Poursuivant son exploration du cinéma classique hollywoodien, Elephant livre à notre appétit, dans un nouveau master restauré HD, The Climax (1944) de George Waggner, rebaptisé en français La Passion du Docteur Hohner. Un film qu’on a du mal à définir, parce qu’il n’est pas franchement horrifique, malgré la présence de Boris Karloff et la signature du studio Universal, mais qui enveloppe néanmoins son scénario d’une atmosphère particulière, assez envoutante et totalement irréelle. Il faut dire que l’histoire se déroule au sein d’un opéra que les décorateurs, Russell Gausman et Ira Webb, ont pris soin de transformer en bonbonnière. Le rose est ici dominant, dans les costumes des cantatrices et les éléments de décor.

Décors et costumes sont d’ailleurs opulents dans La Passion du Docteur Hohner et l’on peut se dire que, d’ordinaire habitué aux séries B, George Waggner se la joue richard, ici. Alors, on admire la maison où vit le Dr Hohner, l’opéra et les spectacles qui y sont montés.
Un mot sur le scénario, inspiré d’une pièce de théâtre d’Edward Locke dont a déjà été tiré un film en 1930. Son principal auteur est Curt Siodmak, personnalité fascinante du cinéma d’abord allemand puis américain. Figurant dans le Métropolis (1926) de Fritz Lang, romancier, il devient en 1930 le scénariste, avec Billy Wilder et Fred Zinnemann, des Hommes le dimanche, que réalisent à Berlin son frère Robert Siodmak et Edgar G. Ulmer. Autant dire le futur gratin des studios américains, tout ce petit monde ayant fui le nazisme pour se retrouver sur la côte californienne. Une fois là, Curt Siodmak écrira quantité d’aventures de singes tueurs, d’hommes ou femmes invisibles, de loup-garous, de Dracula, de Frankenstein, de zombies, de bêtes à cinq doigts, soit le fleuron de la série B. Il deviendra à son tour réalisateur mais l’on se souvient aussi de lui pour son roman Donovan’s Brain (Le Cerveau du nabab).

Dans La Passion du Docteur Hohner, ce n’est pas un cerveau mais une voix qui pose problème. Hohner est le médecin attitré de l’opéra, qui surveille les fluctuations des voix des chanteurs. Incarné par Boris Karloff, le personnage possède cette classe britannique dont l’acteur, enfermé dans le rôle de Frankenstein mais aussi de méchants Chinois, Arabes ou Indiens, ne put que rarement se prévaloir à l’écran.
Hohner est amoureux de Marcellina (June Vincent), diva vedette de l’opéra. Dès la première séquence, le médecin reproche sa carrière à sa bienaimée (« Je hais ce qu’il y a entre nous : ta voix ! ») et l’étrangle. Voilà, ça s’est fait, l’histoire ne perd pas de temps et l’on peut passer à la suite. La suite étant justement qu’une jeune femme (Susanna Foster), vingt ans après, a la même voix que Marcellina et que Hohner, troublé, va tout faire pour ne plus l’entendre.

Le climax, titre original de l’œuvre, signifie l’apogée et, en termes cinématographiques, il évoque le moment de tension d’un film. Qui arrive lors d’une séquence d’hypnotisme plutôt prenante. Malheureusement, il faut aussi se taper plusieurs séances chantées qui, les cinéphiles le savent bien, sont souvent la partie faible et mièvre des bons films, que ce soit des comédies (on l’a vu dans la plupart des films des Marx Brothers) ou des drames. Mièvre est bien le mot qui convient au couple formé par Susanna Foster et Turhan Bey. Fort heureusement, Waggner a aussi fait appel à Thomas Gomez pour incarner le directeur de l’opéra et, surtout, à Gale Sondergaard pour jouer la femme de chambre du méchant docteur.

C’est donc sur ce méchant docteur que se braque l’attention du scénario et des spectateurs. On l’a dit, Karloff a de la classe mais aussi un regard des plus inquiétants. Il n’a pas besoin de bouger, ses yeux suffisent, d’autant qu’il est doué dans le film d’un pouvoir hypnotique.
Dans le bonus, Eddy Moine rappelle que le film devait être au départ une suite du Fantôme de l’opéra d’Arthur Lubin, qu’avait produit George Waggner l’année précédente. Le projet tomba à l’eau mais Waggner put garder l’actrice principale (Susanna Foster), le musicien (Edward Ward), les deux chefs op’ (W. Howard Greene et Hal Mohr), les mêmes directeurs artistiques et décorateurs (Alexander Golitzen, John B. Goodman, Russell Gausman et Ira Webb), le même monteur (Russell Schoengarth), le même maquilleur (Jack Pierce, qui avait déjà transformé Karloff en créature de Frankenstein) et, évidemment, le même studio (Universal). Le cinéaste conserva également le lieu de l’action, l’opéra, et l’idée d’un fou amoureux d’une cantatrice et le tour était joué.
Jean-Charles Lemeunier
La Passion du Docteur Hohner
Année : 1944
Titre original : The Climax
Origine : États-Unis
Réal. : George Waggner
Scén. : Curt Siodmak, Lynn Starling, George Waggner d’après Edward Locke
Photo : W. Howard Greene, Hal Mohr
Musique : Edward Ward
Montage : Russell F. Schoengarth
Maquillage : Jack Pierce
Prod. : Universal
Durée : 82 min
Avec Boris Karloff, Susanna Foster, Turhan Bey, Gale Sondergaard, Thomas Gomez, June Vincent…
Sortie en combo DVD/Blu-ray par Elephant Films le 11 avril 2023.