L’épisode suivant, Invisible Agent (L’agent invisible contre la Gestapo), est tourné en pleine guerre, en 1942. Le héros (Jon Hall) est le petit-fils de Jack Griffin, l’Homme invisible d’origine. Il reçoit la visite d’espions nazis et japonais qui en veulent à la découverte du pépé. Parmi ceux-là, on reconnaît Cedric Hardwicke, déjà au générique du Retour de l’Homme invisible mais dans un tout autre rôle, et Peter Lorre, le grand comédien hongrois qui, à Hollywood, fut aussi abonné aux rôles d’Asiatiques puisque, quelques années auparavant, il incarna le détective japonais Mr Moto dans une longue série de films.
Une fois de plus, le scénario de Curt Siodmak fait merveille. Il ridiculise les nazis, de la même manière que Lubitsch le fera la même année dans To Be Or Not To Be, mais ceux-là n’en restent pas moins inquiétants et sadiques, ce qui est rare dans une comédie. Comme dans l’épisode précédent, Siodmak s’éloigne du précepte de base : l’invisibilité ne rend plus méchant. Au contraire, l’Homme invisible est ici au service de la bonne cause. Il n’en sera plus de même dès 1944, avec La revanche de l’Homme invisible, connu aussi comme La vengeance de l’Homme invisible.
Avec The Invisible Man’s Revenge, on retrouve Jon Hall dans le rôle d’un Griffin mais qui ne semble avoir aucun lien avec tous les Griffin précédents — rappelons que le premier médecin à avoir découvert le sérum d’invisibilité dans L’Homme invisible de James Whale se nommait Jack Griffin. Au contraire, la formule de l’invisibilité a été inventée par un certain Drury (John Carradine) que Griffin est bien content de rencontrer. Non seulement le pauvre type a la mémoire aussi effilochée qu’un pantalon de hipster mais une manchette de journal nous apprend qu’il est soupçonné de meurtre en Afrique du sud. De plus, le pauvre gars s’est fait flouer par un couple de margoulins qui se prétendent ses amis mais l’ont dépouillé aussi sûrement qu’un contrôleur des impôts. Quand Jon Hall se rend dans leur manoir pour réclamer son dû, Ford Beebe qui signe la réalisation de ce petit bijou de série B sait comment rendre inquiétants Lester Matthews et Gale Sondergaard qui incarnent ce couple maléfique. Ainsi, les plans en contre-plongée de Gale Sondergaard sont de toute beauté. La grande force de Beebe, outre celle de savoir mener à bien un récit mouvementé — ce qui est normal, vu que le monsieur vient du serial —, c’est de ne pas plonger la tête la première dans le manichéisme. Victimes et filous se tiennent par la main et l’on ne sait plus vers lesquels le cœur peut pencher. Même les personnages qui prennent en charge la décrispation de l’histoire en introduisant des éléments comiques, tel Leon Errol et la partie truquée de fléchettes — un must chez Universal, qui utilisait déjà ce jeu dans Le fils de Frankenstein, séquence mémorable reprise par Mel Brooks dans son Frankenstein Junior —, même ceux-là, pour sympathiques qu’ils soient, restent malgré tout peu fiables. Quant au médecin, ce Drury qui a inventé la formule de l’invisibilité, le grand John Carradine lui donne une douceur à travers laquelle perce la certitude de la folie. Il faut le voir caresser son chien invisible et parler à son perroquet qui l’est tout autant. Ce chien, explique-t-il, était un corniaud livré à la méchanceté de ses congénères. « Les chiens de race l’attaquaient souvent à deux », rappelle Carradine. Et Hall, pourchassé par ses amis riches qui refusent de lui rendre la part d’argent qu’ils lui ont volée, d’ajouter : « On chasse toujours en couple dans la noblesse. » Et, dans cette histoire de vengeance à la Monte-Cristo — Jean-Pierre Dionnet qui, dans les bonus de l’éditeur, jette toujours un regard sagace et des commentaires avisés sur les films, compare ainsi l’Homme invisible au héros de Dumas —, voilà que débarque un sujet social. Le roman-feuilleton est à nouveau envahi par un débat marxiste de lutte des classes, comme il l’était déjà dans Le retour de l’homme invisible.
