Artus Films fait partie de ces éditeurs qui, à la manière des géographes aventuriers des temps anciens, parcourent les terres inconnues du cinéma afin d’en dresser une cartographie plus précise. C’est ainsi qu’il offre aux néophytes deux fleurons d’un sous-sous-genre baptisé par les Anglo-Saxons WIP pour Women in Prison. Deux films aux titres français comparables et qui pourtant, nous explique dans les bonus des deux galettes le savantissime Christophe Bier, ont été tournés la même année (1980), par le même cinéaste — Edoardo Mulargia, sous les pseudos d’Edward G. Muller et Tony Moore —, dans le même lieu (une réserve naturelle au bord du Tibre), avec les mêmes acteurs et ne sont pourtant pas la suite l’un de l’autre. Il y a d’abord Femmine infernali (Les Évadées du camp d’amour), puis Orinoco, prigionere del sesso (Les Tortionnaires du camp d’amour ou La Fin des tortionnaires du camp d’amour n.2). Tous les deux sont présentés dans de très beaux combos DVD/Blu-ray.

Que proposent les films WIP ? Tout d’abord, de jolies femmes incarcérées, soit dans une vraie prison soit dans un camp exotique à se crever de fatigue à des travaux forcés. Mulargia — dont on avait célébré dans ces mêmes colonnes un film plus ancien, Tropique du cancer — choisit la seconde thématique et, pour bien remplir son cahier des charges, nous fournit son lot de séquences attendues : les douches, les échanges saphiques et la brutalité sadique des gardiens… et ici d’une gardienne (Gota Gobert, connue aussi sous le nom d’Agota Gobertina). Pour satisfaire sa clientèle, Mulargia ajoute plusieurs scènes érotiques entre deux prisonnières ou un gardien et une prisonnière ou, curieusement, celle où Ajita Wilson, l’une des internées, se tortille nue devant la caméra et qui n’a rien à voir avec le moment où cette danse est intégrée. Tous ces instants ne servent bien sûr pas l’intrigue et se révèlent aujourd’hui assez inutiles, l’érotisme des tenues (de simples tuniques sur les corps nus, la plupart du temps largement ouvertes) suffisant amplement. Il faut d’ailleurs remarquer que Les Évadées contient davantage de ces scènes que Les Tortionnaires et que le scénario du second, avec des révolutionnaires menés par Anthony Steffen qui veulent s’emparer du camp et libérer les prisonnières, est beaucoup plus abouti. Le premier film est plutôt, mis à part tous les ingrédients du WIP, une histoire de rédemption. Steffen incarne un médecin alcoolique et désespéré qui, à la toute fin, va se décider à réagir.

Malgré des sujets assez convenus finalement, les deux films sont loin d’être bâclés et Mulargia parvient même, à force de vêtements détrempés par la sueur, à nous faire prendre le Tibre pour l’Amazone. C’est d’autant plus vrai dans Les Tortionnaires lorsque le bateau du personnage qui donne son nom au titre original, Orinoco (Stelio Candelli), parcourt le lit boueux d’un large fleuve. Alors qu’il ne le fait pas dans Les Tortionnaires, Mulargia utilise aussi beaucoup la faune tropicale pour Les Évadées. Passons immédiatement à la trappe la première séquence, assez ridicule, dans laquelle apparaît le nouveau directeur du camp, incarné par l’excellent Luciano Pigozzi, également connu sous le pseudo d’Alan Collins. Du bout d’un bâton, il titille une grosse mygale en caoutchouc qu’il pousse afin de faire croire qu’elle avance. Au contraire, beaucoup plus impressionnantes sont toutes les séquences mettant en scène des serpents, gros et petits, et on ne peut que saluer le courage des actrices d’avoir supporté ces vrais reptiles glissant sur leur peau nue. Comme lorsqu’une est enterrée jusqu’au cou et se voit soudain étreindre par un ophidien. Ou celle qui, menacée par une autre de ces bestioles tenue par un gardien, lui croque carrément la tête. Bien sûr, les films de jungle et de cannibales de Deodato sont contemporains et tout pense à croire qu’il pouvait exister entre les cinéastes italiens une sorte de surenchère, à savoir aller toujours plus loin.

Autre bon point pour Mulargia, c’est la colère et le dégoût qui prend le spectateur à la vision des sévices infligés par les gardiens. Viols, coups de fouet, coups de poing et de pied, crucifixions, injustices flagrantes, meurtres, rien n’est épargné aux pauvres femmes séquestrées et les acteurs incarnant ces militaires jouent leurs rôles de bourreaux à la perfection. Mais, entend-on également dans Les évadées, dans la bouche du médecin parlant à une détenue : « Vous n’êtes par martyres, vous avez fait aussi usage de la violence. Le monde est une porcherie et ce n’est pas moi qui vais le nettoyer ! »
Est encore réussi, dans Les Évadées, le passage où les filles, aidées par un produit fourni par le médecin, simulent la peste et se mettent à vomir un peu partout. C’est ainsi qu’on peut dire que le premier film est supérieur pour l’ambiance qu’il donne d’un camp de prisonnières, le second pour un scénario un peu plus abouti.

Pour le casting, outre les déjà mentionnés Anthony Steffen et Luciano Pigozzi, citons encore Luciano Rossi qui incarne le tout aussi pervers directeur du camp dans Les Tortionnaires. Côté féminin, la sculpturale Ajita Wilson — la plus célèbre des transsexuelles de l’époque — se taille la part du lion (de la lionne, plutôt). Avec ses partenaires Cristina Lay mais aussi Cintia Lodetti, Zaira Zoccheddu ou Yael Forti, elles forment une séduisante équipe de choc, toutes à la fois fortes et fragiles.

Entendons-nous. Il ne s’agit pas ici de rivaliser avec les chefs-d’œuvre du cinéma italien. Ces films de genre étaient produits pour attirer un public avide de sensations fortes. Plus tard, les cinéphiles s’en sont emparés, trouvant là matière à réflexion, à comparaison, à adoration. N’est-on pas toujours heureux, lorsqu’on cherche à découvrir toujours autre chose, de fouler des terres jusque là inconnues ? Elles le seront un peu moins désormais et c’est tant mieux.
Jean-Charles Lemeunier
« Les Évadées du camp d’amour » et « Les Tortionnaires du camp d’amour », deux films d’Edoardo Mulargia, sortis en combos DVD/Blu-ray chez Artus Films le 4 avril 2023.