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Elephant Films : Fantastiques années trente

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Cette fois, c’est entré dans les mœurs ! En ce début des années trente et de l’arrivée toute récente du parlant, les films d’horreur se sont placés en têtes de gondole. Avec Frankenstein (1931), Dracula (1931) et La momie (1932), la Universal a attiré les spectateurs et personne ne veut en rester là. Elephant Films, qui a déjà prouvé par le passé son intérêt pour tous ces joyaux et leurs séquelles, récidive avec quatre titres de plus édités en combos DVD + Blu-ray. Deux sortent des mêmes studios Universal : Old Dark House (1932, La maison de la mort) de James Whale et Murders in the Rue Morgue (1932, Double assassinat dans la rue Morgue) de Robert Florey. Le troisième, Island of Lost Souls (1932, L’île du Dr Moreau) d’Erle C. Kenton, est produit par la Paramount. Le dernier, The Ghoul (1933, Le fantôme vivant), réalisé par l’Américain T. Hayes Hunter et interprété par Boris Karloff, la créature de Frankenstein, provient de la Gaumont British.

Prototype de ces mystères se déroulant dans un lieu clos lugubre — il y avait déjà eu, en 1927, The Cat and the Canary de Paul Leni —, le film de James Whale (La maison de la mort), qu’il tourne un an après Frankenstein et Waterloo Bridge et un an avant L’homme invisible, est devenu LA référence du genre. Ces voyageurs surpris par l’orage (Raymond Massey, Gloria Stuart et Melvyn Douglas) et détournés vers un manoir isolé, on les retrouvera par la suite bien des fois, entre autres dans Contronaturo (1969) d’Antonio Margheriti dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes. Dans cette vieille et sombre maison qui donne son titre original au film de Whale, des drames se trament. Certes, le rythme peut sembler languissant aux spectateurs modernes mais rappelons que nous sommes au début du parlant, comme nous le sommes avec la première version du Mystère de la chambre jaune de Marcel L’Herbier ou du Fantômas de Paul Fejos, et que s’introduire avec les personnages dans cette Old Dark House est entrer dans le mythe. Celui d’un film dont parlent les histoires du cinéma qui ne sont pas paresseuses et qu’on pensait ne jamais pouvoir voir.

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À cette époque, les scénarios hésitent encore entre la peur et l’humour et celui de Benn Levy – que Whale retrouve après Waterloo Bridge – et R.C. Sheriff, d’après le roman de J.B. Priestley, renforce ce côté rigolard, censé faire la balance avec l’angoisse, grâce au personnage tenu par Melvyn Douglas. On l’entend même, en plein orage, chanter Singin’ in the Rain (lui et non Charles Laughton, comme l’indique par erreur Jean-Pierre Dionnet dans le supplément). Dionnet qui a raison de préciser que toute cette série éditée par Elephant est Pré-Code, donc datée d’avant l’instauration du code de censure. Ce qui nous donne, dans La maison de la mort, quelques dialogues étonnants. Cela a été mentionné, des voyageurs débarquent donc à l’improviste et la vieille maîtresse de maison (Eva Moore) conduit Gloria Stuart dans une chambre. Trempée par l’orage, la jolie Gloria commence à se déshabiller tout en discutant pour se retrouver en nuisette. La vieille la regarde d’un air réprobateur – on a compris qu’elle était bigote : « Vous êtes sotte et immorale, décrète-t-elle. Vous ne pensez qu’à vos jambes longues et à votre corps blanc pour donner du plaisir, ce plaisir charnel que vous voulez donner à votre homme. » Le dialogue est déjà surprenant puis, touchant la gorge de Gloria, juste au-dessus des seins, la mémée ajoute: « C’est joli mais ça finira par moisir ! »

Ça, si c’est pas du Pré-Code ! Autre étonnement, la façon dont est traitée la religion. La vieille dame, on l’a vu, est une grenouille de bénitier qui, au moment de passer à table, force son frère (l’excellent Ernest Thesiger) à prononcer une prière. Lequel se moque de cette demande et parodie la prière requise. Alors Eva Moore dit elle-même sa prière et, curieusement, s’empare d’un couteau pour trancher le pain, alors que dans les Évangiles il est dit qu’il faut qu’il soit rompu. Méconnaissance des scénaristes ou volonté de contredire par l’image ce qui vient d’être dit et de porter un soupçon supplémentaire sur cette étrange famille ?