Là encore, les trucages font merveille, comme lorsque l’Homme invisible se mouille le visage ou l’enduit de farine. Ou lorsque, la tête bandée, il ôte ses lunettes de soleil et, qu’à travers les trous de ses yeux, on voit l’arrière du bandage. Du très grand art ! Signalons enfin, dans le rôle fugace d’un policier — ce qu’il était déjà dans Le retour —, la présence de Billy Bevan. Toujours la bouille ronde, la moustache blanchie, l’acteur a connu la gloire du temps du muet alors qu’il était l’un des héros des séries burlesques de Mack Sennett. Avec l’arrivée du parlant, il s’est contenté d’apparaître dans près de 70 films, dans des rôles proches de la figuration. Sic transit gloria mundi aurait soupiré le pirate d’Astérix si on lui avait demandé son avis.
Nous en arrivons au dernier film de la série, Deux nigauds contre l’Homme invisible. Dionnet s’emballe : « On est presque chez Rivette, le film est bressonien, avec cette volonté de tout rendre un peu terne et d’avoir au centre deux acteurs presque expérimentaux. C’est un film sans ombre et sans lumière. » Il est vrai que chez nous, Abbott et Costello ont toujours eu mauvaise presse. Ils sont pour la France ce que Jerry Lewis est à l’Amérique : de la lourdeur sans une once de talent. Soyons honnêtes tout de même : le scénario de Robert Lees et Fred Rinaldo, deux vieilles connaissances déjà croisées au générique de La femme invisible, est étiré, fait de bouts de ficelles et, malgré tout, de moments très drôles. Allez, au moins d’UN moment très drôle, celui du match de boxe. Certes, ce sport a déjà nourri de très bonnes séquences chez Chaplin et Keaton. Mais Costello, devenu Louie the Looper (Louie la Bedaine) pour le ring, s’en sort plutôt bien pour nous arracher un rire ou deux. Les séquences avec le psychiatre (Gavin Muir) sont en revanche en deçà de ce que l’on pourrait attendre.
« Film déconstruit dont les péripéties ne tiennent pas la route » remarque encore Dionnet. C’est vrai et c’est sans doute parce qu’elles ne tiennent pas la route qu’elles font sourire. Reprenons du début : accusé du meurtre de son entraîneur, un boxeur (Arthur Franz) vient trouver ces deux balourds d’A&C, détectives privés de leur état, pour l’aider à se sortir d’affaire. Puis il va voir un médecin de sa connaissance qui a découvert le secret de l’invisibilité et s’enfile le produit dans la veine pour se soustraire aux flics. Voilà donc nos deux compères effrayés par l’Homme invisible mais malgré tout ses complices. Quand le commissaire (William Frawley) débarque dans la pièce où ils discutent tous les trois, alors que la solution la plus simple pour l’Invisible, vêtu d’un seul peignoir, serait de l’ôter pour dissimuler sa présence, il préfère le garder et Costello le couvre d’une nappe et fait semblant de boire le thé sur sa tête. Frawley, évidemment, ne voit rien sur le coup. Des gags de ce genre traversent tout le film de Charles Lamont. Au dixième degré, ils en deviennent formidables. Parfois, ce sont aussi des sous-entendus qui paraissent étonnants pour une comédie familiale de cette époque. Costello, que tout le monde prend pour un boxeur, est approché par une poule (Adele Jergens) qui travaille pour le gangster local (Sheldon Leonard). « J’ai deux bonnes raisons de vous connaître », dit-elle au gros Lou en s’asseyant à côté de lui et en enlevant son manteau. Deux bonnes raisons qu’elle porte évidemment au niveau de son corsage mais Lamont n’insiste sur ce point par aucun plan et glisse vite, au niveau du dialogue, sur deux autres soit-disant bonnes raisons. Tout est ainsi traité a minima, les pseudos coups d’éclats vite gommés, les gags qui pourraient quelque peu déranger escamotés tout de suite bien qu’esquissés, comme si un autre scénario, en sous-main, essayait de percer à travers l’ingénuité du premier.
Pour conclure, restons sur une anecdote macabre contée par Jean-Pierre Dionnet. Robert Lees, le scénariste, fut retrouvé décapité chez lui en 2004. Son assassin, qui avait également tué son voisin — mais celui-ci téléphonait et la police fut rapidement avertie — fut arrêté le lendemain. C’était juste un fatigué du cerveau, tout droit sorti d’Esprits criminels.
Jean-Charles Lemeunier
L’agent invisible contre la Gestapo d’Edwin L. Marin, La revanche de l’Homme invisible de Ford Beebe et Deux nigauds contre l’Homme invisible en combo Blu-ray + DVD, sortie chez Elephant Films le 21 septembre 2016.
