Bien sûr, on pourrait remonter loin. Aux Dents de la mer, of course, mais plus loin encore à Moby Dick. Il y a de cela, dans Alligator et sa suite, deux films de 1980 et 1991, que Carlotta relâche dans les bayous cinéphiles ce 7 mars, pour la première fois en Blu-ray et 4K UHD. La poursuite métaphysique d’un animal monstrueux, symbolique du combat entre le Bien et le Mal. Combat qui se complique ici puisque le croco (enfin l’alligator), après s’être délecté de victimes innocentes, dont un gamin (horreur), va se mettre sous la dent les méchants du film et le rendre quasiment sympathique.

Car sympathique, le premier film, signé Lewis Teague et écrit par l’intéressant John Sayles, l’est aussi — le second film étant juste, à peu de choses près, une resucée du premier scénario. John Sayles dont on ne peut que saluer la double personnalité : auteur de Piranhas et Hurlements pour Joe Dante et de cet Incroyable Alligator pour Lewis Teague, il est également réalisateur de films très personnels, tels City of Hope, Lone Star ou Limbo.

On ne s’étonnera alors pas de l’ironie qui court dans le film, ajoutée à l’efficacité des séquences. Le ton est malgré tout à la comédie, une comédie qui n’écarte aucun effet gore. Ainsi, alors que la caméra devient subjective, on ne sait jamais si elle remplace le regard de Robert Forster — l’acteur de Jackie Brown, qui joue ici le flic à la recherche du gros lézard carnivore — ou l’alligator lui-même. Frissons garantis.

L’Incroyable Alligator oscille ainsi entre plusieurs chemins à prendre : le petit film d’horreur bien troussé, la comédie potache, une série B avec ses vedettes — et l’on se réjouit des apparitions de Henry Silva en chasseur d’alligators et de Dean Jagger en industriel maléfique — et le film d’auteur (par intermittence) qui dénonce les travers de la société américaine. Ainsi, une énorme bestiole, supérieure en taille à son espèce, terrorise une ville et certains en profitent pour vendre aux passants en manque d’angoisse des crocos en plastique. Qu’importe l’exemple biblique, les marchands du temple sont toujours là ! Ainsi encore, un industriel (Dean Jagger, donc), qui cherche le profit au détriment de ses concitoyens.

Trois ans avant le performant Cujo, que Carlotta a édité en DVD et Blu-ray en 2019, Lewis Teague aiguise déjà son talent avec Alligator. C’est son troisième film — on aimerait bien revoir celui qu’il a tourné juste avant, Du rouge pour un truand, version des aventures de John Dillinger déjà écrite par Sayles — et l’on sent que le cinéaste s’amuse autant que son public à raconter cette invraisemblable légende urbaine : comme quoi, balancés dans les chiottes, les petits crocodiles deviennent énormes et se mettent à bouffer tout ceux qui leur tombent sous les dents.

Sorti onze ans plus tard, Alligator II : The Mutation (Alligator 2 : La Mutation) est écrit par Curt Allen et réalisé par Jon Hess. Le scénario reprend grosso modo la même trame que le premier, avec toujours un méchant industriel (Steve Railsback) qui balance dans les égouts ses produits toxiques. Et qui dit égout dit… alligator, bien sûr (c’est bien, vous suivez). Un flic va vouloir coûte que coûte tenir tête à l’animal, contre l’industriel et le maire qui mange dans la main de celui-ci : il est incarné par Joseph Bologna, plutôt acteur de comédies romantiques que de récits gore.
L’humour est, là encore, au rendez-vous. Ainsi, la femme du héros (Dee Wallace-Stone) lui souhaite-t-elle un bon anniversaire par vidéo interposée. Pour lui dire au revoir, elle lui lance un prémonitoire « See you later, alligator », tiré de la célèbre chanson de Bill Haley et qui va tomber à pic d’ici peu. Car, bien sûr, le croco ne va pas tarder à pointer son museau.

Devant l’insistance de Bologna à supprimer une fête prévue au bord d’un lac, la mairie va faire appel à une bande de chasseurs pro, dirigée par Richard Lynch (qui a vraiment le physique de l’emploi). C’est que les égouts de la ville débouchent directement dans le plan d’eau et que l’animal terrifique peut très bien l’atteindre en deux coups de pattes et trois coups de queue. Il faut bien reconnaître que toutes les séquences au cœur des tunnels des égouts sont angoissantes à souhait.
Ne voulant pas être en reste sur le scénario originel de Sayles, Hess et Allen s’intéressent à la communauté hispanique de la ville, méprisée par les édiles et qui entretient d’excellents rapports avec le flic Bologna. Histoire de donner à leur intrigue une dimension plus sociale et politique.
Jean-Charles Lemeunier
« Alligator 1 et 2 » : sortie par Carlotta Films pour la première fois en Blu-ray et 4K UHD le 7 mars 2023.