dessous et quand un homme entre dans le saloon, il pénètre sans pousser les portes battantes puisque, là encore, il passe au-dessous. Le scénario, qui reprend le thème de Roméo et Juliette (deux familles opposées et les enfants des deux familles tombant amoureux) et de sa version western (The Trail of The Lonesome Pine, plusieurs fois portée à l’écran, la version la plus connue étant due à Henry Hathaway en 1936) est mené sans temps mort et sans qu’on ait le temps de s’ennuyer. Bien sûr, l’exercice a ses limites et voir tous ces personnages lâcher leur dialogue avec de petites voix qui rappelle celles des enfants fait penser à d’autres expériences du genre : n’a-t-on pas vu, avec le court-métrage War Babies (1932, de Charles Lamont), Shirley Temple et quelques autres mouflets incarner une danseuse de bastringue qui amuse des soldats en couche-culottes ? Et dans Bugsy Malone (1976, d’Alan Parker) un casting entièrement enfantin jouer une histoire de gangsters ? Alors, finalement, dans l’esprit hollywoodien, les nains ne sont pas plus choquants et, au moins, le film donne-t-il du boulot à tous ces acteurs de petite taille.

 

 

Avec Wild Weed (1949), intitulé aussi She Shoulda Say No !, Sam Newfield nous tricote vite fait bien fait un petit film très regardable lui aussi. Bien sûr, cette histoire d’une jeune femme (Lila Leeds) qui se laisse entraîner dans la consommation de marijuana nous assène son pesant de morale, que l’on soit ou pas d’accord avec les choix de l’héroïne. Pardon, du personnage principal, cela porte moins à confusion ! « Les jeunes doivent être informés, proclame-t-on à la fin du film. L’ignorance est un péché, le savoir est le pouvoir (…) 75% des consommateurs de marijuana sont des jeunes. Ça pourrait être votre enfant (…) Faites de votre nation un meilleur endroit pour vivre. » Autant les nombreuses séquences nocturnes d’Assassin of Youth, pendant lesquelles on ne voit strictement rien, sont assez pénibles à suivre, autant la bagarre dans l’obscurité de Wild Weed est plutôt bien tournée, avec ce qu’il faut de pénombre pour éviter d’avoir des cascadeurs émérites. À propos des films d’exploitation en général et de celui-ci en particulier, Jean-Pierre Bouyxou prévient : « Ce sont de très mauvais films mais ce qui fait leur génie, c’est qu’ils ne reculent devant rien ! » Il ajoute qu’ils sont aussi « un témoignage sociologique tout à fait fascinant » et on ne peut qu’acquiescer. Que ce soit avec The Terror of Tiny Town ou ce Wild Weed, reconnaissons à Sam Newfield un talent certain. Celui de boucler une histoire en une heure et quelques en toute efficacité. C’est déjà pas mal.

 

 

Dans le coffret, on trouve encore un film américano-suédois, Blonde in Bondage/Blondin i fara (1957, Rien que des blondes, de Robert Brandt), dans lequel on pourra repérer dans le rôle d’une opératrice de téléphone la jolie Anita Strindberg, créditée ici Anita Edberg. Ce journaliste américain (Mark Miller) qui part enquêter en Suède, dont il ne connaît, assume-il, que « Greta Garbo, Ingrid Bergman et Anita Ekberg », découvre là-bas un réseau de drogue et va tout faire pour le stopper. Le personnage ressemble aux héros des films de cette époque, nonchalant et maniant un humour à la Lemmy Caution (Eddie Constantine). Un héros qui d’ailleurs passe son temps, entre deux coups de poing, à se faire embrasser, souvent sans qu’il le cherche, par de jolies Suédoises peu farouches. Le film ne présente pas un grand intérêt si ce n’est la poursuite finale dans une baraque foraine, style maison des horreurs où les escaliers sont truqués, qui vaut bien les bonnes vieilles séries B américaines.

