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« Caltiki, le monstre immortel » de Riccardo Freda et Mario Bava : Chaînon manquant

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L’intérêt majeur de Caltiki il mostro immortale (Caltiki, le monstre immortel, 1959), qu’Artus ressort en DVD et Blu-ray dans une superbe version agrémentée d’un livret de Christian Lucas, ne réside pas tant dans son sujet, inspiré par le film américain The Blob sorti l’année précédente, mais bien dans la personnalité de ses deux auteurs, Riccardo Freda et Mario Bava, et par le coup d’envoi donné par ces deux maîtres au grand courant italien des films fantastiques et d’épouvante.

C’est en effet à cette époque-là que le cinéma populaire italien, qui a toujours aimé flirter avec des genres aussi différents que le mélodrame, la comédie, le film de cape et d’épée ou le péplum, va se mettre à calquer tout ce qui marche et qui provient de l’extérieur : le gothique anglais, l’espionnage à la James Bond, la SF, le western, etc. Mais en y mettant à chaque fois une spécificité et un talent typiques de la péninsule. Au cours des années soixante, des cinéastes tels que Freda, Bava, Antonio Margheriti, Sergio Leone ou Sergio Corbucci, pour n’en citer que quelques-uns, s’emparent de ces genres et les transfigurent. Jusqu’à créer de nouveaux styles, de nouveaux genres (tel que le giallo) qui, à leur tout, seront repris dans d’autres pays.

Caltiki s’ouvre sur la cité maya de Tikal, dont une voix-off s’interroge sur l’abandon en 607 après J.-C. Une guerre ? Mais ce peuple était puissant. Un cataclysme ? Non, c’est à cause de la déesse toute puissante Caltiki. Le style italien dont il était question plus haut doit toujours faire preuve d’idées tant ses moyens sont limités. Ainsi Mario Bava, responsable de la photographie et des effets spéciaux, utilise des maquettes, alterne les décors et les prises de vues en extérieurs et est capable de signer de fantastiques images stylisées : comme lorsque Arturo Dominici traverse hagard la jungle pour retrouver un campement d’archéologues d’où il est parti. L’acteur est isolé, dans un studio sans décor, avec seulement une lumière qui l’éclaire par derrière. L’effet est assez fort et il est dommage que Bava, par la suite, ne reprenne pas ce genre de tentatives visuelles, mettant tout son talent dans l’animation du monstre.

Car, c’est une évidence puisque le titre lui-même l’annonce, un monstre va surgir. Pour l’instant, on sait juste que Dominici a été le témoin d’une chose atroce qui l’a mis dans un état proche de l’Ohio. Mais où est passé celui avec qui il était parti ? Les archéologues décident donc d’aller fouiller à Tikal la grotte que les deux hommes ont explorée.

Le scénario de Filippo Sanjust (qui avait signé trois ans auparavant la version de Riccardo Freda de l’histoire de Béatrice Cenci dans Le château des amants maudits) ne brille pas par son originalité et comporte sa dose de naïveté qui rendent aujourd’hui ces films si attachants. Il mélange un peu tout, aventures dans la jungle, rivalité amoureuse, archéologie, danse lascive, incompréhension policière, expérimentation scientifique et entité caoutchouteuse, dans un joyeux cocktail pas du tout indigeste, même si pas assez pimenté.

Une fois de plus, c’est dans les détails que le spectateur va, à plusieurs reprises, trouver son ravissement. D’abord avec le cenote (sorte de mare profonde) dans lequel un archéologue va plonger et ce qu’il découvre. Puis avec le monstre lui-même et la façon qu’il a d’ingurgiter ce qui passe à sa portée : voir comment le gluant fait place à une peau aspirée d’où ressort le squelette est plutôt jouissif.

L’autre avantage des films de science-fiction ou d’épouvante est de mettre l’accent sur les inquiétudes de l’époque. Et, en 1959, elle est nucléaire, l’inquiétude. Car le monstre fait grimper aussi sûrement un compteur Geiger que Marilyn Monroe l’émotion d’un partenaire. La bestiole est radioactive, goddam ! Les bombes de Hiroshima et Nagasaki sont encore fortement inscrites dans les esprits et les scientifiques n’ont pas bonne presse. Comme le chante alors Boris Vian, ces fameux bricoleurs qui font en amateurs des bombes atomiques sont prêts à tout et ce ne sont pas les films contemporains de Jack Arnold qui diront le contraire. Pour lutter contre la faim dans le monde ou faire des essais nucléaires, les scientifiques sont capables d’agrandir les araignées (Tarantula) ou rapetisser les gens (L’homme qui rétrécit). Caltiki ressemble à un sujet de Jack Arnold. Parce qu’il prélève un échantillon de la créature pour l’étudier, le biologiste qui faisait partie de l’expédition (John Merivale) va devenir celui par qui les problèmes arrivent.

Bon, il y a donc cette créature qui ressemble, vue de loin, à une gigantesque paille de fer et qui prête aujourd’hui plus à sourire qu’autre chose. Parallèlement au grossissement de la bestiole, les humains deviennent de plus en plus méchants (c’est le cas d’un des membres de l’expédition, qui a été mordu) ou allergiques à l’intelligence (les flics qui ralentissent le scientifique).

On comprendra que Caltiki ne va plus aujourd’hui nous faire frissonner d’effroi mais devenir ce chaînon jusqu’à présent manquant entre la SF américaine des années cinquante et l’horreur à l’italienne, telle qu’elle va commencer à exister dès la décennie suivante.

À noter que, pour les spectateurs de l’époque, le générique semblait être celui d’un film anglo-saxon : outre l’acteur canadien John Merivale, il indiquait comme réalisateur un certain Robert Hamton, ce qui, d’ailleurs, était une faute d’orthographe inscrite à l’écran car Freda avait déjà utilisé à maintes reprises le pseudo de Robert Hampton.

Jean-Charles Lemeunier

Caltiki, le monstre immortel
Année : 1959
Titre original : Caltiki il mostro immortale
Origine : Italie
Réal. : Robert Hamton (Riccardo Freda)
Scén. : Filippo Sanjust
Photo : Mario Bava
Musique : Roberto Nicolosi et Bruno Vailati
Montage : Salvatore Billitteri
Durée : 76 min
Avec Philip Merivale, Didi Perego, Gérard Herter, Daniela Rocca, Giacomo Rossi-Stuart, Daniele Vargas, Arturo Dominici…

Sortie en combo DVD/Blu-ray + livret par Artus Films le 19 avril 2022.


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