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« Cockfighter » de Monte Hellman : Alter Ergot

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Acteur fétiche de Sam Peckinpah et de Monte Hellman, le fabuleux Warren Oates porte la perdition sur son visage. Il incarne très souvent un loser, ce que ne parvient jamais à cacher son sourire carnassier. Il est au centre de Cockfighter, une rareté du mythique Monte Hellman que Carlotta ressort en Blu-ray. Le film date de 1974, la même année où Oates tourne ce qui est sans aucun doute son chef-d’œuvre, Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia de Peckinpah.

Warren Oates et Harry Dean Stanton

Adaptant un roman de Charles Willeford — lequel, outre l’écriture du scénario, apparaît dans le rôle d’un arbitre —, Hellman nous plonge dans l’univers cruel et fermé des combats de coqs. Âmes sensibles s’abstenir. Tout ce petit monde — outre Oates, on reconnaît également Harry Dean Stanton — se retrouve chaque fois qu’un match est organisé et il faut bien préciser que, dans ce genre de compétition, seul le vainqueur ressort vivant… et encore.

Warren Oates

La cruauté est au cœur de cette activité et Frank, le personnage joué par Warren Oates, s’est blindé pour pouvoir la supporter, au point d’agir comme un mufle (il vend sa copine en même temps que sa voiture et sa caravane), un salaud (il fait expulser de sa maison sa famille), un inconscient. Tellement dans sa passion du combat de coqs, il ne se rend pas compte qu’il court des risques en invitant la fille qu’il aime à l’admirer dans ses hautes œuvres.

Cockfighter raconte une déchéance et, idée géniale, Hellman et Willeford poussent Frank vers un pari stupide : ne plus parler jusqu’à ce qu’il regagne un combat. Ce qui nous donne un Warren Oates agitant les doigts ou faisant des mimiques pour signifier les choses, ce dont personne ne semble s’offusquer, vu qu’on lui reprochait d’avoir « une trop grande gueule ». Frank s’enfonce dans une sorte de désespoir contrôlé, dû surtout à un échec sentimental. Il se comporte comme le volatile qu’il élève, dressé souvent sur ses ergots, alors qu’il sait parfaitement que le cerveau de la bestiole se pèse en grammes.

Hellman suit son personnage sans sentimentalité aucune. La dureté est au centre de tout : des combats eux-mêmes et des agissements de Frank, dont on dit qu’il a « un cœur de pierre ». Sa copine lui reproche aussi de ne pas savoir se maîtriser lorsqu’il est avec ses coqs et le compare à l’un de leurs copains de classe. Alors qu’il levait la main depuis longtemps et que le prof refusait de le laisser sortir, le type s’était finalement levé pour pisser contre le mur. Renvoyé de l’école, il s’était suicidé.

Warren Oates et Patricia Pearcy

C’est de cette Amérique-là dont Hellman veut parler, celle des perdants magnifiques, pour reprendre le titre d’un bouquin de Leonard Cohen. Des gars qui refusent d’admettre qu’ils se trompent ou qui trouvent leur content dans une activité qui répugne à la plupart de leurs concitoyens (en tout cas, elle répugne à la copine de Frank). Des types aussi qui, dans la pire des déveines, restent optimistes et savent qu’ils pourront rebondir, dussent-ils y perdre quelques plumes en même temps que celles des poulets qu’ils font combattre.

Cockfighter est en outre une sorte de documentaire sur un milieu totalement méconnu. On y apprend les règles des combats (ne jamais pousser les coqs, ne pas les exciter par des moyens illégaux) et les aléas (un braquage, un match truqué sur un sol glissant). Règles parfois poussées à l’absurde, comme lorsque les deux volatiles sont morts et que l’arbitre veut néanmoins poursuivre le match. On y rencontre une faune insensible obsédée par les paris et des pratiques que l’on a du mal à comprendre, comme lorsque Frank taillade le bec de son animal. Dans ce combat de coqs où le héros se comporte lui-même comme un coq, fatalement le vainqueur finit un jour ou l’autre accommodé dans une casserole.

Et puisque Frank, pendant tout le film, se passe des mots pour s’exprimer, on ne fera qu’un geste pour dire ce que l’on pense du film.

Jean-Charles Lemeunier

Cockfighter
Année : 1974
Origine : États-Unis
Réal. : Monte Hellman
Scén. : Monte Hellman, Charles Willeford, d’après le roman de Charles Willeford
Photo : Nestor Almendros
Musique : Michael Franks
Montage : Lewis Teague
Durée : 83 min
Avec Warren Oates, Harry Dean Stanton, Richard B. Shull, Ed Begley Jr, Laurie Bird, Troy Donahue, Patricia Pearcy, Robert Earl Jones, Millie Perkins, Steve Railsback, Charles Willeford…

Sorti pour la première fois en Blu-ray par Carlotta Films le 18 avril 2023.


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