Pleins phares sur le Code

 

Rudolph Valentino

 

Il est temps de faire un peu le point sur l’époque où sont produits ces films. Dans le courant des années vingt, Hollywood s’est retrouvée sous les feux des projecteurs médiatiques après une série de scandales, liés au sexe et à la drogue, et une succession de morts suspectes : les déjà cités Virginia Rappe et Wallace Reid mais aussi le cinéaste William Desmond Taylor, retrouvé assassiné à son domicile, le producteur Thomas Harper Ince qui succombe sur le yacht du magnat de la presse William Randolph Hearst, officiellement d’une appendicite alors que les rumeurs parlent d’une balle et de jalousies. Olive Thomas, 26 ans, meurt d’une overdose. Barbara La Marr, 29 ans, des suites d’une cure d’amaigrissement — version officielle — aggravée par une consommation effrénée de drogues et d’alcool. Alma Rubens, 33 ans, affaiblie par la drogue, meurt d’une pneumonie. Le trépas prématuré de Rudolph Valentino, en 1926, crée dans le pays et dans le monde entier un émoi qu’on a du mal à évaluer aujourd’hui. On l’attribue à un mari jaloux, à un empoisonnement, à des drogues quand les médecins parlent de septicémie due à un ulcère aigu. Lesbienne notoire, l’actrice Alla Nazimova organise de somptueuses fêtes dans sa demeure sur Sunset Blvd, le très convoité Garden of Alla. Toutes ces frasques sont autant de poil à gratter dans le cou des administrations Harding, Coolidge et Hoover. Des cailloux dans leurs godasses. Ancien ministre des Postes, le sénateur républicain Will H. Hays va alors pondre un code de censure qui porte son nom, aussi long et rigide que son visage de croque-mort. Ce fameux Code Hays sera appliqué à partir de 1934 et imposera aux studios une série de « Don’t », c’est-à-dire d’interdictions qui vont figer et corseter les images jusque dans les années soixante. Les plus malins des cinéastes se feront alors un plaisir à glisser des tonnes d’allusions grivoises dans les dialogues et les situations, ce qui fait tout le sel du meilleur cinéma hollywoodien.

La nudité et sa suppression définitive sont bien évidemment au cœur du Code et les historiens ont distingué les films PréCode, plus libres, des films d’après le Code. 1934 étant la date limite, ainsi voit-on encore dans The Scarlet Empress (L’impératrice rouge) de Josef von Sternberg ou dans Tarzan and His Mate (Tarzan et sa compagne) de Cedric Gibbons, tous deux de 1934, des corps nus. Reste alors pour le spectateur/voyeur moyen une seule solution. Celle des films dits d’exploitation, qui ne passent pas sous les fourches caudines de la censure et sont distribués à la va comme je te pousse dans les campagnes profondes à l’abri des regards voyant le mal partout.

Dwain Esper

 

 

C’est dans ce combat du vice et de la vertu qu’émerge la figure de Dwain Esper. Le plus grand intérêt du coffret Hollyweed est qu’il contient trois films du gugusse : Narcotic (1933), Maniac (1934, Sex Maniac) et Marihuana (1936, La reine du narcotique). Ce forain devenu distributeur (entre autres du Freaks de Tod Browning) puis producteur et réalisateur n’y va pas par quatre chemins. Chez lui, rien d’édulcoré. Quand il parle de dope, il y va franco et filme ainsi Harley Wood, la « Blondie » de Marihuana, en train de s’enfoncer une seringue dans la cuisse. Et quand il est question de bain de minuit (toujours dans ce même film), ses actrices sont vraiment à poil et ne jouent pas aux mijaurées comme dans The Road to Ruin où rien n’est aussi explicite que chez Dwain Esper. D’ailleurs, toujours au rayon de la nudité, le Dwain n’en a rien à secouer des injonctions du Code. Fesses, nichons et poils pubiens (vus de loin et de nuit, quand même) sont au programme de Marihuana. Et des seins encore dans Sex Maniac, pour un oui pour un non. Gratuitement. Ce dernier, genre de film d’horreur fauché où l’on aurait pu croiser tout autant Bela Lugosi que Dwight Frye, ne peut même pas se payer ces deux-là et se contente de Bill Woods et de Horace B. Carpenter.

