
« Je n’ai pas fait un film anti-flics », proclame Yves Boisset dans le bonus du DVD et du Blu-ray de La Femme flic (1980), que Tamasa édite ce 19 septembre. C’est une évidence, il s’agit plutôt d’un film qui combat la morale bourgeoise prônée par le ministère de l’Intérieur de l’époque. Et qui part, raconte Boisset, d’une histoire vraie. Celle d’une jeune inspectrice de police qui, ayant découvert un trafic pédophile auquel étaient mêlés des notables, fut contrainte de démissionner.
Miou-Miou incarne ici cette jeune femme douce mais têtue, qui s’obstine, contre sa hiérarchie, à soulever quelques lièvres peu reluisants. Deux thèmes forts sont abordés dans le film : les yeux que l’on est obligé de fermer quand des gens haut placés sont soupçonnés et la position de la femme dans un corps de métier jusqu’ici très masculin. « Les femmes, claironne d’entrée de jeu un vieux flic (Georges Staquet), c’est pas fait pour ce métier ! »

On sent encore, lors du classique exercice de tir sur des cibles, la jalousie de certains (tel Roland Blanche) devant la performance de Miou-Miou, qui vise juste mais n’aime pas se servir de son arme. Cette dernière est mutée dans une petite ville du nord de la France, proche de Lille, et Boisset filme une France qui semble sortie du XIXe siècle avec un patron tout puissant qui fait la pluie et le beau temps dans la région, une population pauvre dont les enfants sont victimes d’abus (inceste, prostitution) et une bande de soixante-huitards qui monte du Brecht dans une MJC — dirigée par l’excellent Jean-Pierre Kalfon. Ces derniers sont remontés contre les flics à la limite de la caricature. Seuls un syndicaliste (Leny Escudero) et un prêtre ouvrier (Philippe Caubère) prennent fait et cause pour cette jeune policière isolée.

On retrouve dans La Femme flic une collection de seconds rôles qui faisaient la richesse du cinéma français : Jean-Marc Thibault en commissaire, Niels Arestrup en photographe, Jean Martin en notable douteux et une jolie collection de juges, procureurs ou substituts pas très glorieux (Henri Garcin, Stéphane Bouy, Philippe Brizard) dont seul celui incarné par Gérard Caillaud tire son épingle du jeu. Il faut encore citer le magnifique François Simon — le fils de Michel Simon — dans le rôle d’un vieux médecin collabo très proche de l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, et dont les chats, plutôt que Bébert, se nomment Malraux, Mauriac et Gallimard.
C’est donc bien de la société dont il est question dans La Femme flic, beaucoup plus que la police. Une société dont le commissaire Jean-Marc Thibault dit qu’elle ne mérite pas la police qu’elle a.

Bien sûr, le film est ancré dans les années soixante-dix/quatre-vingt, avec les tapisseries dans les appartements, les petits bistrots, les voitures, la topographie-même des villes qui a sacrément évolué en quarante ans. Mais le scénario, lui — signé par Yves Boisset et Claude Veillot — n’a pas vieilli, toujours aussi glaçant. Et toujours autant, malheureusement, d’actualité !
Un dernier mot sur le documentaire très intéressant de Roland-Jean Charna qui accompagne le film (Antigone chez les flics). Outre les propos d’Yves Boisset et de Bernard Payen, responsable de programmation à la Cinémathèque française, il faut noter la participation de Richard Marlet, lui-même commissaire, qui donne du film une lecture passionnante, comparant le personnage de Miou-Miou à l’Antigone de la mythologie grecque.
Jean-Charles Lemeunier
La Femme flic
Année : 1980
Origine : France
Réal. : Yves Boisset
Scén. : Yves Boisset, Claude Veillot
Photo : Jacques Loiseleux
Musique : Philippe Sarde
Montage : Albert Jurgenson
Durée : 103 min
Avec Miou-Miou, Jean-Marc Thibault, Roland Blanche, Jean-Pierre Kalfon, Leny Escudero, Alex Lacast, Philippe Caubère, Niels Arestrup, Gérard Caillaud, François Simon, Stéphane Bouy, Georges Staquet, Henri Garcin, Roland Bertin, Roland Amstutz, Jean Martin…
Sortie en DVD Amaray et Blu-ray par Tamasa le 19 septembre 2023.