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La maison de la mort présente aussi l’avantage de mettre face à face Boris Karloff, dans le rôle d’un inquiétant serviteur barbu et balafré, et Charles Laughton, alors à ses débuts. Le futur grand Charles a en effet accompli sa première apparition à l’écran trois ans plus tôt, dans Piccadilly, où il incarnait le client mécontent – et sans classe – d’un cabaret. Il débarque à son tour dans la maison en braillant et rigolant, à l’opposé des personnages qu’il tiendra par la suite, à commencer par le Dr Moreau de Island of Lost Souls où il est fabuleux, tout à la fois dur, inquiétant et d’une espièglerie enfantine.

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Dernier étonnement à propos du casting de La maison de la mort, avec le rôle du père centenaire de la famille. Ce vieil homme barbichu a une curieuse voix féminine et l’on a l’impression que c’est une femme qui le joue. Mais le générique annonce John Dudgeon et l’on s’en tiendrait là si Jean-Pierre Dionnet ne nous apprenait qu’il s’agit en fait de l’actrice Elspeth Dudgeon. Dionnet, dont on ne peut qu’apprécier la pertinence des commentaires et qui voit, dans ce « film borgésien », l’identification de cette maison de la mort à « un lieu de l’espace mental ».

Enfin, et c’est une évidence, le décor a toute son importance dans un film fantastique. Il est dans La maison de la mort signé Russel Gausman, qui a fourbi ses armes sur la version muette du Fantôme de l’Opéra et sur le Dracula de Tod Browning. À cette époque, une ambiance fantastique est forcément expressionniste avec ses jeux d’ombres et de lumières et ses architectures torturées. Comme l’est, d’une façon plus flagrante encore, le Paris idéalisé du Double assassinat de la rue Morgue, dû au talent de Charles D. Hall – à qui l’on doit également ceux de Dracula, en collaboration avec Gausman, et de Frankenstein.

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Adapté de la nouvelle d’Edgar Allan Poe, avec, notons-le, des dialogues additionnels de John Huston, ce Double assassinat est une très belle surprise. Le film est réalisé par Robert Florey, un Français qui, journaliste fasciné par le cinéma, a débuté auprès de Louis Feuillade avant de s’envoler pour Hollywood, dont il deviendra l’historien des premiers jours avec des bouquins comme Filmland ou Hollywood années zéro. Hollywood où Florey devint l’ami des plus grands, Chaplin, Fairbanks et Valentino. C’est parce qu’il avait préparé Frankenstein, un film où il prévoyait d’attribuer le rôle de la créature à Bela Lugosi, et qu’il en avait été écarté au profit de James Whale, que Universal confia à Florey, en guise de compensation, la réalisation du Double assassinat. Dans lequel il dirige enfin Lugosi.