 

 

Et là, on ne peut que vous prévenir. Confortablement installé où vous voulez, apprêtez-vous à voir avec Maniac des images auxquelles le cinéma hollywoodien des années trente ne vous avait pas habitués. Souvenez-vous que nous avons quitté le courant principal (mainstream) et que nous avons plongé, avec l’exploitation, dans un marigot cinématographique où vous vous enfoncez en vous disant : « Pince-moi, je rêve ! » Et à ce jeu de pince-mi et pince-moi, ce n’est pas Dwain Esper qui tombe à l’eau. Ce gars est capable de tout : si un halluciné porte le corps d’une fille, chemin faisant, Esper lui fait baisser son corsage juste comme ça, pour rien. Ou plutôt si : pour qu’un sein apparaisse. Son héros peut énucléer un chat tout aussi gratuitement. Enfin, pour Z qu’ait pu être catalogué ce métrage, qui va chercher quelques sources d’inspiration du côté d’Edgar Allan Poe, force est de reconnaître à Esper la maîtrise de plusieurs séquences. Tel cet homme grimé qui transporte le corps de celui qu’il copie. Ou ce cadavre emmuré dont seul le visage apparaît. Ou cette bagarre de chats dans une morgue. C’est de la haute voltige qui se balade du totalement navrant au génial, le tout sans état d’âme et sans esbroufe.

 

 

Narcotic, le plus ancien des trois films, est sans doute aussi le plus sage, le moins perché. On y voit néanmoins des images très précises de l’usage des drogues avec des prises d’opium, d’héroïne et de cocaïne. Séquences incroyables pour l’époque, qu’on ne reverra que quelque quarante ans plus tard. Bavard et statique, outre les scènes de drogues, Narcotic nous livre aussi quelques beaux plans : l’ombre vue derrière une porte vitrée et la lumière qui soudain, à droite de l’écran, vient éclairer la scène. Ou les prises en contreplongée de personnages. Il faut également mentionner l’acteur qui tient le rôle principal, Harry Cording. Peu connu du grand public malgré une filmo épaisse, Cording incarne à la perfection la déchéance d’un médecin des pauvres qui succombe aux tentations de la drogue. Étonnante aussi est la défense de l’opium par l’ami du docteur, un Chinois joué par le natif du Bronx J. Stuart Blackton Jr. Un film à découvrir lui aussi.

Sœurs siamoises

 

 

En conclusion de ce rapide parcours de l’exploitation présentée par Bach Films, L’amour parmi les monstres ne fait pas partie du coffret Hollyweed mais de la collection « Freaksploitation ». Il est signé par Harry L. Fraser, cinéaste et scénariste (entre autres d’un Rin-Tin-Tin, le chien policier), qui travailla dès 1925 et acheva sa filmographie avec ce Chained for Life (1952, L’amour parmi les monstres). Fraser a surtout essuyé les plâtres — et la poussière sur les bottes — dans pas mal de westerns tournés à la va-vite mais non dénués d’un charme certain. Des films que ne connaissent que les plus érudits des cinéphiles américains et qui ne sont jamais sortis chez nous, à part un ou deux John Wayne première époque. Les stars de Fraser, ce sont Bill Cody, Rex Bell, Harry Carey, Jack Perrin et autres Hoot Gibson, des chevauchées à n’en plus finir, des bons et des méchants, bref rien qui ne puisse passer pour du cinéma dit d’exploitation. 

Qu’est-ce qui pousse alors Harry, après une ultime aventure westernienne en 1949 — Stallion Canyon, interprétée par Ken Curtis, le futur gendre de John Ford — à venir s’intéresser aux sœurs siamoises Daisy et Violet Hilton et, pour le coup, faire le grand saut dans l’exploitation ?

