Je sais que le jeu de mots est facile dès lors qu’il s’agit de Michel Lemoine, acteur et réalisateur de quelques films érotiques bien troussés dans les années soixante-dix. Alors, oui, avec toutes ces actrices déshabillées, il est vrai qu’on ne saurait faire mentir le dicton et que l’habit ne fait pas Lemoine.

Michel Lemoine ? Le nom mérite un petit récapitulatif. L’acteur fait ses débuts cinématographiques devant la caméra de Sacha Guitry, ce qui n’est déjà pas rien. Parallèlement à une longue carrière théâtrale où il est même la doublure de Gérard Philipe, il devient un jeune premier au cinéma, d’abord en France puis en Italie, au début des années soixante. Avec Le monstre aux yeux verts (1962) de Romano Ferrara, son emploi prend un virage décisif : il est à présent l’interprète idéal de personnages pervers. À partir de 1970, il réalise une série de films érotiques dont certains plutôt bien ficelés, tels Les week-ends maléfiques du comte Zaroff.
Ce film est sorti en DVD/Blu-ray chez Le Chat qui fume qui, pris de passion pour Michel Lemoine, nous offrit sur un plateau un bouquin (Michel Lemoine, gentleman de l’étrange), écrit par Lucas Balbo et Edgard Baltzer, et plusieurs autres titres du gentil monsieur — et le qualificatif est vraiment approprié au vu des interviews présentes dans les suppléments— : Les désaxées (1972), Le manoir aux louves (1973), Les petites saintes y touchent (1974), Tire pas sur mon collant (1978) et Les confidences érotiques d’un lit trop accueillant (1973).

C’est sur ce dernier que l’on va s’arrêter. Pourquoi ? Parce que, dans le casting, on retrouve quelques noms qui ne sont pas habitués à ce genre de productions. À commencer par Michel Le Royer, placé en tête de générique, et que le public de l’époque connaissait pour ces rôles romantiques à la télévision, dans Le chevalier de Maison-Rouge ou Corsaires et flibustiers. Au cinéma, il avait aussi incarné le marquis de La Fayette dans un film de Jean Dréville.

Rien, donc, qui le prédispose à l’érotisme, pas plus que sa partenaire Olga Georges-Picot, qu’on avait jusqu’à présent essentiellement vue chez Stanley Donen, Alain Resnais, Bernard Borderie ou Fred Zinnemann. L’expérience dut lui plaire puisqu’on la retrouvera plus tard dans un Robbe-Grillet et dans un épisode d’Emmanuelle (juste avant un Woody Allen). Autre surprise, la présence de Sacha Briquet, d’ordinaire acteur fétiche de Chabrol.

Les confidences érotiques d’un lit trop accueillant pourrait être tiré du livre de Crébillon fils, Le sopha, conte moral, publié en 1742. Comme dans le film, où l’on cite d’ailleurs Shéhérazade, le récit s’apparente aux 1001 nuits et conte plusieurs histoires érotiques qui se déroulent sur le lit en question.
Bien sûr, ces Confidences apparaissent datées, ne serait-ce que par les vêtements : chemises cintrées et pattes d’éph’ sont ici au rendez-vous. De même que les séquences déshabillées, soft, pourraient aujourd’hui appartenir à un film grand public.

Le charme réside plutôt dans la naïveté et l’humour du propos. La perversité semble résider dans un lit rond, ce qui peut faire sourire à notre époque. L’humour est plus intéressant. L’amour et une partie de flipper sont mis en parallèle. Dans une autre scène, de sa fenêtre, Nathalie Zeiger dit bonjour aux passants, vieilles dames et curé, qui la trouvent « bien élevée ». La caméra grimpe les étages et, le plan suivant, la même scène est vue de l’appartement. Nathalie, penchée à sa fenêtre, a les fesses à l’air.
Dans sa mise en scène, toujours maîtrisée, Michel Lemoine se permet quelques écarts. À la musique d’ascenseur de Guy Bonnet, qui a signé plusieurs partitions pour le cinéaste, Lemoine se permet d’ajouter du jazz et même du classique, avec un extrait de Tannhäuser.

Revenons à présent sur Michel Lemoine lui-même. Dans les suppléments des Week-ends maléfiques du comte Zaroff, le Chat nous avait déjà gratifié d’une excellente interview de l’acteur-réalisateur, dans laquelle il montrait sa gentillesse et sa modestie. Nous le retrouvons dans un bonus de Confidences interviewé par François Cognard et, là encore, ce moment est passionnant pour n’importe quel amateur de cinéma. Outre ses débuts, Lemoine évoque un western tourné avec Robert Hossein et Michèle Mercier en Espagne. Au même endroit, se trouvaient également Brigitte Bardot et Sean Connery (pour Shalako d’Edward Dmytryk) et Michael Caine. Lemoine multiplie les anecdotes, prouve qu’il est cinéphile et qu’il réfléchit à son travail. Ce travail, il le qualifie d’un simple adjectif : série B. Et ce mordu de cinéma sait très bien la tendresse qui lie les amateurs à cette deuxième lettre de l’alphabet, pour eux tout aussi importante voire plus que la première.
Jean-Charles Lemeunier