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« Un parfait inconnu » de James Mangold : En roue libre

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Et si, avec Bob Dylan, la question principale était celle de l’identité ?Le génial auteur-compositeur-interprète sait très bien où il veut aller — et, en ce sens, l’excellent film de James Mangold, A Complete Unknown (Un parfait inconnu), le montre bien — mais il s’est toujours caché derrière des masques. Et le titre, tiré d’un vers de la chanson Like a Rolling Stone, va tout à fait dans le même sens.

Il n’est qu’à prendre la filmographie du chanteur. La question de l’identité était au cœur de I’m Not There de Todd Haynes. Dans ce film très original, Dylan était personnifié par six personnages différents. Souvenons-nous encore que le ménestrel qu’il jouait dans le western de Sam Peckinpah, Pat Garrett & Billy the Kid (1973), se nommait Alias. Dans Renaldo et Clara (1978), film réalisé par Dylan, le chanteur jouait Renaldo, un des musiciens de la tournée de Dylan, alors que Dylan lui-même était interprété dans le film par Ronnie Hawkins. Enfin, Dylan interprétait également un chanteur dans le bien nommé Masked and Anonymous (2003) de Larry Charles. Dans Un parfait inconnu, on ne sait rien du passé du héros. Dylan n’est pas son vrai nom et c’est au détour d’un courrier que la femme avec qui il vit apprend son véritable patronyme.

Il en va de sa vie comme de son œuvre, extrêmement variable. Le fait est connu. À chacun des concerts de l’artiste, ses fans qui connaissent pourtant ses chansons par cœur, ont du mal à les identifier, tant Dylan s’ingénie à les modifier sur scène.

Scoot McNairy incarne Woody Guthrie

C’est dire si Mangold, qui avait déjà porté à l’écran la vie de Johnny Cash dans Walk the Line (2005), s’attaquait à forte partie en voulant parler d’un artiste autant incontournable qu’énigmatique. Il s’en sort très bien. D’abord par le choix de ses acteurs, tous formidables. On émettra une petite réserve à la représentation de Woody Guthrie par Scoot McNairy, qui paraît caricaturale. On ne peut s’empêcher de penser à l’apparition du vrai Guthrie dans le film d’Arthur Penn, Alice’s Restaurant. Tout aussi mutique que dans Un parfait inconnu, le vieux folk singer était digne et son regard profond montrait ses sentiments lorsqu’il voyait son fils Arlo s’éloigner.

Monica Barbaro et Timothée Chalamet : Joan Baez et Bob Dylan

Mis à part ce détail, on ne peut qu’applaudir à l’interprétation de Timothée Chalamet en Dylan, de Monica Barbaro en Joan Baez, d’Edward Norton en Pete Seeger (et tous ces acteurs chantent et jouent de leurs instruments réellement dans le film). Et bien sûr d’Elle Fanning dans le rôle de la compagne de Dylan.

À notre époque de biopics à tout-va — inutile de les citer, la liste est trop longue et s’allonge de jour en jour —, Un parfait inconnu fait figure de prototype. Classique dans sa forme, le film ne l’est pas autant dans son propos. Tous devraient plus ou moins lui ressembler car, contrairement aux habituelles hagiographies que nous livrent les studios, le principal sujet du film n’est pas la réussite du héros, mais bien qu’il reste fidèle à ce qu’il veut faire. Avant d’accéder à la célébrité, Dylan a fait la connaissance de Woody Guthrie (très malade) et de Pete Seeger, deux chanteurs contestataires folk qu’il avait pour modèles. Une fois reconnu, Dylan refuse de s’installer dans le confort, se remet en question — ce qu’il ne cessera de faire tout au long de sa carrière — et, de la même manière qu’un soldat peut brûler les ponts derrière lui pour ne pas battre en retraite, il s’éloigne de ceux qui l’ont aidé. En cela, ses adieux à Seeger puis à Guthrie — tout est dans les regards, rien ne passe par la bouche — sont de très beaux moments dans le film.

Edward Norton au banjo, parfaite incarnation de Pete Seeger

D’ordinaire, les biopics parlent des débuts difficiles, de l’arrivée à la célébrité, des problèmes qu’elle crée (l’alcool, le sexe), de la chute de l’artiste (s’il est mort), de sa rédemption (s’il est encore en vie et attentif à l’image que le film renvoie de lui). Il n’en est rien ici. À travers l’électrification de sa musique, Dylan prouve qu’il est un artiste complet — de même qu’il désire rester un complet inconnu qui va continuer son chemin, sans devenir le chanteur adulé qui va uniquement satisfaire son public en lui redonnant encore et toujours le même morceau attendu.

Timothée Chalamet et Elle Fanning dans « Un parfait inconnu »

Autre avantage de ce Parfait inconnu, c’est qu’on y entend beaucoup de chansons de Dylan. Et, cela a déjà été mentionné, elles sont chantées par Chalamet, de même que celles de Joan Baez sont chantées par Monica Barbaro, et toutes ressemblent vraiment aux originales. Et c’est vraiment Edward Norton qui, dans le rôle de Pete Seeger, joue du banjo et chante. Un parfait inconnu ? Certainement, mais qui mérite d’être fréquenté !

Et les vrais Dylan et Sylvie Russo sur la pochette de « The Freewheelin' »

Le deuxième album de Dylan, dans lequel il apparaît dans une rue de New York au bras de sa compagne — celle qui est incarnée par Elle Fanning dans le film —, s’appelle The Freewheelin’ Bob Dylan, que l’on peut traduire par « Bob Dylan en roue libre ». C’est ce que dépeint Un parfait inconnu : un artiste libre et qui tient à le rester, contre vents et marées.

Jean-Charles Lemeunier

Un parfait inconnu
Année : 2024
Titre original : A Complete Unknown
Origine : États-Unis
Réal. : James Mangold
Scén. : James Mangold, Jay Cocks, d’après le livre d’Elijah Wald
Photo : Phedon Papamichael
Montage : Andrew Buckland, Scott Morris
Musique : Bob Dylan, Joan Baez, Pete Seeger…
Durée : 2h21
Avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro, Scoot McNairy, Boyd Holbrook…

Sortie sur les écrans par The Walt Disney Company France le 29 janvier 2025.


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