
À n’en pas douter, De grandes espérances, le nouveau film de Sylvain Desclous, a un propos politique. C’est une évidence aussi que sa trame est policière. La force de Sylvain Desclous est que, sur des terres déjà arpentées par les plus grands, il ajoute des respirations, ouvre des parenthèses qui plongent soudain le film dans le plus pur film d’auteur mettant en relief les rapports taiseux entre un père et sa fille. Des moments extraordinaires où se retrouvent face à face les géniaux Marc Barbé et Rebecca Marder. D’autres séquences sont tout aussi fortes, lorsque Rebecca et la députée qu’elle assiste (Emmanuelle Bercot, également formidable) rencontrent les ouvriers d’une usine mise à mal par le patron.

Issue d’un milieu populaire (elle dit être née à Vénissieux, dans la banlieue lyonnaise), Madeleine (Rebecca Marder) est une jeune femme brillante qui, sortant de Sciences Po Lyon, va tenter l’ENA avec son compagnon, Antoine (Benjamin Lavernhe, qui incarne à la perfection la lâcheté). La route vers la réussite semble tracée toute droite pour les deux tourtereaux s’il n’advenait sur le lieu de leur vacances un drame qui va bouleverser leurs deux existences.

Madeleine est très à gauche et donne parfois des leçons à la députée qui, on le comprend, fut un temps ministre du Travail dans un gouvernement socialiste. Ces intéressantes discussions politiques, également à l’œuvre dès lors qu’il est question de l’usine en faillite, ponctuent donc ce récit à la fois policier et humain.
Venus présenter De grandes espérances à Lyon avec Rebecca Marder, Sylvain Desclous expliquait : « L’idée m’est venue d’une mésaventure qui m’est arrivée en Corse. Je fus tellement dans un état de sidération/humiliation que je me suis dit que je tenais peut-être le début d’un film. Avec la trajectoire de cette jeune femme fortement politisée, militante convaincue qui a envie de changer le monde et le rendre meilleur, j’avais un fond politique qui me faisait envie. »

Et puisque Madeleine, ainsi que le souligne son réalisateur, est quelqu’un de convaincue, son interprète le fut tout autant à la lecture du scénario. « J’avais déjà vu Vendeur, le film de Sylvain, et je trouvais, dans le scénario de De grandes espérances, des dialogues très subtils, tels ceux de la scène amoureuse dans le café, et parfaitement écrits. C’était un texte qui ne prenait pas le spectateur pour un idiot. »
Rebecca ajoutait : « L’inversion des rapports est intéressante, avec ce garçon qui est enfermé dans des carcans et qui, par dépit amoureux, devient lâche, tandis que Madeleine est un personnage féminin haut en couleurs… et en noirceur ! »

Autant Madeleine est taiseuse, autant son interprète est enjouée, toujours prête à rire. Elle remarquait ainsi, devant un public composé de beaucoup d’étudiants de Sciences Po : « C’est la troisième fois que je joue une étudiante de Sciences Po. Je dois paraître plus intelligente que je ne suis. »
Interrogé sur le message politique de son film, Sylvain Desclous affirmait qu’il croyait encore à la lutte des classes et qu’il aimait quand David gagnait contre Goliath. « La vraie question qui est posée est de savoir si un idéal, même le plus noble, vaut qu’on se salisse les mains. Comme dans n’importe quel métier, la classe politique a ses cœurs purs et d’autres pour qui l’ambition personnelle passe avant. »

Enfin, ultime clin d’œil du film : dans le rôle du ministre du Travail assez pitoyable face aux salariés de l’usine, les plus perspicaces reconnaîtront Thomas Thévenoud, ce député socialiste épinglé pour cause de « phobie administrative ». No comment.
Jean-Charles Lemeunier
De grandes espérances
Année : 2023
Origine : France
Réal. : Sylvain Desclous
Scén. : Sylvain Desclous, Pierre-Erwan Guillaume
Photo : Julien Hirsch
Musique : Florencia Di Concilio
Montage : Isabelle Poudevigne
Durée : 105 min
Avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Marc barbé, Pascal Elso, Jean-Emmanuel Pagni, Thomas Thévenoud…
Sortie en salles par The Jokers le 22 mars 2023.