Le genre porte bien son nom car s’il y en a bien deux qui ont été exploitées, ce sont es deux sœurettes, rattachées pour toujours par la hanche. Dans le bonus du DVD, Christophe Bier retrace leur triste parcours. Après quelques succès sur les planches (car elles étaient jolies, avaient une belle voix et étaient musiciennes) et un passage dans le Freaks (1932) de Tod Browning, les siamoises ont vu leur carrière tourner court. En 1952, à l’époque où sort Chained for Life, elles ont tout misé sur l’improbable réussite du film et finissent leur carrière assez misérablement — ce que raconte très bien Christophe Bier. Jusqu’à leur mort, pathétique, de la grippe de Hong-Kong en 1969.

 

 

Le film de Harry Fraser pose un problème moral précis : si l’une des deux siamoises est condamnée, que faire de l’autre qui est innocente ? Et comment laisser dehors une innocente irrémédiablement liée à une coupable ? Mais le cinéma d’exploitation, qui prend souvent pour prétexte des sujets moraux, a une autre idée en ligne de mire : lorsqu’un homme (Mario Laval) épouse l’une des deux sœurs, que se passe-t-il une fois les lumières éteintes ? Le film ne l’illustre pas, certes, mais fait plusieurs allusions et montre — et cela s’est réellement passé pour les sœurs Hilton — que la plupart des états américains refusent de reconnaître le mariage d’une sœur siamoise pour cause de bigamie. La scène la plus cruelle du film réside dans le rêve d’une des deux sœurs : libérée de sa frangine, elle gambade seule dans un jardin. Si bien que le spectateur innocent se demande si, dans la vie civile, les Hilton Sisters ont réussi finalement à être séparées chirurgicalement. Hélas pour elles, Christophe Bier explique qu’il s’agit d’un trucage, que le personnage filmé de loin est une doublure. Quand on voit la jumelle de près, le cinéaste a pris soin de ne faire que des très gros plans, afin de cacher la deuxième.

La cruauté a toujours été partie intégrante du cinéma d’exploitation et elle est loin d’être absente dans tous ces films rapidement esquissés.

Espérons à présent que, comme l’éditeur l’a déjà fait avec le cinéma italien, Bach Films sorte quelques autres de ces petits joyaux. Des œuvres telles que Child Bride (1938), qui parle d’une curieuse coutume des Ozarks avec des adultes ayant le droit d’épouser des gamines de 12 ans, ou Lash of the Penitentes (1936), tous deux signés Harry Revier, sur une secte d’ultra-catholiques aimant se flageller. Il y a réellement de quoi faire et ce serait dommage de s’arrêter en si bon chemin.

Jean-Charles Lemeunier

Coffret Hollyweed édité en DVD par Bach Films avec huit films : Narcotic (1933, Dwain Esper, Vival Sodar’t), The Road to Ruin (1934, Mrs Wallace Reid — Dorothy Davenport —, Melville Shyer), Maniac (1934, Dwain Esper), Marihuana (1936, La reine du narcotique, Dwain Esper), Reefer Madness (1936, Louis Gasnier), Assassin of Youth (1937, Elmer Clifton), Wild Weed (1949, Plaisirs interdits, Sam Newfield sous le nom de Sherman Scott), Blonde in Bondage/Blondin i fara (1957, Rien que des blondes, Robert Brandt).

Terreur à Tiny Town (1938, Sam Newfield) et L’amour parmi les monstres (1952, Harry L. Fraser), édités en DVD dans la collection « Freaksploitation ».

Sortie le 2 mai 2017.

 

 

 


Valley of Stars de Mani Haghighi : Fort en mythes

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Sa dégaine pourrait le faire passer pour un flic américain, d’autant que la voiture jaune sur laquelle il s’appuie — une Chevrolet Impala, assurent les connaisseurs — est stationnée dans un désert. Le type en question, sur la jaquette du DVD Valley of Stars que Blaq Out a sorti au début du mois de juin, chapeau vissé au crâne et regard levé vers le ciel sous ses lunettes de soleil, chemise blanche et cravate, ressemble à ces héros de films américains. De ceux qui ont su adapter les vieilles recettes du passé (polar tarabiscoté) aux cinématographies modernes.

