Pour signifier que son nouveau film était une adaptation théâtrale, François Ozon choisit de débuter Mon crime sur un rideau rouge. Lorsqu’il s’ouvre, c’est pour donner non pas sur une scène mais sur une rue. Le passage du théâtre au cinéma est ainsi sobrement indiqué.
On pense alors à la virtuosité que montrait, en 1949, Claude Autant-Lara quand il portait à l’écran Occupe-toi d’Amélie. Lui faisait le contraire : sa caméra partait d’une rue, remontait la façade d’un bâtiment, entrait par la fenêtre, surprenait une conversation et se concentrait sur le mur du fond qui, soudain, s’ouvrait pour nous montrer, vues des coulisses, une scène de théâtre et des spectateurs. Les acteurs s’avançaient vers la scène et le film pouvait démarrer. Dans Amélie, Autant-Lara brouillait les pistes, les spectateurs du théâtre intervenaient dans le déroulement du film et les acteurs du film redevenaient soudain des comédiens qui allaient se reposer dans leurs loges. L’agitation de la pièce de Feydeau prenait corps dans le film et nous enlevait dans un tourbillon d’idées brillantes.

Il ne faut donc pas comparer ce qui est incomparable. Malgré tout, ne pourrait-on reprocher à Ozon un manque de confiance en soi ? Il filme sagement du théâtre de boulevard, se reposant entièrement sur ses acteurs. Et quels acteurs, bien sûr : outre les deux jeunes comédiennes, Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder, citons Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Régis Laspallès, Michel Fau, Évelyne Buyle, Daniel Prévost, Myriam Boyer, Jean-Christophe Bouvet… Et Isabelle Huppert, formidable, grâce à qui le film se réveille quand elle apparaît. Lors de la présentation de Mon crime à Lyon, le réalisateur mentionnait son amour du cinéma des années trente — n’oublions pas que la pièce d’origine, écrite par Louis Verneuil et Georges Berr, date de 1934 — et de ses seconds rôles. Et Luchini tançaient les intellos qui faisaient la fine bouche devant le théâtre de boulevard, pour lui « une voie royale pour les véritables acteurs ». Et d’insister : « Il faut parler de la perfection qu’exige une partition dans le boulevard noble. »

Mon crime, la pièce d’origine, fait-elle partie de ce boulevard noble ? Même si elle fut créée à la scène par Edwige Feuillère, on peut se permettre d’en douter. Luchini citait Lubitsch et Guitry à propos du film, des noms grandioses un peu rapidement jetés en pâture aux spectateurs. Louis Verneuil a pu écrire quelques textes relevés (Le Fauteuil 47, Ma cousine de Varsovie), Georges Berr scénariser quelques films connus encore aujourd’hui (Le Million de René Clair), leurs dialogues dans Mon crime, reconnaissons-le, n’atteignent pas toujours des sommets. Il faudra ainsi déplorer un démarrage assez longuet, lorsque le propriétaire (Franck de Lapersonne) de l’appartement où cohabitent deux amies (Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder) vient réclamer son dû. De même, on regrettera la fadeur du personnage du fiancé de Nadia Tereszkiewicz, joué par Édouard Sulpice, quelque peu sabordé par Verneuil et Berr, qui lui laissent peu de chances de sauver son rôle.

On s’étonnera juste, et c’est sans doute ce qui a retenu l’attention d’Ozon, du propos féministe qui nourrit le récit et qui devait sans doute choquer le public de 1934. C’est là la valeur ajoutée de Mon crime, la raison pour laquelle il faut voir ce film et qui le rend accessible à un public d’aujourd’hui en donnant à entendre des phrases assassines qui résonnent toujours aussi justement près de 90 ans après.
Le film est agréable à suivre et Nadia Tereszkiewicz et Rebecca Marder ont la fraîcheur qui convient à leurs personnages. Une fraîcheur qui dissimule parfaitement la manipulation dont elles sont capables de faire preuve. Quand à Ozon, il semble s’être bien amusé, allant jusqu’à donner le rôle du procureur Maurice Vrai à… Michel Fau.
François Ozon réussit donc un film d’acteurs dont on regrette qu’il ne soit pas aussi un film de cinéaste. Comme pouvait l’être Huit femmes, également tirée d’une pièce de théâtre — et pas forcément, pour reprendre les termes de Fabrice Luchini, du boulevard noble.
Jean-Charles Lemeunier
Mon crime
Année : 2023
Origine : France
Réal et scén. : François Ozon, d’après la pièce de Louis Verneuil et Georges Berr
Photo : Manuel Dacosse
Musique : Philippe Rombi
Montage : Laure Gardette
Durée : 102 min
Avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier, Félix Lefebvre, Édouard Sulpice, Régis Laspallès, Olivier Broche, Michel Fau, Évelyne Buyle, Daniel Prévost, Myriam Boyer, Jean-Christophe Bouvet…
Sortie sur les écrans par Gaumont le 8 mars 2023.