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C’est une évidence que Florey aurait pu, avec sans doute plus d’ambition, devenir un Tourneur avant l’heure. S’il avait rencontré les bonnes personnes, un producteur tel que Val Lewton, s’il ne s’était pas cantonné à la série B puis à la télé, peut-être jouirait-il aujourd’hui d’une réputation enviable. Car Florey est un bon cinéaste. Ses plans le prouvent, son choix des décors, son goût pour les axes inhabituels – secondé, il est vrai, par le grand Karl Freund, directeur de l’image de 
Dracula et réalisateur de La momie -, comme lorsqu’il embarque sa caméra dans une balançoire. Et ses intuitions aussi. Oui, il faut parler de cette intuition géniale qui lui fait prendre un singe, joué par Charles Gemora, un habitué du genre puisqu’il ne fit carrément que cela, le gorille, à une ou deux exceptions près. Et que fait-il, le gorille, dans la rue Morgue ? Il se saisit de la jolie Sidney Fox et l’embarque sur les toits. En 1932 ! Soit un an avant King Kong. Occasion d’ailleurs pour Florey de prouver qu’il connaît parfaitement ses classiques et maîtrise son découpage. L’ombre de la main du gorille sur le corps assoupi de Sidney Fox ? Voilà une jolie référence au Nosferatu de Murnau dans lequel, de la même manière mais d’une façon peut-être encore plus audacieuse, l’ombre de la main du vampire caressait le corps de la belle endormie. 

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Il sera encore question de singes dans L’île du Dr Moreau et celui qui est encagé sur le bateau est interprété par, vous l’aurez deviné, Charlie Gemora himself. S’emparant du récit philosophique de H.G. Wells (l’homme a-t-il le droit de se prendre pour un dieu et de transformer des animaux en êtres humains ?), Erle C. Kenton signe un film admirable, qui prend au départ les allures d’un remake du Comte Zaroff, sorti trois mois plus tôt. Là encore, on pourrait parler d’intuition. Après un générique essuyé par les vagues – quelle belle idée ! – un naufragé (Richard Arlen) qui a été recueilli sur un étrange bateau arrive en vue d’une non moins étrange île, celle bien sûr du Dr Moreau et qui, là encore, préfigure celle du roi Kong. Toujours un an avant, comme quoi les grandes idées flottent dans l’air d’une époque.

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Nous sommes ici au sein des studios Paramount, ceux qu’une allusion sexuelle n’effraie jamais. Souvenons-nous qu’ils ont quand même produit Stroheim, Lubitsch, les frères Marx, Sternberg et Mamoulian, Mae West et DeMille et que le petit père Zukor en a vu d’autres ! De là à se risquer, grâce à Kathleen Burke et à sa très séduisante femme panthère, sur les sentiers risqués de la zoophilie, il n’y a qu’un pas que Erle C. et ses scénaristes, Waldemar Young et Phil Wylie, transgressent aisément. Là où les Américains sont forts, surtout à cette époque, c’est que rien ne les arrête et que l’entertainment se conjugue avec les questions morales.

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Dans L’île du Dr Moreau, on parle aussi de tortures et de souffrances. Le Hollywood années trente d’avant le Code découvre tous les grands thèmes, tous les grands questionnements, ceux de FrankensteinDraculaJekyll & Hyde, du Dr Moreau et de l’Homme invisible et les aborde d’une manière totalement adulte, sans chercher à les édulcorer. Édulcoration que feront tous les remakes post-Code.

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Il faut encore parler du Fantôme vivant, film plaisant et sorte de séquelle britannique inavouée de La momie. L’histoire filmée par T. Hayes Hunter, un Américain exporté en Angleterre, ne brille guère par son originalité : un égyptologue (Boris Karloff) s’est fait construire dans la campagne anglaise un tombeau style Vallée des Rois (ben voyons) et enterrer avec un talisman censé le ramener à la vie une fois mort. Bon, le scénar ainsi administré ne fait de mal à personne, il est même plutôt rigolo à suivre d’autant plus que Karloff, maquillé à outrance, arbore ici des sourcils qui nous rappellent… qui donc… mais si, là, un homme politique en difficulté et qui lui aussi ne mise plus que sur une bénédiction pharaonique pour s’en sortir. Vous voyez pas ? Bon, de toute façon, c’est pas grave, ça n’a rien à voir avec Le fantôme vivant. Encore que…

Jean-Charles Lemeunier

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La maison de la mort, Double assassinat dans la rue Morgue, L’île du Dr Moreau et Le fantôme vivant : quatre combos DVD/Blu-ray en version restaurée, édités par Elephant Films depuis le 25 janvier 2017.

 



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