Il faudra pourtant se rendre à l’évidence. Cette « Vallée des étoiles » ne se situe pas dans le désert de Mojave, si connu des cinéphiles, sur ce morceau de Route 66 qui relie la Cité des Anges à celle du péché, Las Vegas. Au moins jusqu’à Barstow puisque, après, elle bifurque vers Bagdad Café. Non, ici, le décor est planté sur l’île de Qeshm, au sud de l’Iran, qui offre au film un environnement fabuleux : un cimetière isolé, un bateau échoué dans la caillasse et un canyon calcaire troué par l’érosion du meilleur effet.

 

 

On l’aura compris, malgré son titre anglais et l’allure du personnage principal, Valley of Stars est un film iranien plongé dans le passé, en 1965 exactement, époque où le premier ministre est assassiné. Avec un scénario dont il n’est pas aisé de démêler d’entrée toutes les fils. Au beau milieu du film, le cinéaste Mani Haghighi apparaît pour transformer un temps ce récit policier plutôt emballant en un documentaire sur la disparition d’un technicien de cinéma. Une façon de faire, où l’on place le spectateur entre documentaire et fiction, où le tournage d’un film précédent devient le sujet du film suivant, qui rejoint le cinéma d’Abbas Kiarostami ou de Mohsen Makhmalbaf (comme dans Un instant d’innocence). Dans la partie documentaire, apparaît même Lili Golestan, traductrice, auteur, directrice de galerie artistique et… mère de Mani Haghighi.

 

 

Valley of Stars va ainsi nous promener dans deux époques différentes, les années soixante et le présent, mettre en valeur la collusion entre les services secrets et la police et, à l’instar des films américains et comme dans les meilleurs suspenses, montrer combien il est difficile d’appréhender rapidement la réalité de la situation. À cette problématique somme toute déjà vue dans nombre de sujets made in USA, Haghighi ajoute son talent personnel : beauté des plans, surréalisme apporté par le bateau, une certaine lenteur, un soupçon de fantastique avec l’histoire du serpent géant gardien des lieux, et des scènes de rupture absolument réussies. On pense à ce passage musical très fort où guimbarde et percussions nous transportent très loin de l’enquête. La séquence de la lettre est elle aussi très belle.

 

 

À ce film original et qui reste jouissif, malgré quelques coups de mou, il faut ajouter la vision du bonus et l’interview du réalisateur Mani Haghighi. Bien que proche de trois des grands créateurs iraniens (Kiarostami, Panahi et Farhadi, dont il a été le scénariste et l’acteur), Haghighi parle de son « regard de biais sur la société iranienne », à la différence des trois cinéastes cités. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans ce film fascinant, avec le passage du passé au présent et l’évocation de deux milieux, celui de la police et celui du cinéma, celui de l’État et celui de l’Art. En outre, Haghighi n’est pas souvent là où on l’attend : il plonge son histoire dans les années où règne le Shah sans qu’il ne soit jamais question ni de lui ni, dans la partie contemporaine, des Gardiens de la révolution pas plus qu’il ne fait aucune allusion à la religion. En préférant évoquer des légendes (celle du cimetière), il se place au niveau du mythe et c’est bien de mythologie dont il est question tout au long de Valley of Stars : outre les croyances locales, celle du cinéma (et le titre avec le mot Stars pourrait aller dans ce sens) est aussi très prégnante. Il est d’ailleurs à noter que le film fut présenté cette année à Berlin sous le titre anglais A Dragon Arrives. Sous un nom ou sous l’autre, voilà un film à découvrir de toute urgence !

Jean-Charles Lemeunier

Valley of Stars
Année : 2016
Origine : Iran
Titre original : Ejdeha Vared Mishavad !
Réal. et scén. : Mani Haghighi
Photo : Hooman Behmanesh
Musique : Christophe Rezai
Montage : Hayedeh Safiyari
Durée : 95 minutes
Avec Amir Jadidi, Ehsan Goodarzi, Homayoun Ghanizadeh, Nader Fallah, Ali Bagheri

Valley of Stars de Mani Haghighi, édité par Blaq Out le 6 juin 2017.


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