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« Agent 077 » et « Chasse à la mafia » chez Artus : Jess Franco, première manière

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Excepté sans doute Alain Petit, auteur du monumental Jess Franco ou les prospérités du bis (publié chez Artus), bien malin qui pourrait se vanter de connaître le cinéaste espagnol sur le bout des doigts. Aussi est-on attentif à chaque annonce d’une nouvelle sortie DVD/Blu-ray. Qui dit mieux ? Artus sort deux films de la période espagnole du légendaire Jesus : La muerte silba un blues (1962 Agent 077, opération Jamaïque ou Agent 077, opération sexy) et Rififi en la ciudad (1963, Chasse à la mafia). Une sorte de Franco première manière qui a peu de choses à voir avec les grands sujets érotico-fantastiques qu’il tournera par la suite. Autant dire qu’on se précipite.

Ces deux films noirs sont tournés en coproduction avec la France, ce qui fait qu’on retrouve Danik Patisson et Georges Rollin, celui de Goupi Mains Rouges, dans le premier, Jean Servais, Robert Manuel et Maria Vincent dans le second. Cette dernière nettement plus habillée que dans La p… sentimentale, tourné en 1958 sous la direction de Jean Gourguet.

La première chose qui saute aux yeux est la maîtrise avec laquelle Franco filme la musique. On le sait féru de jazz et, dans les deux films, il compose de superbes images en noir et blanc accompagnées d’un cool jazz du meilleur effet.

Jess Franco dans le rôle du saxophoniste dans « Agent 077 »

L’ensemble de la mise en scène est de qualité et l’on se rend compte combien Jess Franco, en avançant dans sa carrière, a remisé au placard les cadrages à la Orson Welles qu’il emploie ici — citons entre autres la scène de l’aquarium dans Chasse à la mafia, référence à La Dame de Shanghai — pour utiliser à foison, par la suite, les coups de zoom et autres facéties un peu fatigantes à la longue.

Dans Agent 007 — les distributeurs français de l’époque avaient vraiment de ces idées, imposant un titre débile pour attirer le chaland, James Bond oblige, alors que La mort siffle un blues était si joli —, Franco choisit un scénario alambiqué, avec des retours en arrière, pour une histoire de vengeance sur fond de trafic de drogue. C’est aussi, thématique souvent abordée par les Américains, le combat du héros et d’un petit groupe de pêcheurs contre un méchant tout puissant. Dans son commentaire du film, le critique Stéphane du Mesnildot a raison de remarquer que Franco filme tout ce petit monde, aventurier blanc et pêcheurs noirs, sur un pied d’égalité. Il aurait pu ajouter le couple mixte que le cinéaste montre naturellement, histoire de prouver que les questions de racisme sont complètement hors sujet.

Franco démarre et conclut Agent 007 sur un pont, lieu de passage s’il en est. Façon personnelle de traduire avec force le lien que le cinéma européen peut entretenir avec celui d’outre-Atlantique qu’il cherche tant à retranscrire, voire copier. Ici, l’Espagnol affirme tout à la fois ses influences et sa personnalité, un film noir à l’américaine retravaillé.

Semblablement, le titre original de Chasse à la mafia — le film est aussi connu en France comme Vous souvenez-vous de Paco ? —, Rififi en la ciudad, va tirer les bretelles du Rififi chez les hommes (1955) de Jules Dassin. Sauf que Dassin filme surtout un casse tandis que Franco parle d’un dictateur local (Jean Servais), homme d’affaires véreux qui se lance en politique et que vient contrecarrer, là encore, une histoire de vengeance. vengeance qui, reconnaissons-le, fait également partie du cahier des charges de Du Rififi chez les hommes.

Comme dans Agent 007, le jazz tient ici une grande importance. Il n’est qu’à voir le générique, filmé magistralement par Franco. Les musiciens apparaissent au fur et à mesure que l’on entend leur instrument dans le morceau et disparaissent de la même manière dans l’ombre lorsqu’ils ne jouent plus. Pendant la mélodie — et donc, le générique — une fille place ses pas sur des marques au sol et danse. Une fois de plus, on peut chercher la symbolique dans cette séquence : un cinéaste européen met ses pieds dans les marques du grand cinéma de genre américain et en fait quelque chose de personnel.

Jean Servais et Fernando Fernan Gomez dans « Chasse à la mafia »

Le deuxième titre français, à propos de Paco, nous donne une idée de l’histoire : le dénommé Paco a disparu et son ami, un flic incarné par Fernando Fernan Gomez, va tout faire pour savoir ce qui lui est arrivé, y compris se frotter au patron de la ville qui dirige un cabaret, joué par Jean Servais. Tout au long de ce récit musclé, Franco se livre à des exercices de style, telle cette bagarre dans les escaliers filmée d’en haut ou le commissaire vu en contre-plongée avec un ventilateur au premier plan. Le cinéaste s’amuse aussi des clichés des films américains, surtout ceux des années cinquante. Ainsi ce gangster qui reproche à son copain de trop boire de vodka : « Tu vas devenir communiste », le prévient-il.

Jean Servais dans « Chasse à la mafia »

Les clichés, Franco les bouscule aussi et reprend le même parti-pris d’Agent 007 : filmer sans sourciller un consommateur noir de la boîte de nuit embrasser sur la bouche une blanche. Et tant pis pour le marché américain qui, à n’en pas douter, censurait ce genre de scènes. C’est en cela où Jess Franco est passionnant, par sa manière de toujours se démarquer, toujours n’en faire qu’à sa tête. De même, à un scénario assez classique, il apporte des touches de suspense, comme lorsque Maria Vincent essaie de subtiliser à Servais les clefs de son coffre-fort ou avec ce tueur dont on entend que la voix trafiquée et qui menace ses futures victimes. Rappelons que cette même année 1963, Mario Bava utilise dans l’un des épisodes des Trois visages de la peur des coups de téléphone tout aussi inquiétants.

Le jazz revient en force lorsque Maria Vincent chante dans le cabaret, avec un contrebassiste filmé au premier plan. Moment magique là encore pour un film qui est loin d’en être dépourvu.

Jean-Charles Lemeunier

Deux films sortis en combo Blu-ray/DVD par Artus films le 7 mars 2023.


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